Discours AK colloque Réalités corr

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Troisième session du Forum International de Réalités sur les religions et les
identités en Méditerrané sur le thème :
"Le religieux et le politique dans un Etat de droit : expériences comparées"
17 et 18 novembre 2011 à Hammamet
Allocution d'Adrianus Koetsenruijter
Chef de la Délégation de l'Union européenne en Tunisie
Cette semaine, j'ai rendu visite à la mère de Mohammed Bouazizi, le jeune homme qui a
déclenché la révolution tunisienne au début de cette année.
Mohammed Bouazizi était certainement un homme respectueux et religieux, sa famille en est la
preuve; mais il était aussi un homme désespéré, désespéré non par l'absence de la foi mais par
l'angoisse de ne pouvoir vivre décemment dans son pays.
Mohammed Bouazizi n'avait aucun accès à l'économie, à la justice – sa dignité était bafouée, il
ne bénéficiait pas du traitement minimal qu'un citoyen doit pouvoir attendre dans son propre
pays.
En bref, il était désespéré par la vie dans un Etat qui ne lui donnait pas de droits et ne le
respectait pas.
Il a reçu le prix Sakharov 2011 du Parlement européen, avec quatre autres personnes
symbolisant les révolutions dans la région, en Egypte, en Libye et en Syrie. Le Parlement
européen a voulu marquer son soutien et son admiration pour ces personnes courageuses.
Mohammed Bouazizi et les autres ont été confrontés à des dictatures au sein desquelles la
religion n'était pas respectée, souvent aussi opprimée, et où l'Etat de droit était au mieux une
apparence de façade, avec des lois perverties ou ignorées par les autorités et le pouvoir.
L'acte de révolte de Mohammed Bouazizi a été suivi par toute la population dans une rage qui
s'est brusquement, massivement révélée, contre cette oppression, contre ce manque de liberté
et de respect pour les citoyens; contre cette absence de l'Etat de droit.
Tous ces tunisiens sont en grand majorité des musulmans, respectueux de leur religion et fiers
de leur identité religieuse.
N'est-ce donc pas un peu étrange qu'aujourd'hui nous soyons réunis pour discuter de la religion
dans un Etat de droit? N'est ce pas une évidence que la religion devrait s'intégrer très
facilement dans un Etat de droit? Bien sûr, il est ici question d'un Etat de droit moderne,
promoteur et défenseur des droits humains, où l'état se place au dessus des intérêts
spécifiques, garantissant les intérêts de manière égale pour toutes les convictions, sexes,
cultes, minorités, ethnies etc. Nous sommes ici aujourd'hui confrontés à un moment
d'hésitation, de peurs, réelles ou imaginaires, de malaises. Cela est aussi permis dans une
démocratie, surtout lorsqu'elle fait suite à une demande révolutionnaire.
Tout cela, parce que le courant islamiste a gagné les élections avec un tiers des votes obtenus;
et parce que ce parti va avoir une responsabilité importante dans la gestion du pays, pour la
reconstruction d'un Etat de droit.
Pour comparer regardons les états européens. Que de livres ont été écrits pour expliquer que la
modernité a été adoptée par les Eglises chrétiennes, et que laïcité et religion vont bien
ensemble. Il y a donc bien compatibilité entre la religion, la démocratie et l'état de droit
moderne. Cela ne vaudrait il pas aussi pour l'Islam?
On a beau se plonger dans les livres saints, consulter les exégètes, rassembler des arguments,
il y aura toujours des interprétations différentes, contradictoires. On ne trouvera pas là une
réponse satisfaisante.
Le texte n’agit sur les réalités du monde que par le biais de notre regard. Lequel s’arrête à
chaque époque sur certaines phrases et glisse sur d’autres sans les voir. Pour cette raison, il ne
sert à rien, semble-t-il, de s’interroger sur « ce que permet vraiment» le Christianisme, l’Islam,
ou n'importe quelle autre religion.
Le Christianisme est-il tolérant, respectueux des libertés, porte sur la démocratie? Tout au long
des vingt derniers siècles, on a torturé, persécuté et massacré au nom de la religion, des
croyants se sont accommodés de l'esclavage, de la subordination des femmes, des pires
dictatures.
Cela veut-il dire que le Christianisme est, par essence, despotique, raciste, rétrograde et
intolérant?
Il suffit de regarder autour de soi pour constater qu’il fait aujourd’hui bon ménage avec la
liberté d’expression, les droits de l’Homme et la démocratie.
Tout a été une évolution de la société des êtres humains et la connaissance du monde et notre
histoire mondiale; la confrontation aux autres cultures et coutumes ont rendu les peuples plus
modestes.
Pour revenir au propos de départ: on donne souvent trop de place à l’influence des religions sur
les peuples et sur leur histoire, et pas assez à l’influence des peuples et de leur histoire sur les
religions.
L’influence est réciproque; la société façonne la religion qui à son tour, façonne la société.
Pour L'Islam, la question sur l'adaptation à la modernité est déjà donnée dans plusieurs pays et
sociétés : la Turquie, l'Indonésie et dans tant d'autres sociétés où la religion de l'Islam est
dominante, on trouve déjà une grande variété des pratiques démocratiques et le respect pour
les droits de l'Homme.
En ce qui concerne les pays du Maghreb, n'a-t-on pas dès leur indépendance cherché à mettre
en place des sociétés modernes et la mise en place d'un Etat de droit, même si ces règles ont
été ensuite perverties par les dictatures?
Ce qui est nouveau aujourd'hui, c'est la démocratie; le débat entre conservateurs et
progressistes.
La question qui se pose, plutôt que de savoir comment l'Islam influencera l'Etat de droit en
Tunisie, c'est comment cette démocratie en Tunisie donnera sa place aux demandes des
croyants conservateurs de l'Islam.
Je cite pour conclure un autre héros de la révolution tunisienne, M. Yadh Ben Achour qui a dit
dans son livre Politique, Religion et Droit: "La démocratie et la modernité ne signifie rien d'autre
que la fin des absolus, y compris les leurs. La démocratie est née pour convaincre bien, plutôt
que pour gouverner".
Je vous souhaite un bon séminaire!
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