Introduction Introduction à la rééducation en neuropsychologie Alexia FEUILLET Psychologue Service de neuropsychologie CRRF Sainte Barbe 4 rue d’Artois 62740 Fouquières-lez-Lens [email protected] Missions des neuropsychologues Aider le médecin au niveau diagnostique et pronostique Faire connaître et reconnaître le handicap invisible Auprès des patients et de leur famille Auprès des équipes soignantes Auprès de l’ensemble des acteurs de la prise en charge de ces personnes Les affections, nombreuses, du SNC sont fortement susceptibles de perturber le fonctionnement cognitif des personnes qui en sont victimes En centres de rééducation, sont accueillies des personnes souffrant de lésions cérébrales acquises entraînant des déficits sensori-moteurs mais aussi cognitifs et comportementaux Ces déficits cognitifs et comportementaux sont invalidants dans la vie quotidienne, professionnelle et sociale Ils ont une grande influence sur le pronostic de réinsertion On parle de handicap invisible Comment ? Apporter leurs connaissances théoriques du fonctionnement cognitif normal et pathologique de l’être humain Apporter leur savoir-faire technique : méthodologie en évaluation et en rééducation = Rôle d’information et d’éducation Comment? Présentation de la structure Concrètement: Mission commune à tous les neurospychologues: Centre de Rééducation et de Réadaptation Fonctionnelle neurologique et respiratoire Équipe pluridisciplinaire: Médecins de Médecine Physique et Réadaptation Services d’hospitalisation: infirmières, aidessoignants, Plateau technique : Évaluation neuropsychologique (cognitive et comportementale) Évaluation écologique (dans la vie quotidienne) Prise en charge: Rééducation cognitive individualisée ou en groupe Information – Éducation Kinésithérapeutes Ergothérapeutes Orthophonistes Psychologues: 2 neuropsychologues et 1 psychologue clinicienne 1 Présentation de la structure Population accueillie: Principalement patients souffrant de pathologies neurologiques variées 1. 2. 3. 4. 5. 6. Accidents Vasculaires Cérébraux (AVC) Traumatismes Crâniens (TC) Séquelles neurologiques liées à l’alcoolisme Sclérose En Plaques Tumeurs cérébrales, anoxie cérébrale, neuropathies de réanimation, méningites, maladie de Parkinson, Sclérose Latérale Amyotrophique, etc. Toutes pathologies pouvant entraîner des déficiences du système nerveux Pourquoi « rééduquer » ? Contrairement aux autres cellules du corps, les cellules du SNC ne se régénèrent pas. Pourtant, à la suite d’affections aiguës (dont les AVC et les TC), on constate souvent une récupération fonctionnelle spontanée (ex.: régression d’un trouble moteur après un AVC). Elle est souvent plus marquée durant la phase aiguë puis de moins en moins importante. Cette récupération fonctionnelle est très variable d’un cas à l’autre. Les mécanismes qui la sous-tendent et les facteurs qui l’influencent sont encore mal connus. Les mécanismes de la récupération fonctionnelle Les facteurs pronostiques de la récupération fonctionnelle La récupération fonctionnelle est la manifestation de la plasticité cérébrale. La réorganisation du métabolisme cérébral: Les principaux En phase aiguë, « choc fonctionnel transitoire », cad qu’une région lésée entraîne le dysfonctionnement des régions qui lui sont fonctionnellement reliées = phénomène de diaschisis Récupération fonctionnelle = levée du diaschisis, rétablissement du fonctionnement métabolique La plasticité corticale périlésionnelle (cf. travaux chez l’animal et l’homme montrant les modifications des représentations corticales après lésion ou changements d’activités) La réorganisation intracérébrale à distance (aires homologues saines controlatérales) Pourquoi « rééduquer » ? La prise en charge rééducative par des équipes pluridisciplinaires spécialisées améliore le devenir des personnes cérébro-lésées (études surtout réalisées dans le cas des AVC) Limite = les modalités exactes de l’efficacité de la rééducation restent encore floues, pendant longtemps méthodes globales et empiriques de rééducation En rééducation neuropsychologique, depuis plusieurs années, on s’oriente vers des méthodes de rééducation plus spécifiques à chaque déficit et fondées sur le plan théorique (apport de la psychologie cognitive) associées à une volonté d’évaluer l’efficacité des traitements promulgués (voir Seron, 2000 In Traité de neuropsychologie clinique, Tome 2 pour plus de détails) 1. 2. 3. L’étendue des lésions cérébrales: plus la masse cérébrale touchée est importante, plus les déficits ont un risque d’être sévères et définitifs. L’âge: il a un impact négatif ; les sujets âgés ont de moindres capacités d’adaptation ou plus lentes que les sujets jeunes; la plasticité cérébrale diminue avec l’âge. Les facteurs psycho-sociaux: niveau socio-culturel, qualité du milieu familial, professionnel, économique, etc. La notion de rééducation en neuropsychologie Le terme de rééducation, bien que le plus utilisé, n’est pas le plus adéquat car il présente des connotations pédagogiques et correctives (ré« éduquer »), comme si l’objectif de la prise en charge neuropsychologique se limitait à vouloir rétablir les capacités cognitives qui ne fonctionnent pas correctement. En réalité, l’objectif et les méthodes pour l’atteindre sont beaucoup plus complexes : les fonctions cognitives ne sont pas comme des muscles que l’on réentraîne ; il n’existe pas non plus de traitement biologique de ces troubles. 2 La notion de rééducation en neuropsychologie Il vaut mieux parler de revalidation ou de réhabilitation: l’objectif est d’améliorer le fonctionnement cognitif d’un patient devenu déficitaire suite à une atteinte cérébrale afin d’améliorer ses conditions générales de vie. La revalidation n’est donc pas centrée sur le déficit mais sur le handicap, cad sur les conséquences de ce déficit dans la vie quotidienne d’une personne particulière. Les objectifs de la revalidation sont donc à définir avec le patient (notion de contrat thérapeutique) Les différentes stratégies de revalidation neuropsychologique La revalidation proposée peut viser à: Restaurer la fonction déficitaire telle qu’elle était auparavant, Réorganiser la fonction grâce à l’intervention plus efficace de composantes différentes de traitement, Exploiter de manière plus optimale les fonctions intactes, Aménager les conditions d’exercice de la fonction (méthodes palliatives). Ces distinctions sont parfois difficiles à établir. Ces stratégies se recouvrent souvent. Le choix de la stratégie dépend du type de déficit à revalider, des troubles associés et de leur sévérité. L’évaluation de l’efficacité des traitements L’évaluation de l’efficacité des traitements En France, les patients sont pris en charge en phase initiale, c’est-à-dire pendant la phase de récupération spontanée, ce qui rend l’évaluation de l’efficacité de la prise en charge plus difficile. C’est une question complexe et épineuse: enjeux économiques, éthiques, etc. Quels indicateurs de l’efficacité ? L’évaluation au niveau du cas individuel: Élaborer un programme de prise en charge neuropsychologique: les préliminaires Élaborer un programme de prise en charge neuropsychologique: les préliminaires Réaliser une évaluation cognitive aussi complète que possible évaluer à la fois les capacités altérées et préservées En rééducation, l’objectif est d’obtenir une vision globale et précise du fonctionnement cognitif de la personne. Expliquer au patient ses déficits et les conséquences possibles dans sa vie : obtenir son « Accord »: contrat de rééducation Le programme doit être individualisé, adapté à chaque patient en fonction de son projet de vie: définir les objectifs pas uniquement selon les déficits mais selon les besoins, en fonction de l’impact des déficits dans la vie quotidienne. Plans ABA et leurs dérivés A: Établir une ligne de base préthérapeutique: 2 évaluations stables Pas nécessairement les tests cognitifs utilisés dans le bilan initial B: Administrer le traitement A: Refaire la ligne de base L’impact des troubles cognitifs dans la vie quotidienne doit faire l’objet d’une évaluation spécifique Pourquoi ? Parce qu’il existe des dissociations entre les déficits observés lors du bilan et les incapacités qu’ils provoquent dans la vie du patient (cf. influence de l’environnement) Il faut essayer de pouvoir prédire la gêne occasionnée par les troubles dans le milieu de vie du patient (personnel ou professionnel) 3 Élaborer un programme de prise en charge neuropsychologique: les préliminaires Le programme doit être réaliste: en fonction des possibilités du patient, émettre des hypothèses sur les possibilités d’évolution, envisager le rapport coût/bénéfice de la revalidation pour le patient En CRF, patients présentant des déficits multiples, pronostic plus péjoratif Idéal = un déficit isolé = meilleur pronostic, plus de possibilité de revalidation Si les déficits sont multiples et sévères, la PEC individuelle par un neuropsychologue est- elle indiquée ? Quelles solutions proposées ? Plus les déficits sont isolés et légers, plus on pourra avoir recours aux stratégies de restauration; plus les déficits sont multiples et sévères, plus on s’orientera vers des stratégies palliatives. Hiérarchiser les objectifs: commencer par le déficit le plus invalidant ou le plus « basique » dans le fonctionnement cognitif Élaborer un programme de prise en charge – – Pourquoi ? Pour que le patient accepte les propositions de rééducation et soit un minimum acteur de sa prise en charge Évolution ? L’anosognosie évolue souvent en phase tardive après le retour à domicile; elle est parfois tellement importante qu’elle n’évolue pas malgré les feed-backs ; elle peut conduire à l’arrêt de la prise en charge (lourd de conséquence pour les familles); Élaborer un programme de prise en charge 3. Lorsqu’on a ciblé un déficit donné, ajuster le niveau de difficulté des exercices à celui du patient (ex: chez un patient héminégligent sévère, on ne pourra commencer que par des barrages d’une cible sur un espace très restreint; si l’héminégligence est légère, on pourra d’emblée commencer par des espaces larges avec des cibles réparties aléatoirement sur la feuille) 4. Quand arrêter ? – Le patient réussit systématiquement le plus haut niveau de difficulté – Les performances du patient stagnent Faire le point régulièrement, redéfinir les objectifs Élaborer un programme de prise en charge 1. Travail de la nosognosie (les patients se plaignent rarement de troubles cognitifs): – Quand ? En premier lieu – Quoi ? liée au lésions mais aussi en phase initiale, contexte particulier de l’hospitalisation, milieu protégé, absence de confrontation au milieu de vie – Comment ? Par des entretiens, par la confrontation aux difficultés Cela nécessite de créer les conditions nécessaires à la mise en échec sans susciter l’opposition du patient Élaborer un programme de prise en charge 2. Commencer par le déficit le plus invalidant (ex: héminégligence) ou le plus « basique » dans la hiérarchie cognitive (dans les déficits attentionnels: la vigilance ou l’alerte avant l’attention sélective ou divisée) ou celui qu’il est possible de prendre en charge en fonction des troubles associés (ex: un patient présentant des troubles phasiques, hémiplégique droit: ne peut pas écrire, donc utilisation d’un carnet de mémoire limité, seule possibilité = travail attentionnel) Limiter le nombre de déficits travaillés en même temps Idéal = 1 à la fois mais pas toujours possible Quelques illustrations en fonction des déficits les plus fréquents à revalider Troubles de la mémoire épisodique Absence d’efficacité des stratégies de restauration Trouble sévère: stratégies palliatives : carnet de mémoire, environnement routinier ne nécessitant pas cette fonction, recours à une tierce personne Apprentissage de connaissances spécifiques à un domaine en exploitant les systèmes de mémoire préservés (mémoire implicite) 4 Quelques illustrations de revalidation pour les déficits les plus fréquemment rencontrés Quelques illustrations de revalidation pour les déficits les plus fréquemment rencontrés Troubles de la mémoire épisodique Trouble modéré à léger: apprentissage de stratégies de mémorisation plus efficaces Réorganisation de la fonction: stratégies d’encodage et de récupération plus efficaces Exploitation des systèmes préservés: apprendre à mémoriser par la modalité visuelle préservée pour compenser le déficit en mémoire verbale Études de cas Patient 73 ans ayant été victime d’un AVC grave touchant l’hémisphère droit exercices de réentraînement de l’exploration visuo-spatiale Apprentissage spécifique à un domaine: par ex., apprendre à un patient à prêter attention à l’espace gauche lorsqu’il se déplace en fauteuil (bénéfice attendu uniquement pour cette activité, les exercices de réentraînement n’ont pas permis d’obtenir une généralisation dans la vie quotidienne) Syndrome dysexécutif Troubles attentionnels: exercices ciblés en fonction du déficit (vigilance, attention sélective, divisée, etc.) Études de cas Principalement informer et conseiller S’il évolue, la prise en charge individuelle sera peut être possible plus tard Bilan: entretien très limité, évaluation très difficile : tests globaux uniquement montrant une altération sévère et globale des fonctions cognitives Que propose-t-on ? Études de cas Syndrome de Négligence Unilatérale: Homme 22 ans, titulaire d’une licence en automatismes industriels, electromécanicien en CDD d’un an, vivant chez ses parents, ayant été victime d’un polytraumatisme dont un TC grave et de multiples fractures Bilan cognitif: troubles sévères de la mémoire épisodique (atteinte du stockage), mémoire de travail préservée, fonctions attentionnelles globalement préservées (uniquement ralentissement de la vitesse de sélection de l’information) Syndrome dysexécutif Cognitif léger Comportemental: anosodiaphorie, apathie Gnosies, praxies, calcul, langage préservés Études de cas Bilan écologique: Entretien/observation: le patient s’oriente seul dans l’établissement et vient seul à ses rendez-vous de rééducation (mais après plusieurs semaines), il présente des difficultés à rappeler les prénoms de ses thérapeutes, le rappel des faits récents (conversations, activités réalisées en rééducation, visites, etc.) est très limité, Au Questionnaire d’Auto-évaluation de la Mémoire, il se plaint moins de problèmes de mémoire dans la vie quotidienne que les personnes de son âge et de son niveau scolaire il n’a aucune plainte (même physique!) 5 Études de cas Études de cas Bilan écologique: Entretiens avec sa sœur: 1ère plainte = trouble de la mémoire épisodique (repas, conversations, messages à transmettre, etc.) Au QAM, elle rapporte des difficultés plus importantes que la moyenne chez son frère 2ème plainte = changement de comportement: indifférence affective, irritabilité, intolérance aux changements d’environnement, défaut de prise d’initiatives (ex: négligence personnelle) Études de cas 2. 3. Que propose-t-on ? 4. 5. 6. Durée de la prise en charge ? Elle dépendra des décisions du médecin, de l’évolution du patient (en particulier de l’anosognosie) et du milieu familial C’est le temps qui permet de savoir s’il y aura des séquelles et de quelle nature Informer le patient et sa famille par des entretiens Travailler l’anosognosie Proposer la mise en place d’un carnet de mémoire (si évolution favorable, possibilité d’apprentissage de stratégies de mémorisation plus optimales); impliquer l’équipe et la famille si possible, Donner des conseils à la famille sur la manière de l’aider à prendre des initiatives, de minimiser les troubles du comportement En séances individuelles, réentraînement de la vitesse de sélection de l’information (exercices de barrage de cibles, outils informatisés) Exercices mettant en jeu les fonctions exécutives Conclusion 1ère réponse = « remarcher et sortir » Reprendre son travail et poursuivre sa carrière, prendre son autonomie, construire un foyer Études de cas 1. Études de cas Objectif du patient ? La rééducation neuropsychologique est complexe, multifactorielle et son essor est récent Il vaut mieux l’entendre au sens plus large de la prise en charge des personnes présentant des troubles cognitifs Elle doit être individualisée, axée sur le handicap et non sur les déficits Plus le déficit est léger et isolé, meilleur est le pronostic, plus les possibilités d’interventions sont grandes: stratégies de restauration Inversement, plus les déficits sont multiples et sévères, plus les possibilités d’interventions sont faibles : stratégies palliatives, d’aménagement de l’environnement Le psychologue spécialisé en neuropsychologie est là pour essayer de minimiser les conséquences néfastes du handicap invisible 6 Bibliographie – Lectures conseillées Seron, X., & Van der Linden, M. (2000). Traité de neuropsychologie clinique, tome II. Marseille: Solal, Éditeurs. En particulier les chapitres suivants: Seron, X., & Van der Linden, M. (2000). Objectifs et stratégies de la revalidation neuropsychologique. In Traité de neuropsychologie clinique, tome II. Marques, P., Puel, M., & Chollet, F. (2000). Récupération après un accident vasculaire cérébral : une manifestation de la plasticité cérébrale. In Traité de neuropsychologie clinique, tome II. Mazaux, J.M., Joseph, P.A. (2000). La récupération cognitive après un traumatisme crânien. In Traité de neuropsychologie clinique, tome II. Seron, X. (2000). L’évaluation de l’efficacité des traitements. In Traité de neuropsychologie clinique, tome II. Azouvi, P., Perrier, D. & Van der Linden, M. (1999). La rééducation en neuropsychologie: études de cas. Marseille: Solal, Éditeurs. 7