Espace populations sociétés Space populations societies 2011/1 | 2011 Risques de santé en sociétés Expositions environnementales et cancers : risques perçus, risques réels Environmental Exposures : Perceived and Actual Risk Virginie Chasles et Béatrice Fervers Éditeur Université des Sciences et Technologies de Lille Édition électronique URL : http://eps.revues.org/4379 ISSN : 2104-3752 Édition imprimée Date de publication : 1 mars 2011 Pagination : 125-136 ISSN : 0755-7809 Référence électronique Virginie Chasles et Béatrice Fervers, « Expositions environnementales et cancers : risques perçus, risques réels », Espace populations sociétés [En ligne], 2011/1 | 2011, mis en ligne le 01 mars 2013, consulté le 22 janvier 2017. URL : http://eps.revues.org/4379 ; DOI : 10.4000/eps.4379 Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée. Espace Populations Sociétés est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International. ESPACE, POPULATIONS, SOCIETES, 2011-1 125 pp. 125-136 Virginie CHASLES Université jean Moulin Lyon 3 EA 4129 Santé Individu Société Faculté des lettres et Civilisations 69007 Lyon [email protected] Béatrice FERVERS Centre régional de Lutte contre le Cancer Unité cancer et environnement Centre Léon Bérard EA 4129 Santé Individu Société 28, rue Laennec 69373 Lyon [email protected] Expositions environnementales et cancers : risques perçus, risques réels La promotion de l’individu comme sujet acteur de sa santé et le développement d’une « culture du risque » dans les sociétés occidentales participent aux interrogations croissantes des individus sur les liens éventuels entre environnement et santé et surtout entre expositions environnementales et cancer. Ces interrogations sont nourries par les préoccupations de santé publique face aux répercussions des modifications de l’environnement et des modes de vie sur l’augmentation de l’incidence de certains cancers. Selon la définition, la source des données et les facteurs pris en considération, l’estimation des cancers attribuables aux expositions environnementales sont très variables, fluctuant le plus souvent entre 5 et 30%. Dans cet article nous nous proposons dans un premier temps d’établir un état des lieux des risques perçus et des risques réels quant aux interactions entre environnement et cancer, en nous focalisant notamment sur les enjeux méthodologiques, base indispensable pour un débat scientifique face aux nombreuses incertitudes dans le domaine. Ensuite, nous tenterons de montrer comment la perception des risques conduit certains acteurs à s’approprier ce domaine de recherche traditionnellement réservé aux experts. Nous faisons référence ici aux investigations profanes, ce que Phil Brown a appelé l’épidémiologie populaire, qui conduisent notamment à la stigmatisation de certains espaces (clusters ou agrégats spatio-temporels). Nous montrerons que la perception du risque dépend notamment de sa qualité (risque connu vs risque inconnu, risque subi vs risque choisi, risque fort vs risque faible), de sa visibilité et aussi de sa proximité visà-vis des populations. Nous entendons ici la proximité spatiale mais surtout la proximité émotionnelle (les espaces de vie se devant d’être des espaces « refuges »). 126 CANCER ET ENVIRONNEMENT, UN ÉTAT DES LIEUX Les liens entre expositions environnementales et cancer Au 20ème siècle, l’amélioration progressive des conditions de vie et les progrès de la médecine ont entraîné une augmentation importante de l’espérance de vie. En France, elle a progressé de 65 % en 100 ans, passant ainsi de 48 ans en 1900 à 80 ans en 2004 [Pison, 2005]. Cependant, certaines transformations de nos modes et milieux de vie ont montré des impacts néfastes sur notre santé et pourraient, selon des données récentes, conduire à une inflexion de la tendance d'évolution de l’espérance de vie [Olshansky, 2005 ; Krewski, 2009 ; Whitlock, 2009]. Ainsi, les répercussions des modifications de l’environnement et des habitudes alimentaires sur l’homme, et plus particulièrement sur l’augmentation constatée de l’incidence de certains cancers, sont devenues une préoccupation majeure de santé publique. Les cancers sont particulièrement au cœur des réflexions car ce sont des pathologies traçantes des risques de l’environnement sur la santé. En 25 ans, l’incidence des cancers en France a progressé de 89%, passant de 170 000 nouveaux cas par an en 1980 à 320 000 nouveaux cas en 2005. La moitié de cette augmentation du nombre de cancers, parfois qualifiée dans le jargon populaire « d’épidémie de cancers », est attribuable aux changements démographiques et plus précisément à l’augmentation de la taille de la population française et à son vieillissement. Notons que si les cancers peuvent apparaître à tout âge, ils sont majoritairement une maladie des sujets âgés. Ainsi 70% des cancers nouvellement diagnostiqués en 2008, l’étaient chez des personnes de plus de 65 ans. C’est un paradoxe de l’augmentation de notre espérance de vie. En tenant compte de ces dynamiques, l’incidence des cancers a donc réellement progressé de 48% chez l'homme et de 46% chez la femme entre 1980 et 2005 [InVS, 2010]. Cette évolution est principalement la conséquence des pratiques de dépistage et de l’amélioration des moyens diagnostiques. Ainsi la moitié de l’augmentation du risque de cancer chez la femme est due au dépistage organisé du cancer du sein, et près de trois-quarts de l’augmentation du risque chez l’homme sont dus au dépistage individuel du cancer de la prostate. Si les processus démographiques et les progrès en termes de dépistage et de diagnostic expliquent l’essentiel de l’augmentation de certains cancers, celle-ci est également la conséquence d’une évolution des risques [Krewski, 2009 ; The International Agency for Research on Cancer, 2007 ; World Cancer Research Fund & American Institute for Cancer Research, 2007]. Sans qu’il soit possible, en l’état actuel des connaissances, d’estimer avec précision la part de l’augmentation liée aux expositions environnementales, le lien entre l’apparition de certains cancers et des expositions environnementales est suspecté voire même, dans certains cas, clairement établi [Krewski, 2009 ; The International Agency for Research on Cancer, 2007 ; World Cancer Research Fund & American Institute for Cancer Research, 2007]. Pour l’Agence Française de Sécurité Sanitaire de l’Environnement et du Travail (AFSSET), l’environnement comprend les agents physiques, chimiques ou biologiques auxquels un individu peut être exposé dans les lieux de vie et de travail. Tandis que certains utilisent une définition plus restrictive de « l’environnement » en excluant les expositions professionnelles, d’autres, comme l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), intègrent également les facteurs relatifs aux modes de vie et les comportements individuels (tabagisme, consommation d’alcool, alimentation, activité physique…), autrement dit tout ce qui n’est pas d’origine génétique. Notons que le développement d’un cancer résulte le plus souvent d’une association de différents facteurs et d’une accumulation de plusieurs altérations subies par les cellules tout au long de la vie et, probablement, d’une moindre efficacité des mécanismes de réparation des altérations au niveau de la cellule des personnes âgées. Ces mécanismes pourraient expliquer la fréquence accrue des cancers au-delà d’un certain âge. Selon la définition de l'environnement et la prise en compte des incertitudes, les fourchettes d’estimation des cancers attribuables 127 aux expositions environnementales sont très variables allant de 5% pour le Centre International de Recherche Contre le Cancer (CIRC) [The International Agency for Research on Cancer, 2007] à 19% pour l’OMS. Pour l’Institut National de Veille Sanitaire (INVS), 5 à 10% des cancers seraient liés à des facteurs environnementaux, 4 à 8,5% des cancers seraient liés aux expositions professionnelles [Hill & Doyon, 2008 ; Imbernon, 2002] et 25 à 30% des cancers seraient imputables aux comportements individuels (tabagisme, alcool, obésité). Selon la pathologie, l’estimation de la part attribuable aux facteurs de risque environnementaux varie de façon considérable. On estime par exemple à 4% la part des expositions environnementales et professionnelles dans les leucémies, tandis qu’elle est de 83% pour les mésothéliomes [AFSSET, 2009]. Outre la définition variable de la notion d’environnement, ces imprécisions tiennent aussi à la difficulté d'établir un lien de causalité entre un agent chimique, physique ou biologique et un risque de cancer. Les interrogations scientifiques restent donc nombreuses dans un certain nombre de domaines, et notamment concernant l’impact des pesticides, des perturbateurs endocriniens ou bien encore des nanotechnologies. L’évaluation des liens entre facteurs environnementaux et risque de cancer L’étude de la relation entre l’exposition et les effets sur la santé repose en premier lieu sur les études épidémiologiques. Celles-ci visent à mesurer l’exposition à une substance ou à une situation à risque dans une population puis à analyser la probabilité d’association entre l’exposition et l’apparition d’une maladie. La démonstration de la nature causale d'une telle association est complexe. Elle s’appuie sur des arguments scientifiques proposés par Austin Bradford Hill en 1965 [Hill, 1965]. Ils concernent notamment la force de l’association entre la pathologie et l’exposition, la reproductibilité des résultats, la confirmation expérimentale chez l’animal, l’existence d’une relation dose-effet, la temporalité (l’effet précède la cause) et la plausibilité biologique, c’est-à-dire la compréhension du mécanisme d’action de l’agent. Le suivi prospectif, pendant 50 ans, de 35 000 médecins britanniques par R. Doll et R. Peto, fondateurs de l’épidémiologie moderne, a permis de montrer dès les années cinquante, l’existence d’une association forte entre tabagisme et cancer du poumon [Doll & Peto, 1976]. Alors que le tabagisme ou l’alcool sont effectivement associés à des risques importants de cancer (risque relatif supérieur à 10), les associations entre expositions environnementales et cancer correspondent à des risques beaucoup plus faibles (risque relatif souvent inférieur à 1,5). Cependant, les faibles risques peuvent concerner un nombre d’individus potentiellement important et donc avoir un impact sanitaire considérable. L’évaluation des faibles risques présente donc des enjeux méthodologiques majeurs et nécessite d’étudier des populations considérables pour pouvoir montrer l’existence d’une association. Sur 26 études ayant évalué le risque de cancer du poumon lié au tabagisme passif sur le lieu de travail, seulement cinq montraient une association significativement positive, les 21 autres études ne permettaient pas de conclure à l’existence ou à l’absence d’une association entre tabagisme passif et cancer du poumon [Stayner, 2007]. Tandis que cet exemple semble à première vue illustrer un manque de reproductibilité des résultats, il s’agit en fait d’un manque de puissance des effectifs pour la plupart de ces études. C’est une méta-analyse, c’est-à-dire l’analyse groupée des données de l’ensemble de ces études, qui permit de réunir un nombre d’individus suffisant pour confirmer l’existence d’une association forte et une augmentation de 24% du risque de cancer du poumon chez les travailleurs exposés au tabagisme passif. Une autre difficulté réside dans les délais entre l’exposition et l’apparition d’un cancer. Ils sont souvent longs, de l’ordre d’au moins 10 à 15 ans. C’est ce qu’a révélé par exemple l’accident de Seveso (note 1). En effet, pendant plusieurs décennies, l’association entre l’incidence des cancers et la dioxine répandue dans l’atmosphère, est restée négative. Ainsi, ne pas tenir compte de ces délais fait courir un risque de conclure à l’absence d’une association alors que celleci existe bien. Les difficultés à réaliser des études avec un suivi et des effectifs suffisants pour montrer l’existence d’une association entre une exposition et un effet sur la santé, ont conduit dans certains cas à un retard dans la mise en œuvre de mesures 128 pour réduire les expositions [Harremoës, 2002]. Les exemples, décrits dans ce rapport de l’Agence Européenne pour l’Environnement, illustrent que dans ces situations, il est fréquemment fait à tort une assimilation entre l’absence de preuve scientifique et la preuve de l’absence de risque. Cette confusion est régulièrement à l’origine de controverses et de pressions plus ou moins médiatisées ainsi que d’incompréhensions au niveau de la population. À l’inverse, certains problèmes méthodologiques, tels que des biais de sélection des individus, des mesures des expositions ou des facteurs de confusion, peuvent parfois amener à conclure à tort à l’existence d’une association. L’expertise collective de l’AFSSET relative aux radiofréquences [AFSSET, 2009] et se basant sur l’analyse de 226 articles de recherche permet d’illustrer ce cas de figure. Ainsi, seulement 11% des 82 études expérimentales, montrant des effets biologiques des radiofréquences, présentaient une méthodologie rigoureuse, contre 69% des 100 études ne trouvant pas d’effets biologiques. La répartition était similaire pour les 44 études réalisées sur l’humain. Parmi les 20 études montrant des effets, seules 20% présentaient une méthodologie rigoureuse, contre 71% des 24 études ne trouvant pas d’effet. Notons qu’il est par ailleurs largement démontré que des études montrant des résultats positifs sont publiées plus facilement et plus rapidement que des études négatives ou non concluantes [Scherer et al., 2007 ; Boffetta et al., 2008 ; Song et al., 2010]. De même, la temporalité est un autre argument clé pour démontrer un lien causal. Bien qu’il semble aller de soi, la temporalité mérite d’être vérifiée comme le montre l’exemple de l’interrogation relative à l’impact éventuel de l’accident de Tchernobyl sur l’augmentation constatée de l’incidence du cancer de la thyroïde en France. Ce qu’on peut constater c’est que l’augmentation du cancer de la thyroïde a commencé plusieurs années avant l’accident de Tchernobyl, du fait notamment de l’amélioration des moyens diagnostiques, et qu’il n’y a pas eu d’accélération de cette évolution depuis Tchernobyl. Un argument indispensable pour pouvoir affirmer un lien causal est l’existence d’une relation dose-effet. Sauf exceptions, il est généralement admis qu’il existe un seuil d’effet d’action en deçà duquel un agent n’a pas d’effet nocif, sauf pour les cancérogènes génotoxiques qui agissent sans seuil d’effet. L’évaluation, notamment à l’aide d’études expérimentales chez l’animal, vise à connaître la dose-seuil d’un agent ainsi que les effets sur la santé à faible dose, bases pour la construction de valeurs guides et de standards d’exposition. Si on s’intéresse au risque de leucémie chez les travailleurs exposés au formaldéhyde, on note qu’une forte association a été retrouvée par plusieurs études épidémiologiques. Cependant on ignorait jusqu’à récemment le mécanisme biologique par lequel le formaldéhyde agit au niveau hématologique. Le formaldéhyde n’étant pas la seule cause des leucémies, il n’était alors pas possible de conclure à l’existence d’un lien causal. Ce sont les travaux de Zhang et al. [Zhang et al., 2010], mettant en évidence le mécanisme d’action au niveau des cellules hématopoïétiques, qui permirent au CIRC de classer en 2009 le formaldéhyde comme cancérogène certain (groupe 1) pour les leucémies [Baan et al., 2009] en plus d’un classement déjà établi pour les cancers du nasopharynx. Le CIRC, sur la base d’une analyse des études scientifiques, a évalué depuis 1971 le degré de risque de cancérogénicité de plus de 900 agents, parmi lesquels 400 ont été classés comme étant cancérogènes ou potentiellement cancérogènes pour l’homme. Les organismes de santé publique utilisent ensuite ces informations comme support scientifique dans leurs actions visant à prévenir l’exposition à ces cancérogènes potentiels. Malgré l’évolution rapide de l’état des connaissances dans le domaine de la santé environnementale, il existe de nombreuses incertitudes à chaque étape de l’évaluation. Les difficultés à déterminer avec précision les effets sanitaires d’expositions à faible risque nécessitent souvent le recours à la modélisation. L’absence de comparabilité des populations et expositions (doses, durées) étudiées et la multiplicité des approches (modèles, analyses statistiques) sont fréquemment à l’origine de contradictions entre les études et sources de nombreuses controverses, souvent médiatisées. Ce contexte a un impact sur la communauté scientifique mais aussi sur la société civile. 129 En effet, celle-ci est de plus en plus sensible à l’impact de l’environnement sur la santé. Nous pouvons d’ores et déjà préciser que l’incertitude et l’existence de controverses ont tendance à amplifier les craintes, notamment lorsqu’il s’agit d’expositions et de risques potentiels subis collectivement sans grande possibilité de maîtrise individuelle, comme c’est le cas pour les antennes relais. Pourtant, le téléphone mobile reste très lar- gement le principal mode d’exposition aux champs radiofréquences en comparaison notamment de l’exposition générée par les antennes relais [AFSSET, 2009]. En revanche, lorsqu’il s’agit d’expositions et de risques choisis (tabagisme, vitesse et risque d’accident), les individus ont une perception assez juste du risque ou considèrent fréquemment leur propre risque comme étant plus faible que celui de la population en général. CONSCIENCE DU RISQUE ET ÉPIDÉMIOLOGIE POPULAIRE La construction sociale du risque Nos sociétés sont marquées par une conscience du risque de plus en plus affirmée, ce qui nous invite à parler de société du risque. Ceci ne se limite pas à évoquer l’apparition et le développement de nouveaux risques. En effet, il s’agit aussi, et surtout, de s’intéresser à ce que A. Giddens a appelé la « culture du risque » et U. Beck la « société du risque » [Peretti-Watel, 2001 ; Beck, 1992]. Autrement dit, si les sociétés contemporaines sont marquées par la prolifération des risques, cela ne signifie pas pour autant qu’elles sont plus dangereuses. En effet, c’est d’abord notre rapport au danger qui a changé, ce qui nous invite à rappeler que le risque constitue d’abord une construction sociale, de sorte qu’il y a autant de représentations d’un risque que de positions culturelles et de trajectoires sociales [Peretti-Watel, 2001]. La perception des risques dépend également de leur proximité vis-à-vis des individus. Si on se focalise sur la question de l’environnement, on peut voir, à travers quelques exemples, que cette question de la proximité est tout à fait majeure. On peut évoquer tout d’abord la proximité intellectuelle. De manière générale, la perception des risques semble liée à leur place dans les débats publics ainsi qu’à l’importance des incertitudes de leurs effets sur la santé. Autrement dit, la perception du risque est corrélée au degré de connaissance que l’on en a. Ensuite, la proximité physique interfère également dans la perception des risques. Plus précisément, la proximité des risques vis-à-vis des lieux de vie des populations influence leur conscience du risque. Un risque éloigné semble généralement moins dangereux qu’un risque proche. Ceci peut être mis en relation avec la visibilité du risque et plus particulièrement avec sa matérialité visuelle, olfactive voire sonore. Autrement dit, ce qui se voit, ce qui se sent ou bien encore ce qui s’entend (panaches de fumée, odeur des pots d’échappement, antennes-relais) effraie davantage que ce qui est invisible. La perception des risques environnementaux est révélatrice de ces logiques sociales et spatiales. De manière générale, le lien entre cancer et environnement est devenue une source d’interrogation croissante pour les experts et la société civile. D’ailleurs, les sondages et les baromètres utilisés pour estimer la perception des Français quant aux risques environnementaux se sont multipliés. Ceci traduit l’attention accordée désormais aux expositions environnementales et les craintes de leur possible impact sur la santé [AFSSET, 2009]. Une enquête nationale menée en 2005 auprès de plus de 4000 personnes par l’Institut National de Prévention et d’Éducation pour la Santé (INPES), sur les représentations et les comportements des individus, a montré que parmi les causes les plus souvent attribuées au cancer, après le tabagisme et l’exposition au soleil, viennent des facteurs environnementaux comme la pollution de l’air, les aliments traités avec des produits chimiques (pour environ neuf enquêtés sur dix) et la proximité d’une centrale nucléaire (72% des enquêtés) [Beck et al., 2006]. En 2007, l’INPES a réalisé une nouvelle enquête [Menard et al., 2008] auprès de la population (« Baromètre Santé Environnement »), permettant de disposer d’indi- 130 cateurs quantifiés sur les connaissances, les opinions et les comportements de la population de la métropole au regard de la perception d’un certain nombre de risques (note 2). Selon cette enquête, réalisée auprès de 6007 personnes âgées de 18 à 75 ans, le cancer constitue la première crainte de maladie liée à l’environnement. En effet, 44% des personnes interrogées estiment courir un risque « plutôt élevé » de développer un cancer lié à l’environnement au cours de leur vie. D’un point de vue quantitatif, cette perception est juste concernant la fréquence du cancer, puisqu’un homme sur deux et une femme sur trois seront atteints d’un cancer au cours de leur vie. Parmi une liste de différents facteurs environnementaux, l’amiante est de loin celui considéré comme le plus dangereux : 67,6% l’estiment présenter un risque « très élevé » pour la santé. Viennent ensuite, le monoxyde de carbone (48,5%), les peintures au plomb (43,1%) et l’exposition solaire (42,8%). Dans l’ensemble, ces facteurs, auxquels il faut ajouter la pollution de l’air, présentent un risque élevé pour plus de 80% des individus. Cette enquête montre également que les Français se déclarent dans leur ensemble particulièrement « sensibles » à l’environnement : 51,3% se qualifient de « sensibles » et 20,9% de « très sensibles » à l’environnement. Cette sensibilité varie en fonction de la situation géographique, du sexe (les hommes apparaissant moins sensibles à l’environnement que les femmes), du niveau d’éducation et de l’âge des personnes interrogées. Le Baromètre 2007 de l'Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) va dans le même sens. En effet, il montre que les préoccupations environnementales des Français apparaissent, pour la première fois, avant l’insécurité (risque social) et immédiatement après le chômage et la pauvreté [Institut de Radioprotection et de Sécurité Nucléaire, 2007]. Ces données illustrent parfaitement le fait que les liens entre cancer et expositions environnementales constituent désormais une préoccupation majeure pour les populations qui, par ailleurs, déplorent souvent un manque d’information sur ce domaine. En effet, face à la prise de conscience du risque cancérigène de certaines expositions, plus d’une personne sur deux (51,4%) se déclare insatisfaite de l’information reçue, 60% d’entre eux jugent l’information insuffisante, 20% considèrent avant tout qu’elle est mal expliquée et 18% qu’elle n’est pas fiable [Menard, 2008]. Sur le radon, seulement 11,8% des personnes interrogées se sentent bien informées. En outre, l’histoire récente des crises sanitaires (OGM, sang contaminé, SIDA) a eu pour conséquence une certaine méfiance de l’opinion publique vis-à-vis de la capacité à informer et à protéger les citoyens de nouvelles crises sanitaires [Dodier, 2003 ; Besançon, 2004]. Ainsi une étude américaine sur les sources d’information en santé environnementale, menée auprès de 3129 individus, a montré que la plus grande confiance dans l’information délivrée était accordée, par ordre décroissant, aux médecins, puis aux associations, aux médias, aux gouvernements et enfin à l’industrie [McCallum et al., 1991]. Il est à noter que cette perception des risques diffère selon le profil social des individus [Caisse Nationale d’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés, 2007]. De manière générale, les informations biomédicales sur les causes environnementales du cancer sont traduites, interprétées et parfois déformées en fonction des représentations initiales des individus et de leur appartenance socioculturelle. Il est de plus en plus communément admis en santé publique que les représentations ont un impact sur les pratiques face au risque et constituent des mécanismes importants par lesquels les inégalités sociales de santé se développent et se perpétuent. L’épidémiologie populaire De manière générale, les craintes suscitées par les modifications des milieux de vie sont alimentées, du moins en partie, par la visibilité des discours sur ce domaine [PerettiWatel, 2004]. En effet, les nouvelles technologies de l’information et les médias rendent accessibles des informations qui étaient jusqu’alors confinées avant tout dans des sphères restreintes, et notamment celles des experts. Associé à la profusion des discours sur le développement durable, ce contexte informationnel génère à la fois de l’intérêt et de l’angoisse de la part des populations, qui deviennent alors davantage actrices de leur santé, et ceci de par à la fois leurs discours et leurs pratiques. Classiquement, cette conscience du risque est productrice 131 de comportements nouveaux, eux-mêmes issus notamment de normes sanitaires en constante réinvention. Le plus souvent, cela se traduit à l’échelle individuelle par l’adoption de pratiques jugées moins risquées, moins pathogènes. Par ailleurs, de plus en plus souvent, cette conscience du risque prend une dimension collective et sort de l’espace privé pour s’exprimer dans l’espace public. Les individus deviennent alors pleinement acteurs de leur santé en étant à l’initiative de recherche de liens de causalité entre une pathologie et une source de pollution, ce que Phil Brown a appelé l’épidémiologie populaire ou qu’on appelle également les investigations profanes. Janet K. Shim explique que le paradigme épidémiologique s’est diffusé au-delà du champ scientifique pour gagner des sphères « profanes » parmi lesquelles les médias et les associations militantes [Shim, 2002]. Patrick Peretti-Watel prend pour exemple les profanes qui s’associent pour dénoncer la présence d’une source de pollution dans leur voisinage, à laquelle ils attribuent la responsabilité de l’accroissement du risque, voire même de l’aléa, de survenue de certaines pathologies [Peretti-Watel, 2004]. Ils s’appro- prient alors les concepts de l’épidémiologie afin de légitimer leur propos et d’interpeller les autorités sanitaires. Ils élaborent ainsi une sorte « d’épidémiologie populaire » [Brown, 1992, 1995, 1997], certains parlent de science citoyenne, qui consiste en la production de connaissances sur les maladies et leurs causes, et notamment sur les risques de santé environnementale [Calvez, 2009]. Cette expression d’épidémiologie populaire a été mise au point par Phil Brown à la suite des investigations profanes qui ont été menées par les habitants d’un certain nombre de quartiers aux États-Unis, dans les années 1970 et 1980, pour dénoncer les problèmes de santé liés notamment à la pollution environnementale. D’abord ponctuelles, ces investigations profanes se sont largement multipliées au cours du temps. Celles-ci comportent une empreinte spatiale puisque dans certains cas elles conduisent à la stigmatisation de certains espaces, qui sont alors jugés comme étant à la marge des normes sanitaires. Ces espaces, du fait de certains de leurs attributs, vont alors donner lieu à des investigations, d’abord par des profanes, puis par des experts, afin de démontrer qu’ils constituent ce qu’on appelle des clusters. GÉOGRAPHIE DES RISQUES OU GÉOGRAPHIE DE LA PEUR ? Les clusters, des espaces à risques ? Les clusters, ou agrégats spatio-temporels, désignent le regroupement « anormal » dans le temps et l’espace de cas de maladies, de symptômes ou d’événements de santé au sein d’une population localisée [Tillaut, 2005]. Les pathologies observées peuvent être très variées (malformations congénitales, dysfonctionnements thyroïdiens …). Cependant, les clusters concernent le plus souvent des cancers. Il existe dans la littérature plusieurs exemples d’agrégats de cancers ayant conduit à l’identification de substances carcinogènes pour l’homme, le plus ancien concerne la mise en évidence en 1775 du lien entre le cancer du scrotum chez les ramoneurs et leur exposition à la poussière du charbon. De manière générale, ces suspicions présentent deux caractéristiques [Ledrans, 2005] : les maladies rapportées sont graves et une source d’exposition environnementale est souvent mise en cause dans leur survenue (proximité d’une installation industrielle, d’une usine, d’un incinérateur, d’un ancien site pollué ou d’un équipement technologique nouveau). Depuis une vingtaine d’années, on observe une augmentation des signalements de suspicion de clusters de pathologies non-infectieuses en France et, de manière générale, dans les pays développés. Il existe souvent une implication forte de la population ou de ces représentants dans ces signalements et les demandes d’investigations et d’expertises qui se font à différentes échelles. Certaines concernent l’échelle internationale (exemple des cancers de la thyroïde et des retombées du nuage de Tchernobyl), mais, le plus souvent, elles se font à l’échelle locale. En France, une enquête menée en 2003 par l’InVS a révélé que 38 signalements d’agrégats de pathologies non infectieuses ont été 132 déposés entre 1997 et 2002 [Tillaut, 2005]. Les pathologies les plus fréquemment signalées étaient des cancers (74% des cas) et une source environnementale était incriminée dans environ 65% des cas (usines d’incinération d’ordures ménagères, sites nucléaires …). Aux États-Unis, les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) ont commencé les investigations de clusters au début des années soixante. Entre 1961 et 1982, 108 agrégats spatio-temporels de maladies non infectieuses ont été investigués [Caldwell, 1990]. Plus récemment, entre mai 2002 et janvier 2004, le National Center for Environmental Health (note 3) a reçu 405 signalements d’agrégats. Aux Pays-Bas, l’Institut National de la Santé Publique et de l’Environnement (RIVM) a réalisé entre 1993 et 1997 une enquête descriptive des agrégats de pathologies d’origine environnementale. 120 agrégats ont été rapportés, 73% des investigations concernaient des cancers. La cause environnementale la plus souvent dénoncée était la pollution des sols [Van Poll & Drijver, 1999]. Certains signalements ont permis de mettre en évidence une association de causalité entre des cancers et une exposition environnementale particulière. À ce titre, on peut citer l’étude de Knox qui s’est intéressée aux cancers pédiatriques en Grande-Bretagne, entre 1966 et 1980. Celle-ci a révélé une corrélation entre la survenue de ces cancers et le degré de pollution atmosphérique des lieux de naissance des patients [Knox, 2005]. Dans un autre ordre d’idée, Nawrot et al., à partir d’un échantillon de 994 individus et d’une période d’étude de près de 20 ans, ont montré un lien entre l’incidence du cancer du poumon et la proximité des sites de production de zinc [Nawrot et al., 2006]. Cependant, les investigations permettent rarement d’identifier une exposition susceptible d’être responsable des pathologies observées [Gomes Do Espirito Santo & Dejour-Salamanca, 2005]. Les clusters sont donc bien plus souvent infirmés que validés. Une fluctuation aléatoire est l’explication la plus plausible dans une grande majorité des cas. Par ailleurs, il faut noter que l’invalidation des clusters révèle également un certain nombre de problèmes méthodologiques. En effet, il se trouve que les conditions permettant aux investigations d’aboutir sont rarement remplies. Les problèmes méthodologiques que l’on peut observer relèvent à la fois des dimensions spatiale et temporelle. En effet, la définition de la zone géographique [Laurian, 2008] et de la période d’étude [Alexander, 1999], qui peuvent impacter sur les résultats, est le plus souvent arbitraire. En se focalisant sur un espace et une période limités, il est fort probable que soit confirmé l’excès de cas révélés. Mais, il est fort probable aussi que cet excès disparaisse lorsque l’on mène l’étude sur un espace plus vaste et sur une période plus longue. Dans bon nombre de cas d’agrégats spatio-temporels, il s’agit d’une apparition groupée de différents types de cancer pour lesquels il n’existe pas de facteurs étiologiques communs. Il faut noter aussi que la survenue d’une maladie est rarement le fait d’une cause unique. Si on prend le cas des cancers, hormis certains facteurs de risques bien identifiés (amiante, tabac), le plus souvent ils sont le résultat d’une multiplicité de causes. C’est particulièrement le cas de ceux que l’on soupçonne d’être attribuables à une cause environnementale. En effet, si la qualité de l’environnement a effectivement un impact sur la santé, il s’avère aussi qu’il n’a généralement qu’un rôle contributif et non pas déterminant. Si les clusters portent souvent sur un trop petit nombre de cas pour mener des investigations analytiques, ils peuvent inciter à la réalisation d’études épidémiologiques de type cohorte ou cas témoins à plus grande échelle, permettant d’analyser un nombre plus important de cas et d’ajuster sur d’autres facteurs de risque [Knox, 2005 ; Amin 2010]. Espaces à risques, espaces affectifs Le plus souvent, un agrégat concerne une zone géographique délimitée : une école, un lieu de travail mais aussi fréquemment une rue, un quartier ou une commune. Ainsi, dans l’enquête menée par l’InVS en 2003, les entités géographiques les plus souvent concernées dans le signalement de clusters étaient soit une collectivité (une école dans la majorité des cas), un quartier ou une commune (22 cas sur 38) [Tillaut, 2005]. Ces espaces ne sont pas des espaces neutres pour les personnes qui entreprennent leur expertise. D’ailleurs, le terme d’espace devient rapidement impropre, et il faut lui préférer 133 celui de territoire. Selon Guy di Méo, « le territoire témoigne d’une appropriation à la fois économique, idéologique et politique (sociale donc) de l’espace par les groupes qui se donnent une représentation particulière d’eux-mêmes, de leur histoire, de leur singularité » [Di Méo, 1998]. Ces territoires relèvent de ce qu’on appelle l’espace vécu et notamment des espaces du quotidien. Ceuxci regroupent un certain nombre d’attributs, puisque certains sont des espaces fonctionnels (lieu de travail), d’autres des espaces affectifs (lieu de résidence) ou bien encore des espaces sociaux (lieu de scolarisation). Parmi eux, comme l’explique Gaston Bachelard, certains constituent des espaces « refuges » pour les individus [Bachelard, 1957]. C’est le cas plus particulièrement du lieu de résidence, envers lequel on attend de la sécurité. Il en va de même pour le lieu de scolarisation des enfants. Ainsi, la charge symbolique attribuée à ces espaces est forte. Elle est en tout cas plus forte que dans le cas des espaces fonctionnels, tel le lieu de travail ou bien encore les espaces commerciaux. La perception des risques est donc également tributaire des types d’espaces potentiellement exposés. Il y aurait donc une corrélation entre la perception des risques et la proximité émotionnelle vis-à-vis des lieux concernés. Ainsi, par exemple, si les craintes concernent une école, les investigations sont généralement rapides et massives. Il faut préciser que nous sommes là face à une population particulière. En effet, les risques encourus par les enfants sont le plus souvent considérés comme injustes et inacceptables, et donnent alors lieu à une forte réponse sociale. C’est ce qui s’est passé par exemple au début des années 2000 à Vincennes [InVS, 2002]. En septembre 1999, quatre cas de cancer, diagnostiqués entre mars 1995 et mai 1999, ont été signalés chez des enfants fréquentant la même école maternelle au sein d’un quartier construit sur un ancien site industriel. En mai 2000, le rapport d’investigation a conclu à une tendance à un excès de cas de cancer sans que cet excès puisse être confirmé et sans qu’un facteur de risque potentiel puisse être mis en évidence. En février 2001, la survenue d’un nouveau cas de cancer, diagnostiqué chez un enfant ayant fréquenté l’école pendant six mois, a de nouveau soulevé la question de l’existence d’un éventuel cluster. De nouvelles investigations épidémiologiques et environnementales ont été menées. Leurs résultats ont corroboré les résultats initiaux. Ceci ne signifie pas qu’il n’y a pas de lien entre ces cas de cancers et l’environnement, mais le faible nombre de cas et le manque de recul temporel rendent difficile son évaluation. Dans certains cas, les investigations, menées par les institutions publiques, sont poursuivies avant tout pour répondre à l’anxiété de la population. C’est ce qui s’est passé dans la commune de Saint-Cyr-l’École [DejourSalamanca et al., 2005]. Fin 2001, des associations du quartier de l’Épi d’Or à SaintCyr-l’École ont fait état auprès de différentes institutions et services de l’État de la survenue de pathologies diverses. Ces pathologies (dont trois cas de cancers chez des enfants) ont été rapportées par des personnes vivant à proximité d’une école sur le toit de laquelle quatre antennes relais de téléphonie mobile sont placées. Les résultats de cette investigation conduisent au constat d’un nombre de cas de cancers de l’enfant légèrement supérieur au nombre de cas attendus. Mais il n’a pas été trouvé sur la commune, ni dans ses environs, d’expositions environnementales qui distinguent Saint-Cyr-l’École des communes voisines. D’ailleurs, la diversité des types de cancers observés (cancer de la thyroïde, tumeur du tronc cérébral, cancer osseux, leucémie, tumeur de l’hypophyse) ne plaide pas en faveur d’un agrégat dû à un facteur de risque environnemental commun. Là encore, il faut avoir conscience des biais méthodologiques inhérents à ce type d’étude. À l’inverse, s’il s’agit d’un espace fonctionnel plus qu’émotionnel, les réactions sont différentes. Ainsi, il existe des situations où du fait du contexte socio-économique, la demande sociale est moins vigoureuse entraînant ainsi des retards ou des déficiences dans la prise en charge du problème soulevé [Ledrans, 2005]. C’est particulièrement le cas lorsque la source environnementale en cause est aussi la principale ressource économique pour la population concernée ou qu’il y a une crainte de dégradation du patrimoine par la mise en lumière d’une pollution. La perception des risques varie donc également selon le type d’espaces. Autrement dit, certains attributs des lieux, jugés dangereux, vont dessiner une géographie de la 134 peur. Celle-ci concerne plus particulièrement les espaces de proximité, les espaces de vie, de la part desquels on attend de la sécurité et de la stabilité. Il peut s’agir de son logement mais aussi de son quartier voire de sa ville. Pour Gaston Bachelard, la maison est « notre coin du monde » [Bachelard, 1957]. De même, pour Guy di Méo, « avec la maison, nous touchons sans doute à l’essence du territoire de l’Homme sur la Terre » [Di Méo, 1998]. Dans le même ordre d’idée, Yi-Fu Tuan explique que ces lieux intimes sont également des lieux de soins [Tuan, 2006]. Ils sont donc porteurs d’une forte charge symbolique et d’importantes attentes sociales La perception des risques et les arrangements qui sont alors produits sont donc tributaires également du degré de dangerosité qui pourrait compromettre la nature première de ces espaces et introduire de l’instabilité, de la peur. À travers cet article, nous avons tenté de montrer que l’environnement interfère sans conteste dans la santé humaine. Par contre, les craintes que les changements environnementaux produisent peuvent paraître parfois démesurées par rapport d’une part, aux risques réels et, d’autre part, aux risques liés aux modes de vie et comportements individuels, tels que le tabagisme ou l’obésité. Ceci ne signifie pas que l’environnement ne joue aucun rôle dans l’augmentation, par exemple, de l’incidence des cancers. Cependant, force est de constater que son rôle reste essentiellement contributif. Autrement dit, l’environnement est très rarement la seule cause à l’origine de la pathologie. Pour autant, nous pouvons constater clairement que les risques environnementaux, et notamment leur impact sur la santé, représentent un sujet de préoccupation grandissant au sein de la société civile. Cette perception des risques est d’autant plus importante que les interrogations dans ce domaine restent nombreuses. Or, les risques les plus redoutés sont généralement ceux qui souffrent d’un manque d’informations et qui donnent alors le sentiment d’être à la fois les plus difficiles à prévoir et à maîtriser. De même, les craintes sont généralement plus vives et les risques moins acceptables lorsque les effets ne sont pas visibles immédiatement et que leur dimension est collective [AFSSET, 2006]. Enfin, cette perception des risques est également fonction du profil individuel de chacun et, on l’a vu, s’exprime différemment selon les espaces concernés. Ces constats soulignent l’importance de tenir compte désormais des représentations individuelles et collectives des risques environnementaux dans les démarches d’évaluation et de gestion des risques, mais également dans l’information du public et la communication avec les populations lors de signalements de suspicion de clusters. Notes infrapaginales 1 Le 10 juillet 1976, des vapeurs toxiques de dioxine s'échappent d'un réacteur chimique, produisant du chlorophénol, de l'usine Icmesa, et se répandent dans la région de Seveso près de Milan (Italie). Cet accident a profondément inquiété les populations et a fait prendre conscience de la nécessité de mieux contrôler les risques industriels. La première des deux directives européennes dites Seveso date de 1982. 2 Cette enquête s’est intéressée plus précisément à la perception des risques environnementaux ainsi qu’à la pollution des sols, la pollution atmosphérique, la pollution de l’air intérieur, l’habitat et le logement, les risques d’intoxication au monoxyde de carbone, de radon, la perception des risques liés à l’eau, aux légionelles, au bruit, ainsi qu’à la problématique de la téléphonie mobile. 3 Le NCEH (National Center for Environmental Health) a été établi aux CDC en mai 2002 pour centraliser et suivre les préoccupations environnementales. 135 BIBLIOGRAPHIE Agence Française de Sécurité Sanitaire de l’Environnement et du Travail (2006), Perception du risque et participation du public. Agence Française de Sécurité Sanitaire de l’Environnement et du Travail (2009), Cancers et environnement. Agence Française de Sécurité Sanitaire de l’Environnement et du Travail (2009), Les radiofréquences. 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