JOSÉ MANUEL CATARINO SOARES
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En italien le verbe essere («être») se conjugue sur trois radicaux et le verbe andàre
(«aller») sur deux radicaux (Comrie 1987:292-293). En roumain le verbe fi («être») se
conjugue sur trois radicaux (loc. cit., p. 314). Cela suffit à montrer que le supplétisme
des radicaux est un fait d’une ampleur considérable dans le domaine roman, qu’il
serait intéressant d’étudier comparativement. Au vrai, il dépasse le domaine roman.
Les verbes anglais be («être») et go («aller») sont aussi les seuls verbes de cette langue
à faire état de radicaux différents (e.g. was/were, went) dans leur conjugaison
(Hirtle 2007: 322, n.13).
2. Limites, objectif et raison d’être de cette étude
Ma tâche n’a pas cependant une visée comparative. Elle est plus modeste.
Mon exposé se bornera à examiner les verbes en question, par ailleurs les seuls
verbes portugais à faire état de cette particularité. Aussi, le point de vue adopté sera
strictement synchronique, endosynchronique, non pas —à une exception près
(cf.§7.5) — endodiachronique (Guillaume 2004:8).
Je me propose d’expliquer le supplétisme des radicaux dont les verbes ser
et ir font état, à l’heure actuelle, dans la structure sémiologique de leur conjugaison.
C’est là un problème qui n’a jamais été résolu jusqu’à présent, ni même posé (que
je sache) en tant que tel.
La raison en est, semble-t-il, que l’on a mis l’existence de ces radicaux
supplétifs au compte du fameux principe saussurien du caractère arbitraire (immotivé)
du signe linguistique (Saussure [1916] 1995:100-101). Et pourtant, on n’a pas affaire,
dans cette question, à une phonologie libre, imotivée, mais à une phonologie
asservie à des besoins de structuration sémiologique très particuliers, dont on aura
a préciser la nature, dans le détail, le moment venu. On peut néanmoins dire, d’ores
et déjà, qu’il s’agit, dans l’analyse que l’on va entreprendre ici du supplétisme des
radicaux dans la conjugaison de ser et ir, d’envisager ce phénomène au point de
vue psychosémiologique.3 On découvre alors que la répartition de compétences de
ces radicaux n’est pas arbitraire. Elle est assujettie à (motivée par) un principe d’un
ordre supérieur, qui est celui de la cohérence constructive à laquelle est soumis le
psychisme verbal signifié en son unité systématique.
3 Le terme de psychosémiologie mérite qu’on s’y arrête. Il ne peut être de dicibilité par signes —
sémiologie (vocale, gestuelle ou scripturale)— «que relativement à quelque chose de pensé, et de
pensé non pas d’une manière quelconque, librement, mais comme il faut pour qu’un signe puisse
s’y ajouter. Cette manière de penser, c’est la dicibilité mentale», dont l’étude, dans sa partie plus
systématisée, (celle que l’on qualifie traditionnellement de «grammaticale») ressortit à la psychosystématique
du langage. L’intervention d’un signe («signifiant» dans la terminologie de Saussure) jugé convenant,
c’est la dicibilité vocale, gestuelle ou scripturale, «la dicibilité sémiologique — psycho-sémiologique —
le choix d’un signe ayant ses raisons, son psychisme» (cf. Guillaume, LL5, 1982:20). La psychosémiologie
du langage est la partie de la linguistique se rapportant à ce choix et à ses motifs (cf. Guillaume,
EMI-I, 2007:9).