Conscience de Casse / www.theoriecritique.com - 5
Introduction
Nulle faute de frappe n’est venue troubler le double titre de l’ouvrage. La conscience de casse veut
saisir les brisures et éclats du mouvement émancipateur, afin de sauver ces fragments, au nom d’une
critique persistante du monde tel qu’il va. Nommer les choses, prendre conscience de l’étendue des
problèmes laissés en suspens par un marxisme doctrinaire à bout de souffle. Alors que le
communisme n’est plus que son ombre, que le socialisme européen n’est plus hanté par des
spectres, mais mort-vivant, alors que la théorie de la conscience de classe n’a plus de parti ni de
patrie où s’appuyer, il s’agit d’interroger les concepts fondateurs et de scruter les expériences
vivantes. Je me réfère en particulier au « courant chaud » de l’école de Francfort dont il sera
question tout au long de cet ouvrage.
Le titre du livre est une allusion ironique au célèbre thème de Lukaçs, Histoire et conscience de
classe, qui a marqué le marxisme occidental, acquise à l’idée que le parti apporterait la conscience
aux opprimés, de l’extérieur de leur propre vie. Vision battue en brèche à travers la chute du mur de
Berlin, le débordement des partis ouvriers, une critique créative et des résistances au travail qui ne
suivent aucun mot d’ordre préconçu.
Il s’agit ainsi d’exposer sans retenue l’étendue des dégâts du marxisme de parti, afin de troubler la
répétition mortifère qu’entretiennent les organisations issues du mouvement ouvrier. Avec l’espoir
secret de contribuer à élargir les brèches qui se font désormais jour dans les dispositifs routiniers et
les discours doctrinaires qui les justifient.
Pourquoi la crise du capitalisme mondial ne favorise-t-elle pas les courants de gauche, radicaux ou
institutionnels, en Europe ? En réalité, ce sont les mouvements d’extrême droite qui progressent,
comme le signalent les élections de 2009. Il s’agit de percer à jour ces phénomènes à travers un
regard critique.
Ce regard me vient de la sociologie critique de l’Ecole de Francfort, qui ne se limite en rien aux
spéculations philosophiques de ses représentants académiques les plus connus, Habermas et
Honneth.
Intuitivement, citoyens et chercheurs sentent que peu de concepts nomment les dégâts que
provoquent les rapports concurrentiels et autoritaires dont tous font l’expérience. La crise du
capitalisme mondial ne fait plus de doute. Des mouvements de contestation vifs arrivent à jeter dans
la rue plusieurs millions de personnes, le temps d’un jour ou d’une saison, contre la guerre, la
précarité du travail, à l’encontre des manifestations les plus flagrantes du racisme, de la violence
moderne. Contre le fascisme façon pop. Pour l’égalité, la liberté, parfois pour la joie de vivre.
L’espace public n’en garde pourtant à peine la trace. La subjectivité politique des acteurs de la
contestation se révèle elle-même aléatoire, tantôt polarisée par la résistance, tantôt happée par
l’industrie du spectacle, sinon la dépression. La critique sociale contemporaine approche ces
phénomènes de manière plutôt tâtonnante, sans que le travail théorique et l’observation empirique
se touchent toujours.
Il ne sert à rien de relativiser des phénomènes qui se confirment tous les jours, je veux parler des
ressorts brisés des partis de gauche, des syndicats ouvriers et des Maîtres à penser. Tous nous
proposent encore une mise en mouvement qui ne cesse d’engendrer des revers chaque fois plus
amples. En France et ailleurs, les partis issus du mouvement ouvrier se montrent impuissants face à