Dictée de BOULOGNE-BILLANCOURT
Salon du Livre, Espace Landowski
Samedi 5 décembre 2009
Une visite pimentée !
Une foule bigarrée vibrionnait à l’envi dans les rues du gros bourg de Boulogne en ces
années 1590, réclamant à cor et à cri celui que la plupart appelaient « le bon roi Henri »… En
effet, le « Béarnais », s’il s’était conduit en avare au temps de sa jeunesse, avait depuis
quelque vingt années, voire plus, effacé ce fâcheux travers, et plus d’un, aujourd’hui, vantait
sa générosité et aussi sa bonhomie.
Le Vert-Galant, qui avait ardemment voulu accéder au trône de France, s’était, par
ailleurs, acheté une conduite, du moins pour un certain temps, se disant sans doute quelque
chose comme « Paris vaut bien une miss ! », comme dirait aujourd’hui Geneviève de
Fontenay. Plus sérieusement, on dira qu’il se faisait fort d’être un souverain autrement plus
compétent que les trois derniers Valois-Angoulême qui s’étaient succédé depuis 1559.
Mais le monarque s’attardait dans une auberge proche de l’église Notre-Dame,
discutant tantôt avec un maréchal-ferrant venu du Nord, et qui lui vantait la qualité des fers de
Lens pour équiper les lourds destriers camarguais de la cavalerie royale, tantôt avec un
vielleur auvergnat haut en couleur - un ami de Sully - qui, tournant inlassablement la roue
de son instrument noir de jais, se montrait prêt à la bourrée.
Enfin, après avoir écouté par acquit de conscience une soi-disant prophétesse en
longue robe rouge Carpaccio qui lui promettait un avenir mirifique, il sortit vivement, suivi de
ses conseillers, afin d’aller à la rencontre de ceux qui, continûment et sans maronner,
continuaient à scander son nom, notamment dans le quartier historique issu du hameau des
Menus.
En cinq sec, le souverain eut tôt fait d’arriver sur les berges de la Seine, en face de
Saint-Cloud. Il arpenta la rive sur quelques hectomètres, à grandes enjambées, toujours suivi
tant bien que mal par ses proches, qui, peu habitués à marcher, soufflaient tels des vieillards
cacochymes et décrépits, comme un bébé qui halète… Pour les requinquer rapidement, il eût
fallu qu’on leur servît du jurançon ou l’un de ces vins de Beaune et de Nuits que le roi
dégustait avant de se coucher.
Très en verve, le facétieux Henri, approvisionné par ses valets de pied, se mit ensuite à
lancer dans la foule, avant de regagner ses pénates dorés, les gousses - à l’odeur forte et au
goût très piquant - d’une plante potagère à bulbe dont lui-même raffolait. Mais certains
ignoraient qu’il fallait en user avec modération… Aussi, longtemps après, on évoquait encore
à Boulogne les dégâts des aulx…
© Jean-Pierre Colignon, novembre 2009.
Dictée de BOULOGNE-BILLANCOURT
SALON DU LIVRE, ESPACE LANDOWSKI
Samedi 5 décembre 2009
Corrigé détaillé :
bigarrée : « bariolée, qui a des couleurs variées » (vient de l’ancien français
« garre ») ; la cerise « bigarreau » est de la même famille : elle est de deux couleurs,
rouge et blanc
vibrionnait : dérivé d’un mot masculin en « -on », « vibrion », le verbe « vibrionner »
s’écrit avec deux « n », ce qui est dans la norme du français
à l’envi : vient de « envi » (« défi »), et s’écrit sans « e » ; signifie « à qui mieux
mieux, en rivalisant »
à cor et à cri : comme si l’on sonnait du cor et comme si l’on criait
la plupart appelaient : « la plupart », seul ou suivi d’un complément de nom au
pluriel, entraîne toujours l’accord du verbe au pluriel
le « Béarnais » : gentilé, ou ethnonyme, pour « Béarn » ; ici, le mot est en emploi
de nom propre, d’où la majuscule ; les guillemets sont facultatifs
quelque vingt années : au sens d’ « environ », « quelque » est un mot invariable
voire plus : ne pas confondre l’orthographe du verbe « voir » avec celle de
l’adverbe « voire » !
et plus d’un vantait : « plus d’un(e) » entraîne curieusement l’accord du verbe au
singulier, parce que l’on garde à l’oreille le mot « un(e) » ; deux exceptions : a) quand
il y a répétition de « plus d’un(e) » (plus d’un ouvrier, plus d’un cadre, plus d’un
employé sont venus) ; b) quand le verbe signifie clairement qu’il y a au moins deux
sujets faisant une action (plus d’une cliente se sont arraché les soldes)
Avec « moins de deux », accord « illogique » au pluriel, parce que l’oreille garde en
mémoire le mot « deux » (moins de deux amateurs étaient présents)
bonhomie : un seul « m », contrairement à « bonhomme », où le « o » précède une
syllabe finale muette
le Vert-Galant : « vert-galant » signifie « séducteur », voire « suborneur » ;
auparavant, le terme désigna le brigand qui, caché dans un bois ou une forêt,
attaquait les voyageurs pour les détrousser (on a dit jadis : « galant de feuillée ») ;
Henri IV, redoutable trousseur de jupons, a pour surnom « le Vert-Galant », avec
deux majuscules
trône : nom commun, sans majuscule (sauf quand, par allégorie, le terme désigne le
pouvoir royal : « le Trône et l’Autel » = la puissance du roi et celle de l’Eglise)
A Paris, la place du Trône doit son nom au trône qui y fut élevé en 1660 pour
l’arrivée de Louis XIV et de Marie-Thérèse, et la foire du Trône (la foire aux pains
d’épices) porte ce nom parce qu’elle était installée sur cette place
s’était acheté une conduite : « acheter » est un verbe transitif direct ; même s’il est
à la forme pronominale, le raisonnement est le même : y a-t-il un complément d’objet
direct avant le verbe ? si oui, le participe s’accorde sur ce COD… ; il y a bien un
COD : « conduite », mais il est après le verbe = le participe reste invariable (« il a
acheté à lui une conduite… »)
Valois-Angoulême : la dynastie des Valois comprend les Valois directs, puis
l’unique Valois-Orléans (Louis XII) et cinq Valois-Angoulême (François Ier, Henri II,
François II, Charles IX et Henri III) ; deux majuscules et un trait d’union…
succédé : « succéder » est un verbe transitif indirect = il ne peut avoir que des
compléments d’objet indirects ; donc, il est impossible qu’il y ait devant le verbe un
complément d’objet direct qui entraînerait un accord du participe…
« Succédé » est un participe qui est TOUJOURS invariable
église Notre-Dame : « église » est un nom commun ; cette église dédiée à la Vierge
a pour nom propre le mot composé désignant couramment celle-ci : « Notre-Dame »
(avec un trait d’union)
maréchal-ferrant : mot composé, avec trait d’union, associant un nom commun et
un adjectif verbal = accord normal au pluriel (des maréchaux-ferrants) ; ne pas écrire
« ferrand », sous l’influence, par exemple, du fameux comte Ferrand de Flandre, l’un
des vaincus de Bouvines, et que les Français capturèrent, le transportant dans une
cage de fer, paraît-il ; déjà adeptes des calembours, ces mêmes Français
s’exclamèrent : « Ferrand, te voilà ferré ! »
du Nord : ici, le point cardinal est un nom propre de région, d’où la majuscule
fers de Lens : il est question de chevaux et d’un maréchal-ferrant venant du Nord,
pas d’un homme d’armes, donc « fers de lance » serait illogique !
destriers camarguais : les destriers étaient les grands chevaux utilisés pour les
combats ; « camarguais », ici employé comme adjectif, donc sans majuscule,
conserve le « u » qu’il y a dans « Camargue »
vielleur : joueur de vielle ; on note parfois « vielleux », terme régional et familier
auvergnat : ici adjectif, ce gentilé ne prend pas de majuscule
haut en couleur : au sens propre = dont la carnation du visage est rose foncé, voire
rougeaude ; cela ne porte donc que sur une couleur, celle de la peau ; au sens
figuré, on maintient cette expression au singulier
noir de jais : ellipse pour dire « qui est DU noir du jais, qui est d’UN noir comparable
à celui du jais », c’est-à-dire du lignite, une roche d’origine organique…
L’oiseau le « geai » n’a rien à voir ici, étant donné que son plumage est beige, brun
clair, avec un peu de blanc, de bleu, de noir
prêt à la bourrée : sans cesse en train de tourner la roue de sa vielle, ce musicien
auvergnat est constamment prêt à jouer la danse traditionnelle du Massif central : la
bourrée ! ; « prêt à labourer » n’aurait pas de sens logique…
On est « prêt(e)(s) à », et non « près à »
acquit de conscience : pour S’ACQUITTER à l’égard de sa conscience ; ne pas
confondre avec les « acquis » (scolaires et sociaux), du verbe « acquérir »
une soi-disant prophétesse : « se disant… », donc il s’agit bien du personnel
« soi » (et non de « soit ») et du participe présent invariable « disant »
rouge Carpaccio : c’est-à-dire : « DU rouge créé, utilisé, par le peintre vénitien
Carpaccio », « DU rouge de Carpaccio » ; « rouge » est donc invariable, et
« Carpaccio » est un nom propre, qui garde la majuscule
Il y a vingt-trente ans, un restaurateur vénitien, pour sa publicité, proclama que les
viandes et les mayonnaises qu’il servait en son établissement étaient d’un beau
rouge Carpaccio ; de là est né le nom commun « carpaccio » (de bœuf, de
saumon…) ; pluriel : « des carpaccios »
continûment : accent circonflexe sur le « û »
maronner : « maugréer, ronchonner » = un « r » et deux « n »
en cinq sec : très rapidement, comme quand, au jeu de cartes appelé « l’écarté »,
on gagne cinq manches sans en laisser une seule aux adversaires
Saint-Cloud : face à Boulogne-Billancourt de l’autre côté de la Seine, cette
commune (aujourd’hui des Hauts-de-Seine) doit son nom à Clodoald, ou saint Cloud,
petit-fils de Clovis ; les habitants sont les Clodoaldiens, Clodoaldiennes…
tels des vieillards cacochymes et décrépits : « tels », employé seul, s’accorde sur
le nom qui suit : « vieillards » ; « cacochymes » ( noter l’élément « caco », du grec
« kakos », qui signifie « mauvais ») veut dire « mauvaise humeur », au sens de
« mauvaise santé » ; « décrépits » : atteints par la décrépitude… ; ne pas confondre
avec « décrépi » = « qui a perdu son crépi »
bébé qui halète : … a-t-on déjà vu un bébé qui « allaite » !!!???
il eût fallu qu’on leur servît : passé deuxième forme du conditionnel, qui entraîne
l’imparfait du subjonctif à « servît »
du jurançon : vin du Béarn (région de Pau), le jurançon y est apprécié depuis
longtemps ; on dit que le père du futur Henri IV, à la naissance de celui-ci, lui
humecta les lèvres de quelques gouttes de ce nectar ; c’est un nom commun de vin,
donc pas de majuscule
un de ces vins de Beaune et de Nuits : ne pas écrire « bonnet de nuit », même si
c’est au coucher que Henri IV boit de ces excellents vins ! Noter l’orthographe de
« Beaune » (cf. les hospices de Beaune) et de « Nuits » (Nuits-Saint-Georges)…
facétieux : de « facétie » ; on prononce « fa-ssé-ssieu »
approvisionné : deux « p », puisque celui du préfixe s’ajoute au « p » initial de
« provisionné »
valets de pied : pas de traits d’union ; = domestiques royaux en livrée
pénates dorés : les pénates étaient les dieux protecteurs de la Cité et du Foyer,
chez les Romains ; dans le langage familier, le mot est employé pour désigner le
domicile, l’habitation (regagner ses pénates) ; le mot est masculin
à bulbe : l’ail est une plante présentant UN bulbe
raffolait : deux « f » et un « l »
dégâts des aulx : « ail » a un pluriel ancien, encore usité : « aulx » ; pluriel
moderne : « des ails » ; à la naissance de Henri IV, son père lui frotta les lèvres avec
une gousse d’ail ;
Henri IV a la réputation d’avoir aimé les odeurs fortes…
© Jean-Pierre Colignon, novembre 2009.
1 / 5 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !