Extrait de l`ouvrage : Développement rurable : mutations ou

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Extrait de l'ouvrage :
Développement rurable : mutations ou métamorphoses de la responsabilité
Sous la dir. de Kathia MARTIN-CHENUT, René DE QUENAUDON.
EAN : 978-2-233-00785-8
éditions A.Pedone 2016
LE REGIME INTERNATIONAL DU CHANGEMENT CLIMATIQUE :
DESSEIN INSTITUTIONNEL ET REDDITION DE COMPTE
(ACCOUNTABILITY)
Danielle RACHED et Deisy VENTURA
La notion d’accountability, couramment traduite en français comme
reddition de compte, est à l’ordre du jour. Elle s’invite dans les débats les
plus complexes de la théorie démocratique et se revendique comme un outil
de perfectionnement des institutions, qu’elles soient nationales ou
internationales. Ainsi, les organisations internationales sont récemment
devenues les principaux destinataires de demandes souhaitant davantage
d’accountability.
À l’instar du droit international dans son ensemble, les organisations
internationales sont en pleine mutation. Jadis, le rapport entre créateur (États)
et créature (organisations) était moins ambigu car les États se bornaient à
déléguer des tâches aux organisations et à en contrôler l’accomplissement.
Mais la complexité de ces relations s’est accrue, surtout lorsque les
organisations ont été appelées à prendre des décisions concernant des
questions qui, auparavant, appartenaient aux domaines de compétences
exclusives des États, devenant ainsi des institutions de plus en plus
autonomes et complexes.
Ce n’est donc pas par hasard que les acteurs concernés par la légitimité des
organisations internationales ont souvent recours à la notion
d’accountability. Elle est pourtant presque étrangère dans le domaine
juridique, où règne le principe de responsabilité en tant que devoir d’action
ou d’omission attribué à un certain agent dans certaines circonstances, selon
une norme qui prévoit également les effets de cette action ou omission.
Or, la question de la reddition des comptes se pose de manière plus large
dans la vie sociale et politique, n’importe quel acteur pouvant être amené soit
de jure soit de facto à rendre des comptes sur son (in)action et cela auprès
des instances dont la nature s’est diversifiée. L’accountability est ainsi
devenue incontournable dans le domaine de la science politique et des
relations internationales, où elle est perçue comme une variable du contrôle
des processus décisionnels. Les juristes ne peuvent donc pas se permettre
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Sous la dir. de Kathia MARTIN-CHENUT, René DE QUENAUDON.
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DEVELOPPEMENT DURABLE ET ENJEUX D’UNE METAMORPHOSE DE LA RESPONSABILITE
d’ignorer cette notion lorsqu’il s’agit de réféchir sur le dessein institutionnel
d’un organisme international, ce qui implique de connaître l’histoire et les
usages potentiels de l’accountability, surtout lorsqu’il s’agit de mettre en
œuvre une approche critique du droit international.
Dans ce sens, il n’est pas étonnant que le débat autour du régime du
changement climatique mobilise des concepts tels que la responsabilité, la
transparence et sans doute aussi l’accountability. À cet égard, à la
Conférence de Lima sur les changements climatiques de décembre 2014, la
20e session de la Conférence des Parties (CdP 20) à la Convention-cadre des
Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) a adopté l’Appel
de Lima pour l'Action sur le Climat1. Ce document apporte les éléments d’un
projet de texte de négociation pour l’année à venir, en particulier à la
Conférence de Paris, en décembre 2015. Malgré les fortes critiques qui lui
ont été adressées, surtout celle d’avoir éludé les questions les plus épineuses,
ce document évoque l’accountability à au moins deux reprises.
D’abord, lorsqu’il propose l’encouragement de l’accountability et de la
transparence de la CCNUCC concernant l’octroi des aides financières, la
mobilisation des financements publics et privés dans la lutte contre le
réchauffement climatique et la transition souhaitée vers des investissements
respectueux du climat. Ensuite, lorsqu’il précise que les États parties doivent
formuler un avis-cadre dans le but de promouvoir l’accountability et la
confiance mutuelle en ce qui concerne la mise en œuvre de chaque
engagement volontaire sous la forme des contributions prévues déterminées
au niveau national (CPDN).
Dans son discours, Alden Meyer, directeur de stratégie et politique de
l’Union of Concerned Scientists l’emploie dans le même sens :
"The world has warmed less than 1 degree Celsius above preindustrial levels, yet we are already starting to experience the
devastating impacts of human-induced climate change. […] The
time for finger-pointing, blame-casting, and hiding behind the
inaction of others is over. What we demand from all countries in
Doha is three things: action, ambition, and accountability2".
La prochaine Conférence des parties à Paris (COP21) invite plus que jamais
au dialogue sur l’accountability du régime du changement climatique. Il
s’agit d’un outil capable de favoriser une coopération plus efficace entre les
États pour la protection du climat. Mais il faut d’abord savoir de quoi on
parle lorsqu’on évoque cette notion. Dans la première partie de ce bref
1
ONU, FCCC/CP/2014/10/Add.1, 2 fév. 2015.
Voir www.climatenetwork.org/press-release/un-climate-talks-close-bangkok-ngos-demandaction-ambition-and-accountability.
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LE REGIME INTERNATIONAL DU CHANGEMENT CLIMATIQUE :
DESSEIN INSTITUTIONNEL ET REDDITION DE COMPTE
article, on se penchera sur la définition de l’accountability et de ses
principales fonctions. La deuxième partie sera consacrée aux arrangements
de l’accountability et au régime international du changement climatique.
1. Accountability : définition et fonctions
Hormis le remarquable effet rhétorique qui accompagne son usage,
l’accountability possède un noyau dur conceptuel lié à deux éléments : d’une
part, il y a l’agent doté d’un pouvoir de prendre des décisions (powerholder) ; d’autre part, il y a ceux qui en subissent les effets ou ceux qui ont
des intérêts légitimes par rapport aux décisions du premier (account-holder)3.
Mais l’accountability n’existe que dans les rapports où (i) l’agent qui prend
des décisions doit en rendre compte et (ii) les agents qui en subissent les
effets ou sont légitimement intéressés ont le droit de demander une
justification publique et éventuellement, le pouvoir de sanctionner celui qui a
pris la décision4. Par conséquent, lorsqu’on parle d’accountability il y a une
relation de pouvoir en jeu. Le power-holder dispose du pouvoir de prendre la
décision mais il est – ou il a le sentiment de l’être – contraint de justifier sa
décision, tandis que l’account-holder subira ses effets ou s’intéressera à la
décision prise, mais dispose en revanche du pouvoir d’exiger une motivation
de la décision ou même, dans certains cas, de sanctionner le power-holder.
Cependant, cette définition n’est pas à la hauteur des demandes en faveur de
plus d’accountability sur le plan mondial. Lorsqu’un individu revendique
l’intégration de mécanismes d’accountability dans son processus décisionnel,
il demande bien plus que la création d’une simple formalité capable de
mettre en lien celui qui prend la décision et celui qui aura à souffrir de ses
conséquences. Dépourvue d’un certain contenu qui signale une direction, soit
une sorte de directive, cette revendication risque d’être vide et sans aucun
sens5. Il lui faut un nord, une valeur sous-jacente. Ainsi, la question plus
souvent soulevée par la littérature, celle de savoir si l’accountability existe
3
On reprend ici le concept d’accountability mis au point par D. Rached, “The
International Law of Climate Change and Accountability”, Thèse de doctorat,
Université d’Édimbourg, 2013.
4
Voir O. O’Neill, Rethinking Informed Consent in Bioethics, Cambridge University
Press, 2007, p. 167, R. Stewart “Accountability, Participation, and the Problem of
Disregard in Global Regulatory Governance”, NYU, IILJ Colloquium, 2008 et R.
Keohane et R. Grant, “Accountability and Abuses of Power in World Politics”,
American Political Science Review, 99, 1, 2005, p. 29-30.
5
Voir M. Philp, “Delimiting Democratic Accountability”, Political Studies, 57, 2009, p.
47 et N. Krisch, “The Pluralism of Global Administrative Law”, European Journal of
International Law, 17, 1, 2006, p. 250-251.
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