éditorial Virologie 2011, 15 (1) : 3-5 Virus et sclérose en plaques Michel Brahic doi:10.1684/vir.2011.0379 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 05/06/2017. Department of Microbiology Immunology, Stanford University School of Medicine É crire un éditorial sur le rôle des virus dans la sclérose en plaques (SEP) s’apparente à répondre à une question piége, tant le sujet a mauvaise réputation. Si je me lance cependant dans cet exercice pour le compte de Virologie, c’est que j’envisage d’aborder la question dans un contexte plus large qu’une simple énumération des nombreux virus candidats apparus dans la littérature. Après quelques rappels sur la SEP et sur les résultats publiés ces dernières années sur SEP et EBV ou HHV6, je parlerai de la difficulté à passer d’une simple association à la démonstration d’une relation de cause à effet ; je discuterai du rôle des virus dans l’induction de maladies auto-immunes mais aussi dans leur prévention ; enfin, j’insisterai sur le fait que notre connaissance des virus qui infectent l’homme est encore très partielle et se limite principalement aux agents pathogènes. La SEP est une maladie neurologique chronique fréquente affectant l’adulte jeune ; les femmes deux fois plus que les hommes. Les symptômes sont très variés du fait que les plaques peuvent apparaître n’importe où dans la substance blanche du système nerveux central (SNC) et que leur nombre augmente au cours des années. Les plaques dites actives, ou jeunes, sont inflammatoires. Y prédominent des lymphocytes T CD8+ et des macrophages, ainsi que d’autres cellules mononuclées en particulier des lymphocytes T CD4+. Ces plaques inflammatoires laissent la place, avec le temps, à des lésions purement scléreuses. Les plaques se caractérisent par une destruction de la myéline ainsi qu’une perte axonale. Les rôles respectifs de l’inflammation, de la démyélinisation et de la destruction axonale dans les symptômes sont l’objet de nombreux débats. Bien qu’une étiologie infectieuse soit discutée depuis très longtemps, la SEP est généralement considérée comme étant une maladie « auto-immune », en grande partie en raison de l’enthousiasme des immunologistes pour l’encéphalite auto-immune expérimentale (EAE), une maladie ayant certains traits communs avec la SEP. Je reviendrai sur le problème virus et auto-immunité un peu plus loin. EBV et HHV6 sont les virus candidats les plus discutés ces dernières années pour la SEP. De fait, l’association entre EBV et SEP est assez étroite. En effet, la quasi-totalité des malades atteints de SEP ont des anticorps anti-EBNA1 alors que la fréquence dans la population générale est de l’ordre de 90 %. La différence est plus frappante dans les cas de SEP pédiatriques, 99 % de ces cas sont EBNA1 positifs contre 72 % pour les contrôles de même âge. Par ailleurs, une mononucléose infectieuse est associée à une augmentation d’environ deux fois du risque de développer une SEP plus tard dans la vie [1]. En revanche, une publication décrivant l’expression d’antigènes EBV par des lymphocytes B dans des cerveaux SEP est très controversée [2]. En ce qui concerne HHV6, un virus neurotrope, de l’ADN viral est retrouvé par PCR dans le SNC d’environ 70 % des individus, contrôle aussi bien que SEP. Cependant, chez ces derniers des antigènes viraux ont été décrits dans des oligodendrocytes au niveau des plaques alors que l’expression d’antigènes HHV6 n’a jamais été observée dans les contrôles [3]. Pour EBV comme pour HHV6, il est clair que même si l’association avec la SEP était prouvée elle ne signifierait pas forcément une relation de cause à effet. Virologie, Vol 15, n◦ 1, janvier-février 2011 Pour citer cet article : Brahic M. Virus et sclérose en plaques. Virologie 2011; 15(1) : 3-5 doi:10.1684/vir.2011.0379 3 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 05/06/2017. éditorial Comme l’ont souvent discuté les épidémiologistes, démontrer une relation de cause à effet à partir de l’association entre maladie et un facteur d’environnement peut être extrêmement difficile. Pour les maladies infectieuses, les vieux postulats de Koch n’ont plus grande valeur et n’apportent aucun secours si il n’existe pas d’animal sensible. De plus ils sont inapplicables quand un agent infectieux est largement présent dans la population mais n’est pathogène que chez certains individus en raison de facteurs génétiques. Les critères généralement retenus de nos jours sont la « force » de l’association (titres infectieux, ou anticorps, élevés), la reproductibilité des résultats, le fait que la pathologie soit compatible avec ce qui est connu des propriétés de l’agent, et le fait que l’infection ait été présente avant l’apparition des symptômes. Même quand toutes ces conditions sont réunies la démonstration n’est pas absolue. Pour s’en persuader, il est instructif de considérer la maladie de la souris due au virus de Theiler [4]. Ce virus est très largement présent dans les populations de souris sauvages et dans les élevages non surveillés. La maladie, qui ressemble à la SEP par ses symptômes et ses lésions histologiques, n’affecte qu’une faible proportion (un sur mille à un sur 10 000) des animaux séro-positifs. Le virus n’est présent qu’en faible quantité dans le SNC. Au cours du temps, des souris génétiquement prédisposées développent une réaction auto-immune dirigée contre des épitopes de protéines de myéline. La sensibilité à la maladie est multigénique avec un rôle majeur joué par l’haplotype du CMH. On aura remarqué le parallèle frappant avec les résultats concernant l’association SEP/EBV ou SEP/HHV6. Ce n’est, en définitive, que parce qu’il est possible de reproduire la maladie en inoculant le virus de Theiler par voie intracérébrale à des souris génétiquement sensibles que nous sommes certains de la cause virale de cette maladie naturelle. En ce qui concerne la SEP, la seule stratégie qu’il nous reste consiste à accumuler des données épidémiologiques solides, à formuler puis vérifier ou infirmer des hypothèses testables chez l’homme jusqu’à ce que l’évidence en faveur d’un virus candidat devienne incontournable. Il est généralement admis que les lésions de la SEP sont sous-tendues par une réponse immunitaire anormale, beaucoup diraient par une réaction auto-immune, dirigée contre des épitopes non encore identifiés. Pendant longtemps on a opposé l’hypothèse auto-immune et l’hypothèse virale, les considérant comme mutuellement exclusives. Nous savons maintenant que des agents infectieux peuvent être impliqués tant dans la protection contre l’auto-immunité que dans son induction. Il existe plusieurs arguments, chez l’homme comme chez la souris, en faveur de la hygiene hypothesis qui postule que l’augmentation du niveau d’hygiène, et donc la diminution de l’exposition aux agents infectieux s’accompagne d’une augmentation 4 de l’atopie et des maladies auto-immunes telles que le diabète de type I ou l’arthrite rhumatoïde. Chez la souris nod, l’incidence du diabète insulino-dépendant spontané est plus élevée chez les animaux élevés en condition specific pathogen free (« spf ») que chez ceux élevés en conditions standard. Il a d’ailleurs été montré que l’infection des souris nod par une souche de virus coxsackie pouvait diminuer l’incidence du diabète [5]. À l’inverse, certaines infections peuvent induire des réactions auto-immunes. Nous avons déjà mentionné l’apparition de cellules T CD4+ dirigées contres des épitopes de myéline chez les souris SJL/J infectées par le virus de Theiler. Les mécanismes invoqués vont du « mimétisme moléculaire » à l’epitope spreading. Des travaux récents ont mis en évidence un autre mécanisme. Il était déjà connu qu’une lignée de souris transgénique pour un récepteur de cellules T (TCR) classe-II restreint spécifique d’un épitope de la protéine basique de la myéline (MBP) ne développaient spontanément une EAE que si les animaux étaient élevés en conditions normales, mais pas si ils étaient élevés en conditions « spf » [6]. Le, ou les, agents responsables n’ont pas été identifiés. Un résultat similaire a été obtenu plus récemment pour des souris transgéniques pour un TCR class-I restreint spécifique d’un épitope MBP. Ces souris sont tolérantes pour MBP mais l’infection par le virus de la vaccine ou par un adénovirus abolit la tolérance et induit une EAE. Cette induction est due à l’activation par le virus de cellules T CD8+ exprimant deux TCR fonctionnels formés de la même chaîne V-␣ mais de chaînes V- différentes. Ces cellules bifonctionnelles ont échappé au mécanisme d’exclusion allélique qui intervient après le réarrangement du locus. Elles expriment toutes le TCR transgénique spécifique de MBP mais en plus un répertoire V- aléatoire. L’infection par la vaccine ou l’adénovirus active les cellules spécifiques d’épitopes de ces virus. Ces mêmes cellules étant aussi spécifique de MBP, et étant maintenant activées, induisent une EAE. Il est intéressant de noter que des cellules T exprimant deux chaînes bêta du TCR sont présentes en quantité non négligeable chez la souris et chez l’homme [7]. Les relations entre infections et auto-immunité sont manifestement complexes et loin d’être entièrement comprises. Un niveau supplémentaire de complexité au problème virus et SEP est du à notre connaissance extrêmement limitée des virus qui infectent l’homme. Alors que nous commençons à peine à explorer l’extraordinaire diversité des bactéries commensales et symbiotiques que nous hébergeons, nos connaissances en ce qui concerne les virus sont pratiquement inexistantes. De nouveaux virus, au pouvoir pathogène inconnu, sont régulièrement détectés dans les prélèvements humains. Par exemple, le Torque teno virus (TTV), décrit pour la première fois en 1997, infecte 100 % de la population humaine et est présent dans de nombreux Virologie, Vol 15, n◦ 1, janvier-février 2011 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 05/06/2017. éditorial organes. Il ne possède pas de pouvoir pathogène connu et pourrait être un exemple de virus commensal. Quelques tentatives récentes de description d’une flore virale humaine ont réservé des surprises. La majorité des virus à ARN retrouvés dans le tube digestif sont des virus de plantes, parmi lesquels le pepper mild mottle virus (PMMV) est très représenté [8]. Ces virus sont très certainement apportés par les aliments. Même si il est peu vraisemblable que certains puissent infecter des cellules humaines, ces très nombreux virus participent vraisemblablement à la mise en place du répertoire de notre système immunitaire. Plusieurs projets en cours devraient aboutir à une description plus complète de notre « virome ». Ils font appel aux techniques de « séquençage profond » d’ARN extrait de divers organes, couplées à des programmes informatiques qui permettent de détecter des séquences étrangères à celle du génome de l’hôte et apparentées à celles des grandes familles connues de virus. Les résultats déjà publiés indiquent que la majorité des séquences ainsi identifiées n’appartiennent pas à des virus connus. Par ailleurs, des virus longtemps considérés comme exclusivement animaux sont maintenant retrouvés chez l’homme. C’est le cas du virus de Theiler déjà mentionné comme virus de la souris. Nous savons depuis peu qu’il existe une famille de virus de Theiler humains, renommés virus Saffold, qui comprend un minimum de neuf génotypes. Plus de 90 % de la population humaine possède des anticorps contre au moins un des génotypes. Ils apparaissent tôt dans la vie indiquant que le virus est acquis dans l’enfance. Nous ne savons rien d’un éventuel pouvoir pathogène de ce virus [9]. L’existence d’un « virome » humain, en équilibre dynamique avec notre système immunitaire, commence donc à être discutée [10]. Une étude du « virome » associé au SNC et aux organes lymphoïdes de l’homme apporterait des résultats de première importance pour le problème du rôle des virus dans la SEP. Enfin, les virus ont été jusqu’à présent considérés essentiellement comme des agents responsables de maladies. Nous commençons seulement à discuter l’existence d’une flore virale commensale responsable d’infections inapparentes, souvent persistantes, comme dans le cas de TTV. En revanche, la possibilité d’associations symbiotiques, mutuellement bénéfiques pour le virus et son hôte, ne sont pratiquement jamais évoquées. Par exemple, serait-il possible que l’association entre primates et EBV, qui remonte à plusieurs millions d’années, ait été maintenue à cause de l’existence de bénéfices réciproques ? Pour le virus, une infection latente, périodiquement réactivée avec excrétion de virus dans la salive et les urines, assure le maintien dans l’espèce de façon très efficace. Ce pourrait-il que la Virologie, Vol 15, n◦ 1, janvier-février 2011 persistance de l’EBV dans les cellules B mémoires, que cette infection met dans un état « pré-activé », favorise le maintien d’un large répertoire d’anticorps prêts à être utilisés contre des pathogènes dangereux ? Si tel était le cas, quelques cas de mononucléose infectieuse, de cancers et peut-être de SEP, seraient sans conséquences sur le plan de l’évolution en regard d’un tel avantage sélectif. En conclusion, nous devons considérer qu’il doit exister chez l’homme un nombre important d’infections virales persistantes que nous ignorons pour l’instant. Ce « virome » doit être en équilibre dynamique avec notre système immunitaire ; un équilibre influencé non seulement par des facteurs génétiques mais aussi par les variations continuelles de notre environnement. Il contribue à la fois à nous protéger contre des réactions auto-immunes et à en induire certaines, selon sa composition, mais aussi des facteurs génétiques et épigénétiques propres à l’hôte. Fort heureusement, nos connaissances sur la métagénomique microbienne et sur la génétique des maladies multifactorielles augmentent rapidement. C’est vraisemblablement de là que viendra une réponse à la question du rôle des virus dans la SEP. Références 1. Lunemann JD, Munz C. EBV in MS: guilty by association? Trends Immunol 2009 ; 30 : 243-8. 2. Serafini B, Rosicarelli B, Franciotta D, et al. Dysrefulated Epstein-Barr virus infection in the multiple sclerosis brain. J Exp Med 2007 ; 204 : 2899912. 3. Challoner PB, Smith KT, Parker JD, et al. Plaque-associated expression of human herpesvirus 6 in multiple sclerosis. Proc Natl Acad Sci U S A 1995 ; 92 : 7440-4. 4. Brahic M, Bureau JF, Michiels T. The genetics of the persistent infection and demyelinating disease caused by Theiler’s virus. Ann Rev Microbiol 2005 ; 59 : 279-98. 5. Tracy S, Drescher KM, Chapman NM, et al. Toward testing the hypothesis that group B Coxsackeiviruses (CVB) trigger insulin-dependent diabetes; inoculating nonobese diabetic mice with CVB markedly lowers diabetes incidence. J Virol 2002 ; 76 : 12097-111. 6. Goverman J, Woods A, Larson L, Weiner LP, Hood L, Zaller DM. Transgenic mice that express a myelin basic protein-specific T cell receptor develop spontaneous autoimmunity. Cell 1993 ; 72 : 551-60. 7. Qingyong J, Perchellet A, Goverman JM. Viral infection triggers central nervous system autoimmunity via activation of CD8+ T cells expressing dual TCRs. Nature Immunol 2010 ; 11 : 628-35. 8. Zhang T, Breitbart M, Lee WH, et al. RNA viral community in human feces: prevalence of plant pathogenic viruses. PLoS Biol 2006 ; 4(1) : e3. 9. Zoll J, Erkens Hulshof S, Lanke K, et al. Saffold virus, a human Theiler’s-like cardiovirus, is ubiquitous and causes infection early in life. PLoS Pathog 2009 ; 5(5) : e1000416. 10. Virgin HW, Wherry EJ, Ahmed R. Redefining chronic viral infection. Cell 2009 ; 138 : 30-50. 5