La liberté d`expression - Institut Saint Jean

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La liberté d’expression
et le respect des religions
UNIVERSITE MARC BLOCH STRASBOURG
FACULTE DE THEOLOGIE CATHOLIQUE
TRAVAIL DE M. FRANZ HELMUT LECHNER
SOUS LA DIRECTION DE M. YVES LABBÉ
POUR LE SEMINAIRE THEOLOGIE DES RELIGIONS
La publication des caricatures sur Mahomet
« La plume est plus puissant que le glaive ». Ce dicton s’est avéré juste dans l'affaire des
caricatures du prophète Mahomet, qui a presque provoqué une crise mondiale. Les
événements affolants des dernières semaines nous montrent que la liberté a ses limites,
surtout quand il s’agit du respect devant une conviction religieuse. Le Journal danois
« Jyllands-Posten » a publié ces caricatures en Septembre 2005. Auparavant des
caricaturistes ont été invités par la rédaction à faire des représentations de Mahomet,
dans le but de développer chez les artistes une sorte d’autocensure, une vigilante
autocritique par rapport aux thèmes concernant l’islam. En Janvier 2006 un journal
norvégien a également publié ces caricatures. Après une première vague de
protestations, plusieurs journaux européens ont volontairement publiés les images pour
souligner le droit de la liberté d’expression.1 Le 3 février le « Times » a déclaré ne pas
vouloir publier les caricatures, car il s’agirait d’une offense inutile, ajoutant que les
protestations des musulmans seraient plus convaincantes si dans le Proche Orient
n’apparaissaient pas régulièrement des images qui offensent gravement les juifs et les
chrétiens. Le « Guardian » a mit en avant l’importance de la liberté d’expression, tout en
insistant aussi sur ses limites qui doivent être déterminé par le sens de la mesure, le
droit, la convention, l’attitude fondamentale et le jugement personnel. Ainsi on informe
par exemple sur la pornographie mettant en scène des enfants, mais sans montrer des
images. La position opposée est soutenue par le quotidien populaire « France Soir » qui a
publié les 12 caricatures du prophète Mahomet avec en titre: "Oui, on a le droit de
caricaturer Dieu". Une telle attitude a fortement offensé le sentiment religieux de
personnes et de communautés du monde musulman.
En quoi consiste l’offense ?
Beaucoup de musulmans estiment inacceptables ces caricatures du prophète Mahomet à
cause de l’interdiction des représentations dans l’islam. Dans la culture juive et dans la
culture musulmane, il n’y a pas de place pour une image de Dieu. Pour l’Islam, on ne
peut pas représenter Allah, et son prophète non plus. En outre, le nom du prophète, «
Mahomet », signifie, en arabe coranique : « Celui qui est digne de louanges ». Il est donc
compréhensible que des musulmans considèrent toute marque de non-respect de ce
prophète comme blasphématoire. La publication des caricatures de Mahomet par France
Soir est donc « une vraie provocation », selon, Dalil Boubakeur, recteur de la grande
mosquée de Paris et président du Conseil français du culte musulman (CFCM). « C’est
odieux, nous désapprouvons totalement cela, c’est une vraie provocation vis-à-vis des
millions de musulmans en France ». Laj Thami Breze, président de l’UOIF (Union des
organisations islamiques de France) a déclaré : « Dans ce cas précis on n’est plus dans la
critique, ni même dans l’humour, mais c’est de l’insulte. C’est comme s’il n’y avait plus
rien à proposer aux gens que la moquerie des choses sacrées… Trop c’est trop ! ».
1
Il s’agit : En Espagne du quotidien national ABC et du quotidien catalan El Periodico ; en Italie de La Stampa
et d’Il Corriere della Sera ; en Suisse du quotidien Blick et de La Tribune de Genève ; aux Pays-Bas de De
Volkskrant, De Telegraaf et NRC Handelsblad ; en Allemagne, du quotidien Die Welt.
La réaction de protestations violentes dans les pays islamiques
L’effet des caricatures dans de nombreux pays musulmans a été terrible : des relations
diplomatiques interrompues, des ambassades dévastées, des églises incendiées, des
morts, notamment parmi les chrétiens. L’imprudence commise par la publication des
caricatures est d’avoir poussé certains musulmans à la radicalisation. A propos des
protestations, M. Navarro-Valls disait: « Il faut dire immédiatement que les offenses
faites par une personne ou un organe de presse ne peuvent pas être imputées aux
institutions publique du dit pays, dont les autorités pourront ou devront, éventuellement,
intervenir, selon les principes de la législation nationale. Des actions violentes de
protestation sont par conséquent également déplorables. Pour réagir à une offense on ne
peut pas en effet manquer au véritable esprit de toute religion. Et l’intolérance réelle ou
verbale, de quelque côté qu’elle vienne, comme action ou comme réaction, constitue
toujours une menace pour la paix ». Le Saint-Siège fait alors la distinction importante
entre le pays et les personnes ou organes de presse qui ont commit l’offense. C’est
justement cette distinction qui n’a pas été faite par tout ce qui proteste contre un pays
ou contre l’Europe. Cet amalgame se manifeste au niveau du langage (mort à l’Europe !)
comme dans des actes (comme l’attaque de l’ambassade d’Autriche à Téhéran,
uniquement parce que l’Autriche a la présidence européenne actuellement, mais aucun
journal autrichien n’a publié les caricatures et les responsables politiques ont plutôt
exprimé leur regret sur la publication avant même la dévastation de l’ambassade).
Deuxièmement la déclaration condamne les actions violentes. La réaction à une offense
ne peut pas être la violence. Si l’islam est selon beaucoup de chefs musulmans une
religion de paix, ces violences sont une offense et une déformation bien plus grande à
l’islam que les caricatures même, qui représentent tout de même une certaine perception
occidentale de la violence inhérente à l’islam qui mériterait d’être prise en considération.
Les lois des pays européens règlent la coexistence, ce qui est permis et ce qui ne l’est
pas. Historiquement ces lois sont issues d’un système de valeurs chrétiennes. Si
quelqu’un transgresse une loi, on peut porter plainte contre lui. Des musulmans offensés
peuvent donc dans le cadre de la loi agir contre la publication des caricatures. Le plupart
des musulmans vivant en Europe ont aussi protesté de manière paisible, mais ceux des
pays musulmans ont protesté sans tenir compte d’autres lois et prennent le chemin
violent qui est devenu malheureusement quotidien avec des menaces, des attentats, des
enlèvements et des meurtres. De même un concours de caricatures sur l’holocauste des
juifs, comme il a été écrit par les autorités iraniennes ne peut être une réponse valable.
C’est vraiment « œil pour œil, et dent pour dent » et dans le présent cas peut-être pire ;
l’Arab European League voulait faire de la provocation, et ils ont mit sur leur site Internet
des caricatures horribles et choquantes.2 En comparaison avec les caricatures sur
Mahomet, ces caricatures sont bien pire et représentent un vrai scandale. Le respect dû à
l’islam, ne peut d’aucune manière être acquis par la violence, qu’elle soit dessinée, écrite,
verbale voire armée. Cependant, le respect et la tolérance ne sont pas à sens unique. En
plus, il est évident que l’affaire des caricatures a été instrumentalisé par des autorités
politiques islamiques, ainsi que par des courants fondamentalistes. Pour ce qui est des
protestations, la manipulation est évidente, le prétexte a été servi sur un plateau. Les
agitateurs avaient un jeu facile.
Par contre il faut vraiment différencier la question historique si la personne de Mahomet
est lié à la violence (à la différence de Jésus, qui dans sa personne n’a jamais fait la
guerre, mais plutôt subi la violence dans sa mort innocente), et la question de savoir si
l’islam porte en lui-même une propension à la violence et finalement la question du
rapport avec les islamistes fondamentalistes et intégristes qui exercent de fait au nom de
l’islam la violence et le terrorisme. A mon sens, l’islam n’a pas encore fait assez une
recherche de critique historique à la fois sur la vie de Mahomet et sur le Coran. De même
je pense qu’il faudrait une purification de la mémoire, et une distanciation claire de toute
pratique de la violence pour défendre et étendre l’islam.
2
On voit deux hommes devant un tas d’ossement humain surtitré « Auschwitz ». Et l’un dit à l’autre « De
quelque manière nous devons atteindre 6 millions » ; l’autre répond : « je ne croit pas qu’ils sont juifs ». Une
autre caricature montre une femme avec un âne devant l’autel avec le titre « Après le mariage-homo. Europe
reste progressive. La caricature la plus scandaleuse montre Hitler au lit avec la victime juive des nazis Anne
Frank, écrit en-tête : « Hitler goes Dutroux ».
2
Quelle est l’attitude de l’église face à la liberté d’expression ?
Mgr Michael Fitzgerald, jusque là président du Conseil Pontifical pour le Dialogue
interreligieux, a déclaré : « Nous ne devons pas sous-estimer l’amour et le respect que
les musulmans ont pour leur prophète Mahomet. C’est une référence très importante
pour eux et donc, il ne peut pas être méprisé ou ridiculisé. Je crois qu’il faut comprendre
cela. »
Le cardinal Achille Silvestrini, préfet émérite de la Congrégation pour les Eglises
Orientales, a déploré la satire des symboles religieux et regrette une certaine conception
de la liberté :
« La culture occidentale, souligne le cardinal italien, doit trouver une limite à sa
prétention de faire de la liberté un absolu. L'Europe devrait se rebeller à l'idée et contre
la pratique de railler les symboles religieux. La liberté est une grande valeur mais elle
doit être partagée, et non pas être unilatérale. La liberté de se moquer, qui offense les
sentiments d'autrui et qui touche directement le sentiment de peuples entiers, touchés
dans leurs symboles suprêmes, devient de la prévarication. On peut comprendre la
caricature des prêtres, mais pas de Dieu, du fait qu’il n'est pas à notre portée. Si la satire
offense, diffame, calomnie des citoyens, ceux-ci ont la possibilité de recourir à la justice.
Mais si les offenses prennent en ligne de mire Dieu et Allah, l'Evangile et le Coran, de
quelle façon peuvent-ils se défendre ? La laïcité suppose d’abord le respect. Par ailleurs,
les défenseurs les plus stricts de la laïcité affirment que l'offense au drapeau national est
inadmissible. » Et SILVESTRINI termine en interrogeant : « Ne pourrait-on pas considérer
les symboles religieux comme les symboles des institutions laïques »? Interrogé sur la
question de savoir si on peut caricaturer Jésus, MGR EGON KAPELLARI de Graz souligne que
le mot caricature est équivoque. On peut caricaturer Jésus seulement dans le cadre d’un
respect qui se trouve à l’intérieur d’une tradition humaniste. Mais il trouve que cela est
absolument superflu. Mais presque tous les musulmans sont convaincus qu’on ne peut
caricaturer Mahomet d’aucune façon. Celui qui traite la religion sans respect devra
assumer les réactions de la société, lorsque les adeptes de Jésus ou de Mahomet se
défendront. Il n’y a pas de fatwahs dans l’église catholique, et cela est bon. Mais critiquer
les fondateurs des religions n’est pas seulement une question du bon goût, mais
d’éthique et de respect. Cela vaut pour toutes les religions et cultures. En effet, chaque
religion a droit au respect. Le CARDINAL RENATO RAFAELE MARTINO, président du Conseil
pontifical Justice et Paix, a analysé l’affaire des caricatures comme « une manifestation
d’arrogance mûrie dans les pays riches et développés qui n’ont aucun respect pour la
culture des autres. Une caricature, chez nous, provoque un sourire, pour d’autres, c’est
une offense ». Ce qui est en question c’est « la façon dont l’Occident arrive à avoir de la
considération pour les autres, leur situation, leur histoire, leur dignité, et leur culture ».
Les remèdes à la crise ne peuvent être qu’une « sensibilité religieuse, sensibilité humaine
et intelligence politique ». « Il y a un réveil qui se manifeste comme une réaction à
l’arrogance de l’Occident. Il faut se rendre compte qu’il y a une partie du monde, celui
qui est en voie de développement, qui a la sensation d’être tributaire de la partie de la
planète qui a les moyens économiques, le pouvoir militaire, la suprématie scientifique.
Alors, je me demande : Qu’est-ce que l’Occident fait pour aider les autres à être les
acteurs de leur propre avenir ? » L’évêque auxiliaire de Munich ENGELBERT SIEBLER exige
de l’Occident une nouvelle estime de la religion et le respect des sentiments religieux.
„Nicht nur Karikaturen gehören auf den Prüfstand, sondern die westliche Überheblichkeit
gegenüber der Religion". Il y a comme une compétition en Occident pour rompre les
tabous au nom de l’art, et de s’en vanter au titre du courage, surtout quand cela touche
la religion. Quand des croyants ne veulent pas accepter cela, on objecte la « liberté de
l’art » et « la liberté de la presse ». Il suffit que quelqu’un tienne son produit pour de
l’« art » pour que l’offense des sentiments religieux ne soit plus justifiable et justiciable.
La loi en Allemagne (et en Autriche) garantit l’exercice de la religion sans être dérangé. 3
Bien sûr, Dieu ne peut pas être atteint ni offensé par des caricatures, mais ceux-ci
blessent les sentiments religieux des fidèles, en exposant à la dérision ce qui est saint
3
Dans l’article 4 du Grundgesetz on dit: "Die ungestörte Religionsausübung wird gewährleistet".
3
pour des croyants. Le porte parole du Saint-Siège, M. JOAQUIN NAVARRO-VALLS a souligné
que « le droit à la liberté de pensée et d’expression, affirmé dans la Déclaration des
Droits de l’homme, ne peut pas impliquer le droit d’offenser le sentiment religieux des
croyants ». « Ce principe, précisait-il, vaut évidemment pour quelque religion que ce soit.
La coexistence humaine exige ensuite un respect mutuel, pour favoriser la paix entre les
hommes et les nations. En outre certaines formes de critique à outrance ou de dérision
des autres dénotent un manque de sensibilité humaine et peuvent constituer dans
certains cas une provocation inadmissible. La lecture de l’histoire enseigne que ce n’est
pas par ce chemin-là que l’on guérit les blessures existant dans la vie des peuples ».
La voix des hommes d’Eglise est unanime et exige le respect des cultures et des
religions, de ce qui est considéré comme « sacrée ». Du reste, ils ne sont pas les seuls :
KOFI ANNAN a déclaré aussi que la liberté de presse doit toujours être exercée de telle
manière que la foi et les doctrines de toutes les religions soient pleinement respectées. Et
le bureau de l’APEM (l’Assemblée Parlementaire Euro Méditerranéenne) a adopté, à
l’issue de sa réunion du 6 février à Bruxelles, une déclaration déplorant fermement
l’offense faite aux croyances de la communauté musulmane, appelant à un usage
responsable de la liberté de la presse et de la liberté d’expression et condamnant le
manque de respect à l’égard des religions ainsi que toute incitation à la haine religieuse
et tout propos xénophobe ou raciste. Il a également énergiquement condamné l’usage de
la violence contre les représentations diplomatiques européennes et appelé au retour à
une atmosphère de dialogue paisible et constructif.
Le respect des sentiments d’autrui est une valeur humaniste
Est-ce que le monde occidental a fait plus de progrès, parce qu’ici des sentiments
religieux ne signifient plus rien et peuvent être ridiculisé ? Y a-t-il une liberté d’offenser ?
Il ne peut pas y avoir de droit à l’offense, car cela serait contraire à la dignité de l’homme
et à la justice. Si donc la Déclaration des Droits de l’Homme prévoit le droit à la liberté de
pensée et d’expression, cela n’implique pas le droit d’offenser le sentiment religieux des
croyants.
Il ne s’agit pas de supprimer la liberté de pensée et d’expression, qui est
un bien, mais de l’exercer avec responsabilité et sensibilité à l’égard de ceux à qui on
s’adresse et dans la manière dont on fait passer le message. Il y a comme une réaction
gamine chez ceux qui voient cette liberté d’expression mise en danger parce qu’on veut
lui mettre des limites, et ils réclament le droit de pouvoir tout dire, de toute manière et
toujours. Est-ce un progrès de liberté ou un retour en arrière d’une véritable culture
humaniste ? Le droit à l’offense ne peut aucunement établir une coexistence humaine
paisible ; il ne peut pas être un pas en avant dans une communication qui fonctionne.
Mais si on ne cherche pas une compréhension plus grande, c’est la provocation ou
l’offense qui sont recherchées. Dans quel esprit alors a-t-on publié ces caricatures ? Du
point de vue de la liberté de la presse, personne ne va vouloir empêcher l’exposé d’une
analyse sérieuse qui pourra augmenter la compréhension de l’islam et par là permettre
un dialogue et une entende. S’agit-il d’une critique constructive, qui serait toute à fait
justifié ? Bien sûr, il y a le droit à la liberté d’expression, mais mon droit s’arrête là où il
s’agit du droit de l’autre. Le CARDINAL MARTINO précise : « Il faut se mettre à la place de
l’autre. Avoir un interlocuteur sur le même plan, ce serait un avantage pour l’Occident.
Jusqu’ici le rapport ne s’est établi qu’en termes marchands. Mais le marché ne suffit pas.
Si nous demandons la liberté de religion pour tous, et aussi la liberté de pouvoir changer
de credo, il faut développer dans l’Islam la maturité de la laïcité que l’Europe a atteinte
au cours des siècles. Et pour cela on a besoin d’un rapport dans le respect, en mettant en
marche un processus stratégique pour stimuler dans ces pays une croissance culturelle
des individus ».
Ne pas vouloir ce qui blesse l’autre est d’abord une valeur humaniste. Mais on voit une
grande difficulté pour des gens « areligieux » de comprendre les sentiments de ceux qui
pratiquent une religion. Mais il faut le mettre en parallèle avec le non-respect de la
sphère privée, du secret professionnel ou du devoir de dire la vérité, qui peut en effet
concerner tout le monde. L’incapacité de comprendre l’offense des sentiments d’autrui
est une perte considérable des vertus humaines nécessaires à la coexistence : sens
judicaire, empathie, solidarité, attention et égard aux autres et la reconnaissance qu’il y
a des choses sacrées pour l’homme.
4
La moquerie sur le christianisme
En Autriche, nous avons eu un débat semblable en 2002. Le caricaturiste autrichien
GERHARD HADERER a publié le livre "Das Leben des Jesus", qui fait de Jésus l’objet de la
dérision. Dans cette « biographie » tout est ridiculisé dans la manière la plus primitive,
Marie, Joseph, un Jésus toxicomane depuis son enfance, dont les miracles sont des
mauvaises blagues, la Cène une beuverie entachée de haschisch, sa croix pas une mort
mais une ivresse sous l’effet de la drogue, dans un ciel plein de nuages de hachisch. Les
chrétiens, en première ligne le CARDINAL CHRISTOPH SCHÖNBORN, archevêque de Vienne, ont
protestés contre cette moquerie qui vise le fondateur du christianisme. On bafoue la foi
sur laquelle tant d’homme et de femme de ce pays construisent leur vie, et on abuse des
symboles de leur foi au nom de la liberté de l’art. HADERER piétine les
convictions religieuses de ses concitoyens qui sont sans défense. Le Cardinal a déclaré: «
Ich schäme mich vor Menschen anderer Kulturen und Religionen: Welchen Eindruck
müssen sie von einer Gesellschaft haben, die schweigend oder gar witzelnd einen solchen
Umgang mit dem Stifter jener Religion hinnimmt, die das Antlitz dieses Landes zutiefst
geprägt hat? Ohne Ehrfurcht vor dem Heiligen wird bald uns Menschen nichts mehr heilig
sein, auch nicht der Nächste ». Il y a une spéculation superficielle avec le scandale, et
très à la mode, la plaisanterie banale sur tout, aussi sur les sentiments religieux des
autres, et avec ce qui est pour eux de plus précieux et de saint. Il faudrait arrêter cette
moquerie grossière de la foi chrétienne. Le Cardinal lui a demandé de s’excuser pour
cette provocation antichrétienne ce qu’il n’a jamais fait. Au contraire, on a reproché aux
chrétiens d’être trop susceptibles et sans humour. A la question : Pourquoi ne montre-t-il
pas Jésus avec de respect ?, il n’a pas donné de réponse. Pourtant même le chancelier
d’Autriche WOLFGANG SCHÜSSEL a dit avec force que HADERER a franchi clairement une
limite, et a qualifié les desseins de « Schundzeichnungen » (pacotilles). Ce qui est
intéressant, c’est que HADERER a dit maintenant, qu’il n’aurait jamais dessiné de
caricature sur Mahomet. Il fonde ses caricatures sur Jésus sur le fait, qu’il n’y a pas
d’interdiction d’image dans le christianisme. Le cas « HADERER » n’est pas un cas isolé
dans l’offense croissant contre la foi chrétienne dans les médias. En 1996 RUDOLPH
HAMMERSCHMIDT, alors porte-parole de la conférence épiscopale d’Allemagne, a fait une
recherche sur « le blasphème dans les medias d’Allemagne ». Il a trouvé
malheureusement une vaste gamme d’insultes, d’avilissements et de ridiculisations de la
foi chrétienne. Avant tout il s’agit d’une ridiculisation de la croix. 4 La « taz » de Berlin a
publié le 11 février 2006 sur la première page une caricature de Jésus, qui le montre sur
la croix, crucifié aux mains, faisant des exercices de sport avec les pieds, sous le titre
« Immer schön locker bleiben ». A la page trois on voit une autre caricature, sur laquelle
se trouve quelqu’un qui a été crucifié aux oreilles. Il y a aussi des insultes contre le
pape. Après la visite de JEAN PAUL II la même « taz » a publié un poème sous-titré : « Dix
voies pour tuer un pape ».5 FRANCESCO M. VALIANTE constate que « le cas des caricatures
sur Mahomet est un cas éclatant mais pas unique dans le genre. Ces jours-ci, on assiste
en Espagne à certaines manifestations d’intolérance outrageante envers la religion et
l’Eglise catholique qui laissent perplexes. Dans un spectacle théâtral, mis en scène à
Madrid, on caricature le pontife actuel, on ridiculise son prédécesseur, on lance des
menaces obscures contre les catholiques, on incite à l’apostasie. Et dans une vidéo
diffusée à la télévision, le Crucifix se transforme même en ingrédient d’une recette
culinaire aussi unique que dégoûtante. A toute personne dotée de bon sens échappe la
valeur artistique et culturelle – ou simplement satirique – de telles initiatives. De même
semble obscure leur prétention à représenter une expression de la liberté ou de « laïcité
». Mais hélas, le bon sens n’a pas grand-chose à voir avec cela. Devant la vulgarité,
l’insulte, le blasphème, l’intelligence de la raison se voit contrainte à abdiquer. Il ne
semble pas que les faits espagnols aient enflammé l’opinion publique d’indignation
4
Par exemple le magazine « Titanic » a illustré le titre « Spielt Jesus noch eine Rolle ? » avec un Christ en croix
transformé en accrochage pour du papier de toilette.
5
„Zehn Wege einen Papst zu töten. Erstens musst du, um einen Papst zu erlegen, dich auf die Fahrt nach Rom
begeben. Dort jagst du ihm mit Pistolenlärm eine Kugel ins Zwölffingergedärm. Auch kannst du, zweitens, um
ihn zu schrägen, einen Papst den heiligen Stuhl ansägen. Am besten die Beine –aber mit Geschick: Das bricht
einem Papst garantiert das Genick.“ S’ensuivent encore huit strophes.
5
spéciale ».6 Ce que le journal incendiaire nazi « Der Stürmer » durant le temps de Hitler
a écrit avant tout contre les juifs, mais aussi contre les chrétiens et notamment les
catholiques, aucun journal occidental peut le faire vis-à-vis des juifs – et il en heureux
ainsi – mais ils le font tout à fait encore contre les chrétiens, spécialement les
catholiques. Le mépris de l’homme et le dédain des convictions religieuses ont
malheureusement survécu au temps du nazisme. Certaines publications sont tout à fait
au niveau « Der Stürmer ». Ce n’est plus la question de la liberté d’expression qui est en
jeu ici, mais la question du mépris de l’homme. Au nom d’aucune liberté on ne peut se
permettre un tel mépris. La perte du respect d’un symbole religieux est une dégradation
de l’homme. Le jeune chef du magazine « Titanic » confirme ce lien entre blasphème et
avilissement de l’homme. Il attribue à tout homme un « Recht auf Verarschung », et
surtout concernant l’Eglise catholique. La devise de son magazine : « Notre plaisanterie
(Spass) commence là, ou celle des autres s’arrête ». En face d’une telle attitude, l’auteur
ERICH KOCK7 déclare : « Sollen wir denn alles verstehen ? Ich plädiere für den Zorn! Ich
habe es satt als Christ dauernd beleidigt zu werden“. Mais il faut admettre qu'il y a
compte tenu de certaines exceptions une résignation, une absence de résistance contre
ces abus chez les chrétiens. La réaction mondiale des musulmans devrait aussi réveiller
les chrétiens dans leur force de résistance.
Le rapport à la transcendance
N’y a-t-il pas une saine réaction derrière ses protestations ? Les croyants défendent le
fondement de la culture et de la liberté : un aspect humaniste avec la capacité de
vénérer encore quelque chose comme « saint ». Là où la foi est traitée avec dédain et la
dimension du sacré se perd, l’humanisme comme tel et le fondement de la démocratie
sont en danger. L’homme est appelé à la transcendance, son esprit veut dépasser le
simple souci de la subsistance au jour le jour. C’est ce rapport à la transcendance qui
fonde la liberté et la dignité de toute personne humaine. La question de l’honneur touche
justement l’intégrité de la personne. La loi protège devant des offenses d’honneur et des
injures. Si on insulte Dieu (ce en quoi consiste cette insulte est différent selon les
religions), on touche aussi à ce rapport de transcendance qui fonde la dignité de
l’homme. Dans le judaïsme ancien, toute sorte de blasphème devait être réprimé, et
selon Lv 24,16 la punition était la lapidation. La loi en Allemagne et Autriche aujourd’hui
ne punit plus le blasphème comme tel. Le bien à protéger juridiquement n’est pas la foi,
mais la paix publique. Et les paragraphes du « Strafgesetzbuch » sont à interpréter dans
la lumière des droits fondamentaux, dont le droit à la liberté d’expression et la liberté de
l’art. En cas de doute, on donne raison à celles-ci sur l’exercice de la religion. Le
résultat : même en cas d’insultes (un propos blessant dans sa forme et son contenu),
l’Eglise est juridiquement assez démunie, tant que ces propos ne mettent pas en danger
la paix publique. La religion ne peut pas attendre beaucoup de protection de la loi et du
droit, si la conscience de la société de la valeur de la religion se perde. Il n’est pas
possible d’arrêter le courant puissant de l’opinion publique par des moyens juridiques.
Depuis que VOLTAIRE a exigé une liberté totale par ses railleries contre l’Eglise, la religion
et l’autorité (et ces trois ont été taillé par la force de la guillotine de la Révolution
française), le fondement de l’évidence culturelle concernant l’honneur, le respect et la
décence a plus ou moins disparu. Par contre on croit avec évidence pouvoir exiger des
chrétiens qu’ils se laissent insulter en toute humilité, obéissant au commandement de
l’amour des ennemis, de la non-violence et de la sequela Christi jusqu’à la croix. Mais
accepter toutes les injures ne doit pas relever d’une lâcheté ni d’une adaptation pure et
simple. Et ceux qui prêchent la liberté d’expression ne voient pas qu’une société, pour qui
rien n’est saint, va vers une autodestruction, car alors même ces libertés ne vont plus
l’être. Au fond, les libertés de l’Aufklärung n’ont-elles pas commencées avec la
guillotine ? Ce primat absolu de la liberté aujourd’hui ne contient-il pas déjà une
tendance vers la pensée unique et des traits totalitaires interdisant toute autre manière
de penser et de vivre ?
6
Francesco M. Valiante, « Progrès de la liberté ou marche arrière de la civilisation »?, in : L’Osservatore
Romano des 6-7 février, p.10.
7
Kock est le secrétaire de Böll et le biographe de Lichtenberg.
6
Clash of civilisations ?
Un complexe de double supériorité se cache en arrière fond dans ce « clash of
civilisations » : l’Occident se croit supérieur aux pays islamiques par les acquis de
l’Aufklärung, par le primat de la liberté. Les occidentaux perçoivent l’islam dans les pays
arabes comme l’Iran, l’Arabie Saoudite etc. comme extrême, totalitaire, intolérant et
cruel ; la vie des hommes et surtout des femmes est menée comme dans une camisole
de force, sans la possibilité d’acquérir une formation intellectuelle et une culture générale
suffisante. L’islam au contraire perçoit la liberté occidentale d’abord dans ses effets
néfaste sur l’homme : manque de respect à l’égard de Dieu (le droit au blasphème),
destruction de la famille, morale manquante qui se montre dans la pornographie et
d’autres comportements sexuels « libres », mariage homosexuel, capitalisme. Pour la
société occidentale, le principe est bon, mais les applications vont souvent beaucoup trop
loin, et on justifie et défend toutes les applications par le principe. De l’autre côté, l’islam
contredit et rejette le bon principe par les applications rejetables à juste titre. Mais dès
qu’on accorde à l’homme la liberté, on lui donne aussi un certain droit à l’erreur. Cela est
confirmé par l’économie divine elle-même. Donner à l’homme la liberté de religion, la
liberté de conscience, la liberté d’expression, c’est aussi être prêt à assumer les erreurs
et les abus de l’exercice de cette liberté. Par contre il faut aider à une éducation vers un
exercice mûr et responsable de cette liberté et la législation des états doit protéger des
abus comme dans d’autres domaines.
La peur, la colère et des émotions fortes non réfléchies produisent facilement des
généralisations, qui sont une erreur du côté du jugement pratique. « Tous les musulmans
sont des terroristes dangereux ». « Tous les occidentaux sont des capitalistes amoraux et
des blasphémateurs ». Il me semble essentiels de travailler à une perception de la
complexité de la situation à l’intérieur des deux « mondes ». Les terroristes menacent
au nom de l’islam, luttent et ne tuent pas seulement des impérialistes occidentaux, mais
aussi des croyants musulmans prêt à chercher la paix (pensons à l’assassinat de Sadat).
Il y a des courants divers, parfois contradictoires à l’intérieur de l’islam. Et dans les pays
arabes il y a de nombreuses personnes jeunes, étudiants et vieux, qui désirent plus de
liberté et qui rejettent la violence. L’Occident est justement caractérisé aujourd’hui par
un pluralisme et une hétérogénéité : du sécularisme militant – fondé sur le relativisme –
au fondamentalisme de certains mouvements évangéliques, tout est présent. Le croyant
et l’athée coexistent. De même, une certaine mentalité ultralibérale ne fait pas
uniquement des caricatures sur Mahomet, mais aussi sur Jésus (le cas HADERER en
Autriche), et sur tout. Il n’est donc pas seulement difficile de parler d’une position de
l’Europe, mais impossible : il faudrait toujours préciser de qui il s’agit, de quel groupe,
mouvement, parti, car déjà à l’intérieur d’un petit pays, il y a une divergence énorme de
positions. Est-ce que cela a encore un sens aujourd’hui de parler de l’Occident chrétien ?
La culture déterminante dans nos sociétés, est-ce celle qui provient du christianisme ?
N’est-ce pas plutôt un courant minoritaire ? Il ne s’agit donc pas d’un affrontement entre
l’islam et le christianisme, et c’est une tâche important que de faire entendre ce message
auprès des croyants musulmans. MGR FITZGERALD a aussi précisé en ce sens: « Je ne crois
pas que cela soit lié à une tension entre chrétiens et musulmans. Il est difficile de
comprendre pourquoi les chrétiens, de quelque partie du monde qu’ils viennent, seraient
considérés comme responsables des actions de certaines personnes qui ne respectent
pas la façon d’agir chrétienne. Il est vrai qu’il y a aussi des offenses au christianisme et
parfois il y a des réactions de ce type, mais en général, les réactions du monde chrétien
ne sont pas violentes. Ces réactions cherchent à faire retirer une publication ou à faire
suspendre un programme télévisé ou radiophonique. Et l’on tente de le faire par des
moyens légitimes. Je crois que l’offense à la sensibilité religieuse ne justifie pas une
réaction violente ». Le CARDINAL MARTINO exprimait en ce sens ses préoccupations en
disant : « Je pense à tout ce qu’a fait Jean-Paul II pour éviter que la guerre en Irak ne
soit interprétée comme un affrontement entre l’Occident chrétien et l’Islam. Il avait
atteint cet objectif. Des délégations sont venues le remercier même de l’Indonésie ».
Cette différenciation exigée s’impose si on ne veut pas passer à coté de la réalité. Car
dans un premier stade, il ne s’agit pas d’un jugement de valeur, mais d’une constatation
de faits. Evidement, la perception de la complexité des faits fait appel à un aspect
axiologique interrogeant la valeur d’un système politique et culturel permettant une
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société hétérogène comme l’est la société occidentale. Et c’est à bon droit qu’on interroge
les démocraties de nos pays, et qu’on les compare avec les régimes islamiques. Y a-t-il
une supériorité de la démocratie sur la théocratie, d’une constitution libre sur la charia,
d’une décision parlementaire sur une sura, d’une société civile sur l’umma, le jugement
du tribunal indépendant sur une fatwa, le droit civique sur la dhimma ?
Islam contre Aufklärung
L’islam prêche contre l’Occident la résistance à des formes d’adaptation à l’Aufklärung,
comme la privatisation de la religion et la séparation de la religion et de l’état, et exprime
son mépris des fonctionnaires antireligieux et indifférents de la modernisation. La
véritable lutte qui se passe actuellement, et dont l’affaire des caricatures de Mohamed
est un symptôme, n’est pas une confrontation proprement religieuse entre l’islam et le
christianisme, mais elle est la lutte entre l’islam et l’Aufklärung avec tous ses produits.
De l’autre côté il faut rappeler qu’il n’y a aucun pays islamique (même pas ceux qui ont
officiellement une séparation entre l’état et la religion comme la Turquie) dans lequel les
chrétiens seraient entièrement libres, comme le sont les musulmans en Occident. Comme
le pense le P. PIERO GHEDDO, les musulmans devraient faire un examen de conscience
sincère par rapport à leur comportement collectif : violation systématique des droits de
l’homme, le terrorisme, l’oppression des femmes et des enfants, l’absence de
démocratie, le formalisme religieux et social qui étouffe la personne. 8 On constate plutôt
l’absence de cet examen de conscience. Tandis que sur ce point l’islam profite
énormément du pluralisme et de la tolérance en Occident en construisant des mosquées
à côté de nos églises, il n’y a presque aucun pays islamique qui permet la construction
d’une église. D’un côté on prêche contre l’Occident, mais l’islam sait aussi très bien en
profiter quand il s’ait de poursuivre son propre intérêt qui ne peut pas entièrement être
détaché d’une intention missionnaire. On se trouve sur ce point simplement devant une
injustice : je trouve que l’Occident devrait exiger pour chaque construction d’une
mosquée dans nos pays la construction d’une église dans les pays musulmans, et cela
pas d’abord pour des raisons religieuses, mais pour des raisons de justice. Il y a absence
de réciprocité des valeurs.
Le CARDINAL JOSEPH RATZINGER a constaté que s’est développé en Europe, en lien avec une
rationalité scientifique, « une culture qui bannit Dieu de sa conscience publique d’une
manière qui n’a jamais existé dans l’humanité jusque-là, soit qu’il soit nié tout à fait, soit
que son existence considérée comme indémontrable, incertaine et pour cela appartenant
à la décision subjective soit classifiée en tout cas comme publiquement insignifiante ».9 Il
y a une lutte entre deux cultures à l’intérieur de l’Europe. Si on rappelle la discussion sur
la référence à Dieu dans le Préambule de la Constitution européenne et la mention des
racines chrétiennes, on a rejeté cette référence avec l’argument que cela offense les
sentiments des non chrétiens nombreux vivant sur ce continent. Les musulmans,
auxquels on attribue ce propos, ne se sentent pas offensés par nos fondements moraux
chrétiens, mais par le cynisme d’une culture séculière qui rejette tout respect de Dieu. Ce
n’est certainement pas la mention de Dieu qui offense les adeptes d’autres religions,
mais plutôt l’essai de construire une société humaine totalement sans Dieu.
Plus profondément la véritable raison me semble davantage être que la culture de
l’Aufklärung, telle qu’elle a trouvé aujourd’hui son développement plénier, est considérée
seule constitutive de l’identité européenne. A côté de cette culture « des Lumières », les
diverses cultures religieuses peuvent exister avec des droits à définir individuellement,
dans la mesure où elles peuvent être intégrées et soumis à la culture de l’Aufklärung.
Qu’est-ce que la culture de l’Aufklärung ? Elle se définit avant tout par des droits de
libertés. La valeur fondamentale qui mesure toutes les autres, c’est la liberté : liberté de
8
Voir Piero Gheddo, Islam, accordo impossibile, in: Global FP (Foreign Policy), mars-avril 2004, p.38ss.
Joseph Ratzinger, Marcello Pera, „Ohne Wurzeln. Der Relativismus und die Krise der europäischen Kultur“.
St. Ulrich Verlag 2005, p. 66. La traduction est de nous.
A la page 67, il constate: „So hat in Europa das Christentum seine wirksamste Gestaltwerdung erlebt, aber
zugleich ist in Europa eine Kultur gewachsen, die den radikalsten Widerspruch nicht nur gegen das Christentum,
sondern gegen die religiösen und moralischen Traditionen der Menschheit überhaupt darstellt. Daraus erklärt
sich die innere Zerreißprobe, in der sich Europa befindet“.
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choisir sa religion, ce qui inclut la neutralité religieuse de l’état ; liberté d’expression,
dans la mesure où elle ne menace pas ce « canon de liberté » ; l’ordre démocratique de
l’état, c’est-à-dire le contrôle parlementaire des organes de l’état ; libre constitution des
partis politiques ; indépendance de la justice ; défense des droits de l’homme et
interdiction de la discrimination. Ce « canon » n’est pas clos, mais encore en formation.
Et il y a des droits de l’homme qui peuvent se contredire : par exemple le droit à la
liberté d’expression et l’interdiction de discrimination dans le cas de l’homosexualité.
Tandis que d’un côté, on veut interdire la libre expression de l’opinion à l’égard de
l’homosexualité, on prône de l’autre côté cette liberté lorsqu’il s’agit de blasphémer
contre Dieu. Ne s’agit-il pas d’une contradiction interne ? N’est-ce pas révélateur d’une
nouvelle hiérarchie des valeurs ? Dieu n’aurait d’un côté rien avoir avec la vie publique et
rien à faire avec les fondements de l’état. D’un autre côté on ramène Dieu dans la sphère
publique quand il s’agit de la caricature et de la dérision. Là aussi il y a comme une
dictature de la liberté, qui détermine quand Dieu peut avoir une place dans la vie
publique et quand il ne le peut pas.
Il est évident, que ce « canon de la culture de l’Aufklärung » contient des valeurs
importantes auxquelles les chrétiens ne peuvent et ne veulent pas renoncer. Mais il est
aussi clair que la conception de la liberté sous-jacente, qui est peu définie précisément et
explicitement, conduit à des contradictions, et conduit par son application radicale à un
rétrécissement de la même liberté. Une idéologie de la liberté conduit finalement à un
dogmatisme intolérant, se révélant ennemie de la liberté. 10
Le refus de la référence à Dieu n’est pas l’expression de la tolérance, qui veut protéger
les religions non théistes et la dignité des athées et des agnostiques, mais plutôt
l’expression d’une conscience qui veut éliminer Dieu définitivement de la vie publique de
l’humanité, et le renvoyer à la subjectivité des cultures du passé. Le relativisme, qui est
le point de départ de tout cela, devient lui-même un dogmatisme qui croit posséder par
sa raison une connaissance définitive. Il y a aussi un laïcisme fondamentaliste. La récente
note du Conseil œcuménique des Eglises du 23 février 2006 a souligné en ce sens que «
les véritables tensions dans notre monde ne sont pas entre religions et croyances, mais
entre des idéologies laïques intolérantes et manipulatrices et des idéologies religieuses ».
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Cardinal Joseph Ratzinger: « Die Ausklammerung der christlichen Wurzeln erweist sich nicht als Ausdruck
einer höheren Toleranz, die alle Kulturen gleich achtet und keine privilegieren will, sondern als Absolutsetzung
eines Denk- und Lebenstypus, der gerade auch den anderen historischen Kulturen der Menschheit radikal
entgegensteht. Der eigentliche Gegensatz, der die Welt heute durchzieht, ist nicht der zwischen diesen
verschiedenen religiösen Kulturen, sondern der zwischen der radikalen Emanzipation des Menschen von Gott,
von den Wurzeln des Lebens einerseits und den großen religiösen Kulturen andererseits. Wenn es zu einem
Zusammenstoß der Kulturen kommt, so wird er noch der Zusammenstoß der großen Religionen sein, die schon
immer im Ringen miteinander standen und dabei auch immer gefehlt haben…sondern es wird der
Zusammenstoß zwischen dieser radikalen Emanzipation des Menschen und den bisherigen Kulturen sein, die um
Werte wussten und wissen, die aus dem Ewigen kommen und nicht zur Disposition unserer Wünsche stehen ».
In: Joseph Ratzinger, Marcello Pera, „Ohne Wurzeln. Der Relativismus und die Krise der europäischen Kultur“.
St. Ulrich Verlag 2005, p. 77.
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