La valeur de l`infinitif dans le système verbal de l`anglais

STUDIA UBB PHILOLOGIA, LX, 3, 2015, p. 21 - 28
(RECOMMENDED CITATION)
LA VALEUR DE L’INFINITIF DANS LE SYSTÈME VERBAL
DE L’ANGLAIS ET DU FRANÇAIS :
QUESTIONS SOULEVÉES PAR UNE ÉTUDE CONTRASTIVE
PATRICK J. DUFFLEY1
ABSTRACT. The Meaning of the Infinitive in English and French: Questions
Raised by a Contrastive Study. Psychomechanics offers essentially the same
definition of the meaning of the verb form called “infinitive” in the verb system of
both English and French, that of evoking a completely virtual event corresponding
to a systematic position of the verb situated entirely on the non-realized side of the
dividing-line separating non-realized events from realized ones. This contrastive
study of English and French demonstrates that neither the French nor the English
infinitive corresponds to a prior position in relation to the event that they denote.
Moreover, it is shown that the term “infinitive” does not mean the same thing in
French and English, which leads to the formulation of a cautionary warning
regarding taking abstract grammatical terminology as indicative of the semantic
content of the forms to which it is applied.
Keywords : infinitive, aspect, verb, contrastive linguistics, terminology
REZUMAT. Valoarea infinitivului în sistemele verbale ale englezei şi ale
francezei. Psihomecanica propune în mod esenţial aceeaşi valoare pentru formele
numite infinitiv în sistemul verbal al englezei şi al francezei, cea de a evoca un
eveniment complet virtual, corespunzând unei poziţii sistematice a verbului plasat
integral deasupra liniei temporalităţii nontraversate. Se demonstrează în acest
studiu contrastiv al englezei şi al francezei nici infinitivul francez, nici infinitivul
englez nu corespund acestei poziţionări anterioare faţă de eveniment. În plus, se
arată termenul infinitiv nu trimite la aceeaşi valoare în franceză şi în engleză,
ceea ce conduce la formularea unui avertisment faţă de terminologia gramaticală.
Cuvinte cheie : infinitiv, aspect, verb, lingvistică contrastivă, terminologie
1 Professeur titulaire,partement de langues, linguistique et traduction, Université Laval.
Les recherches de l’auteur exploitent des concepts inspirés par la grammaire cognitive et la
théorie psychomécanique de Gustave Guillaume afin de développer une approche sémantique de
la grammaire et de la syntaxe. Il vient de publier chez John Benjamins une monographie intitulée
Reclaiming Control as a Semantic and Pragmatic Phenomenon proposant une explication
sémantico-pragmatique du phénomène du contrôle (sujet versus non sujet) avec les formes
verbales non finies en anglais. E-mail : Patrick.Duffley@lli.ulaval.ca
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La psychomécanique propose essentiellement la même valeur pour la
forme verbale appelée « infinitif » dans le système verbal de l’anglais et du
français. Pour ce qui est du français, Guillaume (1969, 266–267) définit le
signifié de l’infinitif par opposition à ceux des participes présent et passé
comme évoquant un événement « entièrement virtuel », ce qui correspond à
une position systématique du verbe « tenu in extenso au-dessus de la ligne du
temps non traversée », tel qu’illustré par le schéma suivant :
(Gustave Guillaume, Langage et science du langage, 2e éd. Paris: Nizet et Québec :
Presses de l’Université Laval, p. 266)
Guillaume précise de plus que la forme infinitive signifie
« l’accomplissement à l’exclusion de l’accompli », « une représentation tenue
en incidence, et exclusivement virtuelle, d’accomplissement ». Pour ce qui est
de l’anglais, Hirtle (1967, 20–21; 1975, 20–21) décrit l’infinitif de manière
analogue comme une forme « which refers an event to any point in time prior
to its realization and so excludes any view of a realized portion » et qui représente
donc un événement comme « as yet to happen ». La description proposée par
Hirtle (2007, 61) introduit une certaine ambiguïté dans la caractérisation du
signifié de cette forme : d’une part, on maintient la formulation antérieure selon
laquelle « the infinitive (…) represents event time as not yet accomplished » ; de
l’autre, on propose que l’infinitif « designates an event as reaching the moment of
its accomplishment, (…) accessing its moment of accomplishment ». Or cela
semble contradictoire : comment un même événement peut-il être en même
temps non encore accompli et accédant à son accomplissement ?
Lorsqu’on confronte ces définitions avec l’usage des deux formes dans
les deux langues, dautres problèmes surgissent. Un premier point concerne
des emplois de l’infinitif français tels que (1a) et (1b) :
(1a) J’ai vu l’enfant du voisin traverser la rue.
(1b) Le monarque des dieux leur envoie une grue,
Qui les croque, qui les tue,
Qui les gobe à son plaisir ;
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Et grenouilles de se plaindre.
Et Jupin de leur dire : « Eh quoi ? votre désir
À ses lois croit-il nous astreindre ? »
Ici les événements évoqués par les infinitifs traverser, se plaindre et
dire ne sont ni entièrement virtuels, ni ne correspondent à une position du verbe
tenu entièrement au-dessus de la ligne du temps non traversée. L’effet de sens
que l’on observe ici en est un d’accomplissement intégral de lévénement du
début à la fin.
Un autre genre de question est soulevé par des emplois comme (2a) et
(2b) :
(2a) J’entends Denis monter l’escalier très lentement.
(2b) Je suis à préparer mon discours de présentation et je manque d’idées.
Dans ces deux contextes, lévénement désigné par linfinitif nest ni
entièrement virtuel, ni un accomplissement qui exclut l’accompli, mais un
accomplissement en cours de réalisation, ce dont on peut s’apercevoir plus
clairement en traduisant vers l’anglais :
(2a’) I can hear Denis coming up the stairs very slowly.
(2b’) I am in the middle of preparing my presentation speech and I am
running out of ideas.
Dans ces deux phrases, monter et préparer désignent des événements
en train de se réaliser, avec une partie de l’événement étant déjà accomplie au
moment de référence.
Devant ces emplois, l’on est tenté d’adopter la définition de l’infinitif
que propose Turner (2000, 33) dans son étude contrastive de l’infinitif en
français et en anglais comme renvoyant tout simplement à « la notion de
procès ». Or la situation est en fait plus complexe que cela : tel que démontré
par Dolbec et Leflem (1980), Leflem (1984) et Duffley (2002), le signifié
grammatical de l’infinitif français incorpore, en plus de la représentation d’un
procès, une personne intra-verbale en fonction de sujet. La présence de cette
personne permet d’expliquer la possibilité d’avoir des attributs du sujet avec
l’infinitif même si cette forme verbale n’accepte pas de sujet au cas nominatif :
(3) Être enceinte est physiquement exigeant.
La personne intra-verbale permet aussi à linfinitif d’entrer en rapport
avec une autre forme verbale par le truchement de cette personne, comme
c’est le cas en (4) :
(4) Marie lui semblait admettre leur culpabilité,
l’on n’établit pas une équation entre Marie et l’action d’admettre leur
culpabilité comme il y a équation entre répondre et admettre en (5) :
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(5) Répondre à la question lui semblait admettre leur culpabilité.
En (4), par contre, on établit plutôt une équation, en ce qui a trait aux
apparences, entre Marie et une personne qui admet leur culpabilité. Marie est
donc dans ce cas mis en rapport avec la personne-sujet intra-verbale de l’infinitif
admettre.
La personne intra-verbale de l’infinitif est complètement interminée :
la forme glisser n’indique aucunement par elle-même qui ou quoi glisse, étant
applicable à tout support susceptible de réaliser cette action. En discours, elle
peut donc être générique (6) ou spécifique (7) :
(6) Glisser est l’activité par excellence pour profiter de la neige avec les
enfants.
(7) Joseph avait peur de glisser sur la plaque de glace devant la porte.
De manière analogue, je proposerais que, tout comme la personne intra-
verbale, l’image du temps d’événement représentée dans l’infinitif français est
également indéterminée. En discours, celle-ci peut être évoquée comme un
accomplissement entier comme en (1a) et (1b), ou comme divisée entre une
portion d’accompli et une portion à accomplir, comme en (2a) et (2b).
La confrontation entre la valeur en système de l’infinitif anglais et ces
emplois en discours soulève aussi plusieurs points d’interrogation.
Premièrement, si en anglais l’infinitif désignait un événement non encore
accompli, on se demande comment il pourrait être employé pour évoquer une
action réalisée du début à la fin, comme c’est le cas en (8) :
(8) I just saw your daughter cross the street.
Deuxièmement, si l’infinitif représentait en soi un événement virtuel, il
devrait être compatible tel quel avec un verbe prospectif comme want. Or une
séquence comme (9) n’est pas possible :
(9) *I want leave.
On a besoin de faire précéder l’infinitif de la préposition to pour
pouvoir l’employer comme complément de ce verbe, ainsi que de tout verbe
ayant un sens prospectif (hope, wish, long, etc.). Mais pourquoi aurait-on besoin
d’introduire la notion de déplacement vers un événement vu comme un but
visé si l’infinitif signifiait déjà lui-même un événement à venir ?
On pourrait bien entendu régler ces problèmes en ayant recours à la
définition très vague que propose Turner dans l’étude contrastive mentionné
ci-haut, dans laquelle il attribue exactement la même valeur à l’infinitif anglais
qu’à son homologue français le simple renvoi à la notion de procès. Comme
pour le français cependant, la situation de linfinitif anglais est plus complexe
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que cette définition très générale le laisse entendre. Tout d’abord, il faut
inclure dans la sémantique de cette forme une représentation de personne
intra-verbale pour expliquer sa capacité de se construire avec un attribut du
sujet (voir Duffley 1992, 121; 2006, 161–163) :
(10) To be alone was a welcome change.
De plus, il faut tenir compte du fait que, sauf pour le verbe be, il a la
forme du subjonctif présent, linfinitif en anglais a la même sémiologie que la
forme simple de l’indicatif du présent, avec en moins la désinence -s de la
troisième personne du singulier. C’est pourquoi je propose l’hypothèse que
l’infinitif anglais est une version abstraite de la forme simple, qui représente
un événement qui n’est ni situé dans le temps par rapport au présent, ni ancré
dans l’espace à une personne-sujet spécifique (cf. Duffley 2006, 28–30). En
tant que version abstraite de la forme simple, l’infinitif situe tout simplement
le contenu lexical du verbe dans le temps dévénement (cf. Hirtle 1995; 2007).
Si ce contenu correspond à une action, il est nécessaire de représenter l’entier
du temps d’événement du début à la fin pour le situer dans le temps :
(11) The baby was sick all over the kitchen floor.
Si le contenu lexical est un état, un seul instant suffit pour le contenir, car
un état implique la simple réitération du même contenu d’un instant à l’autre :
(12) When I picked her up at daycare, the baby was already sick.
L’infinitif manifeste la même capacité d’exprimer une action comme un
accomplissement entier ou un état existant pleinement à un moment précis :
(13) I saw the baby be sick all over the kitchen floor.
(14) The baby’s usually hungry at this time of day. She must be sick.
La différence essentielle entre les infinitifs français et anglais se trouve
donc dans le caractère plus indéterminé du signifié de la forme infinitive en
français. Ceci permet à l’infinitif français d’évoquer des événements en cours
d’accomplissement, comme en (2a) et (2b), ce qui est impossible avec l’infinitif
anglais, la forme en -ing devant être employée dans ce genre de contexte, tel
qu’illustré par (3a) et (3b). Le caractère plus indéterminé de l’infinitif français
explique pourquoi il peut être l’équivalent soit de la forme en -ing (Je déteste
promener le chien/I hate walking the dog), soit de l’infinitif sans to (Je peux
promener le chien/I can walk the dog), soit de l’infinitif avec to (Je veux promener le
chien/I want to walk the dog). Le caractère actualisant de l’infinitif anglais, qui
inscrit l’entier de son contenu lexical dans le temps d’événement, explique la
nécessité de recourir à la préposition to devant celui-ci chaque fois qu’on a
besoin de prendre position avant l’actualisation de l’événement. Le fait qu’on
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