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complexes ont été relevées, soit une très faible proportion. On est loin, par
exemple, de leur extrême profusion en afar (cf. Cohen et al., 2002), une
langue couchitique d’une autre branche, mais proche géographiquement et
dont on connaît les anciens contacts avec le bedja (Morin, 2001), ou
encore en amharique, dans le domaine afro-sémitique.
La question peut se poser de savoir s’il existe un lien entre cette
faible vitalité en bedja et la forte proportion (60% selon Cohen, 1988 :
256) de conjugaisons préfixales par rapport aux conjugaisons suffixales
dans cette langue. Ces dernières, forme innovante de la conjugaison
verbale en bedja comme en couchitique, sont elles-mêmes issues d’une
grammaticalisation d’anciens composés avec le verbe ‘dire’. Dans l’état
actuel de la documentation pour le couchitique, il semble difficile de
répondre, car il faudrait être sûr que leur degré de vitalité actuel, dont on
sait d’ailleurs peu de choses, est lié d’une manière ou d’une autre à
l’extension de la conjugaison suffixale à l’ensemble des verbes dans les
langues couchitiques. En tout état de cause, il ne semble pas que le
témoignage de l’afar vienne appuyer cette hypothèse, puisque dans cette
langue la proportion des anciennes conjugaisons préfixales est encore de
33% environ (Cohen, 1988 : 256).
Etant donné qu’il s’agit d’un trait aréal, bien d’autres facteurs
peuvent entrer en ligne de compte, dont vraisemblablement la nature des
langues en contact avec le bedja. Au Soudan, la plus importante d’entre
elles est actuellement l’arabe, une langue qui justement ignore ce type de
construction. Il serait intéressant de savoir si le bedja parlé en Erythrée, en
contact essentiellement avec le tigré2, en fait un usage plus important que
le bedja du Soudan. Il y aurait peut-être d’importants enseignements à en
tirer pour la diffusion aréale du phénomène en Afrique du nord-est. Mais,
pour ce qui est du bedja, le tableau risque d’être complexe étant donné les
contacts, bien réels mais encore mal connus, de cette langue avec le
nubien, une langue nilo-saharienne qui utilise aussi, et abondamment, des
composés descriptifs (cf. Armbruster, 1960).
Enfin, sur le plan sociolinguistique, il ne semble pas y avoir de
différence significative entre l’utilisation qu’en font les hommes et les
femmes, comme on en rencontre dans d’autres domaines de la morpho-
syntaxe du bedja, ni de différence entre les tranches d’âge, ni même de
différence dialectale. Dans tous les cas, l’utilisation des composés
descriptifs demeure parcimonieuse.
2 Pour les composés descriptifs dans cette langue, voir Raz (1983).