Borges Projet
L’île des anamorphoses
version de Sandrine Nacivet
Le ciel profond reflète les mille nuances de l’étendue immémoriale sous laquelle
rêvent les baleines. J’aperçois au loin une île au relief tourmenté, semblable à celui d’un
cerveau. À peine ai-je accosté que des couloirs labyrinthiques, éclairés par des torches
de résine, m’aspirent pour nous conduire, moi et le cercle de mes ombres dansantes,
vers ce que je cherche, et que j’ignore encore chercher. Soudain, apparaît entre mes
mains, le Livre qui m’attendait ; ses pages sont des miroirs ondulants, je distingue les
images mêlées de Berkeley, Schopenhauer, Withman, Macedonio Fernandez et de tant
d’autres qui me peuplent. Le dernier miroir ne renvoie aucun reflet. La contemplation
de ce vide m’absorbe et me trouble. Je fais alors un étrange cauchemar au passé.
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Une voix impérieuse comme un raclement de guitare m’interpelle brutalement :
– Je est la troisième personne.
Dois-je entendre le verbe être ou le verbe haïr ?
Je me réveille en sueur. La Lune palpite comme un cœur mis à nu avant le
sacrifice. Je suis dans mes jardins parfumés, les feuilles d’argent et de mercure forment
un kaléidoscope qui se refuse à refléter un seul de mes atomes. Une vis d’Archimède
remonte de l’infini des godets de temps pour irriguer les plantes carnivores. Mes
membres se diluent dans le sable et je ne suis plus que deux yeux aveugles, surfaces
réfléchissantes face au ciel vide.