VIE DE lA PROFESSIOn www.depecheveterinaire.com Dossier Jeanne BRUGÈRE-PICOUX Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse cour de l’école vétérinaire d’Alfort Ansosyns-Fotolia.com Les maladies émergentes infectieuses seront toujours d’actualité dans toutes les espèces la majorité des maladies émergentes ou résurgentes observées en France ces dernières décennies sont des zoonoses. Elles ont été parfois la cause de crises sanitaires sans précédent. le commerce international croissant des animaux domestiques et sauvages ou de denrées alimentaires d’origine animale, l’introduction accidentelle ou volontaire d’espèces animales dans des zones géographiques nouvelles et l’engouement récent pour de nombreuses espèces exotiques sont à l’origine de l’émergence ou de la résurgence de ces zoonoses. Ces maladies peuvent être apportées par des vecteurs spécifiques, des aliments ou des animaux. Revue de détails. Maladies vectorielles De nombreux facteurs sont à l’origine de l’émergence des maladies vectorielles observées en France ou en Europe depuis quelques années (sous-estimation de ces maladies, climat, échanges commerciaux...). L’émergence du virus du Nil occidental aux États-Unis en 1999 ou de la fièvre catarrhale ovine et du virus Schmallenberg en Europe démontrent que, une fois installé dans une nouvelle contrée, un virus peut se propager sans qu’il soit possible de l’éliminer facilement. La crainte d’importer de nouvelles arboviroses dans un pays jusque-là indemne est donc parfaitement justifiée. la fièvre catarrhale ovine, due à un Orbivirus transmis par un arthropode piqueur du genre Culicoides, est une maladie spécifique des ruminants qui était considérée comme exotique jusqu’en 1998 malgré quelques foyers observés dans la péninsule ibérique. Quelques sérotypes (8 sur 24) ont ainsi circulé en Europe dans la région méditerranéenne mais la plus grande surprise fut l’émergence du sérotype 8 en Belgique, Allemagne, PaysBas, France et Luxembourg puis sa propagation rapide sur le territoire français à partir de juillet 2007. A partir de 2008, un autre sérotype a diffusé à partir de l’Espagne, obligeant la mise en œuvre d’une campagne de vaccination massive des troupeaux en 2009 pour lutter contre cette maladie à déclaration obligatoire. L’apparition d’une autre maladie d’origine vectorielle touchant également les ruminants quelques années plus tard, pendant l’été 2011, dans la même zone géographique, nous amène à nous poser la question de l’origine de ces deux affections virales émergentes : animal porteur du virus importé ? Vecteur Henri Brugère SAnté PUBlIqUE M Des rats importés de Hongrie en tant que NAC étaient porteurs de cowpox. L’Allemagne fut le premier pays à lancer l’alerte en 2009, suivie par la France. M Les Suédois ont diminué le risque de salmonellose lié aux reptiles de 12 à 6 % entre 1996 et 2000 par une campagne d’information dans les médias. importé, notamment avec des fleurs (l’enzootie ayant débuté autour de Maastricht, carrefour aérien mondial du commerce des fleurs) ? D’autres flavivirus émergent en Europe comme dans le monde. Par exemple, le virus Usutu (du nom d’une rivière du Swaziland où il fut isolé la première fois), découvert en 2001 pour la première fois en Europe à Vienne (Autriche) lors d’une surmortalité inquiétante chez les corbeaux de cette ville, a été également isolé depuis dans d’autres pays européens (Suisse, Royaume-Uni, Hongrie et Italie) et il pourrait s’agir d’un agent zoonotique. Ces maladies émergentes ne sont pas des zoonoses mais le risque de l’importation d’une troisième infection qui serait zoonotique ne peut être exclu. Par ailleurs, les ruminants sauvages représentent un risque non négligeable de réservoir de virus permettant la réinfection d’un cheptel non protégé, en particulier par une vaccination. la fièvre de la vallée du Rift (FVR) transmise par les moustiques et touchant le bétail (en particulier le mouton) reste une zoonose redoutée en particulier depuis 1977, lors de l’atteinte de pays jusque là indemnes et/ou lors d’épidémies plus meurtrières comme en Egypte (1977–1979) avec plus de 200 000 cas humains dont 594 morts. le Flavivirus du Nil occidental (VNO) est connu depuis longtemps sur de nombreux continents et les oiseaux sauvages en sont les réservoirs essentiels. En effet, les oiseaux infectés développent une virémie suffisante pour permettre l’infection des vecteurs (moustiques du genre Culex principalement). En Europe, cette affection a été observée avec des cas humains en Roumanie (1996 à 1997) et en République tchèque (1997) et des cas équins ont eu lieu en Italie (1998) et en France (2000). L’émergence du VNO dans les pays européens jusque là épargnés par des maladies humaines graves ne doit pas être écartée en Europe avec l’exemple historique de son apparition il y a 10 ans à New York. En effet, la survenue d’une mortalité anormale chez des corneilles dans un zoo du Bronx à New York en 1999 fut pour le CDC* d’Atlanta un « problème uniquement vétérinaire », le VNO n’étant pas connu dans cette région géographique. Mais lorsque la relation entre la surmortalité des corneilles dans le Bronx et les encéphalites humaines fut établie, le CDC d’Atlanta mit en place en 2000 une surveillance du VNO sur le territoire américain (ArboNET) et le VNO est maintenant la cause principale des encéphalites humaines arbovirales aux Etats-Unis avec des séquelles à long terme. «le risque d’un transfert de la FVR vers l’Europe, en particulier la France, depuis un pays maghrébin ne peut être considéré comme nul.» Les moustiques sont les principaux responsables de la transmission de cette zoonose mais des contaminations interhumaines ont été aussi observées (transplacentaire, iatrogène par transplantation d’organe ou transfusion sanguine). De même, on a pu noter le risque lié au contact avec les animaux infectés comme, par exemple, une contamination par aérosols chez des employés d’un élevage de dindons. La FVR préoccupe tous les acteurs de la santé animale ou humaine car le risque d’une propagation dans d’autres zones géographiques jusque-là épargnées comme l’Europe, l’Asie ou le continent américain est possible du fait de la présence des vecteurs potentiels. Les pays maghrébins sont en première ligne en particulier du fait des échanges nombreux peu ou non contrôlés de petits ruminants via les routes trans-sahariennes avec les pays voisins et le risque d’un transfert de la FVR vers l’Europe, en particulier la France, depuis un pays maghrébin ne peut être considéré comme nul. Ces maladies vectorielles sont souvent des zoonoses et la maladie animale représente un signe d’alerte pour avertir d’un éventuel risque pour l’Homme. L’exemple de la propagation depuis 1999 du VNO aux Etats-Unis (et dans les pays voisins) démontre l’importance qu’il faut accorder aux « animaux sentinelles » qui, par un taux de mortalité anormale, peuvent annoncer une maladie émergente menaçant l’Homme. Maladies d’origine alimentaire L’apparition de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) en 1985, au RoyaumeUni, a eu des conséquences catastrophiques tant dans le domaine médical humain et vétérinaire que dans l’économie agricole. L’émergence de l’épidémie fut d’abord d’origine alimentaire chez les bovins. P P P 4 La Dépêche Vétérinaire | N°1245 du 8 au 14 février 2014 VIE DE LA PROFESSION www.depecheveterinaire.com Dossier P P P - le premier est l’épisode de l’importation de la variole du singe (Monkeypox) survenu dans les états du Midwest américain en 2003 avec plus de 70 cas humains identifiés ; la source était l’exposition à des chiens de prairie infectés, eux-mêmes ayant été exposés à des rats de Gambie, rongeurs importés d’Afrique vers les Etats-Unis pour être vendus comme animaux de compagnie ; M Cheval atteint d’encéphalite à virus West Nile. Malheureusement, l’exceptionnelle pression infectieuse de l’ESB dans le cheptel bovin britannique permit de démontrer que la barrière d’espèce entre le bovin et l’Homme pouvait être franchie par le prion bovin puisqu’il a fallu des millions de bovins infectés pour observer 177 cas de variant de maladie de CreutzfeldtJakob (vMCJ) au sein du Royaume- Uni. Comme il n’y a pas eu de nouveaux cas de vMCJ depuis plusieurs années au RoyaumeUni, on pourrait penser en avoir fini avec cette maladie. C’est oublier que nous n’avons observé que des vMCJ homozygotes sur le codon 129 (Met-Met) donc prédisposés à une courte durée d’incubation. Or le British Medical Journal signale la dernière analyse concernant l’évaluation du portage asymptomatique du prion bovin dans la population britannique à partir des résultats obtenus sur l’étude de 32 441 échantillons d’appendices récoltés dans des hôpitaux : 16 se sont révélés positifs (dont la moitié Met-Met) d’où une estimation d’une personne infectée sur 2000**, soit plus que la dernière estimation (qui était d’une personne sur 4 000). Ce portage asymptomatique représente un risque non négligeable soit de transmission iatrogène par le sang (on a déjà observé que le prion bovin avait pu être transmis par transfusion sanguine chez l’Homme, à la différence de la MCJ classique***), soit par les instruments chirurgicaux. Le fait qu’il y ait d’autres personnes infectées non Met-Met ne permet pas d’exclure également l’apparition d’une seconde vague de cas de vMCJ dans cette population prédisposée à une durée d’incubation plus longue. La mondialisation du commerce favorise l’importation de nouveaux agents pathogènes (nouvelles souches de salmonelles ou autres bactéries notamment antibiorésistantes, norovirus...) par l’intermédiaire des aliments. Citons en particulier les importations clandestines des viandes de brousse salées, boucanées ou fumées ne permettant pas l’élimination des parasites (toxoplasmes, cysti- Enfin, nous soulignerons le risque réel et sousestimé des salmonelloses transmises par les reptiles (plus de 90 % sont porteurs asymptomatiques de salmonelles) qui devraient être déconseillés en tant que NAC, en particulier en la présence d’enfants, d’autant plus qu’un traitement ne permet l’élimination de l’agent pathogène. Daniel Venne Stéphan Zientara - le second exemple est européen : il s’agit de rats importés de Hongrie en tant que NAC (un dessin animé destiné aux enfants fit à cette époque l’apologie de cet animal de compagnie) et porteurs d’un autre orthopoxvirus, le cowpox ; l’Allemagne fut le premier pays à lancer l’alerte en 2009 et la France fut ensuite touchée. cerques, trichines...) ou les viandes d’ours rapportées par des chasseurs persuadés de la qualité du produit du fait qu’il proviennent d’animaux chassés en pleine nature sauvage. C’est ainsi qu’il y eut 17 cas de trichinellose en France en 2005 non seulement chez les chasseurs mais aussi chez les convives invités à consommer la viande importée. Maladies émergentes ou résurgentes hébergées par les animaux vivants Parmi les maladies émergentes pouvant représenter un risque d’importation par des animaux (porteurs ou réservoirs asymptomatiques, malades en cours d’incubation...), les exemples sont nombreux parmi les animaux de production, les animaux sauvages et/ou les animaux de compagnie : virus Nipah, virus influenza A hautement pathogène de soustype H5N1 véhiculé par les volailles et/ou les oiseaux sauvages, germes pathogènes liés à l’importation d’animaux de compagnie (chiens enragés importés illégalement du Maroc, rats de compagnie infectés par le virus du cowpox...). M Les maladies immunodépressives des animaux semblent mieux connues que chez l’Homme lorsqu’il s’agit d’une pathologie de groupe se traduisant surtout par des retards de croissance. Dans le cas de l’anémie infectieuse du poulet, on observe des lésions caractéristiques : anémie liée à une aplasie médullaire, hémorragies sous-cutanées ou cutanées pouvant se compliquer d’une dermatite gangréneuse. La plupart des agents pathogènes émergents reconnaissent souvent comme réservoir les chauve-souris. L’importation en Europe d’animaux de compagnie ou sauvages représente un risque réel en particulier de zoonose. D’ailleurs l’engouement pour les nouveaux animaux de compagnie (NAC) a permis d’observer l’émergence de nouveaux risques. A part le lapin, les nouveaux animaux de compagnie ne sont pas toujours recommandés pour les enfants. «Un circovirus découvert chez le chien aux Etats-Unis serait responsable de vomissements et de diarrhées.» Les petits rongeurs comme le hamster peuvent être porteurs de tularémie ou du virus de la chorioméningite lymphocytaire. Les chiens de prairie, porteurs éventuels de Yersinia pestis, sont interdits d’importation en Europe. Deux exemples ont mis en évidence le risque éventuel de poxviroses apportées par certaines espèces de rats importés : Ainsi 3 à 5 % des cas de salmonellose humaine aux Etats-Unis sont associés à un contact avec des NAC, le plus souvent des reptiles. Les années 90 ont pourtant permis de noter une augmentation à la fois de ces NAC et des cas de salmonelloses pouvant leur être rattachés. Par exemple, les importations d’iguanes aux Etats-Unis ont augmenté de 431 % entre 1989 et 1993. On a pu observer une corrélation entre l’augmentation de l’importation des iguanes verts et les infections humaines par le sérotype assez rare de Salmonella enterica Marina. Le bulletin épidémiologique hebdomadaire de l’Institut de veille sanitaire de janvier 2014**** confirme ce risque de salmonellose : sur 41 jeunes enfants âgés de moins de 5 ans atteints de salmonellose en 2012, 13 (soit 32 %) avaient été exposés à des reptiles présents dans le foyer. Les principaux animaux incriminés étaient des tortues mais l’un des deux cas de méningite était la conséquence d’un contact direct avec un lézard domestique. A l’instar de plusieurs pays, une information sur ce risque croissant est essentielle. A titre d’exemple, les Suédois ont pu diminuer ce risque de 12 à 6 % entre 1996 et 2000 par une campagne active d’information dans les médias. Il est urgent d’en faire de même en France. Enfin, d’autres affections pourraient encore émerger. Si l’on compare les maladies des volailles, des porcs ou du chien, on peut souligner l’émergence il y près de 30 ans du circovirus chez le porc, alors que l’on connaissait depuis beaucoup plus longtemps les circovirus aviaires (agents de l’anémie infectieuse du poulet ou de la maladie du bec et des plumes des psittacidés). Ces virus immunodépresseurs existent aussi chez l’Homme et peuvent faire l’objet d’une contamination iatrogène par le sang. Depuis peu, un circovirus a été découvert chez le chien aux Etats-Unis (Californie, Ohio) et serait surtout responsable de vomissements et de diarrhées... n * Centre de référence des maladies émergentes : Center Diseases Control ou CDC. ** Soit une prévalence dans la population de 493 par million (intervalle de confiance à 95 %, de 282 à 801 par million). *** Seule une expérimentation récente permet de suspecter ce risque de transmission iatrogène lors de MCJ classique. **** http://www.invs.sante.fr/beh/2014/1-2/2014_1-2_1.html P P P 6 La Dépêche Vétérinaire | N°1245 du 8 au 14 février 2014