30 La Météorologie - n° 86 - août 2014
et simuler l’évolution du régime ther-
mique nécessite évidemment le déve-
loppement de modèles numériques. Ces
modèles en sont à leurs prémices.
Les changements de température d’un
glacier conditionnent non seulement
son comportement mais peuvent aussi
avoir des conséquences considérables
en termes d’aléas d’origine glaciaire.
D’une part, le régime thermique d’un
glacier influence très largement sa
dynamique. Si sa base est à température
négative, le glacier ne glisse pas sur son
lit et son écoulement est limité à la
déformation de la glace. Au contraire, si
le glacier est tempéré, son comporte-
ment est perturbé par la présence d’eau.
Dans ce cas, il dérape sur le lit rocheux
et sa vitesse de glissement est condi-
tionnée par la pression d’eau à la base.
La vitesse de déformation d’un glacier
froid est également fortement dépen-
dante de sa température. Le comporte-
ment dynamique d’un glacier de
montagne comme celui d’un glacier
émissaire d’une calotte polaire est donc
dicté en partie par sa température
interne et en particulier celle de sa base,
car sa vitesse de glissement en dépend.
D’autre part, les variations de tempéra-
ture peuvent avoir des conséquences en
termes d’aléas. En haute montagne,
nombre de glaciers « suspendus » sur
des pentes extrêmement raides doivent
leur existence uniquement à leur tempé-
rature négative. Ainsi, le réchauffement
d’un glacier froid suspendu peut
conduire à la déstabilisation d’une par-
tie du glacier (Failletaz et al., 2011). En
outre, la présence de glace froide (qui
est imperméable) en zone d’ablation
peut engendrer d’importants stockages
d’eau liquide dont le relargage brutal
est susceptible de provoquer de très
grosses laves torrentielles (Vincent et
al., 2010).
Par ailleurs, les mesures de profils de
température permettent la reconstitution
du climat passé à l’altitude du glacier
étant donné qu’un profil à l’instant
présent est le résultat de plusieurs
décennies voire de siècles d’évolution
climatique (Dahl-Jansen et al., 1998).
La modélisation numérique du régime
thermique des glaciers froids ou poly-
thermaux s’avère ainsi incontournable.
Elle permet, d’une part, d’estimer le
champ de température du glacier dans
son intégralité et, d’autre part, d’en esti-
mer l’évolution passée et future en
réponse aux variations climatiques. Les
applications pour l’étude de l’aléa gla-
ciaire, pour les reconstitutions clima-
tiques ou encore pour connaître la
« durée de vie » des zones froides des
glaciers sont très nombreuses.
Sites étudiés
et enjeux
Les études réalisées sur le régime ther-
mique des glaciers de montagne dans
les Alpes françaises se sont concentrées
au cours des dernières années sur quatre
glaciers du massif du Mont-Blanc.
Ces glaciers sont les glaciers de Tête
Rousse, de Taconnaz, du col du Dôme
Figure 2. Différentes structures thermiques observables sur les glaciers. Les glaciers a à c sont majo-
ritairement froids avec une petite zone tempérée qui peut être due au flux géothermique (a), à la cha-
leur de déformation de la glace (a et b) ou localement à la percolation de l’eau de fonte dans le névé
(c). Les glaciers d à f sont majoritairement tempérés avec une zone froide qui peut être due à l’alti-
tude importante de la partie haute de la zone d’accumulation (d) ou à l’étanchéité de la glace en zone
d’ablation (e et f). Adapté de Aschwanden et al. (2012).
Abstract
Thermal regime of alpine glaciers:
observations, modeling and issues
in the Mont Blanc massif
Climatic variations do not only
influence the volume of glaciers, but
also the temperature of the cold high
altitude glaciers. The response of the
thermal regime to climatic changes is
complex and numerical modeling
tools are essential to interpret the
observations. The reconstruction car-
ried out at the Dôme du Goûter
(4250 m) showed that climate war-
ming over the last century is not
amplified with elevation. The mode-
ling approach also allows us to esti-
mate the future evolution of the
thermal regime as it may lead to new
glacial hazards associated with the
development of water pockets or insta-
bilities around serac zones.
Quelques définitions
Bilan de masse : addition de tous les pro-
cessus qui ajoutent de la masse à un gla-
cier (neige, avalanches) et qui la lui
enlèvent (fonte, sublimation).
Glace froide : glace à température néga-
tive.
Glace tempérée : glace à son point de
fusion (~0 °C).
Zone d’accumulation : zone supérieure
du glacier, généralement couverte de
neige, où le bilan de masse de surface est
positif sur l’année.
Zone d’ablation : zone inférieure du gla-
cier où la glace apparaît à la fin de l’été et
où le bilan de masse de surface est néga-
tif sur l’année.
Ligne d’équilibre : altitude de séparation
des zones d’accumulation et d’ablation.
Glacier suspendu : glacier localisé sur
une pente raide (> 30°) qui se termine par
une barre de séracs.
Lave torrentielle : écoulement d’un
mélange d’eau, de glace, de sédiments
fins et d’éléments rocheux, de diverses
grosseurs, depuis les graviers jusqu’aux
rochers énormes.