ainsi, qu’elle ait eu en elle autre chose que des vices. Elle a eu, pour conduire ses
affaires, de grands empereurs, des hommes d’Étal illustres, des diplomates
habiles, des généraux victorieux ; et par eux, elle a accompli une grande oeuvre
dans le monde. Elle a été, avant les croisades, le champion de la chrétienté en
Orient contre les infidèles et, par sa valeur militaire, à plusieurs reprises elle a
sauvé l’Europe. Elle a été, en face de la barbarie, le centre d’une civilisation
admirable, la plus raffinée, la plus élégante qu’ait longtemps connue le moyen
âge. Elle a été l’éducatrice de l’Orient slave et asiatique, dont les peuples lui
doivent leur religion, leur langue littéraire, leur art, leur gouvernement ; son
influence toute-puissante s’est étendue jusque sur l’Occident, qui a reçu d’elle
des bienfaits intellectuels et artistiques inappréciables. C’est d’elle que procèdent
tous les peuples qui habitent aujourd’hui l’Orient de l’Europe, et la Grèce
moderne, en particulier, doit bien davantage à Byzance chrétienne qu’à l’Athènes
de Périclès et de Phidias.
C’est par tout cela, par ce qu’elle fit dans le passé autant que par ce qu’elle a
préparé pour l’avenir, que Byzance mérite encore l’attention et l’intérêt. Si
lointaine que semble son histoire, si mal connue qu’elle soit de beaucoup de
gens, ce n’est point une histoire morte et digne d’oubli. Ducange le savait bien
lorsque, au milieu du XVIe siècle, par ses éditions des historiens byzantins, par
les savants commentaires dont il les accompagnait, par tant de travaux
admirables, il posait les bases de l’histoire scientifique de Byzance et ouvrait,
dans ce domaine encore inexploré, de larges et lumineuses percées. Depuis
cinquante ans, au pays de Ducange, la tradition s’est renouée des études dont il
fut le fondateur ; et sans méconnaître ce qui s’est fait ailleurs, en Russie et en
Grèce, en Angleterre et en Allemagne, peut-être pourtant est-il permis de dire
que, si les recherches d’histoire byzantine ont reconquis droit de cité dans le
monde scientifique, c’est à la France qu’elles le doivent essentiellement.
On m’a demandé, avec une obligeante insistance, d’écrire un livre — qui, chez
nous, manquait encore, — un manuel, sommaire et condensé, de l’histoire
byzantine. Il ne m’a point semblé que ce fût là une tâche inutile. J’ai tenté
récemment, dans un autre volume qui vient de paraître, de présenter le tableau
synthétique de ce que fut Byzance, d’expliquer les causes profondes de sa
grandeur et de sa décadence, de montrer les services éminents qu’a rendus sa
civilisation1. Le petit livre que voici offrira au lecteur un exposé plus analytique
de l’histoire millénaire de l’empire byzantin. Je me suis efforcé d’y mettre en
lumière les idées maîtresses qui dominent l’évolution de cette histoire, de
présenter les faits essentiels moins en m’astreignant au minutieux détail
chronologique qu’en les groupant en assez larges périodes, plus compréhensives
et qui rendront mieux compte peut-être du sens et de la portée des événements.
Les tables placées à la fin du volume permettront aisément au lecteur de
retrouver la concordance chronologique des faits les plus importants. Mais il m’a
paru que je ferais œuvre plus utile, pour tous ceux qui souhaitent prendre une
connaissance générale de ce monde disparu, en marquant dans ce livre, sans
rien omettre de la précision des détails nécessaire, les grandes lignes, les traits
caractéristiques et les idées directrices de l’histoire et de la civilisation de
Byzance.
1 Ch. Diehl, Byzance, Grandeur et Décadence (dans la Bibliothèque de philosophie scientifique, dirigée par le Dr
G. Le Bon). 1 vol., Flammarion, 1919.