STUDIA ROMANICA POSNANIENSIA
U AM Vol. 29 Poznań 2003
JAN KORTAS
Universite de Gdańsk
EXPRESSIVITE DERIVATIONNELLE EN FRANęAIS
CONTEMPORAIN: NOMS DACTION
Abstract. Kortas Jan, Expressivite derivationnelle en franęais contemporain: noms d ’action
[Wordformation expressiveness in the modern French language: names of activities]. Studia Romanica
Posnaniensia, Adam Mickiewicz University Press, Poznań, vol. XXIX: 2003, pp. 155-170, ISBN 83-
232-1232-5, ISSN 0137-2475.
This article is devoted to the problems of expressiveness of nomina actionis in some language registers
of modern French. The author distinguishes two types of phenomena in the analysed category: nomina
actionis which are primarily expressive and nomina actionis which are contextually expressive.
INTRODUCTION
Les noms d’action, issus traditionnellement dun transfert categoriel
(nominalisation dun verbe: modeler» modelage, douter —* doute), sont en generał
denues de valeur expressive. Le present article sassigne pour fin de confirmer les
theses suivantes:
- les mecanismes derivationnels de type expressif ne se limitent pas aux
derives modificateurs qui ne connaissent pas le changement de categorie
grammaticale (lourd » lourdaud, riche * richard, simple * simplet, flaner »
flanocher, femme * femmelette...), mais affectent aussi certains types de derives
categoriseurs, entre autres les noms d’action;
- du point de vue structurel, le nom daction est loin de se ramener aux lexies
substantivales simples, comme le veulent les theories traditionnelles, mais englobe
egalement toutes sortes de lexies composees et complexes ou 1’action est
denommee (ou plutót evoquee) surtout au moyen d’un transfert semantique de type
plus ou moins figurę (casse-pipe)\
- la derivation regressive ou inverse, jugee improductive, voire morte dans le
vocabulaire usuel, semble connaitre un regain de vitalite, en ce qui conceme la
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formation des noms cTaction, surtout dans les differents sociolectes1 (dormir >
[une] dorme).
Lexpressivite sera ramenee ici aux deux principaux types daffectivite,
meliorative et pejorative, et du point de vue sociolinguistiąue, elle se manifestera
par 1appartenance dune lexie, ayant souvent un statut de neologisme, a un
sociolecte se plaęant au-dessous de la langue standard, comme langage familier,
populaire, branche, argotiąue, etc. (cf. J. Marouzeau, 1946; S. Grabias, 1981).
Nous entendons par expressivite derivationnelle2 une expressivite due aux
differents procedes de formation des nouvelles unites lexicales. II s’agit surtout de
laffectivite exprimee par des derives de formę (suffixation: tuerie, troncation:
manif, emprunt: speach, etc.), secondairement par des derives de sens (musue:
«chantage» en argot). Le derive sera obligatoirement pourvu dune valeur
expressive alors que le terme de depart (qui nest pas necessairement un verbe) peut
etre expressivement neutre (lutte > lutłanche), aussi marąue (charcuter >
charcutage) ou moins maue affectivement que le nom d’action correspondant
(deconner * deconne; le derive a ici une expressivite accrue qui releve de son
caractere neologique).
Dapres S. Grabias, nous distinguerons deux types dexpressivite:
- expressivite implicite, incluse dans la base lexicale (mec, connerie)-,
- expressivite explicite, rendue au moyen de differents procedes derivationnels
a partir de la base lexicale non-expressive (Pierre * Pierrot; vache, comme derive
de sens).
S. Grabias distingue aussi deux types de derives expressifs:
- derives primairement expressifs, formes dans un but exclusivement affectif:
debile * debilos\
- derives secondairement expressifs dont les fonctions primaires sont autres
que de type affectif.
Dans le second cas, il s’agit surtout de celles de categorisation (ronfler *
ronflette: changement de categorie grammaticale) et de modification (top * topette
dans le sens de «dopag: transfert semantique). L’auteur distingue aussi une
fonction deconomisation consistant a reduire formellement, pour des raisons
deconomie, les nouvelles unites lexicales (manifestation * manif).
Au premier abord, les noms d’action marques affectivement sont surtout des
derives de formę secondairement expressifs faisant fonction de categorisation
(ronfler > ronflette), et, a un degre moindre, deconomisation (manifestation
1 Cf. p. ex.: J.-F. Sablayrolles, La neologie enfranęais contemporain, Hono Champion,
Paris 2000; A. A d o u a n i, Productmte du procede de formation des substantifs deverbaux, Le
franęais moderne, LXI, 1, 1993, pp. 37-47.
2 Cf. S. G r a b i a s, O ekspresywności języka; ekspresja a słowotwórstwo, Wydawnictwo Lubel
skie, Lublin 1981.
Expressivite derivationnelle en franęais contemporain: noms d action 157
manif), caracterises par l’expressivite implicite (rouscailler * rouscaille) ou bien
explicite (parler* parlote).
Nous ne tiendrons compte que des derives de formę (excepte les neologismes
3 *
dauteur, comme ceux dA. Gide: retombement, meprehension ... crees entre autres
pour des raisons expressives), en passant sous silence les derives de sens,
extremement nombreux4, qui meritent une etude a part.
Nous essaierons de demontrer que certains noms d’action peuvent etre des
derives primairement expressifs (musiąue, dans le sens de «chantag *
musiąuette). D’autre part, nous tacherons de preciser ąuelles categories de noms
daction sont caracterisees par lexpressivite implicite, cest-a-dire mauee par le
lexeme lui-meme.
Passons en revue les differents procedes derivationnels, en tenant compte du
type dexpressivite quils conferent aux noms d’action que nous concevrons au sens
large du terme, en y englobant aussi ceux de proces et detat.
1. DERIVATION AEFIXALE
1.1. PREFIXATION
Ce procede joue un role marginal dans lexpressivite derivationnelle, vu la
fonction purement modificatrice des prefixes (faire > refaire, suivre * poursuivre,
content * mecontent). Contrairement aux suffixes dont certains sont caracterises
par lexpressivite intrinseque (voir infra: -ouille, -ouse, -anche...), il n’y a aucun
prefixe auquel cette particularite soit propre.
Cependant, il semble qu’on puisse distinguer au moins deux types de valeurs
semantiques typiques des prefixes, qui peuvent etre parfois enrichies dune
empreinte affective.
Premierement, il s’agit du degre dintensite, exprime au moyen delements
prefixaux, comme super-, mini-, mega-..., qui, lorsquils servent a former des
neologismes, voire des hapax familiers et branches, peuvent y ajouter une nuance
expressive: superflip, mini-gag, mini-mariage, mega-boum...
Toutefois, certains derives qui commencent par des elements tels que sur,
contrę ne peuvent etre consideres comme des prefixes, car ils sont principalement
3 Les exemples empruntćs ii J. Marouzeau, Precis de stylistiąue franęaise, Masson et C“
editeurs, Paris 1946, p. 112.
4 Pour illustrer une grandę richesse de derives semantiąues k fonction de noms d’action, citons
entre autres: corrida dans le sens de «bagarre, bousculad; fuite comme «liberation, depart en
vacance; Berezina designant «desastre, perte»; ramponneau dans le sens de «coup de poin, du nom
de Jean Ramponneau, corpulent aubergiste d’Argenteuil; chabanais, dans le sens de «tapage, desordre»,
mot issu d’un nom de rue h Paris ou se trouvait un cćlebre lupanar; etc.
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dus a une apocope combinee avec un autre procede derivationnel (cf. surboum ou
contrebuche, dans § 7: Procedes complexes).
La deuxieme valeur pouvant etre marąuee affectivement est celle de
contradiction, d’opposition, de negation. II semble quelle soit moins productive
que la premiere. Cest le cas de demariage, malparade, contrecarre, etc.
1.2. SUFFIXATION
Ce procede derivationnel assure les differentes valeurs affectives au moyen de
deux types de suffixes-porteurs dexpressivite: suffixes a valeur expressive
intrinseque et suffixes contextuellement expressifs.
1.2.1. SUFFIXES A VALEUR EXPRESSIVE INTRINSkQUE
Ce sont surtout differents suffixes propres aux sociolectes (argots, parlers
familier et populaire, fraais branche et des cites). Enumerons d’abord deux
suffixes argotiques et populaires qui semblent les plus productifs, en ce qui
conceme la formation des noms d’action:
-ouille:
crasse * crassouille, *pap (racine expressive) papouille, *tat (racine
expressive) * tatouille, carambole > carambouille (alteration de
«carambole»), etc.;
-ouse (ouze):
puer * puouse (piquouze, picouse), traąuer > traąuouse, partie >
partouse (partouze), planąue* planąuouse, etc.
Parmi les suffixes exclusivement argotiques, citons dabord ceux qui servent
surtout a former des noms d’action primairement expressifs. Ce sont:
-anche: lutte * luttanche',
-oche: bal * baloche\
-uche: bal> baluche.
Parmi les suffixes qui servent a former des noms d’action secondairement
expressifs, enumerons:
-o(s): braąuer> braąuos...
-da: charrier —* charrida...
-ave (suffixe d’origine tsigane, caracteristique du langage des cites): courir >
courave («course-poursuite se terminant en bagarre»)...
Expressivite derivationnelle en franęais contemporain: noms d ’action 159
Outre les suffixes typiquement argotiąues, on peut en distinguer d’autres,
quon rencontre aussi en franęais familier et standard, et qui ont la valeur expressive
intrinseque, comme -asse: rouster (terme dialectal signifiant «rosser») * roustasse,
chier » chiasse, etc. Dautres encore sont de caractere plus ou moins fantaisiste:
ribouler > ribouldingue fete, partie de plaisir»), etc.
1.2.2. SUFFIXES CONTEXTUELLEMENT EXPRESS1FS
Ce sont des suffixes dont la valeur expressive ne se revele que dans certains
contextes derivationnels. Ainsi, le suffixe -erie, en tant quindice des noms
collectifs, est generalement denue de valeur expressive (chevalerie) alors que dans
le cas des noms daction il peut etre indice dexpressivite (tuerie).
Suffixe -ette
On a affaire ici aux interrelations suffixales du type -ment / -age / 0 / -ette ou
ce demier morpheme est a la fois un suffixe categoriseur, modificateur et expressif.
Comparons: renifler —* reniflement / reniflette, gonfler * gonflage / gonflette,
toucher> touche / touchette.
Le suffixe -ette sert en premier lieu a former des noms daction deverbaux. En
generał, les infinitifs de depart sont prives de valeur expressive. Les nouvelles
formations, caracteristiques surtout du franęais familier et argotique, acquierent une
signification speciale, souvent de caractere figurę: courir * courette («poursuite»),
grimper * grimpette («passe», en argot), pousser * poussette (cyclisme: «aide
apportee a un coureur en le poussant»), tremper —* trempette bain rapide»),
toucher > touchette (automob.: «petit choc»), gonfler * gonflette exercice
physique ayant pour but le developpement des muscles»), renifler> reniflette
(«prise de cocaine»), secouer* secouette («masturbation»), fumer + fumette
(«action de fumer le haschisch»), sucer * sucettefellation»), etc. Les noms
daction en -ette ou ce transfert semantique ne se produit pas sont beaucoup plus
rares (ronfler ronflette).
Des changements semantiques plus ou moins sensibles sobservent aussi dans
le cas des formations denominales: reforme reformette, crampe » crampette
coi't»), tringle * tringlette amour physique»), top * topette («dopage»), etc.
Les noms d’action primairement expressifs formes au moyen de -ette ne sont pas
frequents (musiąue, dans le sens de «chantage» * musuette).
Suffixe -erie
Contrairement au suffixe -ette, la valeur expressive du morpheme -erie servant
a former des noms daction est plus difficile a deceler. II existe beaucoup de noms
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