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Le passé au présent. Tradition, mémoire et histoire dans les sciences
sociales
MÜLLER, Bertrand
MÜLLER, Bertrand. Le passé au présent. Tradition, mémoire et histoire dans les sciences
sociales. Les Annuelles, 1997, no. 8, p. 173-190
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@ B. Muller pour cette version. Ne faites qu'un usage strictement personnel de ce texte. 1
Bertrand Müller , « Le passé au présent. Tradition,
mémoire et histoire dans les sciences sociales »
(Les Annuelles, 1997, n° 8, pp. 173-190)
Le passé au présent. Tradition, mémoire et histoire dans les sciences
sociales.
L’ambition des remarques qui suivent est de soulever un problème : celui
des rapports multiples qu’une discipline intellectuelle entretien avec son passé.10 C’est la relation particulière qu’une discipline entretient avec sa propre histoire
qui est en jeu. Toute histoire est histoire contemporaine, disait Croce. Est-ce à
dire qu’une histoire des sciences sociales est condamnée à s’écrire au présent ?
Une question préalable précède cette interrogation. Elle concerne la
signification de l’émergence récente d’une réflexion rétrospective sur les
sciences sociales. À quoi tient-elle ? Faut-il n’y voir qu’un effet de la crise
générale desdites sciences sociales dont chacun s’efforce de dresser le
diagnostic en cherchant dans leur passé les raisons de cette crise et
d’éventuelles issues à celle-ci ? D’une autre manière, et le constat vaut au moins
pour la France, les sciences sociales qui s’étaient détournées de l’histoire,20 cherchant à fonder leur scientificité en s’éloignant précisément de la dimension
temporelle des phénomènes qu’elles étudiaient, marquent depuis quelque temps
un singulier retour sur l’histoire. On assisterait donc à un double mouvement
d’historicisation qui semble affecter l’objet de l’enquête d’une part, et de
l’autre, les disciplines elles-mêmes. Ces deux processus concomitants ne sont
d’ailleurs pas nécessairement convergents.
Cependant il n’est pas indifférent de noter qu’historicité et scientificité ont
partie liée. Tout semble se passer comme si à la crise de scientificité des
sciences sociales correspondait une historicisation de leurs procédures. C’est en
tout cas l’hypothèse qu’il nous faudrait prendre en compte pour comprendre et30 rendre compte du développement d’une histoire des sciences sociales. Encore
faudrait-il préciser que ce mouvement, s’il est repérable dans de nombreuses
disciplines, ne les concerne pas toutes de la même manière. Il n’est pas isolable
non plus du développement de l’histoire de l’histoire et de l’histoire des
sciences, à laquelle d’ailleurs l’histoire des sciences sociales doit se rattacher si
elle entend constituer une connaissance en soi.
Ici je me limiterai à mettre en évidence l’une des dimensions de la question
qui me paraît problématique : celle de la relation présent-passé. La plupart des
chercheurs sont préoccupés de rapprocher leur démarche et d’unifier leur
concepts et leurs procédures. Partant, c’est le sens même du passé qui est40 oblitéré et réduit le plus souvent à une simple dimension temporelle. Or
précisément, les controverses qui opposent les chercheurs à propos de la
légitimité de l’histoire des sciences sociales ne sont pas que des querelles de
position mais proviennent aussi d’un usage flou de la notion de passé et de son
articulation avec le présent.
Chacun conviendra que le passé n’est pas une dimension univoque. Il faut
prendre en compte plusieurs dimensions et significations. Ici j’en retiendrai
trois : l’histoire, comme forme intellectuelle d’objectivation de la durée des
phénomènes sociaux. Elle se distingue et s’oppose à la tradition, qui sous-tend
généralement l’idée d’un rapport désuet au passé, mais qui en fait constitue, par50 le biais de l’héritage et de la transmission, une forme importante de la
“ présence du passé dans le présent ”. Enfin, nous retiendrons un troisième
niveau qui est celui de la mémoire. Depuis quelque temps, d’ailleurs, les
relations entre histoire et mémoire ont été réévaluées. En particulier, l’entreprise
de Pierre Nora sur Les lieux de mémoire mais aussi les travaux sur la guerre ont
montré qu’entre ces deux conceptions apparemment antinomiques les rapports
étaient plus complexes. Pour Pierre Nora, l’émergence d’un “ moment-
mémoire ” dans lequel nous sommes, a permis également la naissance d’une
histoire de l’histoire. Faut-il dès lors en déduire que l’histoire des sciences
sociales est également tributaire de ce moment-mémoire ? Quelles sont d’autre60 part les relations qu’entretiennent les sciences sociales avec leur mémoire ?
L’idée que je tenterai de soutenir dans ce texte peut s’exprimer de la
manière suivante. La distinction que je pose entre ces trois dimensions du passé
permet de rendre compte de la complexité que les sciences sociales
entretiennent avec leur propre passé. Par ailleurs, il me semble que cette
distinction, même si elle ne peut pas être absolue, permet de surmonter
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quelques-unes des difficultés qui se posent aux historiens des sciences sociales
lorsqu’ils sont confrontés avec les praticiens eux-mêmes.
Le présentisme
Une expression a à un moment donné désigné quelques-uns des aspects
principaux de la problématique en cause ici. Il s’agit du “ présentisme ”, terme
qui désigne de façon simple l’idée que le passé est toujours reconstruit en
fonction du présent ou, dans le cadre plus précis qui nous occupe, qui désigne
une forme d’objectivation de la science en fonction de ses problématiques, ses
schèmes conceptuels ou ses outils actuels reproduits dans le passé. L’historien
un peu désabusé n’y verra qu’une forme plus ou moins savante10 d’“ anachronisme ”. Voire. Car dans un univers où la science sanctionne
précisément la vérité comme une catégorie transhistorique et scande le temps
comme une série d’étapes conduisant vers le progrès (i.d. le progrès
scientifique), l’histoire se décline aisément dans et pour le présent.
À dire vrai, le présentisme se comprend mieux à partir de ce à quoi il
s’oppose, c’est-à-dire l’historicisme. Sous cette forme, ce vieux débat
historiographique a été thématisé dans les années 1960 par un historien de
l’anthropologie, George W. Stocking, dans un texte désormais classique : “ On
the limits of presentism and historicism in the historiography of the behavioral
sciences ”1. Depuis sa parution en 1965, les termes de la problématique sont20 familiers ; par ailleurs la solution suggérée par Stocking continue à faire l’objet
de controverses2. Le présentisme constitue toujours une référence même sous la
forme de la stigmatisation. Il n’est donc pas inutile de résumer ici rapidement
les positions du problème.
“ Présentisme ” et “ historicisme ” renvoient à deux démarches antagoniques
à la fois par les stratégies de recherches et par les modes d’intelligibilité
qu’elles mettent en jeu. D’un côté, le présentisme assujettit le passé au présent :
1. Le texte a paru d’abord dans le Journal of the Behavioral Sciences, 1, 1965, N° 3, pp. 211-219 ; il
a été repris dans George W. Jr Stocking, Race, Culture and Evolution : Essays in the History of
Anthropology. New York, The Free Press, 1968.
2. Cf. Maria Beatrice Di Brizio, “ “Présentisme” et “Historicisme” dans l’historiographie de G.W.
Stocking ”, Gradhiva, 1995, N° 18, pp. 77-89. Voir aussi Yves Winkin, “ George W. Stocking, Jr et
l’histoire de l’anthropologie ”, Actes de la recherche en sciences scoiales, 1986, N° 64, pp. 81-84.
c’est en fonction des problématiques et des acquis actuels de la science que le
passé doit être réévalué. Anachronique et normative, cette démarche
décontextualise son objet et linéarise les processus historiques. À l’inverse,30 l’“ historicisme ” s’efforce précisément de prendre en compte la complexité des
contextes et des processus historiques, historicise les enjeux, met l’accent sur la
compréhension. Or cette opposition, même enrichie d’autres arguments, est loin
de résoudre tous les problèmes et apparaît comme une approximation grossière
et peu vraisemblable de la “ réalité ” de la recherche. Replacée dans son
contexte d’énonciation, cette dichotomie servait à désigner deux groupes de
chercheurs, les praticiens et les historiens, et à légitimer une certaine forme de
professionnalisation de l’histoire des sciences sociales et à déterminer le choix
possible entre une histoire “ intéressée ” et une histoire “ intéressante ”.
Cependant, on aurait tort de voir dans chaque praticien qui se fait historien de sa40 discipline un présentiste “ naïf ”, ou, à l’inverse, dans chaque historien, un
“ historiciste obtus ” ignorant des enjeux disciplinaires. Stocking avait bien
compris la difficulté, adoptant d’ailleurs une position intermédiaire. Refusant de
sacrifier le développement scientifique sur l’autel de la critique du progrès,
conscient aussi de l’impossibilité pour l’historien de s’extraire complètement de
son présent, il propose le parti d’un “ présentisme éclairé ” qui s’efforce de
concilier des motivations “ présentistes ” avec une stratégie de recherche
“ historiciste ”3 : Stocking admet en particulier que “ la recherche historique
doit permettre une meilleure compréhension des problématiques actuelles des
sciences sociales, ainsi qu’elle doit enrichir l’activité théorique des50 professionnels travaillant dans le domaine4 ”. Une autre question pointe dès lors
qui n’est pas seulement celle de l’intéressement et de l’intéressant ; elle est
soucieuse de distinguer dans l’histoire même ce qui relève d’un “ intérêt
purement historique ” de ce qui est “ réellement historiquement significatif ”.
Cette problématique rejoint celle posée par Bachelard lorsqu’il s’efforçait de ne
pas confondre story et history de la science, “ histoire sanctionnée ” et histoire
3. Ce faisant, Stocking s’installait, comme le lui reprocha Yves Winkin, “ dans le rôle de l’arbitre,
du sage, du savant dominant la mêlée : il n’est ni historien, ni anthropologue, il est est au-dessus des
uns et des autres. Il est la référence canonique en histoire de l’anthropologie ”, Yves Winkin, “
George W. Stocking, Jr et l’histoire de l’anthropologie ”, Actes de la recherche en sciences sociales,
1986, 64, p. 82.
4. M.B. Di Brizio, art. cité, p. 80.
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comprise5. L’enjeu de l’histoire des sciences c’est, écrivait Bachelard,
“ l’efficacité actuelle de cette histoire dans la culture scientifique ”6. L’histoire
“ intéressante ” du point de vue du savant c’est une histoire jugée “ qui se doit
de distinguer l’erreur de la vérité, l’inerte et l’actif, le nuisible et le fécond7 ”. Et
c’est bien ce que suggèrent les deux notions récemment conceptualisées par
Stocking : le “ purement historique ” se distingue de l’“ historiquement
significatif ” précisément par la sanction d’une histoire soucieuse de ne retenir
que ce qui a un intérêt constant à être connu théoriquement, à être élucidé
épistémologiquement, à être enfin incorporé dans un corps de concepts
spécialisés, comme l’écrivait encore Bachelard. Le clivage n’est plus celui des10 usages spécifiques du passé, mais celui qui distingue les notions ou les
problématiques capables d’échapper au passé, de transcender leur contexte
d’énonciation pour être toujours réactualisées dans des schèmes et des contextes
nouveaux.
Toutefois, en déplaçant la question du chercheur à l’objet, Stocking
réintroduit en même temps le point de vue normatif et évaluatif sur la science
elle-même qu’il avait précisément voulu contourner dans ses premiers textes.
La question qui est ainsi soulevée est bien celle de la continuité, de la durée,
voire de la pérennité des phénomènes scientifiques. À l’évidence, à cette
question souscrit autant l’historien que le praticien. Car “ la raison à des thèmes20 de fidélités. Elle distingue fort bien les notions qui engagent un avenir de
pensée, les notions qui sont des gages d’avenir pour la culture8 ”. Aussi bien, les
critères qui permettent précisément de distinguer ce qui est “ historiquement
significatif ” permettent également de décider de ce qui dans le passé reste
“ positif ” et continue d’agir dans le présent. C’est précisément cette part
d’héritage positif d’un “ passé actuel ”, selon l’expression de Bachelard, qui
continue d’agir dans le présent et qui constitue pour le praticien son intérêt pour
le passé. En tout cas, il s’agit bien d’une “ question de liaison historique ” (op.
5. Gaston Bachelard, L'activité rationnaliste de la physique contemporaine. Paris, PUF, 1951. Voir
en particulier le premier chapitre.
6. Ibidem, p. 24.
7. Ibidem, p. 26.
8. Ibidem, p. 26.
cit., p. 26) mais elle n’est pas nécessairement la même pour le praticien et pour
l’historien.30 C’est précisément cette question de liaison que je voudrais maintenant tenter
de décliner en introduisant deux notions nouvelles : la tradition, d’abord, puis la
mémoire.
Tradition et histoire des sciences sociales
En évoquant ici la notion de tradition, je n’ai pas l’intention de réduire et
d’opposer tradition et modernité, ni même de réduire une partie des sciences
sociales à un état archaïque voire à un passé immémorial. C’est dans une
perspective différente que je voudrais introduire ici la notion de tradition,
comme une manière de penser l’historicité sans pour autant l’enfermer dans le40 seul trajet linéaire et univoque qui chemine du passé au présent. Car,
aujourd’hui, en nous inspirant des travaux des anthropologues, il faut considérer
la tradition comme un “ point de vue ” que les hommes d’aujourd’hui
développent sur ce qui les a précédés9. Cette perspective inverse le rapport de la
tradition et du présent, en faisant du présent le point de départ d’une tradition
dont nous n’héritons pas passivement mais que nous construisons. En d’autres
termes, “ nous choisissons ce par quoi nous nous déclarons déterminés, nous
nous présentons comme les continuateurs de ceux dont nous avons fait nos
prédécesseurs10 ”.
Or, comme le fait remarquer judicieusement Lenclud, cette inversion de50 perspective n’est pas seulement inversion de sens, elle est aussi fonctionnelle.
Car la tradition est un “ dispositif ” qui fournit à une culture une caution de son
état contemporain. “ Sa tradition, ce sont ses références, ses états de service, ses
témoins de moralité ; son héritage […]11 ”. Elle offre par ailleurs à ceux qui s’en
9. L’expression est de Jean Pouillon, elle est citée dans Gérard Lenclud, “Qu’est-ce que la
tradition?”, in: Transcrire les mythologies. Tradition, écriture, historicité, sous la dir. de Marcel
Detienne, Paris, Albin Michel, 1996, p. 33. Voir aussi de ce dernier, “ La tradition n’est plus ce
qu’elle était… Sur les notions de tradition et de société tradtionnelle en ethnologie ”, Terrains,
octobre, 1987, 9, pp. 110-123.
10. Ibidem, p. 118.
11. Ibidem, p. 119
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réclament, l’énoncent, ou la reproduisent, un moyen d’affirmer leur différence
et d’asseoir leur autorité. Or ces éléments, nul n’est besoin d’aller les chercher
dans les “ sociétés traditionnelles ”, car l’univers savant en regorge.
Un exemple emprunté à l’histoire de la sociologie me paraît suffisamment
significatif de l’invention d’une tradition. Il s’agit de l’ouvrage que le
sociologue américain Nisbet a consacré à la Tradition sociologique, déclinée ici
au singulier12. Nisbet n’avait aucunement l’intention de rédiger une histoire de
la sociologie, il souhaitait à l’inverse décrire le contenu de la tradition
sociologique organisé autour de cinq concepts fondamentaux. “ Toute tradition10 intellectuelle, écrit-il, s’organise autour d’un noyau d’idées centrales grâce
auxquelles elle se perpétue de générations en générations tout en se distinguant
de toutes les autres disciplines consacrées à l’étude de l’homme, qu’elles soient
humanistes ou scientifiques13. ” L’auteur ne réduit pas la sociologie à ces
éléments mais, à ses yeux, ils ont été constitutifs de la cohérence et de la
continuité de la discipline depuis le premier tiers du XIXe siècle. C’est à une
conception particulière de l’histoire des idées, celle de Lovejoy, qui oppose une
histoire des systèmes de pensée à la pensée des penseurs, que se référait Nisbet.
En sélectionnant ainsi des “ idées élémentaires ” constitutives du système de
pensée sociologique, Nisbet donnait à lire sa propre conception de la20 “ tradition ”, définie par quatre caractéristiques : la généralité, qui rattache les
idées à une époque plutôt qu’à un penseur particulier ; leur durabilité, qui les
fait traverser les générations ; leur caractère distinctif ; leur statut intellectuel de
concept élémentaire au sens de structure élémentaire.
La construction rétrospective de Nisbet sanctionne un “ âge d’or de la
sociologie ”, celui précisément où la pensée sociologique s’est construite sur les
ruines des sociétés traditionnelles ; pourtant elle n’a pas valeur mémoriale
puisqu’elle ne retient du passé que les concepts qui agissent toujours sur le
présent. Ici à l’évidence la tradition n’est pas une histoire, elle n’est ni une
histoire des idées, ni même une Begriffsgeschichte, elle est construction30
12. Cf. Robert A. Nisbet, La tradition sociologique, Paris, PUF, 1984. L’édition anglaise parue sous
le titre The Sociological Tradition date de 1966.
13. Ibidem, p. 9.
intellectuelle qui s’alimente de sa propre logique – celle de concepts antonymes
– , qui lui assure sa pérennité.
Ignorant totalement l’essai de Nisbet, un autre sociologue américain a repris
récemment la notion de tradition sociologique, en lui conférant une plus grande
extension. Il s’agit de Randall Collins, qui a cherché à isoler et à opposer dans
un premier temps trois traditions sociologiques auxquelles il a ajouté plus
récemment une quatrième14. L’argument n’est pas différent de celui de Nisbet
puisqu’il s’agit ici aussi de montrer les progrès de la sociologie et son
enracinement dans la pensée d’auteurs classiques. La sociologie contemporaine,
selon Collins, est caractérisée par un nombre limité de traditions antagoniques40 et concurrentes15. Le contenu de chacune de ces traditions importe moins pour
mon propos que la signification de leur mise en forme16. Ici, comme chez
Nisbet, la tradition, qu’elle soit déclinée au singulier ou au pluriel, constitue un
principe d’identification mais aussi de sélection et de classement des concepts
et des théories sociologiques. Rapportée à des auteurs et à des textes, elle
désigne et définit avant tout des “ traditions intellectuelles ”. Collins d’ailleurs
reconnaît non sans ironie que l’ensemble des traditions qu’il a repérées et
isolées ne pourraient constituer qu’une série de “ fictions conventionnelles ”,
des manières de décrire une histoire de la sociologie dans un continuum et sous
l’angle du progrès scientifique. L’addition d’une quatrième tradition (tradition50 utilitariste/rationnelle) qui n’est pas ajoutée à la suite des trois autres mais qui
s’insère pour prendre la seconde place constitue à cet égard une forme d’aveu.
Car, érigée en tradition autonome, elle n’est pourtant pas la plus récente,
puisqu’elle a puisé sa source aux écrits de Locke voir même au-delà. Son
inscription comme tradition constitue à la fois une consécration et la
reconnaissance d’un état de fait présent qui trouve dans un passé reconstitué sa
généalogie spécifique.
14. Cf. Randall Collins, Four Sociological Traditions. Revised and expanded edition of Three
Sociological Traditions, New York Oxford, Oxford UP, 1994 (1985) .
15. La perspective est donc plus riche que celle de Nisbet qui réduisait l’histoire de la sociologie à un
antagonisme entre deux traditions opposées. L’une issue de Tocqueville, l’autre de Marx et du
socialisme.
16. Collins distingue 1) la tradition du conflit ; 2) la tradition utilitariste/ rationnelle ; 3) la tradition
durkheimienne ; 4) la tradition microinteractionniste.
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