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1. Corpus et placement de l’adverbe profecto
Notre approche sera générique. Nous emprunterons tous les exemples aux
comédies d’un seul auteur, Plaute, auteur latin dont la langue est proche de la langue
parlée courante et familière de la fin du IIIème et du début du IIème siècle avant J.-C. On
peut parler à son sujet d’ « oral simulé ». Tout le monde pouvait aller au théâtre :
hommes, femmes, enfants, esclaves, et les pièces parlaient de tous.
La situation d’interaction au théâtre nous renseigne sur l’utilisation des différentes
stratégies nécessaires pour maîtriser le flux informationnel. On parle en effet de « double
énonciation » : un personnage s’adresse à leur énonciataire direct autant qu’aux
spectateurs. La présence d’un auditoire, physiquement présent, exerce une influence
significative sur les stratégies informationnelles adoptées. Le public visé se compose en
l’occurrence du peuple de Rome, plutôt peu cultivé et souvent très réactif : il avait pour
habitude de répondre aux acteurs pendant la représentation. Il doit traiter l’information en
temps réel et souvent dans le bruit. Le locuteur de Plaute favorise des énoncés courts avec
des groupes thématiques simples. On observe aussi souvent des procédés de
segmentation, qui ralentissent le flot discursif et permettent une certaine focalisation
explicite.
L’étude de l’incidence directe de ce genre sur les stratégies informationnelles
employées et sur les structures syntaxiques privilégiées, peut se faire à partir d’un
adverbe, profecto, qui signifie « vraiment, de fait, réellement, assurément », et qui est un
adverbe orienté vers le locuteur comme le fr. Franchement. Il est dérivé par
grammaticalisation en adverbe d’une adposition pro + factum, participe parfait passif du
verbe « faire », facio : la lexicalisation est confirmée par la fermeture de -a- en -e- en
syllabe intérieure fermée, entraînée par l’univerbation de pro et de facto (littéralement
« conformément au fait »).
Tout d’abord, dans la locution adverbiale pro facto, facto est une forme
nominale et profecto est doté d’un sens modal assertif ou évidentiel.
Dans une deuxième étape, profecto devient un adverbe et, avec son acception
évidentielle, commence à apparaître en position initiale de proposition, où il a une portée
phrastique non ambiguë.
Dans une troisième étape, profecto devient un Marqueur Discursif ou une PEN :
dès Plaute, on commence à trouver également des valeurs en position initiale de
proposition qui impliquent l’élaboration, la clarification des intentions discursives.
Les faits du latin invitent à aller dans le sens de l’hypothèse selon laquelle un
adverbe va être détaché de sa position phrastique interne au sein du prédicat, où il a une
portée syntaxique étroite, vers une position d’adverbe à portée phrastique large. Ce
changement ressemble à un processus de grammaticalisation : à l’origine une construction
dont un élément lexical est un constituant, et une étape ultérieure dans laquelle des formes
stabilisées remplissent des fonctions grammaticales. Profecto peut comme en français
porter :
- sur un constituant de la phrase : « Il se trouvera où on lui fait quelque chose de
vraiment bon qu'on va passer une journée dessus. » (FRA – ESLO – 062 France,
Orléans, salon chez témoin, à la fin des années 60)
- sur la phrase tout entière : « Il y avait une ressemblance telle qu'on se demandait
vraiment lequel a copié sur l'autre. » (FRA – ESLO – 062 France, Orléans, salon
chez témoin, à la fin des années 60)