ÉCOLE NATIONALE VÉTÉRINAIRE D’ALFORT Année 2010 LA MALADIE HÉMORRAGIQUE ÉPIZOOTIQUE DES CERVIDÉS, MALADIE ÉMERGENTE CHEZ LES BOVINS ? THÈSE Pour le DOCTORAT VÉTÉRINAIRE Présentée et soutenue publiquement devant LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE CRÉTEIL Le par Thomas VAUZELLE Né le 1er octobre 1984 à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine) JURY Président : Pr. Professeur à la Faculté de Médecine de CRÉTEIL Membres Directeur : Dr. MILLEMANN Yves Maître de conférences à l’École Nationale Vétérinaire d’Alfort Assesseur : Pr. DUFOUR Barbara Professeur à l’École Nationale Vétérinaire d’Alfort REMERCIEMENTS Au Professeur de la faculté de Médecine de Créteil, Qui nous a fait l’honneur d’accepter la présidence de notre jury de thèse. Hommage respectueux. A Monsieur le Docteur Yves Millemann, Maître de conférences à l’Ecole Nationale Vétérinaire d’Alfort Pour son soutien sans faille, sa disponibilité, sa compréhension et son humour. Qu’il trouve ici le témoignage de toute ma reconnaissance et de toute ma gratitude. A Madame le Professeur Barbara Dufour, Professeur à l’Ecole Nationale Vétérinaire d’Alfort Pour son aide, ses précieux conseils et son regard avisé en toutes circonstances. Sincères remerciements. A ma mère, parce que sans elle tout aurait été différent. Pour avoir été présente à chaque instant, pour nous avoir poussés, soutenus, encouragés, consolés et pour le faire encore aujourd’hui jour après jour. Puisse-t-il m’être permis un jour de te remercier comme tu le mérites pour tout ce que nous te devons tous les quatre. Papa et toi avez été, êtes encore et resterez pour nous le meilleur des terreaux. De tout mon cœur, merci. Ton fils qui t’aime. A mon père, parce que sans lui je n’aurai peut-être pas été au bout de mon rêve. Merci d’avoir construit avec maman ce foyer qui nous a permis de nous lier à jamais les uns aux autres, et ce malgré des chemins qui aujourd’hui peuvent diverger. Après avoir eu peur de te perdre un instant, je goûte à présent avec bonheur chaque moment passé avec toi. J’aime la relation que nous construisons, tous ces moments passés ensembles… Puissent-ils durer toujours. Merci de tout cœur. Ton fils qui t’aime. Gros bisous à Agnès. A Martin, Lucas et Anna, pour tout ce que nous vivons depuis un certain 18 juin, un certain 29 novembre et un certain 14 juin. Il me semble impossible et insupportable d’imaginer ma vie sans vous trois, sans cette unité dans nos différences, sans ce précieux lien indéfectible qui nous pousse sans cesse à penser les uns aux autres, à s’inquiéter, à rigoler, à s’émouvoir ensembles… A Martin, pour tout ce qu’il est et tout ce qu’il symbolise à mes yeux. Je n’aurais jamais imaginé il y a 23 ans être un jour aussi fier de t’avoir comme petit frère. J’admire avec bonheur ce que tu deviens au fil des années, tes choix, tes projets, tes réussites, tes échecs aussi… J’espère te rendre suffisamment de l’amour et du respect que tu m’inspires. Pour tout ce qu’on a vécu ensembles, pour tout ce que tu as fait pour moi, de tout mon cœur merci. Ton grand frère qui t’aime. A Lucas, pour le petit garçon qu’il a été et pour l’homme qu’il devient. Pour avoir cru en moi beaucoup plus que moi-même, pour ces parties de rigolades, pour ces courses effrénées dans les escaliers du Perreux, pour le petit frère que tu es depuis 20 ans, merci. Tout comme pour Martin, j’aime et j’admire le chemin que tu empruntes, et sache simplement que je serai toujours à tes côtés. Encore merci pour tout ça. Ton grand frère qui t’aime. A Anna, pour le courage dont elle fait preuve depuis 16 ans d’être la petite sœur de trois grands frères. Pour le bonheur que tu nous offres depuis tout ce temps, pour tout ce qu’on partage, pour ce que tu deviens, je te remercie. Puisse notre amour à tous les trois t’accompagner et te soutenir tout au long de ta vie. Gros bisous. Ton grand frère qui t’aime. A Papi et Mamie, pour avoir été les grands-parents dont tout le monde rêve. Comme tout petit-fils qui se respecte, je ne vous ai jamais assez dit et ne vous dirai jamais assez à quel point vous comptez à mes yeux, comme votre amour et votre présence à mes côtés sont importants. Pour avoir toujours été là, pour les cassettes de Brassens et les énigmes de Papi, pour les fous rires et les gâteaux de Mamie, pour tout le reste, du fond du cœur merci. Votre grand petit-fils qui vous aime. A Jacques et Malita, pour tout ce que vous êtes et ce que vous représentez pour moi. A vous non plus je ne dirai jamais assez comme vous comptez pour moi et comme je vous aime. Ces sentiments qui nous animent semblent passer bien au-delà des liens familiaux et se construisent depuis 26 ans maintenant au détour de complicités, de regards, de sourires qui réchauffent le cœur et nourrissent l’esprit. Pour toutes ces raisons et pour tant d’autres encore, merci. Votre petit-fils qui vous aime tant. A Ubac, la barbak, le chien le plus improbable au monde. Pour sa présence silencieuse mais réconfortante et chaleureuse, pour les joies qu’il a partagées avec nous, pour tout ce qu’on lui a fait subir sans jamais ébrécher sa fidélité, merci. A Tatanne, Tatagnès, Philippe et Charles, pour la fierté et le bonheur que j’ai toujours ressentis à être votre neveu. Pour ce formidable esprit de famille dans lequel vous nous avez toujours baignés depuis notre naissance, pour votre présence dans les moments difficiles, pour toutes les vacances, les voyages, les repas, les fous rires, les discussions, pour toute cette vie, un grand merci. A Alexia, Marion, Valentine, Carla, Nicolas et Jules, pour ces quelques années déjà vécues à vos côtés, et pour toutes celles, nombreuses, à venir. J’espère être le plus digne possible des rôles de cousin et de parrain que vos parents m’ont confiés, car vous le méritez. Puisse la vie vous apporter ce que vous désirez et sachez que je serai toujours là pour vous comme je sais que vous êtes là pour moi. Merci. Et merci à Crunch-Crunch, le seul chien au monde issu d’un croisement plutôt réussi entre un labrador et un phoque. A Jean-Phi et Alex, à Alex et Jean-Phi, pour avoir été mes témoins durant toutes ces années d’étude et pour avoir accepté de l’être pour toutes celles à venir. Je vous associe ici en espérant ne pas dissimuler à quel point l’amitié de chacun en particulier est importante à mes yeux. Pour avoir été et être encore aujourd’hui les amis sur qui je sais pouvoir compter, du fond du cœur merci. Et pour tous nos souvenirs à l’école, en soirée, en clinique, au chenil, tous les délires, les stress, les pauses-cafés, les coups de gueule, encore une fois merci. Je vous adore les gars. A Emilie, pour tout ce qu’on lui doit tous, pour tout ce que je te dois. J’ai adoré apprendre à te connaître au fur et à mesure de ces années, à travers le comité, à travers ma relation avec Lucie, à travers le boulot (me supporter deux ans quand même faut le faire !). Tu resteras l’amie qu’on cherche à avoir, et coup de chance moi je l’ai ! Un gros bisou et un grand merci à toi. A Anne, Christophe, Antoine et à toute la belle-famille, pour m’avoir accueilli à bras ouverts. Chaque jour je réalise comme je me sens bien parmi vous. J’espère que nous profiterons des années à venir comme nous avons profité de ces quatre dernières années. Gros bisous à tous et merci pour tout. Une dédicace spéciale à Jacques : j’ai hâte de te connaître un peu mieux. En vrac à Lolotte, Cécile, Barbie, Caro, Sampi, Valou, Thibault, Clara, Claire, Samuel et tous les potes de chouille que j’oublie… Merci pour toutes ces années passées ensembles, qui nous ont vus nous rapprocher pour ne plus nous quitter à la fin de l’école. J’espère avoir encore souvent l’occasion de vous dire tout ça en face, et que vivent les week-ends alforiens. Gros bisous à tous. Au groupe 6, le groupe des saucisses, merci de m’avoir supporté en clinique et d’avoir partagé tous ces moments de galère, de rires et de petits-déjeuners en radio… Une pensée spéciale pour Marie et Julie, pour tout ce qu’on a vécu. J’espère vous revoir souvent. Gros bisous. A mon Ancienne, Coch’, parce que c’est elle la plus merveilleuse des Anciennes, parceque c’est moi le plus chiant des poulots. Merci de m’avoir intégré à cette vie alforienne, de m’avoir fait découvrir ces traditions et cet esprit véto qui t’est si cher. J’espère avoir été digne de toi en les transmettant à tes hypo-poulots. Très gros bisous et j’espère à très vite. Ton poulot : « Glouglouglouglouglou ». A ma môman de clinique, à Paméla, pour m’avoir transmis tant de choses durant ces années alforiennes. Rien n’aurait été pareil sans toi, et je te dois beaucoup de ce que je suis aujourd’hui. J’espère de tout cœur que tout va bien pour toi, et qu’on aura l’occasion de se revoir très vite. Pour tout ce que tu as été pour moi, merci du fond du cœur. Gros bisous. Ton fiston. A mes poulots, Thomas et Yessenia, pour m’avoir enduré comme ancien. Vous avez fait ma fierté dès la première semaine que nous avons passée ensembles, et vous continuez encore. Bon courage pour la suite, et je vous souhaite toute la chance et toue la réussite que vous méritez. Votre ancien pour la vie. Et bien sûr merci à tous nos poulots, les meilleurs poulots qu’on pouvait avoir. A tous les Alforiens quels qu’ils soient, que j’ai pu croiser de près ou de loin et/ou que je croise encore, un grand merci. Ces années d’école ont compté parmi les meilleures qui soient, en grande partie grâce à vous tous. A Mehdi, pour tout ce qu’on a vécu toutes ces années, pour les vacances, les fous rires, les chouilles, le camping à Biarritz… La vie nous a pour le moment éloignés, mais chaque retrouvaille est un plaisir et j’espère qu’on aura vite l’occasion de revivre ce genre de moments. Gros bisous et un grand merci à toi et à tous les gens du squash, aux Serme, aux Renaï, à Dom et à tous les autres. Pleins de souvenirs ensembles, et j’espère plein d’autres à venir. Au Pylône, à Manou, Franck, Emilie, Ariane, Maïwenn, Suzelle, Julie, Guinou, Seb, Anaïs, Clémence, Alex, tous ceux que j’oublie, et bien entendu à Alizée… Pour cette grande famille que j’ai dû quitter à regret pour le boulot, un grand merci. Tous les moments partagés ensembles et avec les enfants ont toujours eu la force et la simplicité qui forgent les meilleurs souvenirs. Gros bisous à tous. Et bien entendu merci à Noël et Martine. A toute la famille argentine, que l’on voit trop peu mais qui est toujours présente au fond de nous. Merci encore de votre accueil et de tout ce que vous avez fait pour nous. J’espère avoir l’occasion de revenir vous voir bientôt. Gros bisous à tout le monde. Aux Castelmeillantais, à Jean-Phi et Bertrand, qui m’ont formé sans trop me déformer. Pour tout ce que vous m’avez appris du métier et pour m’avoir insufflé l’âme du véto berrichon, un grand merci. A toute l’équipe de la clinique de Boussac, Anne, Lucile (et Jérôme), Brigitte et Didier, Charly et Sophie, Nicolas, Valérie, Virginie, Aurélie, Mme Trompat et Béatrice, pour tout ce que vous m’avez appris et tout ce que vous m’avez désappris. Un grand merci pour ces deux belles années auprès de vous. Elles ont été pour moi le tremplin idéal que je cherchais. J’espère vous revoir très vite, et la maison vous sera toujours ouverte. Aux Castrais, pour nous avoir accueillis et fait découvrir votre belle région. Il semble que ce soit du hasard du boulot que naissent certaines amitiés. Merci à tous et à très vite j’espère, dans le Berry ou dans la Somme. Aux vétérinaires de Fumel, à Cécile, pour m’avoir donné le goût de ce métier et de l’ambiance qui l’accompagne. J’espère que tout va bien pour vous. Un grand merci à toute l’équipe. A Sylvie Brunner, qui m’a fait aimer le cheval. Et oui, qu’est-ce que vous croyez ? Un rural peut avoir des origines équines… Je me suis juste rendu compte en chemin qu’une vache c’est beaucoup plus facile à soigner qu’un cheval ! Gros bisous à Sylvie, Hervé, Lucie, Olivia, Johanna et tous les autres. Et merci ! Et à tous ceux que j’oublie, parce qu’il y en a toujours, un grand pardon et un immense merci ! A Lucie, pour l’Amour incommensurable que m’inspirent tes regards. Comment exprimer en quelques mots tout ce que je te dois et tous les sentiments que tu m’inspires ? A vrai dire il me semble que ce soit impossible. Je m’en tiendrai alors à te dire comme tu comptes pour moi, comme chacune de mes décisions depuis quatre ans est guidée par le profond respect, la confiance et l’amour que je te porte. J’aime ce que nous construisons, doucement, progressivement, comme j’aime chaque instant que nous vivons tous les deux, chaque moment de folie, chaque situation angoissante. La vie à tes côtés est celle dont je me nourris, celle dont j’ai besoin, celle qui m’apporte ce sentiment de plénitude que j’aime ressentir dans tes bras. Pour tout ce que je te fais subir et endurer, pour mon caractère, pour mes sautes d’humeur, pour mes discours de prof, pour mes coups durs, mes coups de blues, pour tout ça, merci. Et parce qu’il est encore plus important de pouvoir compter sur la personne qu’on aime dans les moments difficiles, je tiens à te remercier encore et encore. Je ne vais pas m’éterniser plus longtemps sur ce petit je-ne-sais-quoi de magique que je ressens chaque fois que je te regarde, et je conclurai ces remerciements simplement en disant ceci : je t’aime, aussi fort je crois qu’il est possible d’aimer. Je t’embrasse de tout mon cœur. « La trompe du moucheron est plus ingénieuse que celle de l’éléphant. » Œuvres posthumes de Bernardin de Saint-Pierre* « Un moustique ne doit pas tenir, dans la tête d’un naturaliste, plus de place qu’il n’en tient dans la nature. » Histoire naturelle, Premier discours. Buffon* « … Mais ce qui est comique, C’est d’entendre un petit moustique Répéter son arithmétique. » La lanterne magique Maurice Carême* *Merci à Jacques, mon grand-père. TABLE DES MATIÈRES Liste des figures...................................................................................................................... 5 Liste des tableaux................................................................................................................... 7 Introduction ......................................................................................................... 9 QU’EST-CE-QUE L’EHD ?................................................................................... 11 1. LA MALADIE HEMORRAGIQUE EPIZOOTIQUE DES CERVIDES ..................................... 13 1.1. Agent causal .............................................................................................................. 13 1.1.1. Classification et structure ................................................................................... 13 1.1.2. Caractéristiques génétique et sérotypique ........................................................ 14 1.1.2.1. Variabilité sérotypique ..................................................................................... 14 1.1.2.2. Proximité phylogénique avec le virus de la FCO ............................................. 16 1.2. La maladie ................................................................................................................ 18 1.2.1. Pathogénie de l’EHD ........................................................................................... 18 1.2.2. Signes cliniques .................................................................................................... 19 1.2.2.1. Chez les ruminants sauvages ............................................................................ 19 1.2.2.2. Chez les ruminants domestiques....................................................................... 20 1.2.3. Immunité .............................................................................................................. 23 1.2.3.1. Virémie ............................................................................................................. 23 1.2.3.2. Réponse immunitaire ........................................................................................ 23 1.2.3.3. Protection immunitaire ..................................................................................... 24 1.2.4. Autres espèces potentiellement touchées par l’EHD ........................................ 24 2. LES CULICOIDES, VECTEURS DE L’EHD ....................................................................... 26 2.1. Description du vecteur ............................................................................................. 26 2.1.1. Systématique ........................................................................................................ 26 2.1.2. Morphologie ......................................................................................................... 27 2.1.2.1. Stades immatures .............................................................................................. 27 2.1.2.2. Adultes ou Imago.............................................................................................. 28 2.2. Biologie du vecteur ................................................................................................... 29 2.2.1. Cycle évolutif........................................................................................................ 29 2.2.1.1. Déroulement du cycle ....................................................................................... 29 2.2.1.2. Passage de l’hiver ............................................................................................. 31 2.2.2. Repas sanguin des femelles Culicoides .......................................................... 31 2.3. Répartition des Culicoides ....................................................................................... 32 2.3.1. Type de biotopes colonisés .................................................................................. 32 2.3.1.1. Les biotopes sauvages ...................................................................................... 32 2.3.1.2. Des biotopes de plus en plus proches des hommes et de leurs activités........... 32 2.3.2. Répartition géographique ................................................................................... 32 2.3.2.1. Distribution mondiale ....................................................................................... 32 2.3.2.2. Un genre en mouvement ................................................................................... 33 2.4. Les Culicoides, vecteurs de maladies ...................................................................... 34 2.4.1. Mécanismes vectoriels et facteurs de variation ................................................ 34 2.4.1.1. Notions de compétence vectorielle ................................................................... 34 2.4.1.2. Notion de capacité vectorielle .......................................................................... 34 1 2.4.2. Les Culicoides susceptibles de transmettre l’EHD ........................................... 34 2.4.3. Autres maladies d’intérêt ayant les Culicoides comme vecteur ...................... 36 3. L’EPIDEMIOLOGIE DE L’EHD........................................................................................ 36 3.1. Les réservoirs sauvages de l’EHD .......................................................................... 36 3.1.1. Caractéristiques enzootiques du virus ............................................................... 36 3.1.1.1. Les biotopes réservoirs ..................................................................................... 36 3.1.1.2. Immunité et circulation virale dans les populations de ruminants sauvages .... 37 3.1.2. Caractéristiques épidémiologiques des épisodes d’épizootie dans la population sauvage .......................................................................................................... 38 3.1.2.1. Facteurs déclenchants ....................................................................................... 38 3.1.2.2. Exemple d’épizootie chez le cerf à queue blanche de Virginie ........................ 38 3.2. L’EHD chez les ruminants domestiques ................................................................ 40 3.2.1. Elevages à risque ................................................................................................. 40 3.2.2. Caractéristiques épidémiologiques de la maladie chez les ruminants domestiques ...................................................................................................................... 40 3.2.3. Modèle épizootique de la Réunion en 2003 ....................................................... 42 QU’EST-CE QU’UNE MALADIE EMERGENTE ?..................................................... 45 1. DEFINITION D’UNE MALADIE EMERGENTE .................................................................... 47 1.1. Apparition du concept d’émergence ...................................................................... 47 1.2. Evolution et précision de la notion d’émergence en pathologie infectieuse ........ 48 1.2.1. Augmentation de l’incidence de la maladie ...................................................... 48 1.2.2. Les réémergences ................................................................................................. 49 1.2.2.1. Conditions climatologiques .............................................................................. 49 1.2.2.2. Modifications des écosystèmes par l’homme ................................................... 50 1.2.2.3. Relâchement des mesures d’épidémiosurveillance .......................................... 50 1.2.3. Emergence vraie et fausse émergence ............................................................... 51 1.2.3.1. Amélioration des outils d’identification et de dépistage des maladies ............. 51 1.2.3.2. Renforcement des mesures d’épidémiosurveillance......................................... 51 1.2.3.3. Développement de la médiatisation de la maladie ........................................... 51 1.2.4. Relativité épidémiologique de l’émergence ....................................................... 52 1.3. Propositions de définition ........................................................................................ 52 1.3.1. Tentatives successives.......................................................................................... 52 1.3.2. Définitions officielles ........................................................................................... 55 2. ETAPES DE L’EMERGENCE D’UNE MALADIE .................................................................. 55 2.1. La réussite émergentielle ......................................................................................... 55 2.1.1. Apparition du concept de réussite émergentielle.............................................. 55 2.1.2. Un processus en trois étapes ............................................................................... 56 2.1.2.1. Apparition d’un risque émergentiel .................................................................. 56 2.1.2.2. Réussite émergentielle à proprement parler ..................................................... 56 2.1.2.3. Dissémination de la maladie ............................................................................. 56 2.2. Les différentes catégories de maladies dites « émergentes » ................................ 57 2.2.1. Emergences réussies ............................................................................................ 57 2.2.2. Emergences potentielles ...................................................................................... 57 2.2.2.1. Emergences à fort potentiel de réussite ............................................................ 57 2.2.2.2. Emergences à potentiel de réussite limité......................................................... 58 2.2.2.3. Emergences pour le moment non réussies ........................................................ 58 2 3. FACTEURS MIS EN CAUSE DANS L’EMERGENCE D’UNE MALADIE A TRANSMISSION VECTORIELLE ........................................................................................................................ 59 3.1. Facteurs d’apparition d’un risque émergentiel..................................................... 59 3.1.1. Causes relatives à l’agent causal ........................................................................ 59 3.1.1.1. Introduction d’un agent infectieux nouveau pour la région ............................. 59 3.1.1.2. Apparition d’un agent infectieux nouveau pour la science .............................. 60 3.1.1.3. Apparition d’un nouveau variant d’un agent infectieux connu ........................ 60 3.1.1.4. Apparition d’un agent vraisemblablement ancien, mais jusqu’alors inconnu .. 61 3.1.2. Causes relatives au vecteur ................................................................................. 61 3.1.2.1. Introduction d’un vecteur nouveau pour la région ........................................... 61 3.1.2.2. Apparition d’un vecteur aux propriétés nouvelles ............................................ 62 3.1.3. Causes relatives aux hôtes vertébrés ................................................................. 62 3.1.3.1. Introduction d’un hôte réservoir ou amplificateur nouveau pour la région ...... 62 3.1.3.2. Apparition d’hôtes vertébrés aux propriétés nouvelles .................................... 63 3.2. Facteurs impliqués dans la réussite émergentielle ................................................ 63 3.2.1. Modifications de l’environnement bioclimatique ............................................. 63 3.2.1.1. Evènements climatiques ponctuels et paroxystiques ........................................ 63 3.2.1.2. Le réchauffement global et ses conséquences .................................................. 64 3.2.2. Les activités humaines et leurs conséquences écologiques............................... 65 3.2.3. La mondialisation et l’évolution des sociétés .................................................... 66 3.2.4. Le relâchement des mesures de contrôle ........................................................... 66 3.3. Facteurs favorisant la dissémination de la maladie .............................................. 67 L’EHD A-T-ELLE ETE, EST-ELLE, OU RISQUE-T-ELLE DE DEVENIR UNE MALADIE EMERGENTE ?...................................................................................... 69 1. HISTOIRE DE L’EHD ET DE SES EPISODES D’EMERGENCE ............................................ 71 1.1. Découverte de la maladie ......................................................................................... 71 1.1.1. Une maladie enzootique en Amérique du Nord ................................................ 71 1.1.2. Découverte de variants de cette maladie dans différents pays ........................ 71 1.2. Episodes « d’émergences » au cours du XXème siècle.......................................... 72 1.2.1. Epizooties chez les ruminants sauvages............................................................. 72 1.2.2. Quelques épizooties décrites chez les ruminants domestiques ........................ 73 1.3. Accélération du rythme des « émergences » chez les ruminants domestiques au cours de la dernière décennie ...................................................................................... 74 1.3.1. Les épisodes successifs d’émergence .................................................................. 74 1.3.2. Facteurs mis en cause dans ces émergences ...................................................... 75 1.3.3. Mesures de lutte mises en place contre ces épisodes ........................................ 75 2. SITUATION ACTUELLE DE L’EHD .................................................................................. 77 2.1. Répartition géographique de l’EHD ...................................................................... 77 2.1.1. Répartition mondiale .......................................................................................... 77 2.1.2. Autour de l’Europe ............................................................................................. 79 2.2. Une réussite émergentielle pour le moment limitée .............................................. 80 2.3. Les facteurs d’émergence potentiels réunis en Europe occidentale .................... 81 2.3.1. Facteurs liés au virus ........................................................................................... 81 2.3.2. Facteurs liés au vecteur ....................................................................................... 82 2.3.3. Facteurs liés aux hôtes ........................................................................................ 84 3. PERSPECTIVES D’AVENIR ............................................................................................... 85 3.1. Une probabilité importante de réussite émergentielle .......................................... 85 3.1.1. Facteurs potentiels supposés d’arrivée du virus en Europe occidentale ........ 85 3.1.1.1. Par l’hôte........................................................................................................... 85 3 3.1.1.2. Par le vecteur .................................................................................................... 86 3.1.2. Une situation avec précédents : exemple de la FCO ........................................ 87 3.1.3. Conséquences potentielles sur la santé animale et sur l’économie ................. 88 3.2. Les mesures de contrôle et leurs limites ................................................................. 88 3.2.1. Dépistage et diagnostic ........................................................................................ 89 3.2.1.1. Le diagnostic clinique et ses limites ................................................................. 89 3.2.1.2. Dépistage et diagnostic de laboratoire : techniques disponibles et limites ....... 89 3.2.1.2.1 Techniques sérologiques .............................................................................. 89 3.2.1.2.2 Techniques virologiques .............................................................................. 90 3.2.2. Traitement et vaccination ................................................................................... 91 3.2.2.1. Traitement curatif ............................................................................................. 91 3.2.2.2. Vaccination ....................................................................................................... 91 3.2.3. Contrôle possible du vecteur .............................................................................. 92 3.2.4. Mesures épidémiologiques .................................................................................. 93 3.3. Avis de la communauté scientifique et des autorités à l’heure actuelle .............. 95 3.3.1. Avis sur le risque représenté par l’EHD ........................................................... 95 3.3.2. Recommandations de l’EFSA en cas d’apparition d’un foyer ........................ 95 Conclusion .......................................................................................................... 97 Bibliographie...................................................................................................... 99 4 Liste des figures Figure 1 : Représentation en 3D du virus de l’EHD ………………………………..... 13 (MERTENS et al., 2010) Figure 2 : Protéines virales codées par les différents segments d’ARN …………….. 13 (Swiss Institute of Bioinformatics, 2010) Figure 3 : Structure schématique du virus de l’EHD ……………………………....... 14 (Swiss Institute of Bioinformatics, 2010) Figure 4 : Analyse phylogénétique du gène codant pour la protéine NS1 de l’EHD ……………………………………………………………………………………. 15 (WILSON et al., 2009a) Figure 5 : Analyse phylogénétique de la protéine NS1 des virus de la FCO et de l’EHD ……………………………………………………………………………… 16 (WILSON et al., 2009b) Figure 6 : Analyse phylogénétique de la protéine NS3 des virus de la FCO et de l’EHD ……………………………………………………………………………… 17 (WILSON et al., 2009b) Figure 7 : Cerf à queue blanche de Virginie ………………………………………….. 19 (ZIENTARA et al., 2010) Figure 8 : Jetage, salivation et congestion oculaire chez une vache Prim’Holstein en début d’infection par le virus EHD ………………………………………………… 21 (BRUNSCHWIG et al., 2009) (Photo R. Lancelot / B. Malivert, janvier 2009) Figure 9 : Conjonctivite, larmoiement, hypersalivation ……………………………... 21 (Centre National de Veille Zoosanitaire, 2010) (Photo Hammami, 2006) Figure 10 : Œdème de l’auge …………………………………………………………... 21 (Centre National de Veille Zoosanitaire, 2010) (Photo Baccar, 2006) Figure 11 : Congestion conjonctivale d’une vache atteinte d’EHD ………………..... 21 (TEMIZEL et al., 2009) Figure 12 : Erosions et ulcères du mufle, chez une vache Prim’Holstein atteinte d’EHD ………………………………………………………………………………........ 22 (BRUNSCHWIG et al., 2009) (Photo R. Lancelot / B. Malivert, janvier 2009) Figure 13 : Lésions érosives sur les gencives d’une vache atteinte d’EHD ………..... 22 (TEMIZEL et al., 2009) Figure 14 : Congestion des trayons ……………………………………………………. 22 (Centre National de Veille Zoosanitaire, 2010) (Photo Hammami, 2006) Figure 15 : Œdème et ecchymoses du bourrelet coronaire …………………………... 22 (YADIN et al., 2008) Figure 16 : Photo d’une femelle moucheron du Genre Culicoides, en cours de repas sanguin ………………………………………………………………………….....26 (CETRE-SOSSAH et al., 2010) Figure 17 : Représentation d’un Culicoides au stade nymphal ……………………… 27 (WALZER, 2009) Figure 18 : Femelle adulte Culicoides avec les ailes déployées (A) ou les ailes au repos (B) ……………………………………………………………………………….....28 (WALZER, 2009) 5 Figure 19 : Cycle de développement des Culicoides ………………………………….. 30 (BOTNER et al., 2009) Figure 20 : Distribution mondiale de quelques espèces de Culicoides ……………..... 33 (PURSE et al., 2005) Figure 21 : Carte géographique de la Réunion ……………………………………….. 42 (ZIENTARA et al., 2010) Figure 22 : Cumul des nouvelles espèces de pathogènes humains apparues depuis 1980 ……………………………………………………………………………… 47 (WOOLHOUSE, 2006) Figure 23 : Représentation schématique de diverses situations d’évolution de l’incidence de maladies dues à des agents initialement inconnus ……………………. 48 (TOMA et THIRY, 2003) Figure 24 : Déroulement de l’émergence d’une zoonose à partir d’un réservoir sauvage …………………………………………………………………………………... 54 (ARTOIS et al., 2003) Figure 25 : Principaux impacts du changement climatique sur les systèmes vectoriels ………………………………………………………………………………… 64 (RHODAIN et al., 2005, d’après CHAN et al., 1999) Figure 26 : Processus de transmission d’une infection par contact entre diverses populations : un réservoir sauvage (hôte 1), un réservoir domestique (hôte 2 ou 2’) et l’homme (hôte 2 ou 3) ………………………………………………... 65 (ARTOIS et al., 2003) Figure 27 : Répartition mondiale des différents sérotypes connus du virus de l’EHD ………………………………………………………………………………... 78 (BOTNER et al., 2009) Figure 28 : Distribution géographique des épisodes d’épizootie les plus récents (2006-2007) ayant eu lieu dans le bassin méditerranéen ……………………..80 (BOTNER et al., 2009) Figure 29 : Modélisation des zones les plus favorables à la survie hivernale de Culicoides imicola en Europe ……………………………………………………….. 82 (HENDRIKX cité par PERIE, 2003) Figure 30 : Répartition des principales espèces de Culicoides en Europe …………... 83 (PURSE et al., 2005) Figure 31 : Voies possible d’introduction du virus de l’EHD en Europe …………… 85 (BOTNER et al., 2009) Figure 32 : Représentation du risque d’importation d’un animal infecté en Europe et des points de contrôle possible pour l’éviter …………………………... 94 (BOTNER et al., 2009) 6 Liste des tableaux Tableau 1 : Les différents sérotypes de l’EHD ……………………………………….. 15 (BOTNER et al., 2009) Tableau 2 : Durée de la virémie chez 130 bovins sentinelles ……………………….... 23 (GARD et MELVILLE, 1991) Tableau 3 : Espèces animales sensibles à l’EHD ……………………………………... 25 (BOTNER et al., 2009) Tableau 4 : Espèces confirmées/suspectées vectrices de l’EHD ……………………... 35 (BOTNER et al., 2009) Tableau 5 : Prévalence d’anticorps anti-EHDV ou anti-BTV dans la population de Cerfs à queue blanche de différentes zones géographiques du Texas, entre 1991 et 1992 ………………………………………………………………. 37 (STALLKNECHT et al., 1996) Tableau 6 : Formules et paramètres calculés de l’épizootie d’EHD chez les Cerfs à queue blanche en Virginie - 1993 ……………………………………. 39 (GAYDOS et al., 2004) Tableau 7 : Morbidité et mortalité de différentes infections à l’EHDV chez les bovins …………………………………………………………………………... 41 (BOTNER et al., 2009) Tableau 8 : Isolement des différents sérotypes de l’EHDV ………………………….. 72 (BREARD et al., 2004) Tableau 9 : Distribution géographique mondiale de l’EHD …………………………. 77 (BOTNER et al., 2009) Tableau 10 : Distribution géographique de l’EHD dans les régions voisines de l’Europe …………………………………………………………………………………. 79 (BOTNER et al., 2009) Tableau 11 : Pyréthrinoïdes de synthèse disponibles sur le marché pour les bovins ………………………………………………………………………………… 93 (DMV, 2009) 7 8 INTRODUCTION La maladie hémorragique épizootique des cervidés, dénommée « Epizootic hemorrhagic disease » (EHD) par les anglophones, a été découverte en Amérique du Nord en 1955 par Shope et ses collaborateurs. Cette maladie, due à un arbovirus, a été observée et décrite à de nombreuses reprises dans différents pays du monde durant la seconde moitié du 20ème siècle. Elle touchait alors essentiellement les populations de ruminants sauvages (cerfs à queue blanche de Virginie notamment), quelques cas ayant été également observés chez les ruminants domestiques (bovins essentiellement). Depuis le début des années 2000, les épizooties touchant les bovins se sont multipliées, et le secteur géographique occupé par le virus de l’EHD s’est étendu rapidement jusqu’en Afrique du Nord et autour du Bassin Méditerranéen. Cette évolution rapide a conduit l’Organisation mondiale pour la santé animale (anciennement Office International des Epizooties = OIE) à placer cette infection sur sa liste des maladies à risques, en tant que maladie émergente à surveiller. Fort de l’expérience récente des épizooties de fièvre catarrhale ovine (FCO) en Europe et au vu de la progression rapide de l’EHD ces dernières années, il nous a paru intéressant de se questionner sur le caractère émergent de cette maladie dans le monde et sur son risque d’émergence future en Europe. Dans une première partie, nous nous interrogerons donc sur les caractéristiques de la maladie, tant sur le plan étiologique que clinique. Nous décrirons également le système vectoriel de l’EHD, point clé pour comprendre ses propriétés épidémiologiques et son risque d’émergence. Dans une seconde partie, nous tenterons de définir le plus précisément possible les critères permettant de qualifier une maladie d’« émergente », tout en présentant les nombreux facteurs d’émergence reconnus ou suspectés. Enfin dans une troisième partie, nous établirons un bilan de l’évolution de la maladie depuis sa découverte jusqu’à aujourd’hui, d’une part afin de déterminer si elle peut effectivement être qualifiée de « maladie émergente », d’autre part afin d’évaluer les risques de son arrivée en Europe et de présenter les mesures de lutte dont nous disposons à ce jour. 9 10 QU’EST-CE-QUE L’EHD ? 11 12 1. LA MALADIE HEMORRAGIQUE EPIZOOTIQUE DES CERVIDES 1.1. Agent causal 1.1.1. Classification et structure La maladie hémorragique des cervidés (EHD) est une arbovirose due à un virus à ARN de la famille des Reoviridæ et du genre des Orbivirus (Figure 1). Figure 1 : Représentation en 3D du virus de l’EHD (MERTENS et al., 2010) Comme pour tous les Orbivirus, les caractéristiques morphologiques et structurelles du virus de l’EHD (EHDV = EHD Virus) sont très proches de ceux des virus du même genre (Fièvre catarrhale ovine (FCO) : BTV (Bluetongue Virus), Peste équine : AHSV (African Horse Sickness Virus), Encéphalose équine : EEV (Equine Encephalitis Virus)…) (BOTNER et al., 2009). Il s’agit d’un virus nu, à ARN double brin, ayant un génome linéaire de dix segments. Chaque segment code une protéine virale : 7 sont des protéines structurales (VP1 à VP7), et 3 sont des protéines non structurales (NS1 à NS3) (Figure 2) (MECHAM et DEAN, 1988). Figure 2 : Protéines virales codées par les différents segments d’ARN (Swiss Institute of Bioinformatics, 2010) 13 Les protéines structurales de la capside (VP2, VP3, VP5 et VP7) sont organisées suivant une structure icosaédrique, et se répètent géométriquement. Les deux protéines extérieures sont VP2 et VP5, la protéine intermédiaire est VP7, et la protéine interne est VP3. Les protéines VP1, VP4 et VP6 sont réparties sur la surface interne de la capside et sont en liaison directe avec le génome du virus (Figure 3). La position externe de VP2, ses propriétés immunogènes et sa variabilité génétique lors des réplications en font le premier déterminant sérotypique du virus. VP5 joue également ce rôle pour les mêmes raisons, mais dans une plus faible mesure (MERTENS et al., 1989). VP3 et VP7 sont plus stables génétiquement, ce qui a servi de base pour développer des méthodes de diagnostic par ELISA (MECHAM et WILSON, 2004) et par RT-PCR (ANTHONY et al., 2007). Figure 3 : Structure schématique du virus de l’EHD (Swiss Institute of Bioinformatics, 2010) CAPSIDE EXTERNE 50 nm Trimère VP2 Trimère VP5 CAPSIDE INTERMEDIAIRE CAPSIDE INTERNE CAPSIDE INTERMEDIAIRE CAPSIDE INTERNE 1.1.2. Caractéristiques génétique et sérotypique 1.1.2.1. Variabilité sérotypique Comme la plupart des Orbivirus, le virus de l’EHD possède plusieurs sérotypes. Comme nous l’avons précisé plus haut, cette variabilité sérotypique est due en grande partie à la variabilité génétique de VP2, et, de façon plus modérée, à celle de VP5 (MERTENS et al., 1989). Le nombre de sérotypes de l’EHD varie en fonction des auteurs, qui s’accordent à dire qu’il en existe entre huit et dix connus pour le moment. Gorman, en 1991, en comptait au moins dix à travers le monde. Un rapport récent de l’EFSA (European Food Safety Authority) (BOTNER et al., 2009) précise que ce nombre peut être réduit à huit (Tableau 1), car après des études comparatives, certains sérotypes que l’on pensait différents sont en réalité similaires (ANTHONY et al., 2009a ; ANTHONY et al., 2009b). 14 Tableau 1 : Les différents sérotypes de l’EHD (BOTNER et al., 2009) Dans une étude récente, Allison a également découvert la possibilité de réassortiments de segments génomiques entre différents sérotypes de l’EHD (ALLISON et al., 2010). Ces réassortiments peuvent alors conduire à l’apparition de nouveaux variants du virus, lui permettant ainsi de contourner les éventuelles barrières immunitaires dirigées contre les sérotypes originels. Pour ce qui est d’un éventuel réassortiment entre les virus de l’EHD et de la FCO, il n’a jamais été observé et les conditions de co-infection qui seraient nécessaires ne sont quasiment jamais réunies. L’étude phylogénétique des protéines des différents sérotypes montre une étroite proximité génétique entre certains sérotypes (EHDV-1 et EHDV-2 par exemple), mais une certaine distance entre d’autres (EHDV-3 et EHDV-8) (Figure 4). Cette proximité explique la possibilité de réactions croisées entre les différents sérotypes lors de diagnostics de laboratoire par recherche d’antigènes ou par recherche d’anticorps spécifiques dirigés contre des antigènes similaires. Figure 4 : Analyse phylogénétique du gène codant la protéine NS1 de l’EHD (WILSON et al., 2009a) Les chiffres au niveau des nœuds indiquent le pourcentage de similarité entre les séquences génétiques issues des différents sérotypes. 15 Il est également intéressant de noter qu’il existe des variations génétiques au sein même des différents sérotypes, même sur les protéines VP5 et VP2 (responsables de la spécificité sérotypique). Ces variations génétiques ne sont toutefois pas suffisantes pour que le sérotype correspondant change, et ce sont bien les caractéristiques moléculaires et sérologiques qui déterminent les différents sérotypes (ANTHONY et al., 2009a). 1.1.2.2. Proximité phylogénique avec le virus de la FCO Le virus responsable de la fièvre catarrhale ovine (BTV) et celui responsable de la maladie hémorragique des cervidés (EHDV) sont tous deux des Orbivirus à ARN, de la famille des Reoviridæ, responsables d’arboviroses (ARADAIB et al., 2003). Ces deux virus sont extrêmement proches, depuis leurs structures, jusque, comme nous le verrons plus tard, dans leurs expressions cliniques et leurs caractéristiques épidémiologiques. Des études phylogénétiques comparées de différentes protéines de ces deux virus ont permis d’expliquer cette proximité et ces similitudes par la proximité séquentielle de leurs génomes (Figures 5 et 6) (WILSON et al., 2009b). Figure 5 : Analyse phylogénétique de la protéine NS1 des virus de la FCO et de l’EHD (WILSON et al., 2009b) Les chiffres au niveau des nœuds indiquent le pourcentage de similarité entre les séquences génétiques issues des différents sérotypes. 16 Figure 6 : Analyse phylogénétique de la protéine NS3 des virus de la FCO et de l’EHD (WILSON et al., 2009b) Les chiffres au niveau des nœuds indiquent le pourcentage de similarité entre les séquences génétiques issues des différents sérotypes. Comme nous le constaterons par la suite, cette ressemblance est à l’origine de réelles difficultés rencontrées lorsqu’il s’agit de faire le diagnostic différentiel de ces maladies, et ce aussi bien pour le diagnostic clinique que pour le diagnostic de laboratoire (STALLKNECHT et al., 1991). 17 1.2. La maladie 1.2.1. Pathogénie de l’EHD La pathogénie du virus de l’EHD (EHDV) est la même que celle du virus de la FCO (BTV). Après une inoculation sous-cutanée ou intraveineuse, une phase de réplication initiale se produit dans les cellules endothéliales des vaisseaux lymphatiques, ainsi que dans les nœuds lymphatiques qui drainent le site de l’infection (SOHN et YUILL, 1991). Le virus est alors disséminé jusqu’aux sites secondaires de réplication, tels que les autres nœuds lymphatiques et la rate. S’en suit une première phase de virémie, caractérisée par une quantité assez faible de virus dans le sang. Le virus atteint ensuite les cellules des organes-cibles, centres principaux de la réplication virale. Celle-ci a lieu dans les cellules endothéliales des organes de réplication (qui varient en fonction des espèces touchées), elle est responsable d’une nécrose des endothéliums, d’une augmentation de la perméabilité des épithéliums vasculaires puis de l’apparition de thrombi (menant à des infarcissements vasculaires) entraînant la plupart des signes cliniques observés (MACLACHLAN et al., 2009). La lyse cellulaire dans les organes cibles qui résulte des effets du virus entraîne une seconde phase de virémie, plus longue que la précédente, et avec une charge virale plus importante. Pendant les phases de virémie, en particulier lors de la deuxième, le virus est très étroitement lié avec l’endothélium de certaines cellules du sang, en particulier des érythrocytes, dans lesquels il présente le titre le plus élevé pendant la plus longue période (GIBBS et LAWMAN, 1977 ; ARADAIB et al., 1997). Ce mécanisme lui permet de coexister avec des anticorps neutralisants spécifiques pendant plusieurs semaines. Ainsi, les taux de virus plasmatique sont relativement faibles, alors que la quantité de virus liés aux cellules est importante et proportionnelle à chaque type de cellules présentes dans le sang. Les cellules matures circulantes semblent plus réceptives à une liaison avec l’EHDV que les précurseurs présents dans la moelle osseuse. La liaison étroite entre le virus et les cellules sanguines, par enclavement du virus infectieux dans les évaginations de la membrane plasmique (donc sans réplication virale), est responsable de la contamination du vecteur lors de son repas sanguin. Le virus persiste dans l’insecte durant toute la vie de celui-ci. Il se multiplie dans ses glandes salivaires et est excrété dans la salive, rendant ainsi possible la contamination d’un nouvel individu (MACLACHLAN et al., 2009). Une étude a également montré la capacité du virus à être excrété par voie orale et fécale chez des cerfs infectés expérimentalement. Ce mode de transmission n’a toutefois jamais été prouvé dans les conditions naturelles, et reste anecdotique (GAYDOS et al., 2002a). La pathogénie particulière de ce virus sur les organes-cibles de réplication permet d’expliquer les signes cliniques observés chez les ruminants. 18 1.2.2. Signes cliniques Ils apparaissent généralement après une incubation de 4 à 10 jours, et sont très différents selon que l’on considère les ruminants sauvages ou les ruminants domestiques (GANIERE et al., 2006). 1.2.2.1. Chez les ruminants sauvages Chez les ruminants sauvages, l’EHD a été principalement observée dans les populations de cervidés, en particulier le cerf à queue blanche de Virginie (Odocoileus Virginianus) (Figure 7), ainsi que dans les populations de mouflons d’Amérique du Nord. Figure 7 : Cerf à queue blanche de Virginie (ZIENTARA et al., 2010) La maladie revêt une forme clinique très particulière et différente de celle rencontrée classiquement chez les bovins. Le terme de « Maladie Hémorragique » vient d’ailleurs de l’observation des signes cliniques chez les cervidés, en particulier chez le cerf à queue blanche de Virginie. Trois formes cliniques d’EHD ont été décrites chez cette espèce, à savoir une forme suraiguë, une forme aiguë et une forme chronique. - La forme suraiguë est caractérisée par une forte fièvre, de l’anorexie, une faiblesse généralisée, une détresse respiratoire, et un œdème sévère et rapide de la tête et du cou. Des gonflements de la langue et des conjonctives oculaires sont également fréquents. Chez les animaux morts, on trouve régulièrement une diathèse hémorragique avec diarrhée sanguinolente et/ou hématurie, ainsi qu’une forte déshydratation. Les cerfs atteints de forme suraiguë meurent généralement rapidement, entre 8 et 36 heures, parfois même sans signe clinique visible. - La forme aiguë (ou forme classique) rassemble les mêmes signes que la forme suraiguë, mais ceux-ci peuvent être accompagnés également d’hémorragies dans de nombreux tissus, y compris la peau, le cœur et les intestins. Une hyperhémie des conjonctives et des muqueuses de la cavité orale est souvent observée, entraînant une salivation excessive et des écoulements oculaires et nasaux importants, parfois teintés de sang. Les individus touchés par la forme aiguë peuvent développer des ulcères et des érosions de la langue, des gencives, du palais, du rumen et de la 19 - La forme chronique rend les cerfs malades pendant plusieurs semaines. Cependant, ceux-ci finissent par guérir progressivement. Après la guérison et à cause de l’interruption de croissance provoquée par la maladie, l’animal peut développer des fêlures dans les sabots et devenir boiteux. Dans certains cas, la paroi des sabots peut se briser et l’animal se retrouver sur les genoux, voire sur le poitrail. Dans la forme chronique, les cerfs peuvent également développer des ulcères, des cicatrices et des érosions dans le rumen. L’examen histopathologique des individus atteints de cette forme révèle généralement des vasculites avec thromboses, un œdème des endothéliums vasculaires, des hémorragies, une dégénérescence tissulaire, et une nécrose dans de nombreux organes tels que la langue, les glandes salivaires, les parois des pré-estomacs, l’aorte et le muscle papillaire du ventricule gauche du myocarde. Chez le mouflon d’Amérique, l’étude nécropsique révèle un œdème sous-cutané étendu, la présence d’un liquide jaune dans les sacs thoracique et péricardique, des écoulements nasaux et du sang autour de l’anus. Des hémorragies multifocales dans l’épicarde et dans le muscle papillaire du ventricule gauche ont également été rapportées. On retrouve aussi des hémorragies sur la conjonctive oculaire et sur les surfaces séreuses du rumen et des intestins. Des plaques grisâtres éparses sur la muqueuse vésicale ont été décrites. Des pétéchies microscopiques étaient constamment présentes dans différents organes : myocarde, épicarde, musculeuse et sous-muqueuse du rumen… (BOTNER et al., 2009) A l’heure actuelle, il n’existe pas de données dans la littérature concernant la possible sensibilité d’une espèce européenne de ruminants sauvages. 1.2.2.2. Chez les ruminants domestiques A la différence des ruminants sauvages, les signes cliniques observés chez les ruminants domestiques sont généralement moins importants, et le taux de mortalité est beaucoup moins élevé. Les premiers cas décrits chez les bovins étaient dus au virus Ibaraki, découvert au Japon en 1959 (OMORI et al., 1969 ; INABA, 1975), lequel s’est avéré par la suite être assez proche de l’EHDV sérotype 2 (SUGIYAMA et al., 1989). La maladie que ce virus provoque est caractérisée par de la fièvre, une anorexie et des difficultés à avaler, qui peuvent conduire à une déshydratation et à une émaciation. Cela se traduit par un jetage et une salivation importants (Figure 8). Les difficultés à avaler s’expliquent par des lésions des muscles striés du pharynx, du larynx, de l’œsophage et de la langue. La pneumonie causée par une fausse déglutition est souvent la cause de la mort. Dans cette forme clinique, on peut également observer une congestion de la tête (Figure 9), des œdèmes (Figures 10 et 11), des hémorragies, des érosions et des ulcérations dans la cavité buccale (Figures 12 et 13), sur les lèvres et autour des bourrelets coronaires (Figure 15). Les animaux sont raides, boiteux, et leur peau peut être plus fine et œdémateuse (figure 14). Des avortements, des malformations fœtales et des mises-bas prématurées ont été observées en 1997, lors de nouvelles épidémies au Japon (OHASHI et al., 1999). Les lésions découvertes à l’histologie sont caractérisées par des dégénérescences hyalines, des nécroses et une minéralisation des muscles striés, accompagnées d’infiltrations de neutrophiles, de lymphocytes et d’histiocytes. 20 Œdèmes et congestions de la tête, augmentation des sécrétions Figure 8 : Jetage, salivation et congestion oculaire chez une vache Prim’Holstein en début d’infection par le virus EHD (BRUNSCHWIG et al., 2009) (Photo R. Lancelot / B. Malivert, janvier 2009) Figure 9 : Conjonctivite, larmoiement, hypersalivation (Centre National de Veille Zoosanitaire, 2010) (Photo Hammami, 2006) Figure 11 : Congestion conjonctivale d’une vache atteinte d’EHD (TEMIZEL et al., 2009) Figure 10 : Œdème de l’auge (Centre National de Veille Zoosanitaire, 2010) (Photo Baccar, 2006) 21 Lésions du mufle Figure 12 : Erosions et ulcères du mufle, chez une vache Prim’Holstein atteinte d’EHD (BRUNSCHWIG et al., 2009) (Photo R. Lancelot / B. Malivert, janvier 2009) Figure 13 : Lésions érosives sur les gencives d’une vache atteinte d’EHD (TEMIZEL et al., 2009) Lésions de la mamelle et des pattes Figure 14 : Congestion des trayons (Centre National de Veille Zoosanitaire, 2010) (Photo Hammami, 2006) Figure 15 : Œdème et ecchymoses du bourrelet coronaire (YADIN et al., 2008) Au Japon comme dans le bassin méditerranéen, tous les cas rapportés touchaient les bovins et semblaient épargner les autres espèces de ruminants domestiques. Quel que soit le sérotype mis en cause, les signes cliniques étaient chaque fois similaires, et accompagnés de fortes pertes de production (laitière notamment). 22 En Amérique du Nord enfin, zone d’enzootie dans la population sauvage, le virus de l’EHD est capable de provoquer des virémies chez les bovins et chez les ovins, mais généralement sans expression clinique (THOMPSON et al., 1988). Seul le sérotype 2 a été retrouvé dans quelques cas cliniques occasionnels chez des bovins (HOUSE et al., 1998). 1.2.3. Immunité 1.2.3.1. Virémie Dans une étude réalisée par infection expérimentale du cerf à queue blanche avec le sérotype 2 de l’EHD, la virémie était détectée chez certains individus à partir du deuxième jour post-infection, et se prolongeait au-delà de 59 jours. A partir du quatrième jour, tous les individus étaient virémiques. Le pic virémique était atteint au sixième jour, et les signes cliniques étaient observés entre le sixième et le quatorzième jour (GAYDOS et al., 2002c). Dans une précédente étude utilisant également le sérotype 2, le délai d’apparition et la durée de la virémie étaient similaires, et le pic virémique était atteint en moyenne entre 4 et 10 jours post-infection (QUIST et al., 1997). Chez les bovins, plusieurs études sur différents sérotypes ont été réalisées. Il en ressort que la virémie est détectable à partir de 8-10 jours environ en fonction des cas, peut durer jusqu’à 50 jours et semble disparaître au-delà de 2 mois (GIBBS et LAWMAN, 1977 ; ARADAIB et al., 1994 ; ABDY et al., 1999), (Tableau 2). Tableau 2 : Durée de la virémie chez 130 bovins sentinelles (GARD et MELVILLE, 1991) Durée de la virémie en semaines (technique d’isolement viral) *Nombre d’animaux virémiques à chaque mesure 1.2.3.2. Réponse immunitaire Selon Quist et al. (1997), les animaux infectés par l’EHDV produiraient en réaction de forts taux d’interféron gamma dès le quatrième jour post-infection, et jusqu’à l’apparition des anticorps (dixième jour post-infection). Cet interféron limiterait la dissémination du virus dans l’organisme, sans influence sur sa durée de persistance. Concernant la réponse à médiation humorale, le virus de l’EHD entraîne une réaction rapide qui prend naissance dans les nœuds lymphatiques drainant la région de l’inoculation. La production d’anticorps neutralisants est détectée dès le dixième jour post-infection (GIBBS et LAWMAN, 1977). Ces anticorps sont majoritairement dirigés contre la protéine de capside VP2, principale responsable de la détermination sérotypique. D’autres, non neutralisants, sont également produits, parfois même plus tôt après l’infection (anticorps dirigés contre la protéine VP7 par exemple, recherchés lors de tests sérologiques). Ces anticorps persistent ensuite dans le sang à des taux élevés pendant environ 3 mois, et resteraient protecteurs pendant plusieurs mois, voire plusieurs années. Cette réponse humorale n’est pas capable d’éliminer complètement le virus de la circulation à cause de l’étroite relation qu’il existe entre celui-ci et les cellules du sang lors de virémie (cf. paragraphe 1.2.1. Pathogénie). 23 Concernant la réponse à médiation cellulaire, elle joue également un rôle important pendant les stades précoces de l’infection, en limitant la réplication virale par lyse des cellules infectées (lymphocytes T cytotoxiques). Cependant, cette réponse trouve ses limites dans les phases tardives, les lymphocytes T pouvant être utilisés par le virus comme site de réplication. Il est intéressant de noter que cette réponse ne semble pas spécifique d’un seul sérotype et permet plus facilement une protection croisée que la réponse humorale. 1.2.3.3. Protection immunitaire Chez les jeunes faons dont les mères ont été infectées par l’EHDV, des anticorps maternels neutralisants sont retrouvés dans le sérum jusqu’à 17 à 18 semaines d’âge. L’immunité passive acquise suite à une primo-infection par un sérotype ne permet pas de prévenir une nouvelle infection par le même sérotype, ni d’empêcher la virémie qui s’en suit. Cependant, elle est capable de la limiter, donc de protéger contre la forme clinique aiguë et sévère de la maladie (GAYDOS et al., 2002c). Ainsi, les épizooties dues au virus Ibaraki au Japon en 1959 ont permis aux bovins de fabriquer des anticorps spécifiques. S’en est suivi une baisse des taux de morbidité et de mortalité observés dans les épisodes d’épizooties qui sont survenus l’année suivante dans les mêmes secteurs géographiques (OMORI et al., 1969). Pour ce qui est de la protection croisée entre deux sérotypes différents, quelques observations et études ont révélé qu’elle était également existante mais limitée. En Amérique du Nord où sévissent les sérotypes 1 et 2, une protection croisée partielle, probablement due à des similarités antigéniques, a été mise en évidence par Gaydos et al. (2002c). Cependant, cette protection partielle n’empêche ni la contamination, ni la virémie. L’existence éventuelle de protections croisées entre d’autres sérotypes, ou même entre les virus de l’EHD et de la FCO, n’est pour le moment pas documentée. Enfin, une étude a révélé l’existence de résistances « innées » de certaines sous-espèces de cerfs à queue blanche vis-à-vis du sérotype 1. Le virus était retrouvé à des taux équivalents chez tous les individus, mais ceux de la sous-espèce résistante ne développaient que peu de signes cliniques, sans gravité (GAYDOS et al., 2002b). Les aspects cliniques qui concernent le diagnostic (diagnostic clinique et de laboratoire), les traitements et la prophylaxie sont volontairement laissés de côté pour le moment. Nous les développerons plus tard comme des mesures de contrôle disponibles contre l’EHD, dans le but d’évaluer les perspectives d’avenir de cette maladie en Europe (3ème partie, chapitre 3.2.). 1.2.4. Autres espèces potentiellement touchées par l’EHD D’autres espèces animales ont été reconnues sensibles à l’EHD, soit par des découvertes cliniques par infection naturelle, soit parce qu’elles ont développé la maladie après inoculation expérimentale du virus : - En Europe, comme sur d’autres continents, on a retrouvé des ovins réceptifs à l’infection par l’EHDV. Cependant, bien qu’une virémie ait été détectée, ils n’ont jamais présenté de signes cliniques (GIBBS et al., 1977 ; THOMPSON et al., 1988 ; TOMORI, 1980). - Le rôle des caprins comme hôte de l’EHDV est encore incertain aujourd’hui. Des anticorps anti-EHDV ont déjà été retrouvés chez des caprins, dans des régions où le virus était présent. Il se peut qu’une faible proportion de ces caprins ait développé une virémie faible, comme le mouton (AL-BUSAIDY et MELLOR, 1991). Une étude de terrain réalisée en Indonésie, utilisant la 24 - Les porcs ne semblent pas sensibles à l’infection par le virus de l’EHD (GIBBS et LAWMAN, 1977). Dans une étude qui portait sur des tests sérologiques, effectués sur des chiens, dans une zone géographique à forte prévalence d’EHD chez le Cerf à queue blanche, aucun des sujets testés n’a été trouvé positif (HOWERTH et al., 1995). - Pour ce qui est des autres espèces, on manque encore considérablement d’informations, tant sur la sensibilité à l’infection par l’EHDV, que sur le rôle épidémiologique de nombre d’espèces de ruminants sauvages et domestiques. Les connaissances actuelles sont réunies dans le Tableau 3 (BOTNER et al., 2009). Tableau 3 : Espèces animales sensibles à l’EHD (BOTNER et al., 2009) Nom latin Nom commun Infection Clinique Sérotype/Détection Référence Bovin Cerf à queue blanche Mouflon d’Amérique Inconnu Cerf mulet Oryx d’Arabie Daguet gris Mouflon canadien Ours noir Inconnu Inconnu Inconnu Cerf élaphe Daim Chevreuil Cerf aboyeur Ovin Caprin Rhinocéros noir Rhinocéros blanc Inconnu Inconnu *Sérums testés par AGID : réactions croisées possibles avec anticorps anti-BTV. Infection : Naturelle (Nat) ou Expérimentale (Exp). Détection : Sérologie (Serol) ou Isolement Viral (V1). 25 L’EHDV apparaît comme un virus dont les caractéristiques sont déjà bien connues, tant sur le plan de ses propriétés intrinsèques que sur celui de son action sur les hôtes sensibles. Comme tout arbovirus, il est transmis par un vecteur, dont nous allons à présent étudier les caractéristiques. 1. LES CULICOIDES, VECTEURS DE L’EHD Dès 1991, GARD et MELVILLE suspectaient les Culicoides d’être le vecteur principal de l’EHD. Cette suspicion fut par la suite confirmée à de nombreuses reprises lors de différentes études sur les épisodes successifs d’épizootie sur les populations de ruminants sauvages et domestiques (ARADAIB et ALI, 2004 ; BOTNER et al., 2009 ; CETRE-SOSSAH et al., 2010…). 2.1. Description du vecteur 2.1.1. Systématique Les Culicoides (Figure 16) possèdent des caractéristiques qui conduisent à les classer de la façon suivante (WALZER, 2009) : - Embranchement des Arthropodes ; Super-classe des Hexapodes ; Classe des Insectes ; Sous-classe des Ptérygotes ; Division des Oligoneoptères ; Ordre des Diptères ; Sous-ordre des Culimorphes Famille des Ceratopogonidae. Figure 16 : Photo d’une femelle moucheron du Genre Culicoides, en cours de repas sanguin (CETRE-SOSSAH et al., 2010) La famille des Ceratopogonidae contient quelque 125 genres différents, pour environ 5500 espèces. Parmi ces genres, quatre regroupent des espèces qui sucent le sang des vertébrés : Austroconops, Culicoides, Forcipomyia sous-genre Lasiohelea, et Leptoconops. La diagnose 26 comparée des Culicoides avec les trois autres genres se fait par l’observation des ailes et de leurs caractéristiques morphologiques. Toutes les espèces de Culicoides ne sont pas vectrices de l’EHD. Nous verrons plus loin lesquelles sont connues pour jouer ce rôle. 2.1.2. Morphologie Les Culicoides ont un cycle de développement comprenant plusieurs stades immatures et un stade adulte. Aucun des stades immatures ne vole ni ne se nourrit de repas sanguins. Seuls les adultes, plus précisément les femelles de certaines espèces, constituent donc un vecteur de l’EHD. 2.1.2.1. Stades immatures Ils sont au nombre de trois (WALZER, 2009) : - Les œufs, très allongés, ont une forme de banane et mesurent en moyenne 400 micromètres de long pour 50 micromètres de large. Ils sont d’abord clairs, puis brunissent rapidement au contact de l’air. Chez certaines espèces, de petites excroissances permettent la fixation de l’œuf. - Les larves ont une taille variant de 0,3 millimètres à 1 centimètre. Elles sont vermiformes, segmentées, apneustiques et eucéphales. Trois parties les composent : la capsule céphalique (yeux, antennes, pièces buccales), le thorax et l’abdomen. Les soies sont discrètes et peu abondantes. - Les nymphes mesurent entre un et trois millimètres. Elles sont constituées de deux parties : céphalothorax et abdomen. Le premier est plus large que long et porte des tubercules plus ou moins épineux ainsi qu’une trompette respiratoire. Le second est composé de neuf segments dont le dernier porte des cornes divergentes ainsi qu’un renflement triangulaire sur la face ventrale permettant la distinction entre les futurs mâles (présence du renflement) et les futures femelles (absence du renflement) (Figure 17). Figure 17 : Représentation d’un Culicoides au stade nymphal (WALZER, 2009) 27 2.1.2.2. Adultes ou Imago Ils ont une taille variant de un à quatre millimètres de long, et sont ainsi les plus petits diptères hématophages connus. Ils sont régulièrement qualifiés de « moucherons » à cause de cette caractéristique alors qu’ils sont plus proches des moustiques avec un corps fin et une silhouette élancée (figure 18). Figure 18 : Femelle adulte Culicoides avec les ailes déployées (A) ou les ailes au repos (B) (WALZER, 2009) La tête est arrondie, porte des yeux composés, deux antennes et des pièces buccales de type piqueur, avec la présence de petites dents sur les mandibules et les maxilles. Le rapport antennaire (longueur des 5 derniers articles sur longueur des 8 premiers) permet de distinguer les mâles des femelles. Le thorax porte trois paires de pattes courtes et une paire d’ailes. Celles-ci sont dépourvues d’écailles et repliées sur le dos au repos. Ces ailes présentent des structures creuses en forme de tiges appelées veines, qui forment des dessins complexes intervenant dans la classification et la diagnose des espèces. La seconde paire d’ailes est vestigiale et forme des balanciers, permettant notamment de détecter les changements de direction et de maintenir une trajectoire. L’abdomen est constitué de dix segments dont les derniers portent les organes de la reproduction. Seul le mâle possède un hypogium à l’extrémité distale de l’abdomen. Enfin les pattes, plutôt courtes, portent une paire de griffes à leurs extrémités. L’épine entre les deux griffes est rudimentaire, ce qui est une autre caractéristique du genre Culicoides (WALZER, 2009). 28 2.2. Biologie du vecteur 2.2.1. Cycle évolutif Il s’agit d’un cycle holométabole (les stades immatures ne ressemblent pas aux adultes), dans lequel les femelles adultes ont besoin d’un repas riche en protéines afin d’assurer la production et la maturation des œufs pondus (on parle d’espèce anautogène). Une exception est faite pour une quinzaine d’espèces de Culicoides capables d’assurer la reproduction sans ce repas (espèces autogènes). 2.2.1.1. Déroulement du cycle A chaque génération, les stades se succèdent de la façon suivante (WALZER, 2009) (Figure 19): - Les adultes se nourrissent en majorité de nectar, les femelles étant également hématophages, voire entomophages. L’accouplement se déroule dans de grands espaces et c’est après celui-ci que la femelle a un besoin accru de sang, nécessaire au développement des œufs. Pour cette raison, elle devient très agressive et cherche activement une source de nourriture, utilisant ses palpes pour repérer les colonnes d’air chaud, humide et riche en dioxyde de carbone. La plupart des espèces piquent préférentiellement le matin à l’aube et le soir au coucher du soleil. Certaines sont cependant capables de piquer en plein soleil (notamment des espèces européennes). La production d’œufs a lieu en moyenne deux jours après le repas sanguin. La durée de vie moyenne des adultes est de 10 à 20 jours (parfois jusque 60 voire 90 jours). - Les œufs sont pondus au niveau du sol, dans des lieux en général très humides, souvent immergés, avec présence de matière organique. On peut également en retrouver sur de la matière végétale en décomposition ou recyclée par des animaux (bouses, crottins…). Une femelle pond entre une dizaine et quelques centaines d’œufs à chaque fois. En fonction des conditions plus ou moins favorables, l’éclosion a lieu deux à huit jours après la ponte. Les œufs ne sont pas résistants à la dessiccation. - Les larves constituent quatre stades du cycle et peuvent se déplacer en nageant ou en rampant. Leur durée de développement varie en fonction des espèces et des conditions environnementales (deux semaines à plusieurs mois). Elles se nourrissent de débris organiques, bactéries, protozoaires, champignons… Les larves cherchent ensuite un support où s’accrocher pour se transformer en nymphe. - Les nymphes sont très peu actives et restent où elles se sont développées. La durée de ce stade est fonction de la température et de l’espèce mais est généralement courte (en moyenne deux à dix jours). 29 30 Nymphes * = processus dépendant de la température Développement et survie* Habitat humide Durée : 2 jours à 4 semaines Adultes Habitat humide Durée : 4jours à quelques mois Diapause hivernale* Larves Vie courte (10-20 jours)* Actifs au lever et au coucher du soleil* Sensible à la sécheresse* Pic d’abondance de la fin du printemps au début de l’automne* Accouplement* (BOTNER et al., 2009) Cycle gonadotrophique des adultes ♀ Développement et survie* Œufs Habitat humide Eclosion en 2 à 7 jours Oviposition* Maturation des œufs* Repas sanguin* Figure 19 : Cycle de développement des Culicoides 2.2.1.2. Passage de l’hiver La majorité des espèces présente en moyenne deux générations par an. Il existe deux diapauses larvaires : une diapause d’hiver (diapause classique pour les larves d’automne) et une estivohibernation (diapause plus longue pour les larves de printemps-été, qui y rentrent pour l’été et l’hiver). A ce phénomène s’ajoute une quiescence hivernale : c’est la levée de la quiescence hivernale qui permet aux larves de printemps d’évoluer en adultes. Ces adultes pondent et donnent naissance d’une part à des larves d’été, d’autre part à des larves qui vont entrer en diapause d’estivo-hibernation jusqu’au printemps suivant. Les larves d’été redonnent des adultes rapidement, lesquels redonnent des larves à l’automne. Celles-ci rentrent en diapause hivernale classique pour passer l’hiver. Le phénomène d’estivo-hibernation permet d’assurer la pérennité de l’espèce au cas où les conditions de l’été ne permettraient pas un deuxième cycle efficace. Au printemps de l’année suivante, deux générations de larves (celles de printemps-été et celles d’automne-hiver) sortent donc de quiescence hivernale. En fonction des zones géographiques et des conditions climatiques, la durée moyenne entre le développement de l’œuf et l’émergence de l’adulte varie entre sept jours (région des Tropiques) et sept mois (régions tempérées avec diapause hivernale) (WALZER, 2009). 2.2.2. Repas sanguin des femelles Culicoides Au cours du cycle, les femelles de la plupart des espèces de Culicoides ont besoin d’au moins un repas sanguin pour assurer la maturation des œufs. Ce repas se fait sur des mammifères ou des oiseaux dans la plupart des cas, bien qu’il arrive que certaines femelles se nourrissent directement sur d’autres insectes hématophages (WALZER, 2009). Tous les mammifères (y compris l’homme) peuvent être piqués par les Culicoides, sachant qu’un même insecte peut piquer plusieurs fois au cours de sa vie d’adulte (c’est ce qui va causer la transmission du virus d’un individu à l’autre). Les pièces buccales de la femelle vont provoquer la formation d’un lac de sang et de lymphe dermique qu’elle va aspirer. C’est au cours de ce processus que le vecteur va se contaminer sur un hôte infecté (comme nous l’avons décrit précédemment) et qu’il va également pouvoir transmettre des agents pathogènes à sa victime (WALZER, 2009). 31 2.3. Répartition des Culicoides 2.3.1. Type de biotopes colonisés Il existe de nombreux habitats différents où vivent généralement les Culicoides. Nous allons tenter de les décrire, sans faire état des exceptions qui ne seraient pas utiles pour le sujet qui nous intéresse ici. 2.3.1.1. Les biotopes sauvages Les Culicoides vivent en général dans des zones humides, nécessaires au développement larvaire, à la frontière entre milieu terrestre et milieu aquatique. On retrouvera donc ces larves dans les eaux stagnantes, les marais, les mangroves, les éléments végétaux en décomposition… La présence dans le milieu de mammifères ou d’oiseaux susceptibles de servir pour le repas sanguin des femelles est un facteur important, mais n’est pas absolument nécessaire pour toutes les espèces de Culicoides. Certaines peuvent en effet se passer de ce repas et achever malgré tout leur cycle. Certaines espèces telles que Culicoides imicola peuvent survivre dans de multiples biotopes : zones semi-humides, zones boisées, savane, littoral où les sols sont sableux et l’eau rapidement absorbée… D’autres ont également la capacité de se nourrir sur de nombreuses espèces de mammifères ou d’oiseaux, contrairement à certains qui n’ont qu’un ou deux hôtes préférentiels. Ces capacités d’adaptation à différents biotopes permettent à ces espèces une plus large répartition géographique et une colonisation de nouveaux milieux plus aisée (WALZER, 2009). 2.3.1.2. Des biotopes de plus en plus proches des hommes et de leurs activités De par les activités humaines qui empiètent de plus en plus sur les territoires sauvages, de nombreuses espèces animales se retrouvent nécessairement au contact de celles-ci. Les Culicoides ne font pas exception et se retrouvent donc facilement dans des zones d’activités humaines telles que celles de l’élevage de ruminants domestiques par exemple. Suite à la pression environnementale, certaines espèces de Culicoides, moins exigeantes au départ, se sont mieux adaptées aux activités humaines que d’autres. Il est intéressant de constater qu’en fonction du type d’activité, les espèces concernées ne sont pas les mêmes. Ainsi, certaines espèces comme Culicoides imicola prédominent près des élevages de chevaux alors que d’autres comme Culicoides pulicaris et Culicoides punctatus prédominent près des élevages de bétail, de cochons et de volailles (WALZER, 2009). 2.3.2. Répartition géographique 2.3.2.1. Distribution mondiale De par leurs exigences environnementales assez réduites, on retrouve ces insectes partout à la surface de la planète, hormis en Antarctique, Patagonie et sur les îles Hawaïennes. Ils peuvent également survivre jusqu’à quatre mille mètres d’altitude. Les espèces ne sont pas réparties uniformément à travers le monde, certaines ont des zones géographiques préférentielles (Figure 20). 32 Figure 20 : Distribution mondiale de quelques espèces de Culicoides (PURSE et al., 2005) ■ : Répartition de C. imicola En Europe par exemple, on retrouve des espèces telles que Culicoides imicola (depuis 1982), Culicoides obsoletus, Culicoides nubeculosus, Culicoides pulicaris… Pour Culicoides imicola, WALZER (2009) reprend une étude de Wittmann et al. (2001) qui montre que trois éléments sont déterminants pour la répartition géographique de cette espèce, à savoir le minimum des températures minimales mensuelles, le maximum des températures maximales mensuelles, et le nombre de mois sur l’année ayant une température moyenne supérieure ou égale à 12,5 °C. On comprend donc aisément comment ce vecteur a pu apparaître dans différents pays d’Europe et que ce phénomène risque fortement de s’accentuer avec un réchauffement climatique global. 2.3.2.2. Un genre en mouvement La dissémination des Culicoides d’une région à l’autre peut s’effectuer de manière active (l’insecte se déplace lui-même en volant), ou de manière passive (l’insecte est « transporté »). La dissémination active est peu fréquente et d’une efficacité limitée (un adulte ne peut pas en effet parcourir plus de 500 mètres autour du lieu de vie). Le transport passif est de loin le plus fréquent et le plus efficace pour coloniser d’autres secteurs géographiques, que ce soit par les vents (de 1 à 700 kilomètres peuvent être ainsi parcourus), ou par les activités humaines (transports de bétail…) (WALZER, 2009). Pour reprendre l’exemple de Culicoides imicola, celui-ci était au départ présent seulement en Afrique, au Moyen-Orient et en Israël ; il a empiété couramment sur l’Espagne et le Portugal, provoquant diverses épizooties de fièvre catarrhale ovine et de peste équine notamment. La distribution de cette espèce s’est ensuite élargie à l’Espagne, au Portugal, à la Grèce, à la Turquie et à Chypre, migration aidée, comme nous venons de le voir, par des facteurs environnementaux favorables (WALZER, 2009). 33 2.4. Les Culicoides, vecteurs de maladies De par le processus utilisé par les femelles Culicoides lors de leur repas sanguin, une transmission de divers agents pathogènes, dont des virus, est possible. Cette propriété fait de cet insecte un vecteur d’arbovirus au sens strict défini par l’OMS : il s’agit d’un virus principalement entretenu dans la nature par la transmission biologique entre des hôtes vertébrés par l’intermédiaire d’arthropodes hématophages chez lesquels ils peuvent se multiplier sans affecter leur vie et leur capacité de reproduction (WALZER, 2009). 2.4.1. Mécanismes vectoriels et facteurs de variation De la définition d’un vecteur selon l’OMS émergent deux notions importantes : la compétence vectorielle et la capacité vectorielle. Ces deux notions sont étroitement liées aux capacités qu’un insecte doit posséder pour être qualifié de vecteurs (WALZER, 2009). 2.4.1.1. Notions de compétence vectorielle La compétence vectorielle s’intéresse à la capacité de l’insecte à s’infecter, à amplifier et à transmettre le virus. Elle est mesurée en laboratoire par infection expérimentale. On fait se gorger l’insecte de sang infecté avec une concentration suffisante de virus. La température joue ici un rôle primordial car, pour chaque couple vecteur-agent pathogène, il existe des limites de température au-delà ou en dessous de laquelle la transmission ne pourra avoir lieu. La compétence vectorielle sera donc maximale si on se trouve à une température permettant d’une part le développement rapide de l’agent pathogène et d’autre part un taux de survie important du vecteur (WALZER, 2009). 2.4.1.2. Notion de capacité vectorielle La capacité vectorielle correspond à l’importance de la transmission d’un agent pathogène à un hôte par une espèce de vecteur (TOMA et al., 2004). Elle correspond mathématiquement au nombre moyen d’inoculations probables par hôte et par unité de temps, en intégrant des données sur la dynamique de la population d’insectes. Une capacité vectorielle est donc liée à une température donnée, à un sérotype donné et à une population d’insectes donnée. La compétence d’un insecte ne suffit donc pas, il faut que dans la zone en question la population soit capable (BOTNER et al., 2009). La capacité vectorielle dépend donc de facteurs internes (taux d’infection = proportion de la population d’insectes qui se retrouve infectée après un repas sanguin) et de facteurs externes en rapport avec la dynamique des populations, comme nous l’avons vu précédemment (température, vents…). Ces facteurs externes influent directement sur la taille, la proportion d’adultes capables de transmettre le virus et la durée de vie de la population du vecteur (WALZER, 2009). 2.4.2. Les Culicoides susceptibles de transmettre l’EHD De nombreuses espèces de Culicoides ont été reconnues comme des vecteurs confirmés ou potentiels de l’EHD. Ces compétences ont été découvertes soit au cours d’études expérimentales, soit par l’observation et l’analyse des populations vectorielles retrouvées dans les zones d’enzootie et d’épizootie. On retrouve parmi eux Culicoides imicola ou encore Culicoides obsoletus, présents en Europe (Tableau 4) (BOTNER et al., 2009). 34 Tableau 4 : Espèces confirmées/suspectées vectrices de l’EHD (BOTNER et al., 2009) Sous-genre Complexe d’espèces Espèces Sérotypes d’EHDV identifiés Localisation géographique Critères d’implication du vecteur Références Infection expérimentale Infection expérimentale Infection expérimentale Critères d’implication du vecteur (sixième colonne): 1- Agent pathogène isolé à partir d’insectes sauvages 2- Démonstration en laboratoire que l’insecte peut s’infecter à partir d’un repas sanguin contaminé 3- Démonstration en laboratoire que l’insecte infecté peut transmettre l’agent pathogène à un hôte 4- Preuve que l’insecte vient bien piquer l’hôte étudié dans des conditions naturelles Une étude en Indonésie a permis d’isoler le virus de l’EHD sérotype 4 dans des moustiques récoltés à Bali (BROWN et al., 1992). Cependant, cette découverte semble être anecdotique et rien n’indique qu’une seule espèce de moustique puisse agir comme vecteur biologique de l’EHD. 35 2.4.3. Autres maladies d’intérêt ayant les Culicoides comme vecteur La plupart des Orbivirus sont transmis d’un hôte à un autre par diverses espèces de Culicoides. Plus de cinquante virus de diverses familles ont ainsi été isolés à partir de ces insectes. On peut citer comme exemples la peste équine, l’encéphalose équine, l’infection à virus Palyam (chez les bovins, ovins et caprins) ou encore la fièvre catarrhale ovine. Dans le rapport de l’EFSA de 2009 (BOTNER et al., 2009), un parallèle est fait entre les espèces de Culicoides vectrices de l’EHD et celles vectrices de la FCO. Il y est précisé que, bien qu’elles ne soient pas exactement les mêmes, la similarité des deux maladies permettrait d’utiliser les mêmes éléments d’information et de contrôle pour leurs vecteurs respectifs. 2. L’EPIDEMIOLOGIE DE L’EHD 3.1. Les réservoirs sauvages de l’EHD Depuis sa découverte en 1955 par Shope et al., le virus de l’EHD a été identifié à de nombreuses reprises et sous différentes formes sérotypiques. Il est enzootique en Amérique du Nord depuis de nombreuses années dans la population sauvage, ce qui a autorisé de nombreuses études tant sur les aspects cliniques de la maladie, développés ci-avant, que sur ses aspects épidémiologiques. 3.1.1. Caractéristiques enzootiques du virus 3.1.1.1. Les biotopes réservoirs Comme nous l’avons vu précédemment, les espèces sauvages susceptibles de servir de réservoir au virus de l’EHD sont essentiellement des cervidés. Parmi eux, les cerfs à queue blanche de Virginie constituent le principal réservoir sauvage mais on retrouve également ce virus chez certaines espèces d’antilopes, de mouflons… (DUBAY et al., 2006a, 2006b ; NOON et al., 2002a). Pour entretenir le cycle viral, il est nécessaire d’avoir un vecteur compétent et capable, présent dans la niche écologique de ces hôtes réservoirs. La large distribution des Culicoides en Amérique du Nord autorise le virus de l’EHD à être présent dans la plupart des populations de cerfs à queue blanche présentes dans ce secteur géographique (SMITH et al., 1996). Pour qu’une espèce soit réservoir de l’EHD, il est nécessaire que la forte mortalité retrouvée dans les épizooties n’ait pas un caractère permanent. En effet, d’un point de vue finaliste, il n’est pas dans l’intérêt du virus de décimer entièrement la population de son hôte réservoir. C’est pourquoi hors des épisodes d’épizootie, le virus est en équilibre avec le système immunitaire de son hôte, d’où l’évolution principalement enzootique de la maladie. On peut donc résumer ainsi les caractéristiques d’un biotope réservoir du virus de l’EHD : il faut qu’il contienne une population de ruminants sauvages sensibles au virus mais possédant également la capacité de faire circuler le virus sans y succomber systématiquement. On doit également trouver dans ce biotope un vecteur compétent et capable. En dernier lieu, il faut un équilibre certain entre le ou les sérotypes viral (-aux) concerné(s) et le système immunitaire des hôtes. 36 3.1.1.2. Immunité et circulation virale dans les populations de ruminants sauvages Pour obtenir l’équilibre immunitaire nécessaire à la persistance enzootique du virus, il faut que celui-ci soit mis en contact une première fois avec son hôte et que les contacts se répètent par la suite. En effet, le système immunitaire ne peut rester protecteur contre le virus de l’EHD s’il n’y est pas exposé régulièrement. Les cerfs qui survivent à leur première infection par l’EHDV développent des anticorps neutralisants qui persistent longtemps dans l’organisme (STALLKNECHT et al., 1991). L’immunité de troupeau que confèrent ces anticorps neutralisants est un facteur épidémiologique important, responsable de la distribution spatiale et temporelle du virus en Amérique du Nord (DAVIDSON et DOSTER, 1997). Une infection naturelle et permanente par les virus de l’EHD et de la FCO a ainsi été démontrée chez les cerfs à queue blanche du Texas. Des tests de séroneutralisation sur des animaux sans signes cliniques ont révélé que plus de 84% des individus avaient des anticorps anti-EHDV ou anti-BTV (STALLKNECHT et al., 1996) (Tableau 5). Tableau 5 : Prévalence d’anticorps anti-EHDV ou anti-BTV dans la population de Cerfs à queue blanche de différentes zones géographiques du Texas, entre 1991 et 1992 (STALLKNECHT et al., 1996) Région écologique Nombre de comtés Nombre de cerfs Nombre de positifs (%)* Intervalle de confiance à 95% *Nombre (pourcentage) d’animaux ayant des anticorps anti-EHDV ou anti-BTV. Des résultats similaires ont également été retrouvés au Kansas (FLACKE et al., 2004), dans d’autres espèces de ruminants sauvages en Arizona et sur des ruminants domestiques au Texas. Les auteurs ont découvert que les virus étaient non seulement en équilibre avec le système immunitaire des hôtes mais également que les deux sérotypes viraux en présence (EHDV-1 et EHDV-2) étaient en équilibre l’un avec l’autre. Chaque fois que l’immunité de population se déséquilibrait pour lutter plus efficacement contre un des deux sérotypes, l’autre ré-émergeait jusqu’à ce que l’équilibre se réinstaure (DUBAY et al., 2006a, 2006b ; FULTON et al., 1989). L’équilibre immunitaire est ainsi soumis à de nombreux facteurs, responsables de la stabilité enzootique de l’EHDV observée dans les populations de ruminants sauvages. A ces facteurs immunitaires s’ajoutent ceux que nous avons évoqués précédemment et qui jouent aussi un rôle important dans l’équilibre de la circulation virale : résistance innée de certains hôtes, transfert d’anticorps, composition et saisonnalité des espèces vectrices… C’est lorsque ce fragile équilibre est bouleversé que la voie s’ouvre à une nouvelle épizootie. 37 3.1.2. Caractéristiques épidémiologiques des épisodes d’épizootie dans la population sauvage 3.1.2.1. Facteurs déclenchants Dans les zones d’épizootie, la maladie semble suivre des cycles de huit à dix ans environ (NETTLES et al., 1992). Ces cycles ne sont pas réellement expliqués pour le moment mais on suppose qu’ils sont liés aux effets combinés des variations dans l’immunité de troupeau (comme nous venons de le voir) et des fluctuations dans les populations de vecteurs (possiblement induites par des changements climatiques) (BOTNER et al., 2009). Une analyse phylogénétique de l’EHDV-2 à travers l’Est des Etats-Unis pendant trois décennies a révélé que des variants très proches génétiquement étaient largement distribués dans l’espace et dans le temps (Murphy et al., 2005). Des analyses complémentaires de ces données ont également indiqué que dans les épisodes d’épizooties se produisant la même année, les distances génétiques et les distances géographiques entre les variants responsables étaient corrélées positivement. Le virus évolue ainsi à une vitesse équivalente à celle observée pour les autres arbovirus à ARN (BIEK, 2007). Cependant, l’expansion et la dynamique du virus semblent plus limitées que ce qu’elles pourraient être, ce qui suggère l’intervention de facteurs autres que la simple densité de la population d’hôtes. Beaucoup de ces facteurs sont encore inconnus mais on peut au moins retenir par exemple celui concernant l’abondance des populations de vecteurs compétents. C’est ainsi que régulièrement depuis sa découverte en 1955, le virus de l’EHD, la plupart du temps enzootique, provoque des épisodes d’épizooties parmi les populations de ruminants sauvages. Nous nous appuierons sur des exemples concrets afin d’en dégager les principales caractéristiques épidémiologiques retrouvées régulièrement dans chaque épisode d’épizootie. 3.1.2.2. Exemple d’épizootie chez le cerf à queue blanche de Virginie De nombreux exemples d’épizooties ont été rapportés et décrits dans la littérature dans le Missouri (BERINGER et al., 2000 ; FISCHER et al., 1995), au Kansas (FLACKE et al., 2004), en Virginie (GAYDOS et al., 2004), etc. Hormis les quelques variations dues par exemple au secteur géographique, au climat, aux reliefs, les caractéristiques épidémiologiques de ces épisodes étaient à chaque fois relativement similaires. Cependant, l’impossibilité de prévoir quand et où se produiront les épizooties rend difficile la collecte préalable d’informations suffisantes ainsi que la mobilisation de moyens financiers et humains lorsqu’elles se produisent. GAYDOS et al. (2004) ont essayé d’analyser l’émergence d’un épisode d’EHD à l’Ouest de l’Etat de Virginie (Etats-Unis) en 1993, dans les comtés d’Hardy et d’Hampshire. Par une étude rétrospective des données recueillies sur le terrain, ils ont pu extrapoler les paramètres épidémiologiques de cet épisode. Avec l’aide des chasseurs de la région, le secteur géographique a été quadrillé et les cerfs retrouvés morts ont été localisés, signalés et analysés. Ils en ont déduit l’extension géographique de cet épisode, le nombre de cerfs initialement présents dans la population exposée, le nombre de cerfs morts, le nombre de cerfs ayant survécu à la maladie (par analyses sérologiques de cerfs en bonne santé tués par les chasseurs après cet épisode)… (Tableau 6) 38 Tableau 6 : Formules et paramètres calculés de l’épizootie d’EHD chez les Cerfs à queue blanche en Virginie - 1993 (GAYDOS et al., 2004) Paramètres Formules utilisées Résultats Cerfs morts par kilomètre carré recherché [Nombre de cerfs morts trouvés (228)] / [Superficie de la zone de recherche (57,9 km2)] 3,9 cerfs morts/km2 Nombre total estimé de cerfs morts de l’EHDV-2 dans la zone d’émergence [Superficie de la zone d’émergence (499,5 km2)] x (Cerfs morts par kilomètre carré recherché) 1948 cerfs Population de cerfs à risque estimée dans la zone d’émergence [Superficie de la zone d’émergence (499,5 km2)] x [Population estimée en 1992 (20 cerfs/km2)] 9990 cerfs Population de cerfs estimée après l’épizootie dans la zone d’émergence (Population de cerfs à risque estimée dans la zone d’émergence) - (Nombre total estimé de cerfs morts de l’EHDV-2 dans la zone d’émergence) 8042 cerfs Nombre estimé de cerfs infectés par l’EHDV-2 ayant survécu (Population de cerfs estimée après l’épizootie dans la zone d’émergence) x [Pourcentage de cerfs tués par des chasseurs dans la zone d’émergence possédant des anticorps antiEHDV-2 (12%)] 965 cerfs Nombre estimé de cerfs infectés par l’EHDV-2 durant l’épizootie (Nombre total estimé de cerfs morts de l’EHDV-2 dans la zone d’émergence) + (Nombre estimé de cerfs infectés par l’EHDV-2 ayant survécu) 2913 cerfs Taux de morbidité (Nombre estimé de cerfs infectés par l’EHDV-2 durant l’épizootie) / (Population de cerfs à risque estimée dans la zone d’émergence) 29% Taux de mortalité (Nombre total estimé de cerfs morts de l’EHDV-2 dans la zone d’émergence) / (Population de cerfs à risque estimée dans la zone d’émergence) 20% Taux de létalité (Nombre total estimé de cerfs morts de l’EHDV-2 dans la zone d’émergence) / (Nombre estimé de cerfs infectés par l’EHDV-2 durant l’épizootie) 67% Avant 1993, deux épisodes d’EHD avaient été rapportés en Virginie : un épisode en 1981, pendant lequel le sérotype 2 avait été isolé ; un épisode en 1988, à la suite duquel au moins 70 cerfs furent retrouvés morts. Dans l’épisode de 1993 qui s’est déroulé à la fin de l’été, la maladie tua non seulement de nombreux cerfs à queue blanche mais six troupeaux de bovins présentèrent également des signes d’une maladie ressemblant à la FCO. Il en ressort que les épizooties, lorsqu’elles se produisent sur les populations de ruminants sauvages, sont toujours très meurtrières. On comprend également que les individus qui survivent ont un système immunitaire plus performant que les autres et se défendent mieux contre la maladie. Ce principe permet la « sélection naturelle » d’une population plus résistante face au virus, de telle sorte que celui-ci ne peut ré-émerger avant plusieurs années. 39 3.2. L’EHD chez les ruminants domestiques Le nombre d’épisodes d’EHD rapportés chez les ruminants domestiques est bien moins important que pour les populations de ruminants sauvages. Cependant, puisque ce sont des animaux qui sont directement au contact de l’homme et de ses activités, les paramètres épidémiologiques de ces épisodes s’avèrent toujours plus faciles à étudier. 3.2.1. Elevages à risque Comme nous l’avons vu précédemment, le virus de l’EHD n’a pour l’instant provoqué des manifestations cliniques que chez les bovins. Cependant d’autres espèces de ruminants domestiques, telles que les ovins, peuvent être infectées et devenir virémiques (OMORI et al., 1969 ; THOMPSON et al., 1988). Les élevages ne constituant pas le réservoir primaire du virus pour le moment, il est nécessaire que ce dernier soit en premier lieu « transporté » jusque là, en second lieu qu’il s’y implante pour pouvoir infecter le bétail et être transmis d’un individu à l’autre. Un élevage à risque est donc en premier lieu un élevage susceptible de voir arriver un virus de l’EHD jusqu’à lui. Les élevages situés près des réservoirs sauvages sont nécessairement en contact étroit avec les Culicoides vecteurs de l’EHD dans ces réservoirs. Pour peu que la niche écologique des Culicoides soit suffisamment adaptable aux conditions présentes dans l’exploitation où se trouve le bétail, le virus risque fort d’y apparaître. Dans le même ordre d’idée, le transport par les vents d’un ou de plusieurs Culicoides infectés jusqu’à un élevage, ou encore l’arrivée dans cet élevage d’un animal infecté, sont également des risques à considérer. Ainsi, d’un point de vue probabiliste, plus un élevage est proche d’un foyer d’EHD, plus il risque de voir arriver le virus jusqu’à lui. Ce risque augmente d’autant plus lorsque le foyer est un foyer d’épizootie plutôt que d’enzootie car les charges virales circulantes y sont bien plus importantes. Ensuite, une fois le virus arrivé jusqu’à l’élevage, il doit y trouver les conditions nécessaires à son implantation et à sa dissémination. Un élevage à risque est donc en second lieu un élevage cohabitant avec une ou plusieurs espèces de Culicoides compétents et capables de transmettre le virus au moment où il arrive. Le risque sera d’autant plus important également si la population d’hôtes concernée est dense (nombre de bêtes par unité de surface) et, surtout, si elle est « naïve » d’un point de vue immunitaire (qu’elle n’a jamais rencontré ce virus). Les risques d’infection par l’EHD pour un élevage ainsi établis sont similaires à ceux redoutés pour la FCO, contre lesquels des mesures de lutte ont été mises en place ces dernières années en Europe. Néanmoins, il est intéressant de noter que des différences existent entre les deux virus responsables, EHDV et BTV, et que cela a de multiples conséquences sur les conditions optimales d’arrivée, d’implantation et de dissémination de chacune de ces maladies (BOTNER et al., 2009). 3.2.2. Caractéristiques épidémiologiques de la maladie chez les ruminants domestiques Les épisodes observés jusqu’à maintenant chez les ruminants domestiques revêtent plutôt des caractéristiques d’épizooties que d’enzooties. En effet, après la période d’incubation, la maladie se déclare et dissémine facilement dans le troupeau. Les signes cliniques et les conséquences zootechniques dus directement à la maladie durent en moyenne entre 3 et 30 jours (YADIN et al., 2008). Après cela, si la circulation virale ne se réenclenche pas, la maladie semble s’atténuer dans 40 les troupeaux ; ne demeurent que les conséquences zootechniques dues au passage viral (infertilités, avortements à moyen terme, amaigrissements…) (BOTNER et al., 2009). Dans ses formes épidémiologiques, l’EHD chez les ruminants domestiques, ressemble donc aux épizooties observées chez les ruminants sauvages. Cependant les taux de morbidité et de mortalité demeurent beaucoup moins importants que dans cette population. Ainsi, sauf dans des cas exceptionnels dus à des conditions de terrain inhabituelles (comme au Maroc en 2006), les taux de morbidité apparente (nombre d’animaux malades dans la population exposée) n’ont que très rarement dépassé 10%, et les taux de mortalité apparente (nombre d’animaux morts dans la population exposée) rarement 1%. Ces taux doivent malgré tout être remis en perspective suivant que l’on considère la population globale d’une région ou celle d’un troupeau directement exposé. Dans cette dernière, les taux de morbidité et de mortalité sont plus importants car le virus y circule rapidement et à des taux importants (Tableau 7). Tableau 7 : Morbidité et mortalité de différentes infections à l’EHDV chez les bovins (BOTNER et al., 2009) Sérotype Localisation Début Fin Morbidité apparente Mortalité apparente Morbidité troupeau Taux de létalité Référence ** ** * total d’animaux dans les secteurs touchés par l’émergence a) dépend des secteurs NK Inconnu ** OIE-WAHID = Base de données du système mondial d’information sanitaire de l’OIE (World Organisation for Animal Health, anciennement Office International des Epizooties) créée en avril 2006, accessible sur le site internet de l’OIE : www.oie.int/wahid On remarque donc que lorsque l’EHD touche une population de ruminants domestiques elle se manifeste pendant peu de temps mais peut diffuser relativement rapidement et a par-dessus tout de lourdes conséquences zootechniques. L’exemple de l’épizootie de 2003 sur l’île de la Réunion illustre parfaitement ces caractéristiques. 41 3.2.3. Modèle épizootique de la Réunion en 2003 De janvier à avril 2003, de nombreux cas d’une maladie encore jamais observée jusqu’alors sur les bovins apparurent sur une large partie de l’île française de la Réunion, dans l’Océan Indien (Figure 21). Figure 21 : Carte géographique de la Réunion (ZIENTARA et al., 2010) 42 Les signes cliniques étaient similaires à ceux provoqués par le virus de la FCO, à la différence près qu’aucun ovin de l’île n’était touché. La maladie chez les bovins était caractérisée par de l’hyperthermie (40°C), une congestion, des ulcères buccaux, du ptyalisme et une augmentation des secrétions nasales et oculaires. Les animaux atteints voyaient leur état général se dégrader, ils étaient faibles et présentaient souvent des boiteries. Dans quelques cas la mort survenait en huit à dix jours après l’apparition des signes cliniques (BREARD et al., 2004). Cet épisode d’EHD, totalement nouveau sur l’île, avait toutes les caractéristiques d’une épizootie. Le taux de mortalité n’a pu être correctement établi par manque de données. Cependant on a pu calculer un taux de morbidité d’environ 7%. Au cours de l’épizootie 235 cas cliniques d’EHD sur 3607 bovins infectés furent rapportés en moins de quatre mois (BREARD et al., 2004). A ce bilan, il faut rajouter l’impact zootechnique, et donc économique, sur la production des élevages, en particulier la production de lait qui s’est vue considérablement diminuer au cours de cet épisode et pendant quelque temps après. Un réseau d’épidémiosurveillance a depuis été mis en place à la fois pour l’EHD et pour la FCO. Il a permis de mettre en évidence une deuxième épizootie en 2009 (BRUNSCHWIG et al., 2009). Au cours et à la suite de cet épisode, de nombreuses recherches ont été effectuées pour tenter d’identifier le sérotype de l’EHDV responsable de cette épizootie. Il est intéressant de constater que ces recherches restent infructueuses pour l’heure et que l’agent responsable isolé ne correspond à aucun sérotype connu. Les résultats initiaux indiquent une proximité génétique avec les sérotypes 1 et 2 pour certaines protéines mais pas pour d’autres. Il est donc possible d’envisager ici l’apparition d’un nouveau sérotype, combinaison possible de sérotypes plus anciens (BREARD et al., 2004). En conclusion de cette première partie, le virus de la Maladie Hémorragique Epizootique (EHDV) apparaît comme un arbovirus largement distribué dans le monde, ayant déjà provoqué à de nombreuses reprises des épisodes d’EHD sur diverses espèces de ruminants. Ses caractéristiques, son mode de transmission, la multiplicité de ses hôtes, font que cet agent pathogène semble pouvoir se propager aisément sur des territoires qu’il n’a pas encore « colonisés ». Avant de se poser la question de savoir si l’EHD constitue une « maladie émergente » ou non, il nous faut définir cette notion quelque peu galvaudée par les médias et en établir les caractéristiques principales. 43 44 QU’EST-CE QU’UNE MALADIE EMERGENTE ? 45 46 1. DEFINITION D’UNE MALADIE EMERGENTE 1.1. Apparition du concept d’émergence Le concept d’émergence est apparu assez tôt dans le domaine de l’étude des maladies infectieuses, avant même que ce terme précis ne soit même utilisé. Selon TOMA et THIRY (2003), Charles Nicolle, dès 1933, développait ce concept dans son livre : Naissance, vie et mort des maladies infectieuses. Il est apparu rapidement que cette notion tenait une place essentielle dans l’étude des maladies infectieuses, particulièrement en épidémiologie. Par des études rétrospectives sur les grandes épidémies et épizooties qui ont marqué l’Histoire, les scientifiques ont réalisé que de nombreuses maladies infectieuses suivaient un schéma de développement et de dissémination qui donnait l’impression qu’elles apparaissaient, se développaient, puis disparaissaient en partie, voire en totalité (d’où la notion de mort évoquée par Nicolle (1933)). Depuis toujours, de nombreux pathogènes se sont ainsi révélés, aussi bien chez les animaux que chez les humains (Figure 22). Figure 22 : Cumul des nouvelles espèces de pathogènes humains apparues depuis 1980 Cumul des nouvelles espèces de pathogènes humains (WOOLHOUSE, 2006) SARS* ESB* VIH-1* Année *VIH-1 : Virus de l’Immunodéficience Humaine (responsable du SIDA = Syndrome de l’Immunodéficience Acquise) *ESB : Encéphalite Spongiforme Bovine * SARS : Syndrome Respiratoire Syncitial Aigu A partir des années 90 le concept s’est développé et on a commencé à utiliser le terme d’« émergence » aussi bien dans les milieux avertis que dans les médias. L’utilisation de plus en plus fréquente, parfois abusive, de ce terme a conduit les épidémiologistes à effectuer des travaux dans le but de préciser cette notion et de la définir clairement (TOMA et THIRY, 2003). 47 1.2. Evolution et précision de la notion d’émergence en pathologie infectieuse 1.2.1. Augmentation de l’incidence de la maladie Dès 1995, la notion d’émergence d’une maladie est apparue comme inévitablement reliée à une augmentation de l’incidence de cette maladie, et plus précisément à une augmentation significative et inhabituelle de celle-ci. TOMA et THIRY (2003) insistent bien sur le caractère inhabituel de cette augmentation, et ce afin de distinguer un épisode épizootique d’une émergence à proprement parler. Par exemple, l’épizootie de fièvre aphteuse en Grande-Bretagne en 2001, si elle répondait aux caractéristiques attendues d’une maladie émergente, ce n’était pourtant qu’une épizootie de plus pour une maladie épizootique. Cette situation s’approchait plus de la réémergence (développée par la suite) que de l’émergence. Différentes situations peuvent être schématisées par l’évolution de l’incidence d’une maladie au cours du temps (figure 23). Figure 23 : Représentation schématique de diverses situations d’évolution de l’incidence de maladies dues à des agents initialement inconnus (TOMA et THIRY, 2003) 48 Cas 1 : la maladie est présente de façon permanente mais encore inconnue dans la région car jamais détectée. Ce sont les maladies « à découvrir » dans l’avenir. Cas 2 : la présence de la maladie n’est pas permanente (elle peut être saisonnière par exemple) mais la situation est semblable au cas 1. Cas 3 : la situation est semblable au cas 1 excepté qu’à un moment donné l’incidence dépasse le seuil de détection. La maladie est alors « découverte » (s’il s’agit d’une maladie inconnue) ou « identifiée » dans la région (s’il s’agit d’une maladie déjà connue). L’incidence retournant rapidement à un niveau inférieur au seuil de détection, on ne peut parler réellement d’émergence (exemple : virus Hendra). Cas 4 : il s’agit de la même situation que le cas 3, mais avec une maladie qui n’est pas présente en permanence. Là encore on ne peut parler réellement d’émergence. Cas 5 : la maladie « apparaît » lorsque l’incidence dépasse le seuil de détection, celle-ci demeure lentement croissante. Dans ce cas on peut parler d’émergence, même sur une échelle de plusieurs années (exemple : ESB). Cas 6 : la situation est semblable à la précédente mais la maladie a un fort potentiel épizootique avec une augmentation de son incidence très rapide. L’émergence est flagrante. (TOMA et THIRY, 2003). Dans chaque cas on fait figurer un seuil de détection variable en fonction de la maladie (fréquence de l’infection inapparente, intensité des symptômes, importance de la mortalité, nature des espèces animales touchées, sensibilité des tests de dépistage…). Sous ce niveau seuil, la maladie reste non détectée ; au-dessus de ce niveau, elle sera très probablement détectée. L’incidence représentée correspond à une zone géographique donnée, pouvant aller jusqu’au monde entier dans certains cas (TOMA et THIRY, 2003). 1.2.2. Les réémergences Dans toutes les publications traitant de la notion d’émergence d’une maladie, une distinction est faite entre l’émergence et la réémergence. Cette dernière implique qu’un premier épisode d’émergence a déjà eu lieu pour cette maladie, dans la même zone géographique et sur la même population. Pour RODHAIN (2003), la réémergence correspond au redémarrage d’une endémie ou à la survenue d’une épidémie, par définition temporaire et souvent saisonnière. Deux types de facteurs déclenchants sont retrouvés : facteurs naturels (conditions climatiques) et facteurs anthropiques. 1.2.2.1. Conditions climatologiques Deux situations peuvent se dégager : les phénomènes climatologiques « normaux » qui sont donc prévisibles et généralement saisonniers ; et les phénomènes climatologiques « paroxystiques » dont les caractéristiques ne sont presque jamais observées et qui bouleversent temporairement ou définitivement un ou plusieurs écosystèmes. 49 Dans le premier cas, l’apparition de la maladie est prévisible et des mesures de lutte peuvent facilement être mises en place, avec l’expérience des épisodes d’épidémies/épizooties précédents. Les exemples de la grippe humaine saisonnière en Europe occidentale ou de la fièvre de la vallée du Rift en Afrique sont caractéristiques de cette situation. Dans le deuxième cas la maladie est connue dans le secteur géographique mais des conditions exceptionnelles permettent son développement à une échelle jusqu’alors rarement, voire jamais, observée. L’exemple de l’épidémie de Leishmaniose à Leishmania major au Maroc en 1980 reflète bien cette situation : à la faveur de pluies saisonnières beaucoup plus abondantes que la normale (plus de trois fois la moyenne annuelle en quelques jours), les mérions (Meriones shawi, des rongeurs, hôtes de Leishmania major) se mirent à pulluler dans les cultures, suivis de près par les phlébotomes (Phlebotomus papatas1. qui pullulèrent également. S’ensuivit une épidémie à grande échelle dans la région d’Agadir (quelque 2295 cas recensés en un mois) qui s’arrêta naturellement lorsque la sécheresse se réinstalla (RHODAIN, 2003). 1.2.2.2. Modifications des écosystèmes par l’homme Ce sont des facteurs d’ordre socio-économique, le plus souvent, qui conduisent au bouleversement de certains écosystèmes naturels, soit par son intervention (déforestations pour l’exploitation du bois, irrigations pour les cultures…), soit par son installation proche de ces écosystèmes, voire dans ces écosystèmes (urbanisation, colonisation de secteurs vierges…). Un exemple est donné par la borréliose de Lyme, essentiellement due à Borrelia burgdorferi, transmise par une tique (Ixodes dammini aux Etats-Unis, Ixodes ricinus en Europe). Aux Etats-Unis, de nombreuses zones de déforestation envahies par des résidences d’habitation ont rapproché l’homme des cycles enzootiques impliquant la faune sauvage (cervidés pour les tiques, rongeurs et oiseaux pour Borrelia). Dans ces foyers, la transmission de la borréliose entre l’animal et l’homme via les tiques atteint désormais des niveaux très élevés (RHODAIN, 2003). 1.2.2.3. Relâchement des mesures d’épidémiosurveillance Ce sont des facteurs d’ordre économique ou politique, le plus souvent, qui conduisent au relâchement voire à l’abandon complet des programmes de surveillance et de contrôle. La maladie retrouve ainsi sa répartition originelle d’avant la mise en place de ces mesures, avec possiblement une incidence bien plus élevée sur une population dont la protection immunitaire avait diminuée. Les extensions du paludisme dans certaines régions d’altitude en Afrique sont certainement la résultante de tels relâchements des mesures de contrôle, probablement pour des raisons économiques avant tout. Les mêmes suppositions sont avancées pour le redémarrage de la maladie du sommeil en Afrique centrale (années 70-80) ou pour les leishmanioses au Sud-Soudan (RHODAIN, 2003). 50 1.2.3. Emergence vraie et fausse émergence La définition d’une maladie émergente comme une augmentation de l’incidence de cette maladie est automatiquement soumise à des biais. Ceux-ci correspondent à des observations d’augmentation de l’incidence seulement en apparence mais pas en réalité. Trois situations sont reconnues responsables de biais (RODHAIN, 2003 ; TOMA et THIRY, 2003). 1.2.3.1. Amélioration des outils d’identification et de dépistage des maladies C’est une situation fréquente étant données les nombreuses études régulièrement réalisées sur de nouvelles méthodes de diagnostic, d’identification, de dépistage des maladies. Ce biais est de toute façon inévitable. Il est en effet difficile de consciemment mettre de côté une nouvelle méthode de diagnostic ou de dépistage plus efficace et/ou moins coûteuse, offrant de meilleures performances en matière de rapidité, de sensibilité ou de spécificité. Charge à nous de garder en mémoire cette amélioration des outils au cours du temps, afin d’effectuer des comparaisons pertinentes des incidences apparentes successives. Un exemple nous est donné par la maladie des griffes du chat, parfois qualifiée à tort de zoonose émergente par certains auteurs (CHOMEL, 2000 ; FASSI FERHI, 2001) cités par TOMA et THIRY (2003). En effet, les méthodes de diagnostic de la maladie chez l’homme et de dépistage de l’infection chez le chat ont connu des progrès spectaculaires grâce à l’isolement de l’agent responsable, Bartonella henselae. L’incidence réelle de l’infection chez le chat et de la maladie chez l’enfant n’a, quant à elle, probablement pas évolué depuis de nombreuses années (TOMA et THIRY, 2003). 1.2.3.2. Renforcement des mesures d’épidémiosurveillance Il s’agit d’une amélioration plus globale que celle précédemment décrite, qui comprend non seulement l’utilisation plus efficace et plus ciblée de meilleurs outils de diagnostic mais également la mise en place de réseaux d’étude, de surveillance, et de communication sur des maladies humaines et/ou animales. Ces réseaux se sont mis en place progressivement dans de nombreux pays au cours des dernières décennies. Ils se sont améliorés à la lumière des découvertes successives sur l’étiologie de différents syndromes ou états pathologiques. La présentation de la maladie de Lyme comme zoonose émergente est probablement à relativiser suite à la découverte de son agent étiologique (Borrelia burgdorferi). en 1982, à l’amélioration des outils de diagnostic qui ont suivi et à la mise en place d’un réseau d’épidémiosurveillance spécifique aux Etats-Unis (TOMA et THIRY, 2003). 1.2.3.3. Développement de la médiatisation de la maladie C’est un biais qu’il est difficile d’éviter, en particulier pour les maladies humaines. A l’ère de la mondialisation, l’amélioration des moyens de communication à grande échelle (médias, internet et autres) autorise une diffusion de l’information comme des phénomènes de mode, par trop souvent exagérés, pouvant donner une impression d’émergence pour certaines maladies. Ce cas a été observé, il y a quelques années en France, par le tapage médiatique autour de la listériose. Chaque nouveau cas était mis en avant à la « une » des journaux écrits et télévisuels, donnant l’impression d’une anadémie de grande ampleur et de l’émergence de la listériose humaine en France (TOMA et THIRY, 2003). 51 1.2.4. Relativité épidémiologique de l’émergence Comme dans toute notion épidémiologique, il est important d’inclure dans le concept de maladie émergente une échelle de temps et une échelle d’espace. En effet, il est impossible de concevoir des mesures d’incidence sans préciser sur quelle population ces mesures sont effectuées, dans quel secteur géographique et pendant combien de temps. TOMA et THIRY (2003) expliquent ainsi qu’il est indispensable de préciser systématiquement les caractéristiques d’espace et de temps correspondant à une maladie émergente qui, par définition, ne peut être émergente en permanence et dans le monde entier. Le corollaire de cette relativité épidémiologique est qu’on ne peut réellement qualifier une maladie d’émergente qu’a posteriori, après une étude rétrospective de l’évolution de son incidence au cours d’une période donnée. Par exemple, le SIDA peut être considéré comme une maladie émergente à l’échelle du globe et pendant une longue période (l’incidence a augmenté pendant plusieurs décennies) (TOMA et THIRY, 2003). Toutefois, grâce notamment à l’amélioration des outils d’observation, d’information et de communication dans la communauté scientifique, il est souvent possible de dire qu’une maladie semble être « en train d’émerger ». Ainsi nous assistons probablement en ce moment à l’émergence d’une nouvelle maladie animale : la Pancytopénie Néonatale Bovine (provoquant un syndrome de diathèse hémorragique chez des veaux nouveaunés). Cette maladie dont l’agent étiologique est encore inconnu à ce jour semble évoluer en Europe depuis 2007. Les modalités selon lesquelles la maladie est apparue et s’étend en Europe sous la forme de cas sporadiques (pour le moment), permettent aux autorités sanitaires de suspecter qu’il s’agit bien d’une maladie émergente vraie dont l’incidence augmente de façon drastique depuis 2008 (THERON et al., 2010). 1.3. Propositions de définition Depuis l’apparition du concept d’émergence en pathologie infectieuse, de nombreux auteurs ont tenté de proposer une définition exacte de ce qu’est une maladie émergente. La difficulté consistait à prendre en compte tous les facteurs intervenant autour de cette notion tout en excluant les biais existants. 1.3.1. Tentatives successives Le premier à avoir proposé une définition est Stephen MORSE (1995), suite à ses travaux aux Etats-Unis sur l’apparition de virus jusqu’alors inconnus et de bactéries qualifiées de nouvelles, telles que Legionella et Borrelia burgdorferi. Pour lui, les infections émergentes sont des « infections récemment apparues dans une population ou qui ont existé dans cette population et qui connaissent une rapide augmentation de leur incidence ou de leur zone géographique » (MORSE, 1995). Cette définition a par la suite été reprise par de nombreux auteurs qui la jugeaient incomplète ou trop imprécise. Claude Chastel (2000) par exemple a proposé une définition plus précise de l’émergence virale : « Apparition spontanée, soudaine ou progressive, de nombreux cas d’infections dues à un virus apparemment « nouveau » (sur le plan antigénique, génomique, voire générique) et douées d’une forte invasivité et/ou mortalité ». Il a également mis en avant deux notions nouvelles, à savoir celle de réémergence et celle de réussite émergentielle que nous développerons par la suite (CHASTEL, 2000). 52 TOMA et THIRY (2003) se sont quant à eux basés sur les textes de nombreux auteurs (MORSE, 1993 ; FASSI FERHI, 2001 ; WOOLHOUSE, 2002 ; cités par TOMA et THIRY, 2003) afin de réfléchir à une définition qui permettrait de refléter les caractéristiques réelles d’une maladie émergente, à savoir une « augmentation réelle de l’incidence d’une maladie ». Ceci implique d’une part que soient précisés les critères permettant de définir l’incidence (population, temps, espace) et d’autre part que cette augmentation soit évaluée par rapport aux fluctuations habituelles de l’incidence de la maladie. Il en ressort donc qu’une maladie émergente est une « maladie dont l’incidence réelle augmente de manière significative dans une population donnée, dans une région donnée et pendant une période donnée, par rapport à la situation habituelle de cette maladie » (TOMA et THIRY, 2003). La Figure 24 illustre cette notion par l’exemple d’une zoonose. 53 54 Temps Au départ, l’agent pathogène est « confiné » dans le réservoir sauvage. Sous l’influence de divers facteurs (« ? » sur le schéma), il va franchir une ou plusieurs barrières d’hôtes. Des cas sporadiques vont alors commencer à apparaître, souvent sous des formes anadémiques voire anazootiques. L’incidence restant faible, la maladie n’est généralement pas encore détectée par les autorités sanitaires ou vétérinaires. Des modifications intrinsèques et/ou extrinsèques vont ensuite rendre le nouvel hôte capable d’amplifier et de transmettre rapidement l’agent pathogène. A ce stade, la maladie commence à émerger en prenant généralement une forme épidémique (ou épizootique). Son incidence passe très vite au-dessus du seuil de détection. Après un certain temps enfin, l’incidence cesse d’augmenter. Par divers mécanismes la situation de l’agent pathogène se stabilise dans la population d’hôtes. Cet agent y reste généralement endémique (enzootique) et l’émergence prend alors fin. « Une nouvelle maladie est née » (ARTOIS et al., 2003) (ARTOIS et al., 2003) Figure 24 : Déroulement de l’émergence d’une zoonose à partir d’un réservoir sauvage 1.3.2. Définitions officielles A l’heure actuelle, une maladie émergente est reconnue par l’Organisation Mondiale de la Santé Animale (anciennement Office International des Epizooties = OIE) comme « une nouvelle infection résultant de l’évolution ou de la modification d’un agent pathogène existant, une infection connue se propageant à une nouvelle aire géographique ou à une nouvelle population, la présence d’un agent pathogène non identifié précédemment ou encore une maladie diagnostiquée pour la première fois et ayant des répercussions significatives sur la santé animale ou la santé publique ». Pour le Center for Diseases Control (CDC) d’Atlanta, ce sont « les maladies infectieuses dont l'incidence chez l'homme a augmenté au cours des 2 dernières décennies ou menace d'augmenter dans un proche avenir. Ces maladies, qui ne respectent pas les frontières nationales, incluent : - les nouvelles infections dues à un changement ou à une évolution d’organismes existants, - les infections connues se propageant à de nouvelles zones géographiques ou à de nouvelles populations, - les infections inconnues auparavant apparaissant dans des zones en cours de transformation écologique, - les vieilles infections ré-émergeant à la faveur d’une résistance aux antimicrobiens d’agents connus ou à la faveur de failles dans les mesures de santé publique ». Ces définitions officielles recueillies respectivement sur le site de l’OIE et sur le site de la revue Emerging Infectious Diseases le 22 juin 2010 mettent en exergue la complexité du concept de maladie émergente et expliquent la difficulté que les auteurs ont à s’accorder sur une définition unique. On peut également remarquer que dans la définition du CDC, les maladies dont l’incidence « menace » d’augmenter sont considérées comme émergentes. On touche ici à un problème de confusion entre une maladie « émergente » et une maladie « à risque émergentiel » qui trouve sa résolution dans le concept de « réussite émergentielle », développé ci-après (TOMA et THIRY, 2003). 2. ETAPES DE L’EMERGENCE D’UNE MALADIE 2.1. La réussite émergentielle 2.1.1. Apparition du concept de réussite émergentielle Ce concept a été développé en premier lieu par CHASTEL (2000) qui estimait que la définition d’infection émergente proposée par MORSE (1995) était trop vague et méritait d’être précisée. Il donne toute sa dimension à la dynamique retrouvée dans l’observation de l’émergence d’une maladie. Selon CHASTEL (2000), de nombreux virus émergent probablement chaque année à partir de réservoirs encore inconnus et d’écosystèmes divers. Cependant seules certaines maladies sont repérées car elles ont provoqué suffisamment de manifestations épidémiologiques pour attirer l’attention de la communauté scientifique ou des autorités sanitaires. On retrouve ces situations dans 55 les divers cas décrits par TOMA et THIRY (2003) (Figure 21, cas 1 à 4). La notion de seuil de détection dans l’incidence d’une maladie correspond pleinement au phénomène, bien connu en épidémiologie, de l’iceberg dont on ne peut voir que la partie émergée. Cette partie émergée n’est la plupart du temps qu’une fraction relativement faible de la partie immergée : les virus encore inconnus, non détectés (Figure 21, cas 3 et 4). Le fait de repérer une maladie jusqu’alors inconnue n’en fait pas forcément une maladie émergente. La réussite émergentielle ne peut se produire que si la maladie suit un processus précis. 2.1.2. Un processus en trois étapes 2.1.2.1. Apparition d’un risque émergentiel Il s’agit de la toute première phase de l’émergence d’une maladie. Celle-ci est la plupart du temps discrète, voire indétectable pour toutes les maladies encore inconnues. Seule l’expérience des émergences passées de maladies similaires ou différentes dans des conditions épidémiologiques proches peut mettre en alerte les autorités sanitaires. A cette étape les « acteurs » de l’émergence se mettent en place : les conditions épidémiologiques (au sens large) jusqu’alors défavorables, subissent un changement qui va « autoriser » la maladie à émerger. Ces changements peuvent concerner aussi bien l’agent pathogène lui-même que son ou ses vecteurs, que son ou ses hôtes, que son environnement. 2.1.2.2. Réussite émergentielle à proprement parler Il s’agit du franchissement du ou des obstacles qui empêchaient la maladie d’émerger, du moins d’apparaître aux yeux de la communauté scientifique. Nous pouvons considérer cette étape comme une capacitation de la maladie dont l’incidence croît par conséquent au-dessus du seuil de détection. Pour CHASTEL (2000), cela correspond à un changement d’hôte : un virus d’origine animale est parvenu à infecter un être humain en franchissant ce qu’il est convenu d’appeler une « barrière d’hôte ». Pour RODHAIN (2003), l’origine de cette réussite émergentielle peut être bien plus hétéroclite et bien plus complexe. Elle peut concerner autant des maladies humaines qu’animales ou végétales. Les facteurs l’autorisant ne se limitent pas uniquement à un changement d’hôte : ils peuvent concerner le vecteur, l’agent étiologique de la maladie, les conditions climatiques… 2.1.2.3. Dissémination de la maladie C’est ce que CHASTEL (2000) évoque sous le terme d’« extension épidémique de l’infection à une population plus importante ». Il peut s’agir de nombreux cas groupés infectés à la même source comme d’une véritable diffusion épidémique par transmission interindividuelle ou vectorielle. C’est cette étape de dissémination qui conditionne la plus ou moins grande « réussite émergentielle » de la maladie. Cette dernière est devenue capable de progresser par elle-même dans le temps et l’espace. De nombreux facteurs conditionnent l’efficacité de cette extension, y compris les mesures précoces de détection et de contrôle des maladies (RHODAIN, 2003). 56 2.2. Les différentes catégories de maladies dites « émergentes » Des précisions de CHASTEL (2000) sur le concept de réussite émergentielle résulte une classification des maladies dites « émergentes ». Cette classification est en lien direct avec la dimension dynamique de l’émergence d’une maladie, ainsi qu’avec les étapes par lesquelles elle passe. 2.2.1. Emergences réussies Il s’agit des maladies qui ont « passé » avec succès les trois étapes de la réussite émergentielle et dont la dissémination a été importante, aussi bien par sa vitesse que par son extension géographique. Le Virus de l’Immunodéficience Humaine (VIH), principal agent du Syndrome d’Immunodéficience Acquise (SIDA), est un exemple de parfaite réussite émergentielle. Il a très probablement émergé en Afrique à partir des années 1940-1950 suite à des contacts répétés entre l’homme et le chimpanzé de la sous-espèce Pantroglodytes troglodytes troglodytes, réservoir sauvage du virus. Dans ce cas précis, c’est bien un franchissement de la barrière d’hôte qui a permis la réussite émergentielle. Aujourd’hui le SIDA touche plus de 40 millions d’individus à travers le monde entier et progresse inexorablement. Le manque de mesures de lutte efficaces, essentiellement dans les pays en développement, explique la constante progression de cette maladie (CHASTEL, 2000). De même, le virus de l’hépatite C (VHC) infecte aujourd’hui plus de 170 millions d’individus de par le monde. Le mode de transmission habituel est le transfert de sang contaminé (seringues souillées entre drogués, transfusions sanguines insuffisamment maîtrisées dans les pays en développement…). Ses manifestations cliniques (cirrhose, hépatocarcinome) sont tardives. Pour ces raisons, le VHC est assuré d’une réussite émergentielle qui peut passer inaperçue pendant un temps. Aux Etats-Unis, 8 000 à 10 000 décès par an sont attribués à cette maladie (CHASTEL, 2000). Enfin, les épidémies (voire pandémies) de grippe sont un bel exemple de réussite émergentielle. La grippe « espagnole » de 1918-1919 a causé des millions de morts, bien plus que la guerre qui venait de s’achever. On sait aujourd’hui, après de nombreuses études expérimentales et épidémiologiques sur les différents épisodes de grippe, que l’Influenzavirus A possède une forte variabilité antigénique (virus à ARN, sans système de correction à la réplication) voire même une capacité à complètement se réassortir génétiquement. La population se trouve alors devant un nouveau virus, totalement dépourvue d’immunité efficace. C’est ce mécanisme qui permet chaque année à la grippe hivernale de tuer quelques milliers de personnes (CHASTEL, 2000). 2.2.2. Emergences potentielles 2.2.2.1. Emergences à fort potentiel de réussite Il s’agit des maladies qui ont tout juste franchi ou sont sur le point de franchir la seconde étape, à savoir la « réussite émergentielle » au sens strict. Elles évoluent dans un contexte épidémiologique aux conditions très favorables à une dissémination importante. 57 De nombreux exemples sont donnés par CHASTEL (2000) : - Le virus West Nile, transmis par des moustiques, est présent en de nombreux points du globe et possède une virulence qui peut être très importante dans certaines régions. Celui-ci avait été reconnu responsable de plusieurs épisodes d’émergences sporadiques dans le monde entier dans les années 1990 mais n’avait pas encore subi d’extension épidémique à grande échelle. La dissémination géographique au sud des Etats-Unis, aux Caraïbes et en Amérique du Sud était alors crainte, en particulier dans le contexte du réchauffement climatique global. - Le monkeypox (variole du singe), zoonose accidentellement transmise à l’homme en Afrique centrale et de l’Ouest, est un virus très proche de celui de la variole humaine. En 19961997, de nombreux cas « en cascade » ont été rapportés depuis la région de Katako-Kombé dans le Kasaï oriental (où les contacts avec le cycle sauvage étaient fréquents), révélant ainsi la capacité de ce virus à se transmettre d’homme à homme. C’est en réalité une baisse d’immunité spécifique due à l’arrêt de la vaccination contre la variole humaine dans cette région qui a permis à la variole du singe de se développer chez des individus qui n’avaient plus de protection croisée. Il n’y a pas eu, pour le moment, d’épidémie importante de variole du singe. Néanmoins, la menace de l’emploi du monkeypox comme arme de bioterrorisme sur des populations dépourvues d’immunité spécifique classe cette maladie dans la catégorie des émergences à fort potentiel de réussite. 2.2.2.2. Emergences à potentiel de réussite limité Il s’agit des mêmes maladies que les précédentes, à une différence près : leur possibilité d’extension épidémique. C’est leur absence de capacité à diffuser de façon massive et à coloniser d’autres régions géographiques qui limitera leur réussite émergentielle. Ces limites peuvent être dues à différents facteurs : le virus lui-même, qui peut tuer trop vite pour permettre sa dissémination par contamination ; le vecteur, qui ne peut se trouver et/ou survivre que dans des secteurs géographiques limités, aux conditions environnementales et climatiques particulières ; les réservoirs sauvages, qui peuvent être géographiquement très isolés… Ces maladies, si elles émergent, ne provoqueront guère que quelques centaines de cas. CHASTEL (2000) donne deux exemples pour illustrer cette catégorie : le virus Ebola et le virus de la maladie de Marburg. Ces deux virus, responsables sporadiquement d’épisodes d’épidémies à très fort taux de mortalité en Afrique (respectivement 77,5% pour Ebola et 82% pour Marburg), n’ont jamais infecté plus d’une centaine de personnes à la fois, tuant trop vite pour avoir le temps de se propager. De plus, il est apparu que les singes, responsables de la contamination humaine et supposés être le réservoir sauvage de cette maladie, étaient aussi sensibles que l’homme à ces virus. Le peu de contact entre les réservoirs réels de ces maladies (possiblement des rongeurs pour Ebola et des chauves-souris pour Marburg) et l’homme limite donc fortement les réussites émergentielles. 2.2.2.3. Emergences pour le moment non réussies Ce sont les maladies qui, pour le moment, n’évoluent pas dans des conditions favorables à leur émergence. Le risque d’émergence comme première étape de la réussite émergentielle n’existe pas encore ou est extrêmement limité. Ces maladies demeurent cependant importantes au plan théorique puisqu’elles peuvent tout à fait évoluer vers des maladies à émergence potentielle. Un exemple est donné par Chastel (2000) avec le virus grippal A aviaire H5N1, responsable en 1997 de quelques cas de pneumonie infantile à Hong-Kong. A l’époque, l’épidémie s’était arrêtée là ; l’abattage d’un million et demi de poulets semblait avoir été efficace puisque l’extension épidémique n’avait pas eu lieu. Par la suite, nous avons constaté une extension épizootique très 58 importante, tant par le nombre de cas recensés que par la taille du secteur géographique touché. Ceci témoigne bien de la capacité d’une maladie dite « émergente » à changer de catégorie. Le concept de réussite émergentielle permet ainsi de pondérer l’importance relative des émergences virales. Cette notion est incluse dans la définition proposée par TOMA et THIRY (2003) sous le terme « de manière significative ». Il est important de garder à l’esprit que ces catégories sont loin d’être parfaitement cloisonnées et que le passage d’une catégorie à une autre est l’essence même de la définition de maladie émergente. 3. FACTEURS MIS EN CAUSE DANS L’EMERGENCE D’UNE MALADIE A TRANSMISSION VECTORIELLE 3.1. Facteurs d’apparition d’un risque émergentiel Ce sont les événements initiaux qui constituent les causes premières des émergences. Ces phénomènes biologiques sont généralement ponctuels, localisés et ils surviennent brusquement, parfois à plusieurs reprises. Les trois éléments du système vectoriel (quand il s’agit de maladies vectorielles) peuvent être impliqués de façon indépendante ou conjointement : l’agent causal, le vecteur ou l’hôte vertébré (RODHAIN, 2003). 3.1.1. Causes relatives à l’agent causal Cela correspond à l’apparition d’un agent infectieux nouveau pour la région. Par « nouveau », on peut entendre totalement nouveau ou ayant des propriétés nouvelles pour la région. L’agent infectieux doit ensuite trouver un terrain favorable à son extension (vecteur et hôtes) pour que le risque émergentiel se transforme en émergence. 3.1.1.1. Introduction d’un agent infectieux nouveau pour la région Il s’agit de la dissémination de l’agent infectieux depuis une région où il est connu jusqu’à une région où il est encore inconnu. Ce transport se fait nécessairement soit par le vecteur de la maladie (s’il s’agit d’une maladie vectorielle), soit par un hôte vertébré, animal ou humain (RODHAIN, 2003). Plusieurs exemples sont donnés : - Le paludisme à Plasmodium falciparum, la dengue, la fièvre jaune en Amérique, la peste en Amérique du Nord, sont autant d’exemples d’agents infectieux introduits par l’homme dans des territoires vierges jusqu’alors… - La leishmaniose à Leishmania chagasi, introduite par les chiens en Amérique ; la fièvre de la vallée du Rift, introduite en Egypte en 1977-78 à la suite d’importations massives de bétail du Soudan. Ces exemples témoignent de cas où les agents infectieux sont transportés par les animaux domestiques… 59 - Le virus West Nile, probablement introduit sur le continent américain par des oiseaux ; le virus de la grippe aviaire à virus H5N1, possiblement transporté depuis l’Asie jusque dans le bassin méditerranéen par des oiseaux migrateurs. Ce sont là des exemples d’agents transportés par des animaux sauvages… 3.1.1.2. Apparition d’un agent infectieux nouveau pour la science Ce type d’évènement a une probabilité de survenue faible car il correspond à un remaniement d’agents pathogènes connus et proches (remaniement génétique de deux virus par exemple) (DOMINGO, 2010). De plus il est difficile de prouver, une fois l’émergence constatée, que c’est bien ce mécanisme qui était à l’origine de l’apparition du risque émergentiel et non l’apparition d’un nouveau variant d’un virus déjà connu. Une différence épidémiologique peut cependant orienter les recherches : un virus totalement nouveau a tendance à se répandre plus vite et plus largement sur une population dont l’immunité contre ce virus est inexistante. Un nouveau variant, au contraire, peut être ralenti par une immunité déjà présente et orientée contre l’ancien variant. Un exemple de ce type de remaniement est décelé à ce jour dans le virus de l’encéphalite équine de l’ouest (WEE), reconnu comme étant probablement une recombinaison entre les virus de l’encéphalite équine de l’est (EEE) et Sindbis (Alphavirus transmis par des moustiques du genre Culex que l’on retrouve en Egypte et qui provoque des fièvres importantes chez les humains). Le résultat est un virus possédant la capacité d’induire des encéphalopathies (comme l’EEE) et ayant les propriétés antigéniques de Sindbis (RHODAIN, 2003). C’est également ce type de remaniement que la communauté scientifique craignait lors de l’arrivée du virus de la grippe aviaire H5N1 aux frontières de l’Europe. Une recombinaison chez le porc entre un virus humain et le virus de la grippe aviaire aurait pu déboucher sur l’apparition d’un nouveau virus. Celui-ci aurait pu être d’une virulence bien plus élevée et posséder une capacité à se transmettre d’homme à homme. 3.1.1.3. Apparition d’un nouveau variant d’un agent infectieux connu Comme il a été évoqué juste avant, il s’agit ici d’une mutation, d’une recombinaison ou d’un réassortiment génomique d’un variant déjà connu ayant pour conséquence un nouveau génotype (DOMINGO, 2010). Dans la plupart des cas la pression environnementale entraîne l’élimination de ces mutations mal adaptées. Certaines d’entre elles cependant peuvent survivre car mieux adaptées, voire même se disséminer grâce à une expression phénotypique plus favorable encore. Un germe peut ainsi acquérir des facteurs de virulence plus importante, ainsi que la capacité de franchir une barrière d’hôtes ou de vecteurs. Lorsque cette étape est franchie et qu’elle est favorable, l’adaptation du germe à son nouvel environnement (vecteur, hôte…) souvent rapide, peut se traduire par de nouvelles propriétés : une pathogénicité augmentée, une transmissibilité plus élevée, une extension géographique facilitée, une résistance à certains éléments de l’environnement (exemple des antibiorésistances). Divers exemples peuvent être donnés pour ce mécanisme (RHODAIN, 2003) : - Virus de la dengue avec l’apparition de virus d’une pathogénicité particulière ; - Nouvelles entités cliniques non reconnues auparavant comme l’angiomatose bacillaire et la péliose hépatique dues à des Bartonella. Celles-ci ont ré-émergé à la fin du 20e siècle en élargissant leur spectre clinique et en changeant leur épidémiologie (fièvre des tranchées urbaine chez les SDF), notamment grâce à la pullulation des poux et au VIH. 60 3.1.1.4. Apparition d’un agent vraisemblablement ancien, mais jusqu’alors inconnu C’est le cas le plus fréquent lorsqu’une maladie est qualifiée de « nouvelle ». Le germe, enfermé dans un cycle sauvage inconnu de la communauté scientifique, profite d’un contact écologique brusquement instauré par un déséquilibre dans l’écosystème concerné. Le plus souvent ce contact a lieu à la faveur de modifications environnementales qui favorisent l’apparition de contacts nouveaux ou plus fréquents entre populations de vertébrés (l’homme y compris) et/ou de vecteurs. Ces modifications environnementales, souvent anthropiques (colonisation de milieux sauvages par les activités humaines par exemple), peuvent également trouver leurs origines dans des événements naturels (conditions climatiques anormales par exemple). Le VIH est un exemple de transmission entre un cycle sauvage chez le chimpanzé Pantroglodytes troglodytes troglodytes et l’homme. Suite à des contacts de plus en plus fréquents entre ces deux populations, le virus a fini par passer la barrière d’hôte et à sortir de son cycle sauvage pour émerger. Comme le montre cet exemple, c’est bien souvent à l’occasion de telles émergences que l’existence de l’agent responsable est révélée. Si elle est réussie, l’émergence devient visible et les enquêtes épidémiologiques a posteriori permettent d’identifier l’agent ainsi que son origine sauvage ancienne et, par conséquent, l’existence d’infections cliniquement inapparentes. Parfois même certaines émergences révèlent des agents pathogènes dont la nature et les caractéristiques étaient totalement ignorées jusqu’alors. Ainsi l’émergence de l’ESB au RoyaumeUni à la fin de l’année 1986 a-t-elle permis de découvrir l’existence du prion, agent inconnu auparavant, qui se trouve être une protéine. 3.1.2. Causes relatives au vecteur Il s’agit de l’apparition, dans la zone géographique concernée, d’un vecteur nouveau ou présentant des propriétés nouvelles. Ces modifications peuvent ainsi créer un terrain potentiel d’extension favorable à un agent infectieux, qu’il soit ancien ou nouveau. En outre, le vecteur nouvellement arrivé dans une région doit nécessairement trouver une niche écologique où s’installer et une population locale compétente pour la dissémination de l’agent infectieux… Ces conditions doivent s’avérer durables pour que la réussite émergentielle ait lieu. 3.1.2.1. Introduction d’un vecteur nouveau pour la région Ici aussi, cette introduction peut avoir lieu de façon naturelle ou être provoquée par l’homme et ses activités. Ce dernier mode semble être de loin le plus important de nos jours. Il est conditionné par les déplacements des hommes, de plus en plus rapides, variés et fréquents à l’ère de la mondialisation. Lors d’introduction naturelle, les mécanismes relèvent le plus souvent d’une dispersion passive, soit par les vents, soit par les déplacements d’hôtes vertébrés sur lesquels ils sont fixés (c’est le cas des tiques, en particulier lorsqu’elles parasitent des vertébrés migrateurs) (RODHAIN, 2003). Plusieurs exemples peuvent être donnés pour l’introduction d’un vecteur ayant entraîné une émergence dans une région (RODHAIN, 2003) : - La petite épidémie d’encéphalite japonaise qui a sévi dans les îles du détroit de Torrès en 1995 due probablement au transport par les vents de moustiques infectés depuis la NouvelleGuinée. 61 - Le pou de l’homme, à distribution cosmopolite, qui a accompagné son hôte partout et a été reconnu responsable de certaines maladies émergentes (fièvre des tranchées urbaines à Bartonella chez les SDF). Il s’agit ici d’un mécanisme à la fois naturel et anthropique car l’hôte est l’homme lui-même. - L’émergence de nombreuses maladies en divers endroits du globe qui est due depuis longtemps au transport de vecteurs infectés (la fièvre jaune urbaine en Amérique par Aedes aegypti ; le paludisme au Brésil par Anaplasma Gambiae en 1930, puis dans la vallée du Nil en 1942, puis à Djibouti en 1974…). - L’expansion de la FCO dans le bassin méditerranéen dans les années 2000 qui a été vraisemblablement une conséquence directe de l’extension géographique de son vecteur principal, Culicoides imicola, durant la seconde moitié du 20e siècle (pour des raisons encore inconnues et bien avant que le phénomène de « réchauffement climatique » n’ait débuté) ; l’épizootie de Corse en octobre 2000 est probablement due au transport par les vents de ce vecteur depuis la Sardaigne. 3.1.2.2. Apparition d’un vecteur aux propriétés nouvelles Comme sur les agents causaux, des modifications génétiques peuvent apparaître dans les populations d’arthropodes, soit en réponse à une modification de l’environnement, soit en réponse à l’introduction d’un vecteur nouveau. Dans la plupart des cas, ces modifications ne concernent que de très petites populations isolées, voire même uniquement des lignées iso-femelles (descendants provenant d’une seule et unique femelle). En fonction des flux géniques intra- et inter-population et de l’adaptation du gène à l’environnement (« l’intérêt » du gène d’un point de vue finaliste), ce caractère pourra éventuellement se diffuser au sein de l’espèce vectorielle. Divers caractères pourront ainsi être affectés : le comportement (rapprochement de l’homme par exemple), la compétence vectorielle, la sensibilité aux insecticides… Seules des études génétiques précises des populations peuvent permettre d’évaluer le phénomène et de prévoir les conséquences sur les émergences potentielles de nouvelles maladies. Un exemple est donné avec le vecteur de la maladie hémorragique épizootique des cervidés qui nous concerne ici et pour lequel de nombreuses études phylogéniques ont été réalisées aux Etats-Unis (SMITH et al., 1996). 3.1.3. Causes relatives aux hôtes vertébrés 3.1.3.1. Introduction d’un hôte réservoir ou amplificateur nouveau pour la région Cet hôte vertébré nouveau peut, dans de rares cas, être un hôte sauvage. Il apparaît généralement à la suite d’une modification d’ordre écologique, naturel ou anthropique, à l’origine de cette bioinvasion. L’émergence de la borréliose de Lyme suite au retour d’importantes populations de cerfs de Virginie (Odocoileus virginianus) dans les zones reboisées de l’est des Etats-Unis, comme nous l’avons décrite auparavant, en est un bon exemple. C’est également le cas de l’épidémie de leishmaniose au Maroc en 1980, suite à la pullulation de mérions (Meriones shawi, rongeurs, hôtes de Leishmania major) dans les champs de culture, grandement favorisée par une pluviométrie anormalement élevée pour la région. Dans la plupart des cas cependant il s’agit d’un animal domestique, voire de l’homme lui-même. C’est la conséquence inévitable de l’extension géographique des populations humaines et de leurs activités, au détriment des territoires sauvages. L’exemple du VIH peut également être cité pour les 62 contacts, de plus en plus fréquents entre le cycle sauvage et l’homme, qui sont à l’origine de l’émergence. Ces contacts sont sans aucun doute le résultat de l’expansion territoriale des activités humaines vers des niches écologiques jusqu’alors protégées. 3.1.3.2. Apparition d’hôtes vertébrés aux propriétés nouvelles On touche ici à une notion importante dans l’étude des maladies émergentes : l’état de réceptivité/immunité dans la population sensible. Cet état peut conditionner l’émergence ou la nonémergence d’une maladie. Ainsi, une baisse brutale du niveau de l’immunité dans une population (due par exemple à l’arrivée d’individus non immuns) peut être à l’origine d’un phénomène épidémique. Un exemple nous est donné par le paludisme qui émergeait (ou plutôt ré-émergeait) parmi les travailleurs agricoles saisonniers à l’époque des moissons, dans des zones impaludées de basse altitude (Europe orientale, Turquie…). Il en est de même avec les leishmanioses, dans les pays andins, qui flambent chaque fois que des populations non immunes des hauts plateaux descendent s’installer dans les plaines basses. A ce stade, le risque émergentiel passe le plus souvent inaperçu, même si, en dépit de son expérience, la communauté scientifique se méfie des situations pouvant potentiellement conduire à des émergences. C’est encore la partie cachée de l’iceberg dont il s’agit. 3.2. Facteurs impliqués dans la réussite émergentielle On est ici dans l’étape conditionnant l’émergence au sens strict : au niveau de l’étincelle qui déclenche le phénomène épidémique. Car bien que les conditions d’une émergence potentielle soient toutes réunies et que le risque émergentiel soit important (voire même « inévitable » comme on peut l’entendre parfois), il faut des catalyseurs afin d’« autoriser » cette émergence. Ces facteurs sont en réalité ceux qui régissent les relations entre agent infectieux, vecteur, hôte et environnement (souvent à l’origine des réémergences) (RODHAIN, 2003). 3.2.1. Modifications de l’environnement bioclimatique Il est important de distinguer ici ce que RODHAIN (2003) désigne comme « le bruit de fond de la variabilité naturelle et constante du climat » d’une part (avec de temps en temps des phénomènes paroxystiques temporaires) et les « changements climatiques » d’autre part, plus progressifs et durables. MARTINEAU (2003) reprend également cette distinction. 3.2.1.1. Evènements climatiques ponctuels et paroxystiques Ainsi que nous l’avons décrit précédemment avec la leishmaniose réapparue au Maroc suite à une pluviométrie anormalement élevée, ce type d’événements peut être à l’origine d’émergences ou de réémergences de maladies infectieuses. Ces événements ponctuels, mais importants, posent des problèmes délicats dans la gestion des maladies infectieuses par les autorités sanitaires, essentiellement parce qu’ils sont imprévisibles. De plus, leurs conséquences sur les populations de vecteurs et d’hôtes sont souvent importantes. On peut ainsi observer la disparition de certaines populations, suivie de la recolonisation de la niche écologique par une nouvelle population d’une 63 espèce différente, ou de la même espèce, mais génétiquement différente. La nouvelle population peut parfois se révéler meilleure vectrice ou l’hôte sauvage plus sensible… A la suite de cyclones (événements climatiques paroxystiques par définition) par exemple, ce phénomène de variations dans la génétique des populations, accompagné de conditions environnementales bouleversées et de conditions d’hygiène souvent insalubres, peut être à l’origine d’épidémies sur les populations présentes. 3.2.1.2. Le réchauffement global et ses conséquences C’est un phénomène dont la réalité devient de moins en moins contestable et qu’il faut prendre en considération lorsqu’on parle du risque de maladie émergente. De nombreuses hypothèses, naturelles et anthropiques, sont avancées quant à ses origines et donnent lieu à de nombreuses controverses. Un rapport de l’AFSSA de 2005 sur l’évaluation du risque d’apparition et de développement de maladies animales compte tenu d’un éventuel réchauffement climatique (RHODAIN et al., 2005) met en avant les conséquences probables que ce phénomène aurait sur la physiologie, la distribution et/ou l’écologie de chacun des trois éléments du système vectoriel, à savoir l’agent infectieux, le vecteur ou l’hôte vertébré (Figure 25). Figure 25 : Principaux impacts du changement climatique sur les systèmes vectoriels (RHODAIN et al., 2005, d’après CHAN et al., 1999) Pour les entomologistes, c’est surtout une augmentation des températures (en particulier nocturnes) et des modifications dans les précipitations (sécheresses ou humidités anormales) qui sont à surveiller. Il faut toutefois retenir que l’impact du réchauffement global sur chacun des éléments du système vectoriel est complexe et difficile à analyser. Sur une même population, des contraintes multivariées peuvent venir « diluer » l’effet de ce facteur, entraînant alors des conséquences sur une échelle plus faible. Ces conséquences demeurent potentiellement problématiques car elles peuvent influer directement sur la compétence et la capacité vectorielles d’un arthropode pour un agent infectieux donné. 64 Des expérimentations en laboratoire tentent de reproduire ces phénomènes et de prévoir, grâce à des modèles mathématiques, les évolutions futures de ces systèmes. La réalité des événements sur le terrain est pour le moment bien trop complexe pour être parfaitement modélisée. De nombreux facteurs tels que les pratiques agro-pastorales, les comportements humains ou les capacités de détection et de réaction des pays, sont autant d’aléas qui rendent les prévisions impossibles. Une chose est sûre à l’heure actuelle, c’est qu’il n’existe pas d’exemple montrant l’émergence de certaines maladies comme une conséquence directe du seul réchauffement climatique global. Toutefois une absence de preuve n’est pas une preuve d’absence et on peut considérer que ce réchauffement est probablement un facteur favorisant, voire déterminant dans certaines émergences. 3.2.2. Les activités humaines et leurs conséquences écologiques Ce sont des facteurs d’ordre démographique, socio-économique et technique, conséquences directes des évolutions constantes des écosystèmes en relation avec les activités humaines. Ces écosystèmes où résident et interagissent les hommes, les animaux et leurs micro-organismes, peuvent abriter certains agents infectieux dont l’émergence peut être directement conditionnée par les modifications écologiques de ces écosystèmes. De nombreux travaux concernent l’étude de l’évolution des écosystèmes et de leurs conséquences. Ainsi, l’altération, voire la disparition de ces écosystèmes naturels (déforestations, reforestations), la nouvelle utilisation des espaces, la création d’agrosystèmes, les nouvelles modalités d’élevage, l’urbanisation, sont autant d’éléments pouvant influer sur la répartition et les contacts des populations (homme - animaux domestiques - animaux sauvages - vecteurs) (Figure 26). Figure 26 : Processus de transmission d’une infection par contact entre diverses populations : un réservoir sauvage (hôte 1), un réservoir domestique (hôte 2 ou 2’) et l’homme (hôte 2 ou 3) (ARTOIS et al., 2003) L’existence de contacts entre le réservoir sauvage (hôte 1) et un réservoir domestique ou humain entraîne une transmission anazootique (anadémique) de l’infection. Si ces contacts se prolongent et/ou se multiplient à cause de modifications anthropiques dans les écosystèmes, un nouveau cycle peut voir le jour (hôte 2’). Le réservoir domestique devient capable d’amplifier et de transmettre l’infection. On assiste alors à une épizootie (épidémie). 65 De nombreux exemples, tous déjà cités auparavant, peuvent être avancés : l’épidémie de dengue hémorragique, la borréliose de Lyme en Amérique, l’extension de l’encéphalite japonaise, l’extension de l’encéphalite à tiques en Europe du Nord. La « domestication » de certains vecteurs comme conséquence de l’urbanisation peut augmenter le simple effet de la concentration humaine. Culex pipiens (vecteur du virus West Nile) ou Aedes aegypti (vecteur de la fièvre jaune) ont ainsi pu entrer en contact permanent avec toutes les catégories de population, quels que soient le sexe, l’âge, le rang social, contrairement à certains vecteurs encore « sauvages », qui n’interagissent qu’avec une portion restreinte de la population humaine (chasseurs, bergers, travailleurs agricoles, forestiers…) dans des conditions particulières (à des saisons données, à des heures précises…). 3.2.3. La mondialisation et l’évolution des sociétés Ce sont des facteurs d’ordre sociologique et/ou économique, parmi lesquels on peut compter la mobilité croissante (voyages touristiques ou professionnels), les nouvelles habitudes alimentaires, les guerres, l’appauvrissement de certaines populations… Ces changements sociologiques peuvent entraîner brutalement ou progressivement de nouveaux contacts entre hôtes, réservoirs et vecteurs, pouvant conduire inexorablement à l’émergence de certaines maladies. Le virus West Nile a ainsi pu se développer à Bucarest, en Roumanie, en 1996, à partir d’un cycle sauvage classique dans le delta du Danube. Les habitants de la ville, entassés dans des immeubles vétustes, élevaient des poulets (dans les logements, balcons, escaliers, cours d’immeubles) favorisant également la prolifération de Culex pipiens, vecteur connu du virus West Nile. On peut aussi prendre l’exemple de facteurs liés à l’homme lui-même, telle que l’immunodépression sévère causée par le VIH. Dans le cas de co-infection par Leishmania, l’homme devient une source d’infection énorme pour le vecteur, ce qui majore de façon significative le risque de transmission et donc d’apparition d’une épidémie particulièrement grave de leishmaniose viscérale. Enfin, l’exemple de l’émergence de l’ESB en 1986 est caractéristique des risques d’émergence entraînés par la mondialisation. En effet, la maladie s’est déclarée peu de temps après que certaines étapes de traitement thermique dans la fabrication de farines de viande et d’os (FVO) aient été supprimées. Le prion, agent responsable de l’ESB présent dans les FVO et alors inconnu, était auparavant détruit par les hautes températures de ces traitements thermiques. Lorsque ceux-ci ont cessé d’être employés par souci d’économie, le prion s’est retrouvé dans les FVO distribuées au bétail avec ses capacités d’infection intactes. 3.2.4. Le relâchement des mesures de contrôle C’est une situation, déjà évoquée dans les réémergences qui pourrait être évitée car, elle résulte malheureusement bien souvent de problèmes d’ordre économique et politique. Dans bon nombre de pays on observe un effondrement des structures de surveillance et d’intervention qui conduit inévitablement à une dégradation des mesures d’hygiène de l’environnement, à une insuffisance des structures de veille microbiologique et entomologique, à un arrêt des programmes de prévention et d’intervention. Dans la plupart des cas cela conduit à des réémergences. On peut aisément imaginer que l’abandon de mesures de prévention et d’intervention d’ordre général pourrait autoriser une nouvelle maladie à émerger là où elle aurait été stoppée par des mesures efficaces en temps normal (isolement du foyer, vaccinations massives…). 66 Un exemple est donné avec le contrôle chaotique d’Aedes aegypti, vecteur de la fièvre jaune, dans les Caraïbes. L’histoire du contrôle de ce moustique dans cette région est une succession de mises en place de programmes efficaces, puis d’arrêt des efforts de lutte par manque de financement donc de ré-invasions explosives. Les brusques changements dans les tailles des populations qui en ont résulté ont grandement favorisé l’évolution génétique rapide de ce vecteur dans la région. 3.3. Facteurs favorisant la dissémination de la maladie C’est ce qui va conditionner l’émergence plus ou moins grande de la maladie, tant sur le plan géographique qu’épidémiologique. Dans certains cas la maladie reste localisée à une zone relativement restreinte, sans extension hors de ce foyer. Des conditions permettant une véritable diffusion doivent en effet être réunies, conditions qu’il est possible de supprimer par d’efficaces mesures de contrôle mises en œuvre précocement. La dissémination peut, ici aussi, être liée à des phénomènes naturels comme à des facteurs anthropiques évoqués précédemment. On peut ainsi relever le rôle important voire déterminant dans la dissémination de certaines maladies des nombreux échanges à travers le monde (en avion notamment). De même, les conflits nationaux et internationaux, qu’ils soient d’ordre politique, économique ou social, conduisent à des suppressions des mesures de contrôle, à des déplacements massifs de population (comme à la frontière israélo-palestinienne) et ainsi à une possible extension géographique de maladies émergentes. ********* On aura remarqué, à travers les nombreux exemples de maladies ayant ou non émergé et leurs mécanismes d’apparition et de dissémination, que l’émergence d’une maladie est par définition multifactorielle. Il convient donc de sortir des schémas trop simplistes « une modification = une émergence » (souvent repris dans les discours sur les modifications climatiques) afin d’analyser plus en détail les nombreux facteurs potentiellement responsables. De l’ensemble de ces facteurs, WOOLHOUSE (2006) tire un portrait-robot de l’agent pathogène ayant le plus de probabilité d’émerger chez l’homme. Cet agent aurait les caractéristiques suivantes: Virus à ARN : forte variabilité génétique et donc antigénique, avec capacité de réassortiments. Large éventail d’hôtes sur le plan taxonomique et écologique : diffusion plus rapide et facilitée dans de nombreuses populations, ayant une forte capacité d’adaptation aux changements d’hôtes. Utilisation d’un récepteur cellulaire conservé entre les espèces hôtes : transmission interespèce facilitée et ne nécessitant pas de modifications antigéniques majeures pour le virus. 67 Transmission potentielle entre hommes, pour le moment rare : diffusion largement facilitée par l’absence de vecteur, avec un risque de recombinaison virale améliorant grandement la transmission interhumaine. Agent découvert dans des régions soumises à des changements d’ordre écologique, démographique ou social : nombreux facteurs favorisant l’émergence réunis dans un même secteur géographique, soumis à un bouleversement de l’équilibre global des écosystèmes. Maintenant que nous avons fait la lumière sur les caractéristiques que devait avoir une maladie émergente, nous allons tenter de voir si la situation actuelle de la Maladie Hémorragique Epizootique, en Europe et dans le monde, correspond à cette définition et/ou si elle risque d’y correspondre dans un avenir proche. 68 L’EHD A-T-ELLE ETE, EST-ELLE, OU RISQUE-T-ELLE DE DEVENIR UNE MALADIE EMERGENTE ? 69 70 1. HISTOIRE DE L’EHD ET DE SES EPISODES D’EMERGENCE 1.1. Découverte de la maladie 1.1.1. Une maladie enzootique en Amérique du Nord Comme nous l’avons vu précédemment, le virus de l’EHD a été découvert pour la première fois chez les ruminants sauvages (cerfs à queue blanche de Virginie) aux Etats-Unis, dans le New Jersey en août 1955 par Shope et ses collaborateurs (YADIN et al., 2008). Ils s’étaient alors aperçu qu’en réalité la maladie était présente depuis au moins 1890 et se manifestait par des épisodes d’épizootie. Les scientifiques de l’époque, ignorant son existence, la diagnostiquaient comme toute autre (stomatite mycosique, hémorragie sur septicémie…). A la fin des années 50 d’autres épisodes de ce type furent rapportés également chez des ruminants sauvages, chaque fois entre les mois d’août et septembre, dans les Etats du New Jersey, de Washington, du Michigan et du Sud Dakota (YADIN et al., 2008). On a assisté à un cas typique d’émergence d’un virus jusqu’alors inconnu par la science. Si on se réfère au chapitre précédent, l’apparition de l’EHD en 1955 correspond au cas n°3 de la Figure 21 qui s’est ensuite répété plusieurs fois : le virus, qui était présent de manière enzootique et endessous du seuil de détection, a dépassé ce seuil à plusieurs reprises lors des épizooties. De ce fait il a été « découvert » par la communauté scientifique. Comme chaque fois lors de la découverte d’un nouvel agent pathogène, la surveillance s’est accrue et le seuil de détection a diminué (« quand on sait que quelque chose existe, on a plus de chance de la chercher comme il se doit et de la trouver que lorsque l’on ignore son existence »). Les épisodes successifs observés jusqu’à la fin des années 50 en sont le reflet ; leur large distribution géographique aux Etats-Unis et au Canada ont conduit la communauté scientifique à nommer cette infection « maladie hémorragique épizootique des cervidés ». Ceci a donc constitué la toute première « émergence » apparente de l’EHD, simple conséquence de sa découverte. L’incidence réelle de cette maladie n’ayant probablement pas augmenté du fait de notre capacité à la diagnostiquer, on peut difficilement parler d’« émergence réelle ». Cependant il est difficile, au stade de la découverte de la maladie, de distinguer réellement une simple amélioration de la détection et une réelle augmentation de l’incidence géographique, d’autant plus lorsqu’elle touche une population d’animaux difficile d’accès (ruminants sauvages). Dans ce cas en particulier, les épizooties d’EHD dans d’autres Etats des Etats-Unis pourraient aussi bien constituer la preuve d’une « émergence vraie » par extension du secteur géographique. A ce jour il nous est impossible, par étude rétrospective, de faire la distinction entre ces deux situations. 1.1.2. Découverte de variants de cette maladie dans différents pays La découverte de l’existence de cette maladie a permis, au cours du 20e siècle, de la détecter dans de nombreux pays à travers le monde. Il est intéressant de remarquer que, dans la plupart des cas, la découverte du virus dans un nouveau pays correspondait à la découverte d’un nouveau sérotype de ce virus (ou au moins d’un nouveau variant d’un sérotype connu). A ce jour, on a reconnu l’existence de huit (CAMPBELL et ST GEORGE, 1986) à dix (GORMAN, 1991) sérotypes de l’EHDV. Comme nous venons de le voir, le sérotype 1 fut le premier à être isolé aux Etats-Unis (New Jersey, 1955) suivi de près par le sérotype 2, découvert au Canada (Alberta) en 1962 (GORMAN 1991). Trois souches différentes, probablement d’au 71 moins deux sérotypes distincts (EHDV-3 et 4) furent ensuite isolées à Ibadan au Niger en 1967 et 1968 (GORMAN, 1991). Un autre sérotype, probablement nouveau, a également été isolé en Afrique du Sud. Cependant aucune étude sérologique comparative avec d’autres sérotypes n’ayant encore été effectuée, on ne sait pas à ce jour s’il s’agit bien d’un sérotype nouveau ou d’une souche d’un sérotype existant (GORMAN, 1991). Enfin, cinq sérotypes différents ont été isolés en Australie en 1977, 1981 et 1982 (ST GEORGE et al., 1983 ; GORMAN, 1991). Le Tableau 8 reprend les différents sérotypes avec leurs années de découverte, leurs zones de découverte et leurs inventeurs. On remarque que certains sérotypes (un sérotype du Niger et un sérotype d’Australie) n’y figurent pas. Il s’agit en réalité d’un sujet de controverse entre les auteurs qui estiment à huit le nombre de sérotypes connus et ceux qui l’estiment à dix. Tableau 8 : Isolement des différents sérotypes de l’EHDV (BREARD et al., 2004) Virus Année Origine Date de réception au laboratoire de l’OIE (Pirbright) Nom/code de référence Référence Dans la plupart des cas la découverte d’un nouveau sérotype correspondait à un épisode d’épizootie dans le pays concerné, éclairé par la découverte récente de ce « nouveau virus » en Amérique du Nord. En parallèle, d’autres épisodes d’« émergence » dus à des sérotypes déjà connus continuaient de se dérouler. 1.2. Episodes « d’émergences » au cours du XXème siècle 1.2.1. Epizooties chez les ruminants sauvages Tout au long du 20e siècle de nombreux épisodes d’épizootie d’EHD ont été rapportés dans les populations de ruminants sauvages, le plus souvent chez le cerf à queue blanche de Virginie. Dans certains cas on pouvait qualifier ces épisodes de « réémergences » virales dans des populations où la maladie était présente de manière enzootique. Dans d’autres cas, par le hasard des conditions environnementales, le virus voyageait suffisamment pour toucher une population encore vierge et s’implanter dans un nouvel écosystème. De nouveaux individus et/ou de nouveaux secteurs géographiques étaient ainsi colonisés par l’EHDV qui y « émergeait » littéralement. Parmi les exemples les plus récents, on peut citer : - Une épizootie d’EHD sur la population de cerfs à queue blanche de Virginie (Odocoileus virginianus) dans le Missouri (Etats-Unis) entre juillet et octobre 1988. Cet Etat avait déjà connu auparavant deux épizooties en 1976 et 1980. Durant l’été 1988, l’EHD fut identifiée chez le cerf à queue blanche dans 26 Etats différents des Etats-Unis (FISCHER et al., 1995). Une autre épizootie a ensuite été observée dans le même Etat en 1996 (BERINGER et al., 2000). 72 - Une épizootie d’EHDV sérotype 2 sur les cerfs à queue blanche des comtés de Hardy et de Hampshire en Virginie de l’Ouest (Etats-Unis) dans l’été 1993. Le virus avait été isolé dans cet Etat lors d’épizooties en 1981 et en 1988 (GAYDOS et al., 2004). - Trois cas d’EHD chez une autre espèce de cerfs (Odocoileus hemionus) en Arizona entre les étés 1993 et 1996. Les deux premiers cas en 1993 ont été reliés géographiquement tandis que celui de 1996 était indépendant des deux premiers (NOON et al., 2002b). - Deux cas d’EHD chez des mouflons (Ovis canadensis) en Arizona en 1995 (NOON et al., 2002a). - Une épizootie d’EHD sur les populations de cerfs à queue blanche et de mouflons dans la vallée d’Okanagan en Colombie Britannique en 1999. Cet épisode s’est caractérisé par un taux de mortalité élevé dans les deux espèces de ruminants touchées (PASICK et al., 2001). - Une épizootie touchant les cerfs à queue blanche dans les Etats de l’Indiana et de l’Illinois (Etats-Unis) en 2006, imputée à une nouvelle souche de l’EHDV. Cette souche semble être une recombinaison de deux sérotypes existants, à savoir le sérotype 2 enzootique aux Etats-Unis et le sérotype 6, exotique (ALLISON et al., 2010). On remarque que la majorité des cas observés chez les ruminants sauvages ces quarante dernières années s’est produite en Amérique du Nord, secteur géographique privilégié de l’enzootie « sauvage » de la maladie. Il n’en va pas de même pour les cas ayant touché des ruminants domestiques, beaucoup plus répartis dans le monde. 1.2.2. Quelques épizooties décrites chez les ruminants domestiques Ainsi que nous l’avons déjà évoqué plus haut, le premier épisode rapporté d’EHD chez des ruminants domestiques s’est déroulé au Japon entre août et décembre 1959 (INABA, 1975). Dans un premier temps elle fut confondue avec d’autres types de maladies épizootiques connues dans le bétail (fièvre bovine épizootique, influenza bovin…). Quand on s’est aperçu qu’il s’agissait d’un agent étiologique différent, elle fut nommée « maladie Ibaraki » (YADIN et al., 2008). Ce n’est que plus tard que le rapprochement fut fait entre ce virus Ibaraki et le virus de l’EHD sérotype 2 (CAMPBELL et al., 1978). Le virus de l’EHD a ensuite été isolé a plusieurs reprises chez des ruminants domestiques en Amérique du Sud (GUMM et al., 1984), en Asie du Sud-Est (GUMM et al., 1984), en Australie (GORMAN, 1991), en Afrique (ARADAIB et al., 1994) et en Amérique du Nord (METCALF et al., 1992). Au Soudan par exemple, les sérotypes 4 et 6 ont été retrouvés sur des bovins et sur des Culicoides entre octobre 1980 et septembre 1983 (MOHAMMED et MELLOR, 1990). Dans la majorité des cas, la preuve de l’infection par l’EHDV chez des ruminants domestiques était apportée par des tests sérologiques (SHAPIRO et al., 1991, ARADAIB et al., 2005). En effet, très peu de cas cliniques se sont déclarés chez les bovins au cours du 20e siècle. Ce sont essentiellement des études effectuées sur des bovins sentinelles qui ont permis de mettre en lumière les preuves sérologiques de la large distribution du virus de l’EHD en Amérique (Nord et Sud), en Asie du Sud-Est et dans le monde (PEARSON et al., 1992). Entre 1955 (découverte de l’EHD) et la fin des années 1990, plusieurs épisodes sporadiques d’« émergence » ou de découverte d’EHD sur les ruminants domestiques ont ainsi eu lieu. Chaque fois qu’elle entraînait des cas cliniques, la maladie restait relativement limitée dans le temps et dans l’espace, ne dépassant jamais quelques dizaines à quelques centaines d’animaux atteints. Toutefois, 73 chaque épisode a permis au virus de l’EHD de s’implanter dans un nouvel écosystème et de gagner progressivement de nouveaux secteurs géographiques dans le monde. 1.3. Accélération du rythme des « émergences » chez les ruminants domestiques au cours de la dernière décennie Depuis cinq ou dix ans on observe une augmentation importante et rapide des cas d’EHD chez les ruminants domestiques, dans de nouveaux secteurs géographiques que l’on pensait totalement indemnes jusque là. 1.3.1. Les épisodes successifs d’émergence Nous allons citer les différents épisodes d’épizootie d’EHD qui se sont succédé depuis le début des années 2000 : - Janvier à avril 2003, de nombreux cas d’une maladie encore jamais observée sur l’île de la Réunion se déclaraient chez les bovins d’une grande partie de l’île. Nous avons déjà décrit cet épisode dans le détail au chapitre 3.2. de la première partie, en mettant en avant le nombre important de cas cliniques et de bovins touchés (BREARD et al., 2004). A partir de cet épisode le virus de l’EHD s’est implanté sur l’île de la Réunion et y est encore présent. - Eté 2006, les services vétérinaires de l’Etat d’Israël furent avisés de l’apparition d’une nouvelle maladie touchant les bovins. Les premiers signes cliniques furent observés fin août 2006 au sud de la vallée du Jourdain. Dans de nombreux élevages cette maladie émergente provoqua une baisse de la production laitière et une perte d’appétit, rapidement suivis par de la fièvre, une faiblesse généralisée, des sécrétions nasales et oculaires augmentées, une salivation excessive… Entre les mois d’août et septembre 2006, la maladie s’étendit au nord et au sud de son foyer initial puis à l’est et à l’ouest à partir d’octobre. Les cas cliniques disparurent d’eux-mêmes à l’arrivée de l’hiver. Pas moins de 105 élevages furent touchés, avec des taux de morbidité allant de 5 à 80% et une durée d’infection allant de 3 à 30 jours environ. Le taux de mortalité n’a, en revanche, jamais dépassé 1% (YADIN et al., 2008). Le premier diagnostic proposé fut la fièvre éphémère bovine, une arbovirose déjà apparue en Israël à plusieurs reprises. La FCO a ensuite été suspectée mais l’absence de signes cliniques chez les petits ruminants a conduit à écarter cette hypothèse. Finalement une analyse de sang par RTPCR fut réalisée et on identifia le virus de l’EHD, plus particulièrement le sérotype 7 (YADIN et al., 2008). - Eté 2006, des épizooties d’EHD causées par le sérotype 6 se déroulèrent dans divers pays du Maghreb (Maroc, Tunisie, Algérie) et en Jordanie pendant les mois d’août et septembre. Les signes cliniques observés étaient les mêmes que ceux décrits au Japon et on dénombra 329 cas sur 1814 animaux exposés pour le seul Maroc (BOTNER et al., 2009). - Eté 2007, le mois de juillet vit se dérouler une épizootie d’EHD en Turquie. La maladie, inhabituelle et atypique, toucha les bovins, provoquant de la fièvre, des stomatites, des gonflements des conjonctives palpébrales, une détresse respiratoire, des écoulements nasaux et oculaires, des boiteries… Le virus de l’EHD sérotype 6 fut isolé par RT-PCR à partir de prélèvements sanguins réalisés sur des animaux malades (TEMIZEL et al., 2009). - Fin 2008, une nouvelle épizootie d’EHD débuta sur l’île de la Réunion. Elle présentait les mêmes caractéristiques que la précédente, affectant plusieurs exploitations bovines laitières et 74 1.3.2. Facteurs mis en cause dans ces émergences Depuis une dizaine d’années les épisodes d’émergence d’EHD se succèdent et s’étendent de plus en plus, particulièrement en Afrique du Nord. De nombreux facteurs, responsables de l’arrivée du virus et de son implantation dans ces nouveaux secteurs géographiques, ont pu être identifiés. Pour ce qui est de l’île de la Réunion, les causes de l’arrivée du virus sur l’île sont encore inconnues et le resteront probablement tant que le génotypage complet n’aura pas été effectué. En effet, le virus responsable des épizooties de 2003 et de 2008 semble être une recombinaison de deux sérotypes déjà connus. Cette recombinaison virale pourrait constituer un mécanisme important ayant conditionné l’émergence. C’est ensuite à la faveur de fortes chaleurs, de fortes précipitations, que le virus a pu se répandre entre les différentes exploitations, grâce à un vecteur qui était déjà présent dans les écosystèmes de l’île (BRUNSCHWIG et al., 2009). Concernant les pays du Maghreb, Israël et la Turquie, l’arrivée du virus s’est probablement effectuée par la traversée du Sahara depuis les pays d’Afrique subsaharienne, tel le Soudan, où certains sérotypes sont endémiques (BOTNER et al., 2009). Deux mécanismes ont pu être mis en cause, à savoir l’importation de bovins virémiques d’une part et la dissémination par les vents de vecteurs contaminés d’autre part. Dans les deux cas, le virus a ensuite pu s’implanter et disséminer en raison de la large distribution des populations locales de Culicoides déjà incriminées dans l’émergence de la FCO il y a quelques années. On retrouve par exemple une grande majorité de Culicoides imicola en Israël, que l’on sait vecteur de FCO et que l’on suspecte fortement de faire de même avec l’EHD (YADIN et al., 2008). On remarque donc que, si les mécanismes d’arrivée du virus dans un nouveau secteur géographique peuvent être différents, son implantation et sa dissémination sont essentiellement permises par la redistribution géographique du Culicoides (BREARD et al., 2010b) et par des conditions climatiques favorables aux cycles viral et vectoriel. 1.3.3. Mesures de lutte mises en place contre ces épisodes La première réaction que ces épisodes ont provoquée auprès des autorités sanitaires a été la surprise. En effet, elles se sont retrouvées confrontées à un virus nouveau, pour lequel aucune mesure de protection n’avait jamais été réfléchie. Ce n’est qu’après avoir diagnostiqué l’EHD que ces autorités ont pu se servir de l’expérience de la FCO pour tenter de mettre en place des mesures de protection. Dans un premier temps il a donc fallu, dans chaque pays atteint, mettre en place un système permettant un diagnostic de laboratoire rapide et facilement disponible. Dans la plupart des cas les échantillons étaient centralisés dans un seul laboratoire, parfois situé à l’étranger, équipé pour la détection de l’EHDV. Ainsi, lors de l’épizootie en Israël, c’est le laboratoire OIE de référence pour la FCO situé à l’Institut pour la Santé Animale, à Pirbright (Angleterre), qui a identifié le virus (YADIN et al., 2008). L’identification du virus, dans ces pays qui le découvraient pour la première fois, exigeait généralement beaucoup de temps. Il était ensuite souvent trop tard pour mettre en place rapidement 75 des mesures efficaces contre la propagation de l’épizootie. Ces mesures faisant appel au bon sens se limitaient aux mesures de base en épidémiologie, à savoir isolement du foyer et tentative de mise en place de zones de contrôle et de surveillance. Les éventuelles mesures visant à limiter l’impact du vecteur sur la dissémination étaient alors illusoires, à cause d’une pression des Culicoides déjà importante avant même l’arrivée du virus. L’arrivée de l’hiver limitant la circulation vectorielle, l’installation progressive d’une immunité dans les troupeaux et la mise en place de mesures épidémiologiques, ont permis de ralentir le virus et de stopper les différentes épizooties autour du bassin méditerranéen. Il ressort de ces observations que l’Histoire de l’EHD est une succession de colonisations de nouveaux secteurs géographiques à travers le monde. Cette conquête de nouveaux territoires s’est accélérée depuis quelques années, poussée d’une part par une distribution mondiale du vecteur à l’avantage du virus et d’autre part par la récente acquisition d’une compétence vectorielle vis-à-vis de l’EHD par de nouvelles espèces de Culicoides. Nous allons voir à présent la situation actuelle de ce virus dans le monde afin de mesurer les risques potentiels d’une émergence en Europe. 76 2. SITUATION ACTUELLE DE L’EHD 2.1. Répartition géographique de l’EHD 2.1.1. Répartition mondiale L’EHD étant une arbovirose, sa distribution géographique est par conséquent limitée à celle de son vecteur, les Culicoides, dans les zones où celui-ci est compétent. Si on se fie aux cas d’EHD rapportés jusqu’à aujourd’hui dans la littérature, le virus semble être présent dans une zone qui s’étend entre les latitudes 35°Sud et 49°Nord. Dans cette zone, l’EHD a déjà été observée en Amérique du Nord, en Australie, en Asie et en Afrique (BOTNER et al., 2009). Le Tableau 9 présente une liste des différents pays dans le monde ayant connu ou connaissant encore aujourd’hui des épisodes d’EHD. Les différents sérotypes mis en cause y sont donnés ainsi que la date de découverte de l’épizootie, les espèces animales touchées et les auteurs qui ont écrit sur le sujet. Le statut de l’infection y est aussi détaillé pour chaque cas, à savoir si la maladie est seulement suspectée, si elle est confirmée sans signes cliniques ou si elle est confirmée avec signes cliniques. Tableau 9 : Distribution géographique mondiale de l’EHD (BOTNER et al., 2009) Localisation géographique Date de survenue Hôte infecté Statut de l’infection Sérotypes identifiés Références Bovins Cerfs à queue blanche et Mouflons d’Amérique Cerfs à queue blanche Bovins Cerfs à queue blanche Cerfs à queue blanche et Cerfs mulet Cerfs à queue blanche Bovins allaitants Cerfs à queue blanche Bovins laitiers Cerfs à queue blanche Cerfs à queue blanche Cerfs à queue blanche Cerfs mulet Antilopes Ours noir Cerfs à queue noire et Cerfs mulet Bovins 77 Cerfs à queue blanche Bovins (bovins sentinelles) Culicoides spp. Bovins Bovins Bovins Bovins Bovins, Buffles, Ovins Bovins Bovins Détection : sérologie (Serol) ou isolation virale (VI). NK = inconnu Statut de l’infection (quatrième colonne) : 1- Maladie suspectée mais non confirmée 2- Infection confirmée sans signes cliniques 3- Infection confirmée avec signes cliniques Etant donnée la capacité du virus à s’implanter dans une région une fois qu’il y est arrivé, on peut tirer du Tableau 9 une carte géographique présentant la répartition mondiale instantanée des différents sérotypes connus du virus de l’EHD (Figure 27) (BOTNER et al., 2009). Figure 27 : Répartition mondiale des différents sérotypes connus du virus de l’EHD (BOTNER et al., 2009) Sérotype 78 2.1.2. Autour de l’Europe Avant l’an 2000, seules des observations non significatives avaient rapporté la présence éventuelle du virus de l’EHD dans le Bassin Méditerranéen. Dans le rapport de l’EFSA de 2009 (BOTNER et al., 2009), on évoque l’identification de ce virus à deux reprises, en Israël (1951) et en Turquie (1991). Après 2000, la situation de l’EHDV dans les pays méditerranéens change rapidement, à l’instar de la situation du BTV dans les années 1990. Comme nous l’avons évoqué précédemment, les sérotypes 6 et 7 se sont ainsi implantés dans la plupart des pays d’Afrique du Nord qui entourent le Bassin Méditerranéen, épargnant l’Europe pour le moment (BOTNER et al., 2009). Le Tableau 10 présente une liste des épisodes successifs d’épizooties connus dans les pays voisins de l’Europe. Il est construit comme le Tableau 9, avec les mêmes champs d’information et les mêmes légendes. Tableau 10 : Distribution géographique de l’EHD dans les régions voisines de l’Europe (BOTNER et al., 2009) Localisation géographique Date de survenue Hôte infecté Statut de l’infection Sérotypes identifiés Références Bovins Bovins et Ovins Bovins Bovins Bovins Bovins Bovins Bovins Bovins Bovins Bovins Bovins Bovins et Caprins Cerfs Oryx d’Arabie 79 De la même façon on peut en tirer une carte montrant la répartition géographique de l’EHDV et de ses différents sérotypes connus dans les pays voisins de l’Europe (Figure 28). Cette carte illustre bien la proximité géographique du virus et de l’Europe laquelle constitue un facteur important de risque d’émergence. Figure 28 : Distribution géographique des épisodes d’épizootie les plus récents (2006-2007) ayant eu lieu dans le bassin méditerranéen (BOTNER et al., 2009) EHDV-6 EHDV-6 EHDV-6 EHDV-6 EHDV-7 2.2. Une réussite émergentielle pour le moment limitée Si on tente de faire le bilan de tous les épisodes d’EHD que nous avons décrits auparavant, il en ressort une apparente émergence de ce virus à travers le monde, particulièrement depuis les dix dernières années. En se basant sur la définition de l’émergence reconnue comme « une augmentation significative de l’incidence réelle d’une maladie dans une population donnée, d’une région donnée et pendant une période donnée » (TOMA et THIRY, 2003), on peut classer les épisodes d’épizootie de la façon suivante : - Les extensions géographiques : à chaque apparition du virus de l’EHD dans un nouveau territoire indemne jusque là, l’incidence réelle augmente par extension du secteur géographique et par augmentation du nombre de cas (épizooties quasi-systématiques). Il s’agit donc bien d’émergences réelles (exemple : la série d’épizooties dans le bassin méditerranéen). - Les réémergences : dans les secteurs géographiques où l’EHD était déjà implantée et enzootique, des épisodes d’épizooties se manifestent cycliquement, particulièrement chez les 80 populations de ruminants sauvages (exemple : les épizooties à sérotype 1 et 2 sur les cerfs d’Amérique du Nord). - L’apparition de nouveaux sérotypes : dans des zones où le virus est déjà implanté dans une population sous la forme d’un sérotype particulier, il arrive qu’un nouveau sérotype, exotique ou produit d’une recombinaison, provoque à son tour une ou plusieurs épizooties. Il s’agit bien d’une émergence réelle puisque l’agent pathogène mis en cause est différent de celui qui était présent auparavant (exemple : l’apparition d’un sérotype recombiné dans les états de l’Indiana et de l’Illinois en 2006). - L’atteinte d’une nouvelle espèce hôte : dans un territoire où un sérotype est présent dans une population donnée, il se peut qu’un nouvel hôte, épargné jusque là, devienne sensible au virus. Il s’agit là aussi d’une émergence vraie puisqu’un nouvel hôte est touché (exemple : les mouflons touchés en Amérique du Nord par les mêmes sérotypes présents chez les cerfs). Ainsi, lorsque l’on observe l’évolution de l’EHD à l’échelle de chacun de ses épisodes, on remarque que c’est une maladie qui provoque régulièrement des petits épisodes d’émergence limités. En effet, à chaque épisode le virus provoque une épizootie de courte durée avec des cas cliniques et une dissémination limités géographiquement. Chaque fois, lorsque le vecteur diminue son activité, la maladie disparaît et le virus cesse de circuler. Jusqu’à aujourd’hui, aucun des pays touchés par l’EHD n’a vu se dérouler des séries d’épizooties d’ampleur grandissante année après année. Lorsque l’on se place à plus grande échelle, au niveau mondial et depuis plusieurs années, il apparaît beaucoup plus clairement que l’incidence réelle globale de l’EHD dans le monde, non soumise au biais de la sensibilité des techniques de détection, n’a fait qu’augmenter depuis sa découverte en 1955. Cette augmentation est due non seulement à l’augmentation du nombre d’animaux atteints dans les zones d’enzootie, mais aussi et surtout à l’extension géographique du virus. Si on se fie à l’accélération de cette propagation autour de l’Europe au cours des dernières années, il semble légitime de craindre un passage de la barrière méditerranéenne dans un avenir proche. Cependant, il est bon de garder à l’esprit que pour autoriser une réussite émergentielle en Europe, il faut réunir plusieurs conditions favorables à l’implantation et à la dissémination du virus sur le territoire. 2.3. Les facteurs d’émergence potentiels réunis en Europe occidentale Nous allons essayer de détailler les facteurs déjà présents en Europe qui permettraient au virus de s’implanter, de disséminer et donc d’émerger à plus ou moins grande échelle dans le cas où il arriverait sur le territoire européen. 2.3.1. Facteurs liés au virus La large distribution mondiale du virus de l’EHD révèle sa capacité à s’implanter dans divers secteurs géographiques, sous des conditions climatiques diverses. Le climat tempéré de l’Europe, outre le fait qu’il autorise déjà au vecteur de survivre, de se développer et de se multiplier, permettrait sans nul doute au cycle viral de s’accomplir, y compris dans les zones où l’hiver est plus rude. Ainsi, si les températures hivernales de certains pays stopperaient la multiplication virale chez les Culicoides, le climat estival de l’année suivante relancerait le cycle viral en même temps que le cycle vectoriel. En outre, l’exemple de l’émergence en Europe du virus de la FCO, autre Orbivirus aux propriétés proches de celui de l’EHD, nous autorise à imaginer que les conditions générales nécessaires de survie d’un Orbivirus sont bien réunies en Europe. 81 2.3.2. Facteurs liés au vecteur Une fois le virus implanté et capable de survivre en Europe, son cycle, et par là-même sa propagation, ne pourront s’effectuer efficacement que si un vecteur compétent et capable est présent. Les espèces de Culicoides confirmées ou suspectées être vectrices de l’EHD (Tableau 4) sont encore mal connues. Cependant, on sait que de nombreuses espèces sont implantées en Europe depuis quelques années et colonisent de nouveaux territoires vers le Nord, été après été. C’est leur capacité à passer l’hiver qui détermine avant tout leur répartition géographique en Europe. En 2003 HENDRIKX, cité par PERIE (2003), avait repris les travaux de MELLOR afin de modéliser les zones les plus favorables à cette survie hivernale pour Culicoides imicola (Figure 29). Figure 29 : Modélisation des zones les plus favorables à la survie hivernale de Culicoides imicola en Europe (HENDRIKX cité par PERIE, 2003) En 2005, PURSE et al. ont tenté d’établir un parallèle entre l’émergence de la FCO en Europe et les récents changements climatiques conduisant au réchauffement global. Dans son étude, il a représenté la répartition en Europe des principales espèces de Culicoides connues (Figure 30). 82 Figure 30 : Répartition des principales espèces de Culicoides en Europe (PURSE et al., 2005) La première chose que l’on peut remarquer, c’est que la limite Nord de survie hivernale de Culicoides imicola, établie par PERIE en 2003, était en deçà de celle observée par PURSE et al. pour les Culicoides pulicaris et obsoletus. En faisant le lien avec les espèces vectrices de l’EHD (Tableau 4), on s’aperçoit que ces deux groupes ont été identifiés comme des vecteurs potentiels du virus. Ensuite, on remarque que ces limites de survie peuvent évoluer dans le temps. Ainsi la limite de Culicoides imicola a été largement repoussée vers le Nord entre 1998 et 2005. Il n’est donc pas impossible que cette limite progresse encore, autorisant le vecteur principal connu de l’EHD à se répandre en Europe. Bien que l’on manque encore de données sur les capacités vectorielles précises des espèces résidant en Europe, le risque d’y trouver au moins une espèce compétente et capable reste grand (MACLACHLAN et GUTHRIE, 2010). L’Europe abrite d’ores et déjà de nombreuses espèces de Culicoides potentiellement capables de s’infecter et de transmettre le virus de l’EHD. Ces vecteurs ont déjà colonisé de nombreuses niches écologiques, bien souvent à proximité d’hôtes susceptibles de permettre une réplication virale. En outre, on sait par l’exemple de la FCO que les conditions de dissémination du virus par transport du vecteur sont majoritairement réunies en Europe. En effet, les Culicoides transportés par les vents et/ou par les hommes ont eu une large part de responsabilité dans la propagation du BTV sur le continent. 83 2.3.3. Facteurs liés aux hôtes Après avoir trouvé des conditions favorables à sa survie et un vecteur capable de le transmettre, le virus doit, pour s’implanter et se propager en Europe, rencontrer un ou plusieurs hôtes sensibles, capables de multiplier le virus et de faire une ou plusieurs virémies. Dans le cas de l’EHD, on sait que parmi les espèces reconnues sensibles (Tableau 3), les principales sont les bovins (pour les ruminants domestiques) et les cerfs à queue blanche de Virginie (pour les ruminants sauvages). La propension des ovins à multiplier le virus sans signe clinique en fait également un réservoir possible. En Europe, la concentration des élevages bovins et ovins permettrait donc au virus de se multiplier et de se propager via les populations de Culicoides qui les colonisent déjà. Si l’on ajoute à cela le fait que le système immunitaire des bovins et ovins européens n’a encore jamais rencontré le virus de l’EHD, on peut presque considérer ce cheptel comme un immense territoire vierge, prêt à être colonisé rapidement et sans grande résistance par ce nouveau virus. En outre le virus semble, depuis quelques années, s’être affranchi de son réservoir primaire, les cervidés. En regard des épizooties qui se sont déroulées en Afrique du Nord et à la Réunion, il apparaît que les ruminants domestiques soient probablement sur le point de devenir le nouveau réservoir primaire du virus ou au moins de certains sérotypes. Si cette position se confirme, l’acquisition par le virus d’une indépendance vis-à-vis du cycle sauvage risque de faciliter son émergence en Europe. Le bilan de la situation actuelle de l’EHD dans le monde montre donc qu’il s’agit bien d’une maladie émergente mais que sa réussite émergentielle est pour le moment limitée, voire inexistante, sur le continent européen. Cependant nous avons pu mettre en évidence les différents facteurs de risque qui autoriseraient la maladie à émerger de façon encore plus efficace, et ce particulièrement en Europe. On peut donc légitimement se poser la question du risque d’arrivée, dans un avenir proche, de l’EHD en Europe et réfléchir aux moyens de lutte dont nous disposons pour l’endiguer rapidement et efficacement. 84 3. PERSPECTIVES D’AVENIR 3.1. Une probabilité importante de réussite émergentielle Etant données les facteurs réunis en Europe susceptibles de favoriser l’implantation et la dissémination du virus de l’EHD, la probabilité de réussite émergentielle de cette maladie semble être principalement conditionnée par l’arrivée du virus sur ce continent d’une part et par sa capacité à échapper aux mesures de contrôle précoces d’autre part. 3.1.1. Facteurs potentiels supposés d’arrivée du virus en Europe occidentale Deux voies, déjà empruntées à de nombreuses reprises par d’autres maladies, plus particulièrement par d’autres Orbivirus, pourraient conduire à l’arrivée du virus de l’EHD en Europe (BOTNER et al., 2009 ; MACLACHLAN et GUTHRIE, 2010). (Figure 31) Figure 31 : Voies possible d’introduction du virus de l’EHD en Europe (BOTNER et al., 2009) Vent Activités humaines Vecteurs Vecteurs Transport Mouvements des populations Sauvages Transport illégal Transport légal Domestiques Animaux 3.1.1.1. Par l’hôte Le virus de l’EHD ne pourrait être introduit en Europe par un hôte qu’à la condition que ce dernier soit en période d’incubation ou virémique au moment de son arrivée. En effet, une fois la virémie passée, un animal ne pourra transmettre le virus au vecteur par son sang. Cet événement ne peut se produire qu’à trois conditions essentielles (BOTNER et al., 2009) : - l’animal importé provient d’une zone infectée où des espèces de Culicoides sont en activité, l’animal importé a été infecté avant son départ, l’animal importé est en période d’incubation ou virémique à son arrivée. La première condition relève essentiellement de la probabilité que l’animal importé soit indemne d’EHD. Dans un secteur où le virus circule cela dépend entièrement des niveaux de surveillance et de contrôle en place dans le pays exportateur ainsi que des preuves démontrant le caractère indemne des animaux exportés (BOTNER et al., 2009). Les deux conditions suivantes dépendent directement de la durée de transit de l’animal par rapport à son stade infectieux au moment de son départ. La durée d’incubation ajoutée à la durée de 85 la virémie représente la fenêtre au cours de laquelle un animal doit partir, être transporté, arriver et sortir de quarantaine (à condition qu’elle ait bien lieu), afin de permettre l’introduction du virus en Europe. Ces périodes ne sont pas fixes mais les données recueillies jusqu’à aujourd’hui nous montrent une période d’incubation qui dure environ 4 à 10 jours. Pour ce qui est de la période de virémie, elle est beaucoup plus variable. On estime que pour 80% des individus, elle sera de moins de 10 jours. Cependant, on a pu observer des virémies allant jusqu’à 60 jours et plus chez certains individus (BOTNER et al., 2009). Comme on peut le voir dans la Figure 31, plusieurs voies peuvent être empruntées par un animal infecté jusqu’en Europe. Il peut s’agir aussi bien de ruminants sauvages, par des mouvements de population ou par transport humain, que de ruminants domestiques, importés légalement ou illégalement (MACLACHLAN et GUTHRIE, 2010). Une fois importé, le virus doit pouvoir passer du premier animal infecté à un second pour commencer sa dissémination. Dans le rapport de l’EFSA de 2009 (BOTNER et al., 2009), une formule nous est donnée afin d’estimer le nombre d’animaux infectés secondairement après l’introduction d’un animal infectieux. Cette formule regroupe l’ensemble des facteurs de risque que nous avons détaillés dans le paragraphe 2.3. de cette partie : d : durée de la virémie m : nombre de vecteurs par animal a : nombre de piqûres par animal et par jour (fonction de la T°) β hv : probabilité que le virus soit transmis de l’animal infecté au vecteur par une piqûre v : période d’incubation extrinsèque (fonction de la T°) μ : taux de mortalité du vecteur (fonction de T°) β vh : probabilité que le virus soit transmis du vecteur infecté à l’animal sensible par une piqûre Les animaux infectés constituent donc une première voie d’entrée possible pour le virus de l’EHD en Europe. Nous allons désormais nous intéresser à la deuxième voie d’entrée possible : le vecteur. 3.1.1.2. Par le vecteur Là encore, l’introduction de l’EHDV ne pourrait s’effectuer que par l’arrivée d’un Culicoides infecté. Comme on le voit sur la Figure 31, deux voies peuvent être empruntées : le transport par les vents et le transport par les activités humaines. Dans les deux cas il est nécessaire que le vecteur soit infecté au moment de son départ, qu’il survive au transport et qu’il soit encore infectant à son arrivée (BOTNER et al., 2009). Pour ce qui est du transport par les vents, nous avons déjà détaillé ce mécanisme de dissémination dans la première partie (paragraphe 2.3.2.2), expliquant que les distances parcourues ainsi pouvaient se chiffrer en plusieurs centaines de kilomètres. On comprend donc aisément la forte probabilité pour qu’un ou plusieurs Culicoides infectés en Afrique du Nord franchissent le Bassin Méditerranéen pour arriver jusqu’en Europe (MACLACHLAN et GUTHRIE, 2010). Pour ce qui est du transport par l’homme, l’introduction de vecteurs infectés par le virus de l’EHD peut se produire à l’occasion d’importations de produits de diverses natures : chevaux, autres animaux non ruminants, plantes exotiques. Si ces produits proviennent de zones géographiques où le virus est endémique, on imagine qu’il est tout à fait possible d’importer en même temps un ou plusieurs vecteurs infectés (MACLACHLAN et GUTHRIE, 2010). 86 Une fois le vecteur infecté arrivé en Europe, il doit lui aussi trouver un hôte susceptible de multiplier le virus afin de permettre sa dissémination. Ici aussi une formule nous est donnée par BOTNER et al. (2009) afin d’estimer le potentiel de transmission depuis un vecteur infecté vers un animal sensible. Cette formule est une partie de celle citée précédemment, et est à rapprocher de la notion de compétence vectorielle expliquée dans la première partie (paragraphe 2.4.1.1) : a : nombre de piqûres par animal et par jour (fonction de la T°) v : période d’incubation extrinsèque (fonction de la T°) μ : taux de mortalité du vecteur (fonction de la T°) b : probabilité de transmission du vecteur à l’hôte Deux autres modes de transmission de l’EHDV ont été décrits mais apparaissent comme anecdotiques pour le moment : via la semence (WILSON, 1999) et via des vaccins (BOTNER et al., 2009). Ces scénarii restent pour le moment au stade d’hypothèses, de risques potentiels. Cependant, l’exemple récent de l’émergence de la FCO en Europe semble prouver qu’ils sont tout à fait envisageables sur le terrain et qu’ils fonctionnent. 3.1.2. Une situation avec précédents : exemple de la FCO Selon l’avis commun de nombreux auteurs (BREARD et al., 2010a), la situation actuelle de l’EHD vis-à-vis du risque qu’elle représente pour l’Europe fait penser en de nombreux points à la situation de la FCO avant 2006. On commence aujourd’hui, par de nombreuses études rétrospectives, à expliquer les mécanismes qui ont permis à cette maladie de réussir son émergence en Europe. La plupart de ces mécanismes correspondent à ceux que nous venons de décrire comme des voies probables d’introduction du virus de l’EHD (BOTNER et al., 2009). On comprend donc que ces voies apparaissent d’autant plus concrètes qu’elles ont déjà été empruntées par un autre Orbivirus dans des conditions initiales similaires. Il faut tout de même garder à l’esprit les quelques différences qui existent entre ces deux virus et qui réduisent légèrement le potentiel émergentiel de l’EHD par rapport à la FCO. Ainsi, le BTV est spécifiquement adapté aux ruminants domestiques (ovins et bovins) tandis que l’EHDV est initialement retrouvé chez les ruminants sauvages. Ensuite, la virémie du BTV est beaucoup plus longue (plusieurs mois) que celle de l’EHDV. Enfin, le BTV s’est répandu sur un territoire immunitaire vierge de tout contact avec un Orbivirus, ce qui ne sera pas le cas de l’EHDV s’il émerge en Europe. Pour ce qui est de la FCO, il est reconnu que l’introduction des sérotypes 1 et 4 en Espagne est le fait très probable de vecteurs infectés transportés par les vents au-dessus de la Méditerranée depuis les pays d’Afrique du Nord. Il en est sûrement de même pour l’arrivée du sérotype 2 en Sardaigne, ainsi que pour la remontée vers le Nord de l’Europe du sérotype 1. L’arrivée directe du sérotype 8 dans le Nord de l’Europe, encore inexpliquée à ce jour, pourrait être due quant à elle à des transports d’animaux ou de vecteurs par l’homme, ou encore par l’utilisation de vaccins contaminés par du virus vivant (BOTNER et al., 2009). 87 Une fois le BTV arrivé en Europe, les facteurs d’émergence qui y étaient réunis lui ont permis d’« exploser » et de se répandre dans les cheptels de tout le continent ou presque. Chaque année, le virus profita de la reprise d’activité des Culicoides en été pour gagner de nouveaux territoires où le système immunitaire des animaux était encore naïf. Aujourd’hui on espère encore éradiquer totalement ce virus grâce à la vaccination. Mais il est possible, à terme, que la FCO devienne enzootique et reste ainsi implantée en Europe. 3.1.3. Conséquences potentielles sur la santé animale et sur l’économie Une réussite émergentielle d’EHD en Europe aurait incontestablement des conséquences importantes sur la santé animale et sur l’économie agricole des pays touchés. Tous les scenarii sont envisageables, du plus optimiste au plus pessimiste, et aucun modèle passé ne reflète le risque que représente l’arrivée de ce virus dans un cheptel naïf d’une telle importance. Ici encore l’exemple le plus proche dont nous disposons est celui de la FCO dont les caractéristiques cliniques et épidémiologiques sont relativement proches de celles de l’EHD. Ainsi, si l’on combine les conséquences de l’épizootie de FCO en Europe ces dernières années avec ce que l’on sait des épizooties d’EHD à plus faible échelle, on peut aisément imaginer l’impact sur le cheptel européen qu’aurait une émergence de ce virus : - Conséquences cliniques : nous avons vu précédemment que chez les ruminants domestiques seuls les bovins étaient touchés cliniquement. Les taux de morbidité et de mortalité n’étant pas très élevés, les conséquences cliniques ne seraient probablement pas énormes (BOTNER et al., 2009). - Conséquences zootechniques : ce seraient de loin les plus importantes. Chez la majorité des bovins infectés on observe une chute importante des performances zootechniques (baisse de la production laitière, baisse de la croissance…) (BOTNER et al., 2009). A cela s’ajoute le risque important de problèmes de reproduction à la saison suivante, à savoir des avortements, des malformations fœtales, des retards de chaleurs, des naissances prématurées… (OHASHI et al., 1999). - Conséquences économiques et politiques : elles correspondent à des pertes économiques représentées par les dépenses et le manque à gagner imputables aux mesures de lutte qui seraient mises en place lors d’apparition de foyers d’EHD. Il faut toutefois rester prudent en utilisant le modèle de la FCO car celle-ci diffère tout de même de l’EHD à plusieurs niveaux : la sensibilité des ovins face à la maladie, les espèces vectrices de Culicoides qui diffèrent un peu et également la primeur qu’a eue la FCO face au système immunitaire d’une population qui n’avait encore jamais rencontré d’Orbivirus. 3.2. Les mesures de contrôle et leurs limites Beaucoup des mesures de contrôle disponibles sont assez proches, voire similaires, de celles mises en place depuis quelques années pour enrayer l’épizootie de FCO en Europe occidentale. Malheureusement, la plupart des mesures de détection de l’EHDV (clinique ou laboratoire) vont devoir surmonter une difficulté majeure : la présence sur le terrain depuis un certain temps du virus de la FCO, très proche de celui de l’EHD. 88 3.2.1. Dépistage et diagnostic Dans la situation qui concerne actuellement l’Europe, il est intéressant de pouvoir mettre en place des mesures de contrôle basées sur le dépistage précoce de l’EHD chez les animaux provenant de pays reconnus infectés. La sensibilité de ces techniques de dépistage est la garante du caractère indemne des animaux importés. A terme, si le virus de l’EHD parvient jusqu’en Europe, ces techniques de dépistage seraient largement réemployées comme techniques de diagnostic. 3.2.1.1. Le diagnostic clinique et ses limites Le diagnostic clinique est basé sur la capacité des vétérinaires praticiens à reconnaître les signes d’une infection à EHDV. Deux problèmes se posent alors : - Le premier problème rencontré sur le terrain est celui dû au taux de morbidité faible de la maladie. Ainsi, si les seuls signes provoqués par le virus sont une baisse des performances zootechniques, une infection peut passer inaperçue pendant un certain temps. - Le deuxième problème est posé par le diagnostic différentiel de l’EHD dont les signes cliniques chez les bovins sont communs à de nombreuses maladies et affections. On dénombre parmi elles : la fièvre aphteuse, la stomatite vésiculeuse, la stomatite papuleuse, la BVD-MD, l’IBR, le coryza gangreneux, la peste des ruminants, la photosensibilisation… (BOTNER et al., 2009). En dernier lieu il faut évidemment y inclure la FCO, cliniquement semblable en tout point à l’EHD chez les bovins. Ces caractéristiques risquent donc de poser de sérieux problèmes en cas d’arrivée du virus dans les cheptels européens ; les praticiens, comme les services vétérinaires, devront obligatoirement utiliser les techniques de diagnostic de laboratoire disponibles pour distinguer le virus de l’EHD de celui de la FCO. En outre, l’identification des sérotypes mis en cause pourrait s’avérer utile dans une future stratégie vaccinale (BRUNSCHWIG et al., 2009). 3.2.1.2. Dépistage et diagnostic de laboratoire : techniques disponibles et limites De nombreux articles décrivent les différentes techniques de détection de l’EHD et de l’EHDV qui ont été développées depuis la découverte de cette maladie. Ces techniques ont depuis été améliorées au fur et à mesure des découvertes microbiologiques faites dans ce secteur de recherche. Toutes ont des avantages et des inconvénients. Certaines ont été choisies comme techniques de routine en raison du rapport satisfaisant entre leur coût et leurs caractéristiques de sensibilité et de spécificité. 3.2.1.2.1 Techniques sérologiques Elles sont applicables sur le sérum des animaux testés, recueilli par prélèvement sanguin sur tube sec. Leur but est de révéler la présence, dans le sang de ces animaux, d’anticorps spécifiques dirigés contre le virus de l’EHD. Si cette présence est confirmée, cela signifie que la séroconversion s’est déjà produite, soit 14 jours environ après la virémie (AFSHAR et al., 1992). Il ne faut cependant pas en conclure que l’animal est encore virémique à ce moment-là car la persistance des anticorps semble pouvoir durer plusieurs mois à plusieurs années (première partie, paragraphe 1.2.3.2.). 89 AGID test ou test d’immunodiffusion en gélose (ARADAIB et al., 1994) - Technique : il s’agit d’une technique de diffusion en gélose du sérum testé d’une part et d’une préparation contenant des antigènes viraux d’autre part. Si le sérum contient des anticorps spécifiques, les immuns complexes formés précipitent et deviennent visibles dans la gélose après 24 heures d’incubation. - Avantages : simple à mettre en œuvre, résultats rapides, faible coût. - Inconvénients : test qualitatif peu sensible et peu spécifique, nombreuses réactions croisées avec d’autres Orbivirus comme le BTV, les taux sanguins d’anticorps doivent être importants pour être détectés. Test de séroneutralisation sur culture cellulaire (BOTNER et al., 2009) - Technique : il s’agit d’un test d’identification sur des cultures de cellules infectées par différents sérotypes de l’EHD. Les anticorps du sérum testé se fixent sur les cultures portant le sérotype correspondant. - Avantages : cette technique permet de quantifier et de typer les anticorps. Elle constitue la technique de choix utilisée en routine en sérologie. - Inconvénients : elle est moins précise que les tests ELISA et l’interprétation est rendue plus difficile par la multiplicité des sérotypes auxquels l’animal a pu être exposé. Test ELISA (MOHAMMED et MELLOR, 1990 ; AFSHAR et al., 1992 ; MECHAM et WILSON, 2004) - Technique : il s’agit d’un test de fixation spécifique des anticorps présents dans le sang testé sur un antigène stable de l’EHDV (généralement la protéine VP7). Les anticorps qui se fixent sont ensuite révélés par une préparation d’anticorps marqués par fluorescence. - Avantages : méthode semi-quantitative, c’est le test immunologique le plus sensible qui existe. Certaines études ont montré que l’on pouvait même distinguer les différents sérotypes viraux contre lesquels les anticorps sont dirigés. - Inconvénients : il est encore difficile à mettre en œuvre et à commercialiser ; il n’est actuellement pas utilisé en routine. A terme il apparaîtrait intéressant de développer une technique d’ELISA applicable en routine et à grande échelle. Cette technique constitue le test sérologique le plus sensible disponible actuellement, dont le risque de réactions croisées est le plus faible (PATTON et al., 1994). Cependant, dans les conditions de terrain, le délai de séroconversion nécessaire pour qu’un test sérologique ressorte positif est un frein important à une détection rapide en cas d’épizootie d’EHD. Dans le cadre de la lutte contre une épizootie, les techniques virologiques leur seront donc préférées. 3.2.1.2.2 Techniques virologiques Elles sont applicables plus précocement dès que le virus peut être retrouvé dans le sang (virémie dès 4 jours post-infection dans certains cas). Ces techniques permettent de retrouver directement le virus et peuvent être effectuées sur des prélèvements de différentes natures : sang, rate, poumons… (BOTNER et al., 2009). Test d’isolement viral (PEARSON et al., 1992 ; ARADAIB et al., 1994) - Technique : il s’agit d’inoculer une préparation que l’on veut tester à une culture cellulaire BHK (Rein de bébé hamster) ou Vero (Rein de singe vert africain). Le virus est ensuite détecté et typé avec un sérum hyper-immun spécifique d’un sérotype. 90 - Avantages : seule méthode de diagnostic de certitude pour l’EHD, permet d’identifier le sérotype. Intéressant pour les études épidémiologiques rétrospectives et expérimentales ainsi que pour la mise en place d’une stratégie vaccinale contre un sérotype spécifique. - Inconvénients : méthode délicate à mettre en œuvre et résultat très long à obtenir (15 jours à 1 mois). Ne détecte que les virus entiers encore capables d’infecter une cellule. Test par RT-PCR (ARADAIB et al., 1994 ; ARADAIB et al., 2003) - Technique : il s’agit d’une méthode de détection de l’ARN viral par amplification après reconnaissance par des amorces spécifiques d’ARN. Cette technique a été améliorée et peut être utilisée avec de multiples amorces, en temps réel. - Avantages : la PCR détectant des fragments d’ARN, elle peut trouver des traces du virus plus précocement encore que la technique d’isolement viral. Elle est également plus rapide et demande moins de technicité. La technique en temps réel avec le calcul du Ct permet d’avoir une évaluation semi-quantitative du niveau de l’infection virale. Les techniques de PCR multiples sont actuellement utilisées en routine afin de distinguer le BTV et l’EHDV (ARADAIB et al., 2003 ; WILSON et al., 2009b). - Inconvénients : des faux positifs ont été trouvés par la technique de PCR multiple décrite par ARADAIB et al. (2003) chez des individus infectés par le BTV sérotype 1 en Algérie (MONTSERRAT et BUITRAGO, 2008). Dans le cadre d’une lutte contre une éventuelle épizootie, la RT-PCR semble être la méthode de choix pour le diagnostic précoce d’une infection au virus de l’EHD. Plus chère que les techniques sérologiques, elle est malgré cela utilisée en routine pour la détection de nombreuses autres maladies en Europe et dans le monde. L’isolement viral, quant à lui, reste intéressant à plus long terme afin d’assurer, par exemple, la continuité de la lutte par une stratégie vaccinale. 3.2.2. Traitement et vaccination 3.2.2.1. Traitement curatif Etant donné qu’il s’agit d’une infection virale, à l’instar de la FCO, le traitement de base est un traitement non spécifique destiné non pas à éliminer le virus mais à en limiter l’impact sur l’animal, sur son bien-être et sur ses performances zootechniques. Des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), si possible à effet antipyrétique, vont tout d’abord permettre de diminuer les signes les plus importants de congestion, d’œdèmes, de fièvre… Ils vont également améliorer le bien-être de l’animal, améliorant du même coup sa production laitière, sa capacité d’engraissement… Ensuite, un traitement antibiotique à large spectre permettra d’empêcher les éventuelles surinfections. Enfin, une éventuelle complémentation en vitamines reconnues pour leurs propriétés immunostimulantes (Vitamine C notamment) pourra être envisagée ainsi que des traitements symptomatiques plus spécifiques si des symptômes atypiques apparaissent. 3.2.2.2. Vaccination Des vaccins dirigés contre le virus de l’EHD ont été fabriqués à deux reprises. En Amérique du Nord d’abord, un vaccin inactivé existe contre les sérotypes 1 et 2 et est utilisé par les éleveurs du Missouri. Il nécessite deux injections de primo-vaccination et un rappel tous les ans pour rester efficace (BOTNER et al., 2009). 91 Au Japon ensuite, deux vaccins existent, l’un inactivé et l’autre atténué. Le vaccin atténué a été développé à partir du virus Ibaraki et utilisé suite aux épizooties des années 1980 pendant la période d’inactivité vectorielle. Cette stratégie vaccinale a fonctionné et le virus n’a plus été retrouvé sur aucun des bovins sentinelles testés dans les années qui ont suivi. Cette situation dura jusqu’en 1997, date à laquelle une nouvelle épizootie, caractérisée cette fois par un nombre important d’effets sur la reproduction, se déroula (OHASHI et al., 1999). Les deux vaccins sont actuellement utilisés sur la base du volontariat (BOTNER et al., 2009). Concernant la fabrication éventuelle d’un vaccin dans le cas d’une épizootie d’EHD en Europe, il apparaît que l’utilisation d’un vaccin atténué serait probablement à proscrire. Son innocuité n’est en effet pas prouvée sur les ruminants domestiques dans les conditions d’élevage de l’Europe. Le risque de sa transmission par des Culicoides rendrait impossible la distinction des élevages touchés par une souche sauvage de ceux touchés par une souche vaccinale (BRUNSCHWIG et al., 2009). Il est donc plus probable qu’un vaccin inactivé soit choisi, comme pour la lutte contre la FCO. Ce vaccin serait plus sûr et ne risquerait pas d’être transmis par les Culicoides. Cependant il demeure plus coûteux à produire et nécessite plus de rappels (l’immunité induite est de plus courte durée). Il nous faut également rappeler que quel que soit le type de vaccin choisi, l’absence de preuve concernant une éventuelle protection croisée obligerait à fabriquer un type de vaccin par sérotype rencontré. C’est également ce qui s’est produit avec le virus de la FCO. 3.2.3. Contrôle possible du vecteur Dans l’hypothèse où l’EHD arriverait jusqu’en Europe, le contrôle du vecteur constituerait un point important de la lutte contre la dissémination du virus. Pour commencer, les bonnes pratiques d’hygiène et d’élimination ou de limitation des matières organiques à proximité des animaux devraient permettre de limiter la prolifération des Culicoides. De même, un drainage efficace et un assèchement des points d’eau contribueraient à éliminer les habitats larvaires. Ensuite, des mesures visant à diminuer les contacts hôtes-vecteurs permettraient de limiter la transmission virale dans les deux sens. L’isolement dans des bâtiments fermés des animaux infectés, par exemple, permettrait d’empêcher la contamination de nouveaux vecteurs. Enfin, les mesures de lutte chimique permettraient de repousser les Culicoides, de diminuer leurs piqûres ainsi que leur espérance de vie ; de ce fait elles permettraient d’interrompre le cycle de transmission du virus. Les produits déjà utilisés en routine dans le cadre de la lutte contre la FCO sont principalement les Pyréthrinoïdes (Tableau 11) et à plus faible échelle les Avermectines. 92 Tableau 11 : Pyréthrinoïdes de synthèse disponibles sur le marché pour les bovins (DMV, 2009) Mode d’administration Médicament Dose Principe actif Nom déposé Deltaméthrine BUTOX ® 50 ‰ 50 ml pour 100 l d’eau Fenvalérate ACADREX ® 60 Aérosols Fenvalérate Plaquettes auriculaires Durée d’action Délais d’attente Viande Lait Non précisée 3 0 100 ml dans 6 l d’eau (pour 30 bovins) 3 à 4 semaines 0 0 ARKOFLY ® Pulvérisations : 5 sec 2 à 4 semaines 0 0 Cyperméthrine FLECTRON ® 1 plaquette par animal 24 à 48 h après pose pendant 4 mois 0 0 Cyfluthrine BAYOFLY ® > 100 kg : 10ml / bovin 6 à 8 semaines 0 0 TRANSIT ® 10 ml / bovin 6 semaines 0 0 TRIATIX ® 10 ml / bovin Non précisée 0 0 ECTOTRINE ® 10 ml / bovin 7 à 8 semaines 0 0 BUTOX 7,5 ® < 100 kg : 10 ml 100 à 300 kg : 20 ml > 300 kg : 30 ml 8 à 10 semaines 0 0 VERSATRINE ® 10 ml / bovin 4 à 6 semaines 0 0 Pulvérisation Cyhalothrine « Pour-on » Cyperméthrine Deltaméthrine Un avis de l’AFSSA publié en 2009 (AFSSA, 2009) a permis de faire le bilan de ces mesures de désinsectisation mises en place pour lutter contre le BTV. Il en ressort que celle-ci est efficace en conditions contrôlées, si elle est effectuée rigoureusement, pour diminuer la quantité de vecteurs dans les exploitations. Cependant l’efficacité sur le terrain concernant la réduction de la transmission du virus de la FCO n’est pas encore prouvée. 3.2.4. Mesures épidémiologiques Pour le moment, aucune mesure officielle épidémiologique n’a été décidée en Europe au cas où un foyer d’EHD apparaîtrait. Ce sont donc là des mesures générales d’épidémiologie, lesquelles nécessiteraient d’être adaptées aux conditions de terrain sur le moment. La première série de mesures serait destinée à éviter l’introduction du virus en Europe. Sur ce point précis, les deux voies que l’on peut contrôler sont celles de l’importation par les hommes d’animaux infectés et/ou éventuellement de vecteurs infectés (Figure 31). Cela exigerait d’une part la mise en place d’une série de points de contrôle lors de l’importation d’animaux sur le territoire européen (Figure 32), et d’autre part un contrôle étroit des importations illégales de bétail (BOTNER et al., 2009). 93 Figure 32 : Représentation du risque d’importation d’un animal infecté en Europe et des points de contrôle possible pour l’éviter (BOTNER et al., 2009) Présence de l’EHD dans le pays exportateur Pas de risque Test sérologique Export d’un animal infecté Pas de risque Essai de mise en place d’une quarantaine ou Respect de la quarantaine mise en place Pas de risque Test Virologique Abattage ou retour à l’exportateur Animal en incubation ou infectieux Pas de risque Animal testé faux négatif Pas de risque Probabilité d’importer un animal contaminant La seconde série de mesures, quant à elle, viserait à empêcher la dissémination du virus en cas d’apparition d’un foyer en Europe. L’isolement du foyer et la mise en place de zones contrôlées et surveillées permettraient aux autorités sanitaires de stopper le virus. Ensuite, par le biais d’enquêtes épidémiologiques suivant un protocole précis, on pourrait déterminer l’origine de ce foyer et les animaux éventuellement contaminés afin de les isoler (BRUNSCHWIG et al., 2009). Nous venons donc de voir que de nombreux outils étaient aujourd’hui disponibles et mobilisables en Europe afin de limiter au maximum les risques d’arrivée et de dissémination du virus de l’EHD. De par l’expérience récente que nous avons de l’épizootie de FCO, nombre de ces outils ont pu être éprouvés dans les conditions du terrain et ont permis de révéler leur plus ou moins grande efficacité. 94 3.3. Avis de la communauté scientifique et des autorités à l’heure actuelle 3.3.1. Avis sur le risque représenté par l’EHD Par décret du 27 février 1995, l’EHD avait juste été rajoutée à la nomenclature des maladies réputées contagieuses du Code rural français (GANIERE et al., 2006). Cependant elle ne fait l’objet d’aucune réglementation particulière en Europe à l’heure actuelle. Ainsi, à la question concernant la mise en vigueur d’une réglementation spécifique en France suite aux épizooties de 2003 et de 2008 à la Réunion, l’Assemblée Nationale a répondu par la négative. Cet épisode étant limité seulement au secteur de l’île, la maladie n’étant pas réglementée en Europe, le ministère de l’Agriculture et de la Pêche a estimé qu’il était inutile de prendre des mesures nationales (LEBRETON, 2009). Il faut toutefois noter que l’EHD est maintenant considérée par l’OIE et par l’Union Européenne comme une maladie à haut risque d’émergence en Europe (BREARD et al., 2010a). Pour cette raison elle se trouve sur la liste officielle des maladies à risque de l’OIE. De l’avis récent de nombreux auteurs ayant déjà publié sur l’EHD, le risque émergentiel en Europe est très important aujourd’hui. Dans un article daté de Juin 2010, BREARD et al. (2010b) estiment que « cette maladie représente le même danger pour l’Europe que la FCO au début des années 2000 ». Pour MACLACHLAN et GUTHRIE (2010), c’est la redistribution des espèces de Culicoides, ajouté à des facteurs humains, qui seront à l’origine des réémergences d’Orbivirus futures. 3.3.2. Recommandations de l’EFSA en cas d’apparition d’un foyer Ces recommandations sont tirées du rapport de l’EFSA sur l’EHD paru en 2009 (BOTNER et al., 2009). Elles correspondent à des mesures épidémiologiques applicables lors de la découverte d’un foyer d’arbovirose : « Dans le cas d'une épizootie d’EHD, l'utilisation d'un test de diagnostic fiable (par exemple RTPCR) doit permettre d'identifier les animaux virémiques dans le troupeau. Ceux-ci doivent ensuite être abattus. Un traitement insecticide immédiat, destiné à détruire les vecteurs du genre Culicoides qui pourraient s’être nourri du sang de l'hôte infecté, doit être effectué. Les animaux de l’exploitation touchée doivent être testés à nouveau après 7-10 jours afin de détecter d'autres individus infectés qui n’étaient pas virémiques lors du premier test effectué dans l’élevage. Une zone de restriction des mouvements des espèces sensibles (avec un rayon à adapter en fonction de la situation météorologique, géographique et épidémiologique) doit être établie jusqu'à ce qu'une enquête épidémiologique ait été effectuée. Une enquête épidémiologique immédiate doit être effectuée pour la compréhension de la situation. Elle doit permettre de déterminer : - l'étendue de l'infection (dans l'espace, et peut-être aussi dans le temps), basée sur des tests de diagnostic fiables, - la source initiale probable de l’infection et la voie empruntée par celle-ci, - le stade de l’épizootie (qu’il s’agisse du premier cas ou non), - la présence d’espèces sensibles (domestiques ou sauvages) dans le secteur géographique, - la situation du vecteur (quelles espèces, avec compétence vectorielle connue ou supposée). L'enquête épidémiologique dans les fermes environnantes (dans un rayon adapté à la situation géographique, météorologique et épidémiologique) permettra de déterminer le stade de l’épizootie et s'il y a eu extension de l'infection à d'autres élevages. Des résultats positifs en RT-PCR avec des 95 vecteurs potentiels dans la région doit être étudiée par le piégeage de Culicoides dans les élevages. Si plusieurs troupeaux infectés sont identifiés, l'approche dépendra de la situation épidémiologique. La décision d’abattre ou non les animaux infectés dépendra directement du nombre de troupeaux infectés. Des enquêtes en amont et en aval devront être effectuées dans le cas où les mouvements d'animaux ont joué un rôle dans la propagation de l'infection. Elles auront pour but de déterminer la provenance des animaux infectés et de trouver d’éventuelles explications à l’introduction de l’infection, autres que les vecteurs. Elles devront également permettre d’évaluer de manière qualitative le risque d’une propagation future (en se basant sur les mouvements d'animaux, l’activité du vecteur, etc.). Si le risque de nouvelles introductions existe, une surveillance à long terme devra être mise en place, incluant la surveillance des hôtes ruminants et des insectes vecteurs. » Pour l’heure, le risque d’émergence du virus de l’EHD en Europe n’en est donc encore qu’au stade de risque. Mais de l’avis presque général de la communauté scientifique et des autorités sanitaires, cette situation a de fortes probabilités d’évoluer dans un avenir proche et de conduire à la réussite émergentielle du virus en Europe. 96 CONCLUSION La maladie hémorragique épizootique des cervidés apparaît donc comme une maladie virale, très proche de la FCO, transmise par un vecteur à distribution géographique mondiale. De par ses caractéristiques cliniques et épidémiologiques, elle a généralement un impact très fort dans les populations de ruminants où elle sévit : - les populations de ruminants sauvages (telles que le cerf à queue blanche de Virginie), chez lesquels elle est relativement meurtrière (20% de mortalité en moyenne), - les élevages de ruminants domestiques (essentiellement les bovins), dans lesquels elle entraîne des pertes économiques importantes en plus de quelques cas cliniques parfois sévères. Son mode de transmission et la saisonnalité de ses vecteurs, les Culicoides, font qu’elle se manifeste principalement sous la forme d’épizooties sévères, entrecoupées de périodes plus longues d’enzooties. L’accélération du rythme de ces épizooties et l’extension de la zone géographique occupée par le virus ces dernières années inquiète à juste titre la communauté et les autorités scientifiques (comme l’OIE), qui voient aujourd’hui l’EHD comme une « maladie émergente » à surveiller étroitement. Notre volonté de définir au mieux cette notion en a révélé la complexité. Ainsi il nous apparaît désormais que l’émergence d’une maladie, qui correspond à une augmentation de son incidence réelle dans le temps et/ou dans l’espace, est provoquée, guidée et garantie par de multiples facteurs intervenant sur un ou plusieurs éléments du complexe agent pathogène-vecteur-hôte. Ces facteurs peuvent être naturels ou anthropiques et sont parfois difficiles à maîtriser, voire même à identifier pour certains d’entre eux. C’est leur étude qui permet de mesurer le risque d’une réussite émergentielle plus ou moins importante de la maladie. En appliquant ces notions épidémiologiques à la situation actuelle de l’EHD, nous avons pu mettre en évidence le risque important d’arrivée du virus en Europe à l’heure actuelle. De nombreux facteurs sont réunis : nombreux hôtes sensibles et naïfs d’un point de vue immunitaire (bovins), populations de vecteurs compétents (Culicoides), proximité géographique du virus (Bassin Méditerranéen), conditions climatologiques favorables à l’installation du cycle viral (cycle connu pour être saisonnier en climat tempéré), etc. Dans l’attente de l’éventuelle allumette qui mettrait le feu aux poudres, les autorités sanitaires européennes, fortes de leur expérience acquise lors des émergences récentes de FCO, tentent d’identifier et de contrôler les différents facteurs de risque. Le statu quo qui protège pour le moment l’Europe ne semble donc pas éternel et l’émergence de l’EHD dans un avenir proche y apparaît comme quasiment inévitable. La présence de la FCO sur le continent depuis 2006 compliquera considérablement la détection de cette « nouvelle maladie » pour les praticiens vétérinaires, qui devront nécessairement user des techniques de laboratoire pour la détecter. Cependant, un point positif concernant la présence en Europe de la FCO demeure : les réseaux d’épidémiosurveillance, les techniques de diagnostic et les mesures de prévention ont déjà été largement éprouvées et adaptées lors des épizooties de FCO. En outre, il n’est pas totalement déraisonnable d’imaginer que malgré une absence de protection croisée, le système immunitaire des ruminants européens soit un peu mieux préparé à l’arrivée d’un autre Orbivirus. 97 98 BIBLIOGRAPHIE 1- ABDY MJ, HOWERTH EE, STALLKNECHT DE. (1999) Experimental infection of calves with epizootic haemorrhagic disease virus. American Journal of Veterinary Research, 60, 621626. 2- AFSHAR A, WRIGHT PF, TAYLOR LA, SHAPIRO JL, DULAC GC. (1992) Development and evaluation of an Enzyme-linked Immunosorbent Assay for detection of bovine antibodies to epizootic hemorrhagic disease of deer viruses. 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VAUZELLE Thomas Résumé : La maladie hémorragique épizootique des cervidés (EHD : Epizootic Hemorrhagic Disease) est une arbovirose inscrite sur la liste de l’OIE (Organisation mondiale pour la santé animale, anciennement Office international des épizooties) qui touche les ruminants aussi bien sauvages (essentiellement les cervidés) que domestiques (essentiellement les bovins). L’agent responsable est un virus proche de celui de la FCO (Fièvre catarrhale ovine), appartenant au même genre des Orbivirus et à la même famille des Reoviridæ que celui-ci. Il est transmis par des arthropodes hématophages de la famille des Culicoides. Le virus de l’EHD est responsable d’épizooties saisonnières meurtrières chez les cervidés. Chez les bovins, les conséquences économiques de l’infection sont souvent plus importantes que les conséquences sanitaires elles-mêmes. Néanmoins, suite aux nombreuses épizooties qui ont touché les bovins depuis le début des années 2000 en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, les questions de l’émergence effective de cette maladie dans le monde et de son émergence future en Europe se posent avec acuité. L’apparition, l’évolution et la réussite d’une maladie émergente, définie comme une maladie dont l’incidence réelle augmente dans le temps et/ou dans l’espace, sont toutes trois sous l’influence de nombreux facteurs naturels et anthropiques qui agissent sur le complexe virusvecteur-hôte. Dans le cas de l’EHD, de nombreux facteurs de risque d’émergence sont d’ores et déjà réunis en Europe. Face au risque d’arrivée du virus sur le continent, des recommandations générales sur les mesures de lutte à appliquer ont été rappelées par les autorités sanitaires. Une difficulté majeure risque cependant de se présenter, qui pourra retarder la mise en œuvre de mesures de lutte adaptées : le risque important de confusion entre l’EHD et la FCO, tant sur le plan du diagnostic clinique que du diagnostic de laboratoire. Mots clés : MALADIE HÉMORRAGIQUE ÉPIZOOTIQUE / ORBIVIRUS / ARBOVIROSE / MALADIE ÉMERGENTE / FIÈVRE CATARRHALE OVINE / VECTEUR / CULICOÏDE / RUMINANT / CERVIDÉ / BOVIN / EUROPE Jury : Président : Pr. Directeur : Dr. MILLEMANN Yves Assesseur : Pr. DUFOUR Barbara Adresse de l’auteur : M. Thomas VAUZELLE 5 bis rue de Frettecuisse 80140 Saint-Maulvis THE EPIZOOTIC HEMORRHAGIC DISEASE, AN EMERGING DISEASE IN CATTLE? VAUZELLE Thomas Summary: The epizootic hemorrhagic disease (EHD) is an arthropod-borne virus that is on the OIE’s list (“Organisation mondiale pour la santé animale”, formerly “Office international des épizooties”) and which affects wild (mainly deer) as well as domestic (primarily cattle) ruminants. The causative agent is a virus close to bluetongue virus, belonging to the same genus, Orbivirus, and to the same family, Reoviridae. It is transmitted by blood-sucking arthropods belonging to the Culicoides family. EHD virus is responsible for seasonal lethal epizootics on deer. In cattle, it is often the economic consequences that are most important. Nevertheless, following numerous epizootics that affected cattle since the very beginning of the 21st century in North Africa and the Middle East, issues of actual emergence of this disease in the world and its future emergence in Europe arise accurately. The emergence, evolution and success of an emerging disease, defined as a disease whose real incidence is rising in time and / or space, are all three influenced by many natural and anthropogenic factors that affect the complex virus-vector-host. In the case of EHD, many emergence risk factors are already assembled in Europe. Considering the risk of arrival of the virus on the continent, general recommendations about control measures to be applied have been reminded by the health authorities. A major difficulty, however, may arise: the potential for confusion between EHD and bluetongue, both the clinical diagnosis and the laboratory diagnosis. Keywords: EPIZOOTIC HEMORRHAGIC DISEASE / ORBIVIRUS / ARTHROPOD-BORNE DISEASE / EMERGING DISEASE / BLUETONGUE / VECTOR / CULICOIDE / RUMINANT / DEER / CATTLE / EUROPE Jury: President: Pr. Director: Dr. MILLEMANN Yves Assessor: Pr. DUFOUR Barbara Author’s address: Mr. Thomas VAUZELLE 5 bis rue de Frettecuisse 80140 Saint-Maulvis