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Le Lion en hiver
Author : Max Robin
Date : 21 mars 2017
Nous sommes au 12e siècle, précisément en décembre 1183. L’époque ignore encore les
festivités de Noël mais le film en costumes d’Anthony Harvey, tiré d’une pièce éponyme montée à
Broadway un an plus tôt, fait fi de ce détail historique. C’est à Noël que les familles, même les plus
désunies, aiment se réunir pour s’engueuler ; c’est donc à Noël que les beautiful people qui
défraient la chronique d’alors sont rassemblés dans le clair-obscur austère et froid du château de
Chinon : Henri II, roi d’Angleterre en exercice, son épouse Aliénor, duchesse d’Aquitaine,
momentanément délivrée de la geôle où la tient recluse Henri, et leur illustre progéniture – dont les
futurs Richard Cœur de Lion et Jean sans Terre, excusez du peu. Toute cette royale engeance se
chamaille pour rafler le seul gros lot qui vaille à cette époque : le trône d’Angleterre, que son
occupant, vieillissant, devra céder tôt ou tard. Banquets paillards, règlements de compte colériques
ou sournois, souvenirs d’amours anciennes et intrigues de cour ont lieu sous le regard matois du
roi de France Philippe II (Philippe Auguste), que Timothy Dalton incarne avec la calme insolence
de son regard perçant.
Éloge du verbe
Mariages, adultères, fils félons, dettes et dots, rancune et vengeances… hormis l’ordre surnaturel,
tous les ingrédients d’une tragédie shakespearienne sont réunis dans ce huis-clos où se joue, sur
fond de succession, le destin de l’Europe occidentale. Une tragédie qui se déroule entre les
murailles d’un château, que nos six personnages ne quitteront guère : une dérisoire scène de
bataille sur la grève ne fait pas un péplum, et la mise en scène lorgne du côté du théâtre. Point de
reconstitution spectaculaire sur les bords de la Loire ni de sièges devant des pont-levis : Le Lion en
hiver joue la carte du verbe, qui résonne haut et fort. Les décors, très convaincants par ailleurs,
sont réduits aux intérieurs aristocratiques d’époque, une coursive et quelques extérieurs peu
encombrants. Du coup, non sans habileté, la mise en scène ne magnifie rien d’une cour
médiévale vue à hauteur de ses écuries et de ses basse-cours : loin des savantes astuces de
studio d’un Welles (Hamlet) ou des forêts en marche d’un Kurosawa (Le Château de l’araignée), la
fresque historique est un soap familial qui repose sur les épaules de ses seuls interprètes. Certains
les ont solides : Katharine Hepburn, oscarisée pour son rôle de reine-mère forte et rusée, Peter
O’Toole, méconnaissable en monarque ardent et fort en gueule. D’autres, plus frêles, résistent
avec aplomb à l’impétuosité de leurs aînés ; parmi eux, Anthony Hopkins et Timothy Dalton jouent
dans Le Lion en hiver leurs premiers rôles au cinéma.
Qui a peur d’Aliénor ?
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C’est donc le verbe qui, assez naturellement dans un film politique, se taille la part… du lion.
L’imbroglio de rivalités est compliqué entre le favori de l’une et l’héritier désigné par l’autre, la
maîtresse sincère et l’épouse déchue, les frères ennemis et le cousin dont on ne sait de qui il est
l’allié. Plus ou moins feintes, plus ou moins sourdes, les luttes sont bavardes, mais culminent dans
quelques belles scènes où la duperie se cache derrière les rideaux qui bougent et les poignards
sont dégainés pour des tentatives de parricides pleines d’esbroufe. Très loin du long-métrage
historique conventionnel, Le Lion en hiver ressemble davantage au succès, lui aussi théâtral puis
cinématographique, qui a vu s’affronter deux ans plus tôt, dans un tout autre style, deux autres
« monstres sacrés » au cinéma (Qui a peur de Virginia Woolf ?) : les deux têtes d’affiche du Lion
en hiver s’en donnent à cœur joie dans un affrontement ambigu et outrancier où ils
observent, nostalgiques, le sacrifice de leurs amours anciennes sur l’autel de la raison d’État. La
théâtralité des situations, qu’elles soient historiques ou dramatiques, est le prétexte à des
numéros d’acteurs brillants, qui connaissent heureusement les pièges du cabotinage. Film
d’acteurs, Le Lion en hiver jouit d’un casting exceptionnel mais son rythme, et la dynamique
insufflée par des confrontations fortes entre les personnages, s’essoufflent à force de palabres.
Malgré la qualité et le soin apportés à sa réalisation (photo, décors et costumes…), le dispositif du
Lion en hiver laisse peu de place à la respiration – ce que la superbe musique originale, créée par
John Barry et elle aussi récompensée aux Oscars, permet parfois, pour notre plus grand repos.
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