Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège
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Des accélérateurs de particules dans la Galaxie
21/05/13
Lorsqu'une étoile massive est éjectée de son lieu de formation, elle traverse le milieu interstellaire et
l'interaction de son vent stellaire avec la matière qui occupe ce milieu conduit à la formation d'un choc
hydrodynamique en forme d'arc, en avant de l'étoile. La matière le long de cet arc est quelque peu comprimée
et sa température est supérieure à celle de la matière qui n'a pas encore traversé le choc. Cela conduit à
des structures repérées notamment en infrarouge à proximité de quelques-unes de ces étoiles en fuite. Mais
ces chocs sont aussi le siège de processus physiques intéressants, incluant notamment l'accélération de
particules jusqu'à des vitesses proches de celle de la lumière. Un modèle théorique prédisait que les chocs
associés à ces étoiles en fuite pourraient accélérer des particules (électrons et protons) jusqu'à les rendre
capables d'émettre des rayonnements de haute énergie, tels que des rayons gamma. Pour Michaël De Becker,
du Département d'astrophysique, géophysique et océanographie de l'Université de Liège, l'étoile HD195592
obéirait à ce modèle, ce qui ferait d'elle la première étoile en fuite émettrice de rayons gamma à avoir été
découverte.
Le thème principal des
recherches de Michaël De Becker, premier assistant au Département d'astrophysique, géophysique et
océanographie de l'université de Liège, est l'accélération des particules dans les étoiles massives. Ou, plus
fréquemment, les systèmes constitués de deux étoiles massives tant il est vrai que celles-ci ont l'habitude de
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constituer des systèmes binaires, les deux astres (parfois trois) tournant l'un autour de l'autre. Une étoile est
dite massive si sa masse équivaut à au moins dix fois la masse solaire. Ces étoiles sont les moins nombreuses
de la population stellaire, ne représentant ainsi qu'une petite fraction d'une galaxie comme la nôtre. On pourrait
donc imaginer qu'elles ont une importance négligeable. Or c'est le contraire : elles sont les plus lumineuses,
contribuant de manière importante à la luminosité globale d'une galaxie et elles vont le plus loin dans les
réactions de fusion nucléaire qui se déroulent dans le cœur des astres puisque la température de leur cœur
est bien plus élevée que celle du Soleil par exemple. D'autre part, comme ces étoiles sont très lumineuses, la
lumière va y exercer une pression de radiation importante, jusqu'à provoquer l'expulsion progressive de leurs
couches extérieures, ce qui conduit à la formation de vents stellaires (lire aussi l'article Le vent stellaire livre
ses secrets). Ces vents vont enrichir le milieu interstellaire en éléments chimiques et être source d'énergie
mécanique. L'environnement interstellaire n'est donc pas figé. Autre caractéristique de ces étoiles : elles
terminent en général leur évolution par une explosion (supernova). Lors de celle-ci, de grandes quantités de
matière sont relâchées dans l'environnement interstellaire et, comme d'autres types de réactions nucléaires
se produisent alors, de nouveaux éléments chimiques vont également y être largués.
« Mes recherches en astrophysique des hautes énergies, explique Michaël De Becker, portent notamment
sur une autre particularité des étoiles massives. Il faut savoir que notre galaxie est baignée par un flux de
particules de haute énergie, les rayons cosmiques. Ce sont des particules chargées, le plus souvent des
protons, des noyaux d'hélium et dans une moindre mesure des noyaux d'autres éléments chimiques. Elles
ont été accélérées jusqu'à des vitesses proches de celle de la lumière mais leurs origines sont diverses.
Si certains de ces rayonnements cosmiques, ceux de très haute énergie, sont produits en dehors de notre
galaxie, les moins énergétiques proviennent notamment des étoiles massives de notre galaxie, à différents
stades de leur évolution.»
Supernova et binarité
Ces rayons cosmiques galactiques sont accélérés dans des environnements liés aux étoiles
massives, principalement dans l'entourage des résidus de supernova. Quand l'explosion a lieu, il y a
contraction du cœur de l'étoile jusqu'au stade d'étoile à neutrons ou trou noir, mais les couches extérieures sont
violemment expulsées, à très haute vitesse, plusieurs milliers de kilomètres par seconde. Cela va créer des
chocs avec la matière interstellaire environnante, des chocs qui sont capables d'accélérer des particules. Une
partie de l'énergie mécanique va en effet être transmise à des particules (provenant de l'étoile ou de la matière
environnante) qui vont alors atteindre des vitesses très élevées et constituer ainsi les rayons cosmiques. Ce
mécanisme est sans doute la source principale de rayons cosmiques d'origine galactique.
Les recherches de Michaël De Becker explorent une piste complémentaire permettant d'expliquer
l'accélération des particules, notamment dans le cas des rayons cosmiques de plus basse énergie. Leur
source serait bien des étoiles massives mais plus précisément des paires d'étoiles massives, des systèmes
binaires. On sait aujourd'hui qu'une fraction importante de la population des étoiles massives est constituée
de systèmes doubles, parfois triples. Le scénario envisagé par le chercheur liégeois n'est donc pas isolé mais
concerne un grand nombre de systèmes.
« La binarité est très importante, explique Michaël De Becker, car s'il y a deux étoiles, les vents stellaires
vont entrer en collision et cela donne lieu à des chocs hydrodynamiques qui rappellent un peu un choc de
supernova mais avec une géométrie différente. Au lieu d'avoir comme dans le cas du résidu de supernova
une géométrie sphérique, une coquille qui s'étend dans toutes les directions, il y a ici deux fronts de choc en
vis-à-vis et c'est au niveau de ces fronts que l'accélération des particules va intervenir.»
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La capacité de ces objets à accélérer des particules a été révélée par des observations dans le domaine
radio. Dans les années 1980, des observateurs ont constaté des anomalies dans les émissions radio de
certaines étoiles massives. Des anomalies qui ont révélé un rayonnement synchrotron c'est-à-dire émis par
des électrons animés d'une vitesse proche de celle de la lumière en présence d'un champ magnétique. Ce
qui a confirmé à la fois la présence d'un champ magnétique mais aussi celle d'une population d'électrons
relativistes. Et donc la présence d'un puissant système d'accélération puisqu'au départ, ils n'ont pas ces
énergies-là.
« On peut donc dire, résume Michaël De Becker, que les étoiles massives interviennent à deux niveaux dans
la formation des rayons cosmiques galactiques de basse énergie. Tout d'abord, pendant les millions d'années
-souvent une dizaine- qui précédent l'explosion en supernova, ces systèmes massifs binaires sont capables
de jouer le rôle d'accélérateur de particules. Ensuite, lors de l'explosion en supernova. Certes, pendant les
millions d'années de vie des binaires, l'accélération des particules se fait avec une efficacité moindre que pour
les résidus de supernovae, mais les résidus ne sont efficaces que pendant quelques milliers d'années. »
Les contributions de Michaël De Becker sont surtout de l'ordre de l'observation, notamment dans le domaine
des hautes énergies (rayons X et gamma). Nous avons vu, en effet, que les électrons relativistes sont
capables d'émettre du rayonnement synchrotron dans le domaine radio. Mais ils sont aussi capables de
faire autre chose. Il existe un processus appelé Diffusion Compton Inverse pendant lequel des électrons très
énergétiques, relativistes, transfèrent une partie de leur énergie à des photons de basse énergie, ultraviolets
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(UV) ou visibles. Pour que ce soit efficace, il faut qu'il y ait beaucoup de photons UV ou visibles au voisinage
des électrons, ce qui est le cas puisque les étoiles massives sont les objets stellaires les plus brillants dans
ces domaines spectraux. Les électrons relativistes sont donc capables d'interagir avec les photons provenant
des étoiles du système binaire pour les amener dans le domaine des hautes énergies. D'où les observations
de Michaël De Becker notamment dans les rayons X pour mettre en évidence de telles émissions.
Le cas particulier de HD195592
Le système binaire HD195592 présenté dans l'article publié dans Astronomy & Astrophysics (1), constitue
une variante du processus d'accélération des particules cosmiques. Le choc hydrodynamique nécessaire à
l'accélération des particules provient ici de la fuite de l'étoile ! Une étoile en fuite est une étoile qui a été
éjectée de son lieu de formation. Cette étoile est née dans des environnements denses beaucoup d'étoiles
peuvent se former. Dans de tels environnements, les interactions dynamiques sont très nombreuses et il se
peut qu'une étoile ou un couple soit éjecté, un peu comme le mouvement d'un satellite qui est brusquement
accéléré au passage près d'une planète. Un autre scénario pourrait expliquer la fuite de ces astres : dans
un système binaire, il se peut qu'une des deux étoiles explose en supernova et que l'autre quitte son lieu
d'origine, soit éjectée.
Une étoile en fuite traverse le milieu interstellaire. Son vent stellaire rencontre donc des régions plus denses (le
milieu n'est pas homogène) et c'est là que se produit le choc hydrodynamique nécessaire pour l'accélération
des particules. Mais comme le vent stellaire s'étend assez fortement autour de l'étoile en fuite, le choc
l'accélération des particules a lieu est un peu plus éloigné de l'étoile en fuite que dans le cas d'une binaire à
collision de vents. Le champ de rayonnement UV perçu par les électrons relativistes est donc moins intense.
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Insuffisant sans doute pour provoquer une Diffusion Compton Inverse. Par contre, il existe une autre source
de rayonnement, plus proche du choc : au niveau du front du choc, il y a compression de matière avec
élévation de la température de la matière interstellaire, y compris de la poussière qui peuple ce milieu. Cette
poussière va donc émettre des photons comme tout corps chaud, mais dans l'infrarouge. Et ce sont ces
photons infrarouges qui vont subir la Diffusion Compton Inverse et être amenés dans les hautes énergies,
émettant ainsi des rayonnements tels que des rayonnements gamma.
Ce modèle avait été établi en 2012 par des astrophysiciens argentins (l'étudiante en thèse de doctorat María
del Valle, sous la supervision du Professeur Gustavo Romero) tandis que, peu de temps après, un catalogue de
sources astronomiques de haute énergie détectées par le satellite Fermi était publié, répertoriant notamment
une source de rayons gamma dont la position coïncide avec une de ces étoiles en fuite, l'étoile HD195592.
Michaël De Becker a aussitôt attiré l'attention du Professeur Gustavo Romero, avec lequel il collabore depuis
plusieurs années, sur le cas de HD195592, et ce fut le point de départ d'une collaboration sur cet objet. Sur
base du modèle théorique développé par les chercheurs argentins et des informations spécifiques réunies au
moyen de multiples études observationnelles, notamment par Michaël De Becker, des prédictions quantitatives
ont révélé que HD195592 pourrait bien être à l'origine de l'émission de rayons gamma détectée par le satellite
Fermi. D'après la confrontation du seul modèle existant au cas particulier de HD195592, l'émission de rayons
gamma telle que détectée par Fermi peut s'expliquer par l'existence d'électrons relativistes accélérés au niveau
du choc entre le vent stellaire et la matière interstellaire. Ainsi, HD195592 pourrait très bien être la toute
première étoile massive en fuite émettrice de rayonnement gamma connue à ce jour.
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