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DE LA GRAMMAIRE GÉNÉRATIVE À LA GRAMMAIRE COGNITIVE :
ORIGINES ET FORMATION DE LA THÉORIE DE RONALD LANGACKER*
Jean-Michel Fortis
UMR7597 « Laboratoire d’Histoire des Théories Linguistiques »
Université Paris Diderot/CNRS
Histoire Épistémologie Langage 32/II (2010) p. 109-149 © SHESL
VARIA
* Je remercie les relecteurs anonymes, ainsi que Jacqueline Léon et Jean-Luc Chevillard de
leurs remarques qui m’ont aidé, je l’espère, à améliorer ce texte.
RÉSUMÉ : Le présent article retrace l’évolution
qui a conduit Langacker de la grammaire
transformationnelle à une théorie qu’il
présente comme son antithèse, la Grammaire
Cognitive. Il concerne donc essentiellement
les années 1965-1982. Cette évolution passe
par le rejet progressif d’opérateurs et de règles
formels, et l’adoption d’analyses qui relèvent
de la sémantique générative. Simultanément,
Langacker cherche une motivation fonction-
nelle à certaines règles de mouvement
transformationnelles. Cette contestation de
la grammaire transformationnelle de type
chomskyen débouche sur un modèle innovant
encore marqué par la sémantique générative,
et qu’il baptise stratigraphie fonctionnelle. Ce
modèle va lui-même évoluer vers une théorie
centrée sur le signe et la notion de dépendance,
au détriment d’une analyse adéquate de la
constituance. Langacker se met ensuite à
donner une représentation spatiale des strates
de son modèle et à interpréter en termes
localistes les verbes modaux. Il propose ensuite
une analyse localiste et gestaltiste des relations
grammaticales et de la sémantique lexicale.
Il systématise cette perspective localiste et
gestaltiste, et réintègre la constituance et
la notion de tête en les réinterprétant selon
cette perspective. Enfin, il va donner un tour
ABSTRACT : This paper is an account of
Langacker’s evolution from transformational
grammar to a theory which he describes as
its antithesis, namely, Cognitive Grammar.
It is foccussed on the years 1965-1982. In
the first stage of this evolution, Langacker
progressively restricts the use of formal rules
and operators and increasingly resorts to a
descriptive apparatus borrowed from generative
semantics. This first stage is also marked by
an attempt to offer a functional explanation of
transformational movement rules. Langacker’s
move away from the Chomskyan brand of
transformational grammar culminates in a new
model, functional stratigraphy, which, however,
still retains some key features of generative
semantics. In its turn, this model evolves toward
a new theory based on the notions of sign and
dependency, at the expense of constituency, for
which it does not really provide an adequate
account. Shortly after, Langacker proposes
a spatial representation of the functional
strata which had been hypothesized in his
stratigraphic model, and submits a localist
analysis of modal verbs. This is followed by
the introduction of gestaltist notions into
his account of grammatical relations and
lexical semantics. This localist and gestaltist
framework progessively permeates all levels