32 THÉÂTRE
OCTOBRE 2015 / N°236 la terrasse la terrasse OCTOBRE 2015 / N°236 THÉÂTRE 33
PARTENARIATS, CONTACTEZ-NOUS / 01 53 02 06 60 OU LA.TERRASSE@WANADOO.FRLA TERRASSE, PREMIER MÉDIA ARTS VIVANTS EN FRANCE
© Antonia Bozzi
Lumières Jean-Yves Courcoux
Illustration sonore et scénographie Brigitte Dujardin
Véronique Ataly - Mia Delmaë
Françoise Huguet - Carine Piazzi - Anne-Lise Sabouret
un spectacle de
Laurence Février
avec la plaidoirie de Gisèle Halimi
à la Cour d’Assises d’Aix-en-Provence le 3 mai 1978
Chimène compagnie théâtrale présente
Informations complémentaires
et réservations des groupes scolaires
www.tabouchimenecompagnie.com
Le viol est-il un tabou
dans notre société?
Débats après chaque représentation et
conférences dans les mairies de Paris
Le Lucernaire
du 21/10 au 3/12/15
53, rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris
01 45 44 57 34
www.lucernaire.fr
et aussi au Théâtre
de l’Opprimé
en mars 2016
www.theatredelopprime.com
Conception graphique : Stéphane Rébillon
N° de licence 1-1060677
—
Saison 2015/2016
—
Jusqu’au 11 octobre 2015
Le Réformateur
de Thomas Bernhard
mise en scène d’André Engel
avec Serge Merlin, Ruth Orthmann,
Gilles Kneusé
—
À partir du 20 octobre 2015
Home
de David Storey
mise en scène de Gérard Desarthe
avec Carole Bouquet, Pierre Palmade,
Gérard Desarthe, Valérie Karsenti,
Vincent Deniard
—
À partir du 8 janvier 2016
Qui a peur
de Virginia Woolf ?
d’Edward Albee
mise en scène d’Alain Françon
avec Dominique Valadié,
Wladimir Yordanoff, Julia Faure,
Pierre-François Garel
—
À partir du 19 avril 2016
La Dernière bande
de Samuel Beckett
mise en scène de Peter Stein
avec Jacques Weber
direction Frédéric Franck
—
CRITIQUE
théâtre de la madeleine
de WILLIAM SHAKESPEARE / mes JEAN-LUC REVOL
LE ROI LEAR
Avec Michel Aumont dans le rôle-titre, Jean-Luc Revol réussit une
adaptation captivante du Roi Lear, portée par une distribution bien
équilibrée et de haute tenue.
CRITIQUE
théâtre de la tempête
d’après le roman de MARK HADDON / adaptation SIMON STEPHENS
texte Français de DOMINIQUE HOLLIER / mes PHILIPPE ADRIEN
E BIZARRE INCIDENT DU
PENDANT LA NUIT
nventive, soignée et finement burlesque, la mise en scène de Philippe
drien dépeint le parcours initiatique d’un autiste surdoué, découvrant
des vérités enfouies.
CRITIQUE
théâtre national de strasBourg
texte et mes ANNE THÉRON
NE ME TOUCHEZ PAS
Du 30 octobre
au 13 décembre 2015
Au THÉÂTRE DU SOLEIL
Cartoucherie 75012 Paris
01 43 74 24 08
La Ronde
de nuit
&
Le Théâtre Aftaab & La Baraque Liberté présentent
C’est la première création du
projet imaginé par Stanislas
Nordey pour le Théâtre national de
Strasbourg : un texte écrit et mis en
scène par Anne Théron*, avec les
comédiens Marie-Laure Crochant,
Julie Moulier et Laurent Sauvage*.
Une replongée tortueuse dans le
monde des Liaisons dangereuses.
C’est entre esthétique dix-huitièmiste et
éléments de décor inspirés de l’univers
d’Enki Bilal qu’Anne Théron redonne vie,
dans
Ne me touchez pas
**, à la marquise
de Merteuil et au vicomte de Valmont. Entre
langue d’hier et d’aujourd’hui. Entre réa-
lité théâtrale et désirs de cinéma. Beau-
coup de choses et quelques défauts se
mêlent dans cette création complexe qui
tout d’abord rebute, puis finit par toucher
et retenir l’attention. En décidant, comme
dans la plupart de ses spectacles, d’équi-
per ses interprètes de micros HF (Marie-
Laure Crochant / Merteuil, Julie Moulier /
La Voix, Laurent Sauvage / Valmont), Anne
Théron fait un choix discutable. Car loin
de favoriser la dimension intime et orga-
nique de la représentation, ce processus
de sonorisation lui confère un aspect loin-
tain, comme synthétique. Presque artifi-
ciel. Si on ajoute à cela la performance en
mode mineur de Laurent Sauvage – qui ne
parvient jamais à faire exister le person-
nage de Valmont – on comprend les raisons
pour lesquelles ce projet, dans un premier
temps, a du mal à convaincre. Et pourtant,
après quelques scènes, à l’occasion d’une
traversée assidue et sensible de son rôle,
© Jean-Louis Fernandez
Laurent Sauvage et Marie-Laure Crochant
dans Ne me touchez pas.
Marie-Laure Crochant se détache de cette
monotonie pour imposer la voix vibrante de
Madame de Merteuil. Pour laisser percevoir
ses souffrances.
UNE COURSE ÂPRE, OBSCURE, LYRIQUE
Ses questionnements. Ses désarrois. C’est
toute une atmosphère, alors, qui s’affirme :
énigmatique, elle se déploie et échappe en
même temps. Ainsi la comédienne, en contre-
point à la talentueuse Julie Moulier (dont le
personnage rôde, observe, contextualise,
en venant à se confondre avec l’esprit de la
marquise), nous gagne à la cause de ce face-
à-face déséquilibré, mais intrigant. Car
Ne
me touchez pas
, au final, se révèle une pro-
position pleine d’étrangeté. Une proposition
qui laisse à l’esprit quelques images et de
nombreuses sensations. Comme celle d’avoir
assisté à la course âpre, obscure, lyrique,
d’êtres tentant de conjurer la mort et l’épui-
sement du désir.
Manuel Piolat Soleymat
* Artistes associés au Théâtre national de
Strasbourg
** Texte publié aux Éditions Les Solitaires
Intempestifs
Théâtre national de Strasbourg, Salle Gignoux, 1
av. de la Marseillaise, 67000 Strasbourg.
Du 22 septembre au 9 octobre 2015. Du mardi
au samedi à 20h. Le dimanche 4 octobre à 16h.
Relâche les lundis et le dimanche 27 septembre.
Durée de la représentation : 1h30.
Tél. 03 88 24 88 24. www. tns.fr
Également les 13 et 14 octobre 2015 à la Scène
nationale de Mulhouse, les 4 et 5 novembre
à la Scène nationale de Saint-Brieuc, du 9 au
13 novembre au TU à Nantes, le 6 janvier 2016 à
la Scène nationale de Blois, du 19 au 23 janvier
à la MC2 de Grenoble, du 26 au 29 janvier au
Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine.
Réagissez sur www.journal-laterrasse.fr
Le Roi Lear, dans la mise en scène de Jean-Luc Revol.
Sublime tragédie du désordre et de la rupture,
Le Roi Lear
questionne comme toute l’œuvre
de Shakespeare l’exercice du pouvoir. Dans un
monde à bout de souffle et en pleine muta-
tion, Lear souhaite alléger ses vieilles épaules
du fardeau du pouvoir, et partage son empire
entre ses trois filles. Il mesure leur amour à
l’aune de leurs paroles : les deux aînées se
conforment au rituel, et la cadette pourtant
préférée refuse de se plier au jeu. Cordélia
se tait et Lear la bannit. Roi, homme et père
déchu, que sa fille Goneril qualifie bientôt de
« vieillard débile »
, il subit la perte de tout ce
qui le constituait et entame une descente aux
enfers, tandis que règnent la mesquinerie et la
concupiscence. C’est dans une société malade
à la veille de la crise de 1929 que Jean-Luc
Revol installe la tragédie de Lear, alors que les
roaring twenties
vont laisser place à la Grande
Dépression, et Lear y est nabab à la tête d’un
empire cinématographique.
« Nous ferons plu-
tôt référence à Fritz Lang (période allemande),
à Marcel L’Herbier (
L’argent
n’est pas loin), et
bien sûr à Fellini, son mélange de faux/vrai
(
Intervista
), sa poésie, et ses visions labyrin-
thiques (
8 et demi
) »
, annonce le metteur en
© Christophe Vootz
scène. Un tel parti pris peut faire craindre une
actualisation artificielle et pesante et un apla-
nissement de la tragédie. Or, il n’en est rien.
RYTHME HALETANT
Au contraire, cette adaptation très réussie fait
entendre la tragédie dans toute son acuité et
frappe d’abord par l’équilibre remarquable-
ment cohérent des relations, qui met en valeur
chaque rôle, et par un rythme et un suspense
haletants, véritablement au service de ce texte
sublime et bouleversant. Ainsi Cordélia n’est
pas ici une petite chose effacée, car son silence
est aussi une sorte d’orgueil. Toute l’ambiguïté
et les contradictions de Lear apparaissent,
générant divisions et chaos. Son autorité, qui ne
s’exprime plus que par coups de folie et vaines
imprécations, se disloque comme son empire.
Laissant voir aussi toute la fragilité de Lear,
Michel Aumont a l’étoffe de ce rôle immense.
Apparaissent aussi dans les confrontations
entre divers personnages, entre la lande mor-
tifère et les palais clos, toute l’étendue de la
cupidité qui ronge la société. Quelques traits
comiques sont heureusement peu appuyés.
Comme toujours chez Shakespeare, les
enjeux psychologiques, familiaux et politiques
s’imbriquent et résonnent aussi dans l’ordre
naturel du monde. De très beaux costumes,
le grandiose artifice du cinéma qui structure
des décors de plateaux de tournage changés
à vue contribuent à la réussite de cette pièce
captivante. L’essentiel ici demeure le jeu bien
dirigé d’une formidable équipe, – Agathe Bonit-
zer (Cordélia), Bruno Abraham-Kremer (Kent),
Jean-Paul Farré (Gloucester), Marianne Bas-
ler et Anne Bouvier (Régane et Goneril), Arnaud
Denis (Edmond), José-Antonio Pereira (Edgar),
Denis D’Arcangelo (le Fou)… Une pièce aboutie,
exigeante et populaire : à voir par tous !
Agnès Santi
Théâtre de la Madeleine, 19 rue de Surène,
75008 Paris. À partir du 11 septembre,
du mardi au samedi à 20h, dimanche à 17h.
Tél. 01 42 65 07 09.
Réagissez sur www.journal-laterrasse.fr
Christopher et son père (Pierre Lefebvre et Sébastien Bravard).
«
Que fais-tu dans ce jardin ? »
« Je vous
»
, répond Christopher au policier. Il n’es-
: il n’esquive jamais, ça
ne fait pas partie de son champ d’action. Sim
-
plement il répond avec la franchise infaillible
et la précision littérale qui le caractérisent.
C
hristopher est autiste atteint du syndrome
d’Asperger. Doué en maths et élève dans une
école spécialisée, il ne supporte pas qu’on le
touche et connaît quelques troubles com
-
portementaux. Il vit seul avec son père, car
sa mère est morte. Si
Christopher est dans ce
jardin, c’est que le chien de Madame Shears y
a été découvert, transpercé par une fourche,
et il a décidé d’enquêter. Qui a tué Wellington ?
Sans relâche, il consigne dans un livre les
résultats détaillés de son investigation. Her-
métique aux codes sociaux, aux métaphores,
au second degré et aux rouages de la manipu-
lation, il observe et raisonne en toute logique.
Son courage et sa ténacité le mèneront de
la petite ville de Swindon jusqu’au cœur de
Londres, malgré sa hantise de l’inconnu, et
par ricochets, cette enquête l’amène à décou-
vrir la vérité sur le meurtre et sur des secrets
familiaux enfouis. Il finira même par réussir
son A-level en maths.
PARCOURS INITIATIQUE ORIGINAL
Philippe Adrien a décidé de porter à la scène
ce roman de Mark Haddon, adapté par Simon
Stephens, en faisant écho à cette appréhen-
sion différente et comme amplifiée du monde
et en évitant tout pathos. Avec une grande
inventivité et une sorte de stylisation parfois
proche du burlesque, il déploie ce parcours
initiatique original et drolatique sur le mode
d’un théâtre-récit très soigné qui s’amuse de
la frontière entre raconter et jouer, et de la
mise en abyme du livre, qui sur scène est lu et
représenté. Dans une ambiance de polar noir
plutôt
foggy
, la scène inaugurale frappe fort.
On peut ne pas être passionné par l’histoire
parfois prévisible, mais le talent affûté de Phi-
lippe Adrien fait mouche. Et Pierre Lefebvre
interprète Christopher avec une finesse et
une maîtrise impressionnantes, sans jamais
surjouer ni s’appuyer sur des symptômes
convenus, mais plutôt sur les qualités et le
rapport au monde singuliers du jeune homme.
Son périple reconfigure et interroge aussi les
relations familiales, et notamment la respon-
sabilité parentale. Son père, que Sébastien
Bravard incarne avec nuance et justesse,
traverse comme lui une zone de turbulences
extrêmes. Rigueur, droiture et mathématiques
pour aller au-delà des apparences : une par-
tition d’acteurs au cordeau et une invitation
à réinventer la perception du réel !
Agnès Santi
Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, route
du Champ-de-Manœuvre, 75012 Paris.
Du 11 septembre au 18 octobre 2015.
Du mardi au samedi à 20h ; le dimanche à 16h.
Tél. 01 43 28 36 36. Durée : 2h10.
Réagissez sur www.journal-laterrasse.fr
32 THÉÂTRE
OCTOBRE 2015 / N°236 la terrasse la terrasse OCTOBRE 2015 / N°236 THÉÂTRE 33
PARTENARIATS, CONTACTEZ-NOUS / 01 53 02 06 60 OU LA.TERRASSE@WANADOO.FRLA TERRASSE, PREMIER MÉDIA ARTS VIVANTS EN FRANCE
© Antonia Bozzi
Lumières Jean-Yves Courcoux
Illustration sonore et scénographie Brigitte Dujardin
Véronique Ataly - Mia Delmaë
Françoise Huguet - Carine Piazzi - Anne-Lise Sabouret
un spectacle de
Laurence Février
avec la plaidoirie de Gisèle Halimi
à la Cour d’Assises d’Aix-en-Provence le 3 mai 1978
Chimène compagnie théâtrale présente
Informations complémentaires
et réservations des groupes scolaires
www.tabouchimenecompagnie.com
Le viol est-il un tabou
dans notre société?
Débats après chaque représentation et
conférences dans les mairies de Paris
Le Lucernaire
du 21/10 au 3/12/15
53, rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris
01 45 44 57 34
www.lucernaire.fr
et aussi au Théâtre
de l’Opprimé
en mars 2016
www.theatredelopprime.com
Conception graphique : Stéphane Rébillon
N° de licence 1-1060677
—
Saison 2015/2016
—
Jusqu’au 11 octobre 2015
Le Réformateur
de Thomas Bernhard
mise en scène d’André Engel
avec Serge Merlin, Ruth Orthmann,
Gilles Kneusé
—
À partir du 20 octobre 2015
Home
de David Storey
mise en scène de Gérard Desarthe
avec Carole Bouquet, Pierre Palmade,
Gérard Desarthe, Valérie Karsenti,
Vincent Deniard
—
À partir du 8 janvier 2016
Qui a peur
de Virginia Woolf ?
d’Edward Albee
mise en scène d’Alain Françon
avec Dominique Valadié,
Wladimir Yordanoff, Julia Faure,
Pierre-François Garel
—
À partir du 19 avril 2016
La Dernière bande
de Samuel Beckett
mise en scène de Peter Stein
avec Jacques Weber
direction Frédéric Franck
—
CRITIQUE
théâtre de la madeleine
de WILLIAM SHAKESPEARE / mes JEAN-LUC REVOL
LE ROI LEAR
Avec Michel Aumont dans le rôle-titre, Jean-Luc Revol réussit une
adaptation captivante du Roi Lear, portée par une distribution bien
équilibrée et de haute tenue.
CRITIQUE
théâtre de la tempête
d’après le roman de MARK HADDON / adaptation SIMON STEPHENS
texte Français de DOMINIQUE HOLLIER / mes PHILIPPE ADRIEN
LE BIZARRE INCIDENT DU
CHIEN PENDANT LA NUIT
Inventive, soignée et finement burlesque, la mise en scène de Philippe
Adrien dépeint le parcours initiatique d’un autiste surdoué, découvrant
des vérités enfouies.
CRITIQUE
théâtre national de strasBourg
texte et mes ANNE THÉRON
NE ME TOUCHEZ PAS
Du 30 octobre
au 13 décembre 2015
Au THÉÂTRE DU SOLEIL
Cartoucherie 75012 Paris
01 43 74 24 08
La Ronde
de nuit
&
Le Théâtre Aftaab & La Baraque Liberté présentent
C’est la première création du
projet imaginé par Stanislas
Nordey pour le Théâtre national de
Strasbourg : un texte écrit et mis en
scène par Anne Théron*, avec les
comédiens Marie-Laure Crochant,
Julie Moulier et Laurent Sauvage*.
Une replongée tortueuse dans le
monde des Liaisons dangereuses.
C’est entre esthétique dix-huitièmiste et
éléments de décor inspirés de l’univers
d’Enki Bilal qu’Anne Théron redonne vie,
dans
Ne me touchez pas
**, à la marquise
de Merteuil et au vicomte de Valmont. Entre
langue d’hier et d’aujourd’hui. Entre réa-
lité théâtrale et désirs de cinéma. Beau-
coup de choses et quelques défauts se
mêlent dans cette création complexe qui
tout d’abord rebute, puis finit par toucher
et retenir l’attention. En décidant, comme
dans la plupart de ses spectacles, d’équi-
per ses interprètes de micros HF (Marie-
Laure Crochant / Merteuil, Julie Moulier /
La Voix, Laurent Sauvage / Valmont), Anne
Théron fait un choix discutable. Car loin
de favoriser la dimension intime et orga-
nique de la représentation, ce processus
de sonorisation lui confère un aspect loin-
tain, comme synthétique. Presque artifi-
ciel. Si on ajoute à cela la performance en
mode mineur de Laurent Sauvage – qui ne
parvient jamais à faire exister le person-
nage de Valmont – on comprend les raisons
pour lesquelles ce projet, dans un premier
temps, a du mal à convaincre. Et pourtant,
après quelques scènes, à l’occasion d’une
traversée assidue et sensible de son rôle,
© Jean-Louis Fernandez
Laurent Sauvage et Marie-Laure Crochant
dans Ne me touchez pas.
Marie-Laure Crochant se détache de cette
monotonie pour imposer la voix vibrante de
Madame de Merteuil. Pour laisser percevoir
ses souffrances.
UNE COURSE ÂPRE, OBSCURE, LYRIQUE
Ses questionnements. Ses désarrois. C’est
toute une atmosphère, alors, qui s’affirme :
énigmatique, elle se déploie et échappe en
même temps. Ainsi la comédienne, en contre-
point à la talentueuse Julie Moulier (dont le
personnage rôde, observe, contextualise,
en venant à se confondre avec l’esprit de la
marquise), nous gagne à la cause de ce face-
à-face déséquilibré, mais intrigant. Car
Ne
me touchez pas
, au final, se révèle une pro-
position pleine d’étrangeté. Une proposition
qui laisse à l’esprit quelques images et de
nombreuses sensations. Comme celle d’avoir
assisté à la course âpre, obscure, lyrique,
d’êtres tentant de conjurer la mort et l’épui-
sement du désir.
Manuel Piolat Soleymat
* Artistes associés au Théâtre national de
Strasbourg
** Texte publié aux Éditions Les Solitaires
Intempestifs
Théâtre national de Strasbourg, Salle Gignoux, 1
av. de la Marseillaise, 67000 Strasbourg.
Du 22 septembre au 9 octobre 2015. Du mardi
au samedi à 20h. Le dimanche 4 octobre à 16h.
Relâche les lundis et le dimanche 27 septembre.
Durée de la représentation : 1h30.
Tél. 03 88 24 88 24. www. tns.fr
Également les 13 et 14 octobre 2015 à la Scène
nationale de Mulhouse, les 4 et 5 novembre
à la Scène nationale de Saint-Brieuc, du 9 au
13 novembre au TU à Nantes, le 6 janvier 2016 à
la Scène nationale de Blois, du 19 au 23 janvier
à la MC2 de Grenoble, du 26 au 29 janvier au
Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine.
Réagissez sur www.journal-laterrasse.fr
Le Roi Lear, dans la mise en scène de Jean-Luc Revol.
Sublime tragédie du désordre et de la rupture,
Le Roi Lear
questionne comme toute l’œuvre
de Shakespeare l’exercice du pouvoir. Dans un
monde à bout de souffle et en pleine muta-
tion, Lear souhaite alléger ses vieilles épaules
du fardeau du pouvoir, et partage son empire
entre ses trois filles. Il mesure leur amour à
l’aune de leurs paroles : les deux aînées se
conforment au rituel, et la cadette pourtant
préférée refuse de se plier au jeu. Cordélia
se tait et Lear la bannit. Roi, homme et père
déchu, que sa fille Goneril qualifie bientôt de
« vieillard débile »
, il subit la perte de tout ce
qui le constituait et entame une descente aux
enfers, tandis que règnent la mesquinerie et la
concupiscence. C’est dans une société malade
à la veille de la crise de 1929 que Jean-Luc
Revol installe la tragédie de Lear, alors que les
roaring twenties
vont laisser place à la Grande
Dépression, et Lear y est nabab à la tête d’un
empire cinématographique.
« Nous ferons plu-
tôt référence à Fritz Lang (période allemande),
à Marcel L’Herbier (
L’argent
n’est pas loin), et
bien sûr à Fellini, son mélange de faux/vrai
(
Intervista
), sa poésie, et ses visions labyrin-
thiques (
8 et demi
) »
, annonce le metteur en
© Christophe Vootz
scène. Un tel parti pris peut faire craindre une
actualisation artificielle et pesante et un apla-
nissement de la tragédie. Or, il n’en est rien.
RYTHME HALETANT
Au contraire, cette adaptation très réussie fait
entendre la tragédie dans toute son acuité et
frappe d’abord par l’équilibre remarquable-
ment cohérent des relations, qui met en valeur
chaque rôle, et par un rythme et un suspense
haletants, véritablement au service de ce texte
sublime et bouleversant. Ainsi Cordélia n’est
pas ici une petite chose effacée, car son silence
est aussi une sorte d’orgueil. Toute l’ambiguïté
et les contradictions de Lear apparaissent,
générant divisions et chaos. Son autorité, qui ne
s’exprime plus que par coups de folie et vaines
imprécations, se disloque comme son empire.
Laissant voir aussi toute la fragilité de Lear,
Michel Aumont a l’étoffe de ce rôle immense.
Apparaissent aussi dans les confrontations
entre divers personnages, entre la lande mor-
tifère et les palais clos, toute l’étendue de la
cupidité qui ronge la société. Quelques traits
comiques sont heureusement peu appuyés.
Comme toujours chez Shakespeare, les
enjeux psychologiques, familiaux et politiques
s’imbriquent et résonnent aussi dans l’ordre
naturel du monde. De très beaux costumes,
le grandiose artifice du cinéma qui structure
des décors de plateaux de tournage changés
à vue contribuent à la réussite de cette pièce
captivante. L’essentiel ici demeure le jeu bien
dirigé d’une formidable équipe, – Agathe Bonit-
zer (Cordélia), Bruno Abraham-Kremer (Kent),
Jean-Paul Farré (Gloucester), Marianne Bas-
ler et Anne Bouvier (Régane et Goneril), Arnaud
Denis (Edmond), José-Antonio Pereira (Edgar),
Denis D’Arcangelo (le Fou)… Une pièce aboutie,
exigeante et populaire : à voir par tous !
Agnès Santi
Théâtre de la Madeleine, 19 rue de Surène,
75008 Paris. À partir du 11 septembre,
du mardi au samedi à 20h, dimanche à 17h.
Tél. 01 42 65 07 09.
Réagissez sur www.journal-laterrasse.fr
Christopher et son père (Pierre Lefebvre et Sébastien Bravard).
« Que fais-tu dans ce jardin ? »
« Je vous
parle »
, répond Christopher au policier. Il n’es-
quive pas la réponse : il n’esquive jamais, ça
ne fait pas partie de son champ d’action. Sim-
plement il répond avec la franchise infaillible
et la précision littérale qui le caractérisent.
Christopher est autiste atteint du syndrome
d’Asperger. Doué en maths et élève dans une
école spécialisée, il ne supporte pas qu’on le
touche et connaît quelques troubles com-
portementaux. Il vit seul avec son père, car
sa mère est morte. Si Christopher est dans ce
jardin, c’est que le chien de Madame Shears y
a été découvert, transpercé par une fourche,
et il a décidé d’enquêter. Qui a tué Wellington ?
Sans relâche, il consigne dans un livre les
résultats détaillés de son investigation. Her-
métique aux codes sociaux, aux métaphores,
au second degré et aux rouages de la manipu-
lation, il observe et raisonne en toute logique.
Son courage et sa ténacité le mèneront de
la petite ville de Swindon jusqu’au cœur de
Londres, malgré sa hantise de l’inconnu, et
par ricochets, cette enquête l’amène à décou-
vrir la vérité sur le meurtre et sur des secrets
familiaux enfouis. Il finira même par réussir
son A-level en maths.
PARCOURS INITIATIQUE ORIGINAL
Philippe Adrien a décidé de porter à la scène
ce roman de Mark Haddon, adapté par Simon
Stephens, en faisant écho à cette appréhen-
sion différente et comme amplifiée du monde
et en évitant tout pathos. Avec une grande
inventivité et une sorte de stylisation parfois
proche du burlesque, il déploie ce parcours
initiatique original et drolatique sur le mode
d’un théâtre-récit très soigné qui s’amuse de
la frontière entre raconter et jouer, et de la
mise en abyme du livre, qui sur scène est lu et
représenté. Dans une ambiance de polar noir
plutôt
foggy
, la scène inaugurale frappe fort.
O
n peut ne pas être passionné par l’histoire
parfois prévisible, mais le talent affûté de Phi-
lippe Adrien fait mouche. E
interprète C
hristopher avec une finesse et
une maîtrise impressionnantes, sans jamais
surjouer ni s’appuyer sur des symptômes
convenus, mais plutôt sur les qualités et le
rapport au monde singuliers du jeune homme.
Son périple reconfigure et interroge aussi les
relations familiales, et notamment la respon-
sabilité parentale. Son père, que Sébastien
B
ravard incarne avec nuance et justesse,
traverse comme lui une zone de turbulences
extrêmes. R
igueur, droiture et mathématiques
pour aller au-delà des apparences : une par
-
tition d’acteurs au cordeau et une invitation
à réinventer la perception du réel !
Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, route
du Champ-de-Manœuvre, 75012 Paris.
Du 11 septembre au 18 octobre 2015.
Du mardi au samedi à 20h ; le dimanche à 16h.
Tél. 01 43 28 36 36. Durée : 2h10.
Réagissez sur www.journal-laterrasse.fr
C’est l’adaptation française d’un ro-
man - un grand best seller - qui, après
avoir été un blockbuster à Londres
et Broadway, arrive à Paris dans une
mise en scène de Philippe Adrien. L’histoire en 2 mots : c’est un ado-
lescent, autiste, qui a 15 ans ; un soir, il se promène et, dans le jardin
de sa voisine, voit un chien assassiné avec un gros outil de jardinier ;
comme il a une intelligence analytique incroyable, il va reconstituer le
mystère, trouver qui a tué le chien, et par la même occasion retrouver
sa mère qu’il croyait disparue et recréer une relation avec son père.
C’est une très belle histoire, très touchante, et cette version est vrai-
ment très réussie sur le plan de la mise en scène. Un seul décor qui
sert à la fois pour la maison, pour l’école de l’adolescent, pour le train
qu’il va prendre pour aller à Londres retrouver sa mère, et à chaque
fois tout est utilisé avec beaucoup d’intelligence et d’humour. C’est
très drôle. Il y a des scènes très touchantes aussi, en particulier cette
relation entre l’adolescent et son institutrice qui va le pousser à passer
un concours, ce A-level de mathématiques, qu’il va réussir. C’est un
très beau spectacle au Théâtre de la Tempête. n Waheb Lekhal
Un ado autiste enquête
sur la mort brutale du chien
de sa voisine.
Un meurtre, un détective improvisé, il y a dans Le Bizarre Incident du chien
pendant la nuit tous les ingrédients d’une intrigue policière (…). Christopher
Boone (interprété par Pierre Lefebvre), son personnage principal qui mène
l’enquête loupe à la main tel un Sherlock Holmes en herbe, est un enfant autiste
de 15 ans atteint du syndrome d’Asperger : il maîtrise des théories scientifiques
complexes, mais se trouve totalement désarmé face à la réalité quotidienne.
(…) Tout commence avec l’image traumatisante d’un chien mort transpercé
par une fourche sur fond de gazon anglais. Christopher découvre l’animal qui
appartient à madame Shears, sa voisine. Il décide aussitôt de démasquer le
meurtrier. Son enquête quelque peu obsessionnelle le mène sur des pistes inat-
tendues, impliquant son père et sa mère. Le suspense et le fait que Christopher
soit un personnage attachant donne à la première partie un rythme haletant (…).
Par Hugues Le Tanneur — 17 septembre 2015