Quel Petit Vélo … ? / PBC Page 4
Critiques Off Avignon 2014
Un texte peu connu de Georges Perec, mais parfaitement adapté à la scène. Encore fallait-il qu’un
metteur en scène astucieux marie avec brio mots et scénographie, et qu’un trio de talentueux
comédiens sache nous narrer par le menu, toujours à la bonne cadence, cette histoire à la fois
misérable et tordante, insignifiante en surface mais aussi reflet d’une époque : le début des années
1960, quand, on l’a oublié, notre belle jeunesse française mâle était tenue d’aller défendre les marges
de l’ex-empire colonial de l’autre côté de la Méditerranée. Dans l’objectif de soustraire un «pote de
pote» à cette besogne «arabicide», comme dit Perec, un trio de bras cassés ne trouve pas mieux que
projeter de simuler un accident dont sera victime l’infortuné futur soldat des djebels. L’entreprise va
évidemment dégénérer en multiples et hilarantes péripéties, racontées avec la distance et la rigueur
qu’exigent la richesse et la complexité, mais aussi la drôlerie du texte «perequien».
Tant de spectacles tirent les grosses ficelles du comique sur les
scènes du Off avignonnais qu’il faut d’urgence se purger de ces
affronts en se précipitant aux Hauts Plateaux pour être sûr de
clôturer une journée théâtrale de la meilleure manière.
Le Pariser
Qu’est ce qui peut arriver de pire lorsque l’on a un nid douillet,
une femme dans la peau et un vélo chromé ? Être envoyé faire la
guerre en Algérie. Trois jeunes zigs et leur metteur en scène Jean-
Jacques Mateu ont décidé de reprendre le texte de Georges
Perec Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? datant
de 1966. L’auteur raconte l’épopée de trois amis du
Montparnasse des années 1950-1960, décidés à aider une de leur
vague connaissance, un certain Karatruc voire Karawash, à ne pas
partir en Algérie.
Le texte est d’abord jouissif par son invention et son audace; la syntaxe est malaxée dans un méli melo
d’argot parisien et d’oulipo, avec un vocabulaire long comme un “Paris-Alger en bi-moteur”, le tout
truffé de références littéraires, Miller, Martin du Gard, Hegel.
Un bon texte mais également une belle performance des trois acteurs, “pékins philosophes” à la
petite semaine: en veste bleue pâle boutonnée jusqu’au cou, chaussures cirées et arborant des
moustaches de circonstance, “ces dignes successeurs d’Ajax et d’Achille, du capitaine Nemo et de
Saint-Exupery…” sont simplement exceptionnels. Par leur maitrise du texte d’abord - pas un mot
sans que le Paris des années 1960, les vélomoteurs et les uniformes kakis ne raisonnent. Ensuite par
leur jeu. Précis, juste, les trois clampins érudits rivalisent d’application dans la loufoquerie et
d’aplomb dans l’absurde.
La performance est d’autant plus belle qu’ils laissent intact le portrait que fait Pérec d’une époque
difficile, minée par la guerre d’Algérie. Aider leur ami revient à risquer les 90 jours de cachot pour lui
et des ennuis avec les policiers pour eux. La modernité du texte tient aussi dans le choix du héros, un
sans grade, homme du peuple qui ne veut pas se battre pour le drapeau. Universel en somme…
Culture 31, le blog de Jérôme Gac
« Paradoxes et autres figures stylistiques nous accompagnent tout le long du récit. Un récit épique
mais détourné, contourné, pastiché et parodié, où le héros n’aurait pas de nom, à la manière d’un
Ulysse. »