Virus et sclérose en plaques

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éditorial
Virologie 2011, 15 (1) : 3-5
Virus et sclérose en plaques
Michel Brahic
doi:10.1684/vir.2011.0379
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Department of Microbiology
Immunology,
Stanford University School of Medicine
É
crire un éditorial sur le rôle des virus dans la sclérose en plaques (SEP)
s’apparente à répondre à une question piége, tant le sujet a mauvaise
réputation. Si je me lance cependant dans cet exercice pour le compte
de Virologie, c’est que j’envisage d’aborder la question dans un contexte plus
large qu’une simple énumération des nombreux virus candidats apparus dans la
littérature. Après quelques rappels sur la SEP et sur les résultats publiés ces dernières années sur SEP et EBV ou HHV6, je parlerai de la difficulté à passer d’une
simple association à la démonstration d’une relation de cause à effet ; je discuterai du rôle des virus dans l’induction de maladies auto-immunes mais aussi
dans leur prévention ; enfin, j’insisterai sur le fait que notre connaissance des
virus qui infectent l’homme est encore très partielle et se limite principalement
aux agents pathogènes.
La SEP est une maladie neurologique chronique fréquente affectant l’adulte
jeune ; les femmes deux fois plus que les hommes. Les symptômes sont très
variés du fait que les plaques peuvent apparaître n’importe où dans la substance
blanche du système nerveux central (SNC) et que leur nombre augmente au cours
des années. Les plaques dites actives, ou jeunes, sont inflammatoires. Y prédominent des lymphocytes T CD8+ et des macrophages, ainsi que d’autres cellules
mononuclées en particulier des lymphocytes T CD4+. Ces plaques inflammatoires laissent la place, avec le temps, à des lésions purement scléreuses. Les
plaques se caractérisent par une destruction de la myéline ainsi qu’une perte
axonale. Les rôles respectifs de l’inflammation, de la démyélinisation et de la
destruction axonale dans les symptômes sont l’objet de nombreux débats. Bien
qu’une étiologie infectieuse soit discutée depuis très longtemps, la SEP est généralement considérée comme étant une maladie « auto-immune », en grande partie
en raison de l’enthousiasme des immunologistes pour l’encéphalite auto-immune
expérimentale (EAE), une maladie ayant certains traits communs avec la SEP.
Je reviendrai sur le problème virus et auto-immunité un peu plus loin.
EBV et HHV6 sont les virus candidats les plus discutés ces dernières années
pour la SEP. De fait, l’association entre EBV et SEP est assez étroite. En effet,
la quasi-totalité des malades atteints de SEP ont des anticorps anti-EBNA1 alors
que la fréquence dans la population générale est de l’ordre de 90 %. La différence est plus frappante dans les cas de SEP pédiatriques, 99 % de ces cas
sont EBNA1 positifs contre 72 % pour les contrôles de même âge. Par ailleurs,
une mononucléose infectieuse est associée à une augmentation d’environ deux
fois du risque de développer une SEP plus tard dans la vie [1]. En revanche, une
publication décrivant l’expression d’antigènes EBV par des lymphocytes B dans
des cerveaux SEP est très controversée [2]. En ce qui concerne HHV6, un virus
neurotrope, de l’ADN viral est retrouvé par PCR dans le SNC d’environ 70 % des
individus, contrôle aussi bien que SEP. Cependant, chez ces derniers des antigènes viraux ont été décrits dans des oligodendrocytes au niveau des plaques alors
que l’expression d’antigènes HHV6 n’a jamais été observée dans les contrôles
[3]. Pour EBV comme pour HHV6, il est clair que même si l’association avec la
SEP était prouvée elle ne signifierait pas forcément une relation de cause à effet.
Virologie, Vol 15, n◦ 1, janvier-février 2011
Pour citer cet article : Brahic M. Virus et sclérose en plaques. Virologie 2011; 15(1) : 3-5 doi:10.1684/vir.2011.0379
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Comme l’ont souvent discuté les épidémiologistes, démontrer une relation de cause à effet à partir de l’association
entre maladie et un facteur d’environnement peut être extrêmement difficile. Pour les maladies infectieuses, les vieux
postulats de Koch n’ont plus grande valeur et n’apportent
aucun secours si il n’existe pas d’animal sensible. De plus
ils sont inapplicables quand un agent infectieux est largement présent dans la population mais n’est pathogène que
chez certains individus en raison de facteurs génétiques. Les
critères généralement retenus de nos jours sont la « force »
de l’association (titres infectieux, ou anticorps, élevés), la
reproductibilité des résultats, le fait que la pathologie soit
compatible avec ce qui est connu des propriétés de l’agent,
et le fait que l’infection ait été présente avant l’apparition
des symptômes. Même quand toutes ces conditions sont
réunies la démonstration n’est pas absolue. Pour s’en persuader, il est instructif de considérer la maladie de la souris
due au virus de Theiler [4]. Ce virus est très largement
présent dans les populations de souris sauvages et dans
les élevages non surveillés. La maladie, qui ressemble à
la SEP par ses symptômes et ses lésions histologiques,
n’affecte qu’une faible proportion (un sur mille à un sur
10 000) des animaux séro-positifs. Le virus n’est présent
qu’en faible quantité dans le SNC. Au cours du temps, des
souris génétiquement prédisposées développent une réaction auto-immune dirigée contre des épitopes de protéines
de myéline. La sensibilité à la maladie est multigénique
avec un rôle majeur joué par l’haplotype du CMH. On aura
remarqué le parallèle frappant avec les résultats concernant
l’association SEP/EBV ou SEP/HHV6. Ce n’est, en définitive, que parce qu’il est possible de reproduire la maladie
en inoculant le virus de Theiler par voie intracérébrale à
des souris génétiquement sensibles que nous sommes certains de la cause virale de cette maladie naturelle. En ce qui
concerne la SEP, la seule stratégie qu’il nous reste consiste à
accumuler des données épidémiologiques solides, à formuler puis vérifier ou infirmer des hypothèses testables chez
l’homme jusqu’à ce que l’évidence en faveur d’un virus
candidat devienne incontournable.
Il est généralement admis que les lésions de la SEP sont
sous-tendues par une réponse immunitaire anormale, beaucoup diraient par une réaction auto-immune, dirigée contre
des épitopes non encore identifiés. Pendant longtemps on
a opposé l’hypothèse auto-immune et l’hypothèse virale,
les considérant comme mutuellement exclusives. Nous
savons maintenant que des agents infectieux peuvent être
impliqués tant dans la protection contre l’auto-immunité
que dans son induction. Il existe plusieurs arguments,
chez l’homme comme chez la souris, en faveur de la
hygiene hypothesis qui postule que l’augmentation du
niveau d’hygiène, et donc la diminution de l’exposition
aux agents infectieux s’accompagne d’une augmentation
4
de l’atopie et des maladies auto-immunes telles que le
diabète de type I ou l’arthrite rhumatoïde. Chez la souris
nod, l’incidence du diabète insulino-dépendant spontané est
plus élevée chez les animaux élevés en condition specific
pathogen free (« spf ») que chez ceux élevés en conditions
standard. Il a d’ailleurs été montré que l’infection des souris nod par une souche de virus coxsackie pouvait diminuer
l’incidence du diabète [5]. À l’inverse, certaines infections
peuvent induire des réactions auto-immunes. Nous avons
déjà mentionné l’apparition de cellules T CD4+ dirigées
contres des épitopes de myéline chez les souris SJL/J infectées par le virus de Theiler. Les mécanismes invoqués vont
du « mimétisme moléculaire » à l’epitope spreading. Des
travaux récents ont mis en évidence un autre mécanisme.
Il était déjà connu qu’une lignée de souris transgénique
pour un récepteur de cellules T (TCR) classe-II restreint
spécifique d’un épitope de la protéine basique de la myéline (MBP) ne développaient spontanément une EAE que
si les animaux étaient élevés en conditions normales, mais
pas si ils étaient élevés en conditions « spf » [6]. Le, ou
les, agents responsables n’ont pas été identifiés. Un résultat similaire a été obtenu plus récemment pour des souris
transgéniques pour un TCR class-I restreint spécifique d’un
épitope MBP. Ces souris sont tolérantes pour MBP mais
l’infection par le virus de la vaccine ou par un adénovirus abolit la tolérance et induit une EAE. Cette induction
est due à l’activation par le virus de cellules T CD8+ exprimant deux TCR fonctionnels formés de la même chaîne V-␣
mais de chaînes V-␤ différentes. Ces cellules bifonctionnelles ont échappé au mécanisme d’exclusion allélique qui
intervient après le réarrangement du locus. Elles expriment
toutes le TCR transgénique spécifique de MBP mais en plus
un répertoire V-␤ aléatoire. L’infection par la vaccine ou
l’adénovirus active les cellules spécifiques d’épitopes de ces
virus. Ces mêmes cellules étant aussi spécifique de MBP, et
étant maintenant activées, induisent une EAE. Il est intéressant de noter que des cellules T exprimant deux chaînes bêta
du TCR sont présentes en quantité non négligeable chez la
souris et chez l’homme [7]. Les relations entre infections et
auto-immunité sont manifestement complexes et loin d’être
entièrement comprises.
Un niveau supplémentaire de complexité au problème virus
et SEP est du à notre connaissance extrêmement limitée des
virus qui infectent l’homme. Alors que nous commençons
à peine à explorer l’extraordinaire diversité des bactéries commensales et symbiotiques que nous hébergeons,
nos connaissances en ce qui concerne les virus sont pratiquement inexistantes. De nouveaux virus, au pouvoir
pathogène inconnu, sont régulièrement détectés dans les
prélèvements humains. Par exemple, le Torque teno virus
(TTV), décrit pour la première fois en 1997, infecte 100 %
de la population humaine et est présent dans de nombreux
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organes. Il ne possède pas de pouvoir pathogène connu et
pourrait être un exemple de virus commensal. Quelques tentatives récentes de description d’une flore virale humaine
ont réservé des surprises. La majorité des virus à ARN
retrouvés dans le tube digestif sont des virus de plantes,
parmi lesquels le pepper mild mottle virus (PMMV) est
très représenté [8]. Ces virus sont très certainement apportés par les aliments. Même si il est peu vraisemblable que
certains puissent infecter des cellules humaines, ces très
nombreux virus participent vraisemblablement à la mise en
place du répertoire de notre système immunitaire. Plusieurs
projets en cours devraient aboutir à une description plus
complète de notre « virome ». Ils font appel aux techniques
de « séquençage profond » d’ARN extrait de divers organes,
couplées à des programmes informatiques qui permettent
de détecter des séquences étrangères à celle du génome de
l’hôte et apparentées à celles des grandes familles connues
de virus. Les résultats déjà publiés indiquent que la majorité des séquences ainsi identifiées n’appartiennent pas à des
virus connus. Par ailleurs, des virus longtemps considérés
comme exclusivement animaux sont maintenant retrouvés
chez l’homme. C’est le cas du virus de Theiler déjà mentionné comme virus de la souris. Nous savons depuis peu
qu’il existe une famille de virus de Theiler humains, renommés virus Saffold, qui comprend un minimum de neuf
génotypes. Plus de 90 % de la population humaine possède
des anticorps contre au moins un des génotypes. Ils apparaissent tôt dans la vie indiquant que le virus est acquis
dans l’enfance. Nous ne savons rien d’un éventuel pouvoir
pathogène de ce virus [9]. L’existence d’un « virome »
humain, en équilibre dynamique avec notre système immunitaire, commence donc à être discutée [10]. Une étude du
« virome » associé au SNC et aux organes lymphoïdes de
l’homme apporterait des résultats de première importance
pour le problème du rôle des virus dans la SEP.
Enfin, les virus ont été jusqu’à présent considérés essentiellement comme des agents responsables de maladies.
Nous commençons seulement à discuter l’existence d’une
flore virale commensale responsable d’infections inapparentes, souvent persistantes, comme dans le cas de TTV.
En revanche, la possibilité d’associations symbiotiques,
mutuellement bénéfiques pour le virus et son hôte, ne sont
pratiquement jamais évoquées. Par exemple, serait-il possible que l’association entre primates et EBV, qui remonte
à plusieurs millions d’années, ait été maintenue à cause
de l’existence de bénéfices réciproques ? Pour le virus,
une infection latente, périodiquement réactivée avec excrétion de virus dans la salive et les urines, assure le maintien
dans l’espèce de façon très efficace. Ce pourrait-il que la
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persistance de l’EBV dans les cellules B mémoires, que
cette infection met dans un état « pré-activé », favorise le
maintien d’un large répertoire d’anticorps prêts à être utilisés contre des pathogènes dangereux ? Si tel était le cas,
quelques cas de mononucléose infectieuse, de cancers et
peut-être de SEP, seraient sans conséquences sur le plan de
l’évolution en regard d’un tel avantage sélectif.
En conclusion, nous devons considérer qu’il doit exister
chez l’homme un nombre important d’infections virales
persistantes que nous ignorons pour l’instant. Ce « virome »
doit être en équilibre dynamique avec notre système immunitaire ; un équilibre influencé non seulement par des
facteurs génétiques mais aussi par les variations continuelles de notre environnement. Il contribue à la fois à
nous protéger contre des réactions auto-immunes et à en
induire certaines, selon sa composition, mais aussi des facteurs génétiques et épigénétiques propres à l’hôte. Fort
heureusement, nos connaissances sur la métagénomique
microbienne et sur la génétique des maladies multifactorielles augmentent rapidement. C’est vraisemblablement de
là que viendra une réponse à la question du rôle des virus
dans la SEP.
Références
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