Infinitif et subjonctif en français et en roumain: entre les

STUDIA UBB PHILOLOGIA, LVIII, 4, 2013, p. 289 - 299
(RECOMMENDED CITATION)
INFINITIF ET SUBJONCTIF EN FRANÇAIS ET EN ROUMAIN:
ENTRE LES CONTRAINTES DU SYSTÈME DE LA LANGUE ET LA
LIBERTÉ DU CHOIX
OANA-AURELIA GENCĂRĂU1
ABSTRACT. Infinitive and Subjunctive in French and Romanian: between
the Constraints of the Linguistic System and Free Choice. It is known that in
Romanian there exist a long and a short infinitive which correspond to the
opposition nominal / verbal. On the other hand, what individualizes
Romanian within the group of Romance languages is the competition between
the infinitive and the subjunctive at the distributional level. By comparing a
text in French with its equivalent in Romanian, we analyze Romanian versions
of the French infinitive in order to bring into relief not so much the
quantitative relation but the constraints of the system, the situations which
allow the choice between both forms and those where selection is limited.
Key words: Romanian, French, infinitive, subordination, subjunctive.
REZUMAT. Infinitivul şi conjunctivul în franceză şi română: între
constrângerile sistemice şi libertatea de alegere. Se ştie că limba
română cunoaşte un infinitiv lung şi un infinitiv scurt, corespunzând opoziţiei
verbal/nominal. Pe de altă parte ceea ce diferenţiază limba română de alte
limbi romanice este faptul că în română infinitivul este concurat
distribuţional de conjunctiv. Prin punerea faţă în faţă a unui text în limba
franceză şi a variantei sale în română vom analiza câteva situaţii de echivalare
a infinitivului în limba română pentru a evidenţia constrângerile sistemice,
situaţiile în care se poate alege între infinitiv şi conjunctiv, respectiv situaţiile
în care selecţia este restrictivă.
Cuvinte cheie: română, franceză, infinitiv, subordonare, conjunctiv.
1. Point de départ
L’infinitif roumain suscite toujours l’intérêt des linguistes roumains ou
étrangers, non seulement de par ses propriétés morphologiques, syntaxiques
ou distributionnelles mais également de par son évolution rapportée à des
1 Université d’Oradea, Roumanie et CAER EA 854 Université Aix-Marseille AMU, France. E-mail :
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familles de langues différentes, les recherches contrastives ayant prédominé
ces dernières années. Quantitativement mais aussi qualitativement, les
contributions2 que Marek Gawełko consacre à ce sujet situent le linguiste polonais
parmi ceux qui ont manifesté une préoccupation constante quant à l’infinitif dans
l’aire romane; ainsi que le confirme l’ordre des titres, il part, dans ses recherches,
des propriétés de ce mode verbal en roumain, et la perspective qu’il propose
semble s’imposer dans la bibliographie actuelle des études romanes3.
Sa démarche, principalement statistique et comparative, le conduit à
énoncer des conclusions qui convergent, dans une bonne mesure, avec celles que
certains linguistes roumains4 avaient déjà formulées auparavant. En fait, dans une
optique évolutive, de l’indo-européen vers les langues romanes, Gawelko
considère que:
a) dans le groupe des langues romanes, l’infinitif situe le roumain à côté
du français du fait que dans les deux langues les occurrences du sujet
syntaxique de l’infinitif5 sont rares;
b) la fréquence du sujet syntaxique pronominal est très faible en français,
un peu plus élevée en roumain6;
c) par rapport aux langues iro-romanes, où le sujet de linfinitif pas a
une position privilégiée, le roumain occupe, lui aussi, une position
particulière de par le petit nombre d’exemples7 qu’il fournit;
d) litalien ne semble pas avoir un sujet de linfinitif passif; le roumain offre,
selon les sources qui servent à ses observations, un seul exemple8.
Le trait distinctif le plus important de l’infinitif roumain se manifeste,
d’après Gawelko, au niveau de la subordination. Relativement bien représenté
dans la fonction de complément du nom, il est plutôt faible dans la position de
complément du verbe où le roumain lui préfère le « conjunctiv »9.
Ce processus, considéré comme un des éléments représentatifs de
l’individualité du roumain au sein des langues romanes10, a d’abord été interprété
comme une tendance syntaxique de remplacement11 dans la subordination d’un
2 Voir Gawełko: 2003, 2004a, 2004b et 2005a, 2005b.
3 Voir Pei-Ying Chen, La négation de l’infinitif en français classique. Etude de morpho-syntaxe
variationelle, Thèse pour obtenir le grade de Docteur de l’Université de Limoges, 2010, p. 15-17.
4 Mais différentes de celles de C. Frîncu (1969) et surtout de celles de I. Diaconescu (1977).
5 Selon Gawełko, 2005a, p. 19: Les exemples du roumain et plus du francais sont sporadiques.
6 Ibidem, p. 9, la richesse de l’infinitif roumain comparativement au français sétablit par des exemples
roumains tels: Spre a trăi eu fericit, trebuia ca făpturile alese de mine să nu trăiască deloc./ pour vivre
(moi) heureux (pour que je vive heureux), il fallait que les êtres choisis par moi ne vivent pas du tout.
7 Ibidem, p. 14.
8 Ibidem, p. 15 : […] m-ai cunoscut înainte de a fi lumea şi mai înainte de a fi venit eu pe lume/
[...] tu mavais connu avant dêtre le monde (avant que le monde existe/soit) et avant dêtre
venu moi au monde (avant que je sois venu au monde).
9 Nous utilisons le terme consacré dans les grammaires roumaines pour désigner le
correspondant roumain du subjonctif français.
10 Voir Niculescu, 1978, p. 272.
11 Voir Copceag, 1961, Frîncu, 1969 e.a.
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mode par un autre ; pour désigner le même processus on a parfois préféré le
terme de concurrence12, mais aussi celui de synonymie13 ; des résultats convergents
à ceux qu’avait avancés Constantin Frîncu ont été également obtenus par une
approche générative : la grammaire générative transformationnelle explique ce
processus comme la transformation14 d’un infinitif complément dans une
subordonnée complément. Les différences terminologiques ne manquent pas de
signification. Elles montrent que cette particularité du roumain, abordée de
manière comparative, synchronique et diachronique, réclame encore des
délimitations d’ordre syntaxique aussi bien que sémantique.
2. La méthode de Gawełko
Manifestant chaque fois une préférence pour l’étude de corpus, Marek
Gawelko dépouille les occurrences de l’infinitif dans des textes parallèles. Dans une de
ses études, intitulée Sur la vitalité de l’infinitif roman15 Marek Gawełko décrit le
comportement de l’infinitif dans huit langues indo-européennes modernes qui se
répartissent dans des groupes typologiques différents: les cinq langues romanes les
plus connues à savoir l’espagnol, le français, l’italien, le portugais et le roumain,
deux langues germaniques à savoir lallemand et langlais, et le polonais de la
famille slave. Pour l’analyse contrastive et typologique de l’infinitif dans ces
langues, lauteur se sert de la traduction, son corpus étant formé de neuf ouvrages,
entiers ou fragmentaires, dont l’original est traduit en sept ou huit langues.
Il constate que, excepté le roumain où cette forme est extrêmement
faible, l’infinitif jouit d’une très grande vitalité dans les langues romanes.
Viennent ensuite l’anglais et l’allemand, et puis le polonais. Dans le groupe des
langues romanes, l’infinitif portugais s’avère le plus fort ; il est le plus fréquent
mais aussi le plus riche et le plus verbal.
De cette étude il résulte que l’infinitif roumain est même plus faible que
l’infinitif polonais. Si l’infinitif polonais n'a jamais été très puissant, la faiblesse
de l’infinitif roumain est attribuée à l’influence des langues balkaniques :
« Le roumain a hérité un infinitif latin, relativement bien développé. Sa
fréquence d'emploi extrêmement basse est due à une influence de langues
balkaniques: l'infinitif est remplacé, plus particulièrement dans sa fonction de
complément du verbe, par le subjonctif. De plus la proposition infinitive du
type Je vois un enfant jouer a disparu. Par contre, le sujet au nominatif et
l'infinitif complément du nom et de l'adjectif persistent16. »
12 Voir Frîncu, Diaconescu, 1972.
13 Voir Frîncu, 81, GLR, 2005, p. 496.
14 Voir Niculescu, 1978, p. 269, l’on considère que cette transformation implique en roumain le
trait [+personne], plus explicitement et plus fréquemment que dans les autres langues romanes.
15 Voir Gawełko, 2005b.
16 Gawełko, 2005b, p. 148.
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La supposition que le facteur extérieur ait joué un rôle prédominant17
dans lévolution de linfinitif roumain a eu de nombreux adeptes, bien que ce
ne soit pas la seule hypothèse, et d'ailleurs, ce n'est pas non plus l’option
définitive de Gawelko.
Déjà en 1969 Constantin Frîncu établissait que :
« Il y a trois solutions (plus exactement hypothèses) quant à cette question:
1. La substitution de l’infinitif par le « conjunctiv », tout comme l’existence
d’autres « balkanismes », est due au substrat commun [...] des langues
balkaniques,
2. Le phénomène est le résultat d’une influence étrangère ayant son point
d’origine en grec et répandue, progressivement, dans les autres langues
des Balkans, jusquà la disparition de lusage de linfinitif dans les langues
plus proches de la langue base, et à sa restriction / limitation dans les
régions périphériques.
3. C’est le résultat d’une évolution parallèle et indépendante de ces langues18
Partant de ces hypothèses, le linguiste roumain prouve que ce processus
est le résultat d’une nécessité interne, à savoir la tendance à exprimer la
personne par des moyens synthétiques, tendance propre au roumain19.
D’ailleurs le linguiste polonais, lui non plus, ne se limite pas à offrir des
explications reposant sur les seuls facteurs extérieurs et/ou le contact
linguistique, la typologie des langues lui servant à dégager également des causes
internes. Sa conclusion est que le comportement de l’infinitif est influencé par le
caractère analytique ou synthétique des langues. La nature analytique d’une
langue semble avantager la fréquence de l’infinitif ce qui expliquerait sa force
dans les langues romanes et sa faiblesse dans les langues slaves. Mais cette
tendance ne suffit pas à expliquer le comportement de l’infinitif en français, en
roumain et en anglais, ces langues pouvant « recevoir une explication individuelle20».
3. Notre démarche
Sans prétendre à des conclusions définitives nous nous sommes proposé,
cette fois, d’inventorier toutes les occurrences de l’infinitif en mettant en parallèle
seulement le texte en langue source et son équivalent en langue cible.
Ainsi notre démarche est ciblée sur des situations concrètes de la
traduction de l’infinitif du français vers le roumain. Nous ne nous sommes pas
arrêté à formuler uniquement des observations sur les versions comparées
mais nous avons proposé dautres variantes possibles là où lauteur de la
17 Ibidem, p. 147: En ce qui concerne le roumain, son infinitif suit la voie propre aux langues
balkaniques : le facteur externe l'a emporté sur les facteurs internes.
18 C. Frîncu, op. cit., p. 69.
19 Ibidem, p. 115.
20 Gawełko : 2005b, p. 148.
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version roumaine avait opté pour un autre mode ou pour une solution lexico-
syntaxique afin de rendre l’infinitif français.
Pour cela nous avons choisi un fragment (le premier chapitre, Le
grand chemin) du roman de Marguerite Yourcenar, L’œuvre au noir, et de sa
version roumaine, Piatra filozofală. Nous avons utilisé la version française
parue en 1968, aux éditions Gallimard, Paris, et la version roumaine parue en
1971, aux éditions Univers, Bucureşti, dans la traduction de Sanda Oprescu.
4. Notre corpus
Nous avons extrait du texte français les syntagmes et les phrases
contenant un infinitif, et nous leur avons associé les séquences correspondantes
du texte roumain :
1. François de Valois continuait à guigner le Milanais…
François de Valois tot mai rîvnea la ţinuturile Milanului
2. on tenait de bonne source qu’il travaillait à rassembler une armée
toute neuve, chargée d’aller ramasser à Pavie ses éperons perdus.
se ştia din surse sigure că-şi echipa şi strîngea o nouă oaste menită
să-i adune din Pavia prietenii pierduţi.
3. Un sergent boiteux, qui se vantait d’avoir servi en Italie, lui avait un
soir mimé ses hauts faits et décrit les filles et les sacs d’or sur lesquels il lui
était arrivé de faire main basse dans le pillage des villes.
Un sergent şchiop, care se lăuda că slujise în Italia, îi povestise într-o
seară glorioasele-i fapte de arme şi-i zugrăvise femeile şi sacii cu aur pe care se
întîmplase să pună mîna în timp ce jefuiau oraşele.
4. il finit par jouer sa décision à pile ou face ; l’Empereur perdit.
…pînă la urmă a dat cu banul ; Impăratul a pierdut.
5. Un peu par entrailles paternelles, beaucoup par gloriole, et pour se
prouver quil avait le bras long, il se promit d’écrire en temps voulu à son agent
lyonnais, Maître Muzot, de recommander ce fils ingouvernable à l’amiral Chabot
de Brion…
Puţintel din dragoste părintească, dar mai cu seamă spre a face pe
grozavul şi spre a-şi dovedi sie-însuşi că e om de vază, şi-a propus să-i scrie
reprezentantului său din Lyon, Maître Muzot, ca să-l recomande pe acest fiu
năbădăios amiralului Chabot de Biron…
6. Henri-Maximilien avait beau secouer de ses pieds la poussière du
comptoir familial, on n’est pas pour rien le fils d’un homme qui fait hausser ou
baisser le cours des denrées et prête aux princes.
Degeaba îşi tot scutura Henri-Maximilien praful tejghelei părinteşti de
pe ghete, nu-i pin lucru fii feciorul unui om care urcă sau coboară cursul
mărfurilor şi dă bani cu împrumut prinţilor.
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