316 la clef d ès langues,
ARTICLE . XXIIL
Reflexions fur les changements qui fe font
fait dans la tangue françoife depuis deux
fiècles. .
3o5) Villon dont nous venons de parler étoit
contemporain du duc Charles d'Orleans père du
roi Louis*XII; fous le règne du quel naquit
Marot. Il eft vraiment étonnant que ce fameüx
prince des poètes ffançois modernes, qui a
illuftré et Fait connoitre Villon à la pofterité,
t n'ait pas aufli pris foin de faire connoitre lés
poè'fies du duc d'Orleans, qtii certainement né
le meritoit pas moins. Mais [il eft encore plus
furprénant que le roi François I ne lé'Iili'âit
pas ordonné de le faire, 'dautant plus que Içs poè-
fies de fon ayeul maternel père de fon prédécef-
feur, étoient d'un genie qye François I aimoit
certainement* Il n'eft pas de mon fujet de cher
cher la caufe de cette négligence foit de Ma
rot, ou de fon roi, mais je crois à propos d'ob-
ferver que le langage poëtiqiie dte ce prince
eft, je ne dis pas feulement plus noble, plus poli,
mais encore beaucoup plus approchant de litalien
et du latin que n'eft celui Villon et de Marot;
et qu'il n'offre poitit d'autres mots étrangers
que ceux que l’Italien et l'Espagnol ont auili
adoptés et confervés. Il y en a d'ailleurs quel
ques uns de ceux que l'Italien avoit tiré du la
tin et que le Fraois et qu’il ne conferya pas ;
tel eft le nom lieffe, fait de letitia; dolente, pur
latinf traire, pour trner, fait de tmhere, et
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PARTIE IV, SECT. H; ART. XXïïI. 317^
crarre,, italien que| le François n'a retenu que
. dans ;une fignification particulière pour dire ce
que le, Latin dit mulgere, et lltalien mungere,
, tout comme il a retenu pondre* pris de ponere,
en le transportant du général au particulier. On
trouve, dans une de fes ballades fon'feul mire,
précifement dans le fens que 1’Italieii dit Jua
fola, mira ; fon feul objet. Le mot pieça, étoit .
alTez uiité dans le quinzième ûècle; il repond
exactement à l’italien è un pezzo, un pezzo
£a; ceit-à-dire il y a longtems. Nous avons
donné ailleurs F étymologie de pezzo, et pezza,
piece. Mais le changement qui rite le plus
dêtre,remarqué parmi tous ceux qui fe font faits
dans la langue'françoifè depuis le duc d’Orleans,
les deux JVIarots, Melin de St. Gelay, jusqu’à
Malherbe, à Corneille, Racine et Voltaire; de
puis Henry Etienne jusqu’à Vaugelas, ce bon Sa
voyard, qui le premier fixa les gles de la
^grammaire actuelle et dirigea la première édition
\çju flictionr^aire de l’acamie, n’eit pas d’avoir
rejetté quantité de mots pris du latip v çt fort
ulités dans les deux qu trois fiècles précédens,
1 mai* d’y avoir mis cette préciüon, cette clarté que
Vop vante ^aveç tant de raifon. Çela s’eit
fait .tantôt en rapprochant les mots de l’idiome
dont ils étoient venus, tantôt en les éloignant,
les diftinguant par la fuppreflion, ( ou l’addition
de quelque lettre. Ceii en quoi les reformateurs
du vieux langage ont montré de la fagacité, du
difçernement. On ne nous faura peut-être pas
maüvais gré 4® nous être ar un moment fur
cp fujet, pour mieux faire connoître; le génie de
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318 LA CLEF DES LANGUES,
cette langue actuellement plüs univerfelle qu'eHe
ne Ta jamais été. *
306) Nous avons remarqué en plufieufs oc-
tafions que beaucoup de faonis ont pris une
forme différente de celle qu'ils avoient datas le
Latin et dans l'Italien, parceque de la manière
que l'accent gaulois les avoit alté, ils alloient
devenir équivoquês et fe confondre avec d'autres
d'une fignification différente, fi on les-écrivoit
comme il étoit naturel de les écrire; Ce£ équi
voques, comme l'on fait, n'ont pu être évités dans
la langue parlée: mais ils n'exiftent plus dans
la langue écrite.^ Quelques uns avoient été
¿cartés par les anciens écrivains, et peut-être
même par le peuple ignorant qui forma le gros
corps du langage, quoiqu'en général le Frànçois
n'ait pas fait autant que le Florentin. Voici d'a-
, bord les noms compofés de la particule pu pré-
pofition in9 ou im. Probablement les Latins don-
noient à cet irt» lorsqu'il étoit prépofition in-
tenfive, une exprelïion différente de celle
qu'ils lui donnoient lorsqu'il étoit particule
gative , et en cela le François a de l'avantage
fur l'italien. Car dans le fraois, de même que dàns
l'espagnol, Vin prépofition eft, -avec peu d'ex
ception, devenue en; et Vin négatif eft fté’càn-
ftamment in; au lieu qu'en italien cette parti
cule étant toujours in, comme dans le latin, péut
fouvent laifier de l'ambiguïté; de forte que quel*
quesfois un mot matériellement le même,
ut être pris en deux fens oppofés* InfcripçuJ,
par exemple, fe trouve dans la fignification d’in*
, fcrit en quelque table, lifte, rôle, ou mémoirip,
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et ailleurs veut dire noh écrit; in tenta tus gla-
dius, lignifie épée tournée contre quelqu'un et
res intentât a, veut dire chofe non tentis. Et
quelleraifon auroit-on de croire quimpetrare>
Vint, pour in, ^ caufe du p, qui fuit Toit in, dans le
fens à’intus, ou in, dans fens de nom de ana grec,
d'un, et ony allemand et flamand. Pourquoi inpene-
. trabilis , fait# de petietrare, qui l’eit de penitus
intrare, ne pouvoit-il pas fignifier entrer bien
profondement, plutôt que le contraire ? La dans
quelques mots françois fuivit de la lettre n9 a é
» > fans befoin apparent chanen e, et Ye, en a. Eli
cela on n'a pas fuivi une règle confiante, car
4ans prudent, diligent, infolent, on la retenu Ye
comme le Latin, et l’Italien, et Ton dit pour
tant confiance, confidance, pris.de confidentia.
Cependant* quoique fait de cio, pendente*
Mais fi on y fait attention on verra que
ces variations n’ont pas été faites fans caufe»
Premièrement dans les noms ou Ven> eit pré*
" . cédé de l'i ou y fi on avoit écrit comme on lécrit
en italien«, ou pouvoit heiiter en le liiant s’il
falloit prononcer a, comme dans prudence, ou
e, comme dans payen, italien, rien, cohtient;
le doutp n’avoit plus lieu en iubitituant Ya, à
Ve< et écrivant confiance. On a. fort utilement
repris 1* adverbe fi latin au lieu àefe, qu’on
&ypit Jpm de l’italien; de la particule disjontive
necj on a fait ni, gardant le ne, pour dire non,
Amplement au lieu de ki, que le vieux François
avoit tiré de qui, on a reprit ce même pronom
tel quil eit dans le latin au nominatif; refer-
XJMb qt pqw raccuatif. Ainfi le François efi
PARTIE IV, SECT. II, ART. XXIII, 5 1 9
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320 LA CLEF DES LANGUES,
plps clair, plus précis que l'Italien oii che eli
nominatif et ccufatif indiilinctemeni. On* s’efl
de plus fait une loix ' d'accompagner le verbe
avec le pronom et au lieu de dis, fais, écris
qui peuvent être pris pour la feconde perfonne
aulii bien que pour la première; età cet égard
on corrigea défaut un effentiél dont les deux idio
mes frères du françois font exempts. Car dico
fo, ou faccio, ferivo, ne peuvent pas fe confon
dre avec dici, fai, ou faci, et ferivi. Quelque
peu coniidérables que puiffent paroitre ces amé
liorations, c'eft à elles que cette langue doit en
, grande partie fa précifion*
t
307) Analyfe étymologique des 2,0 premier vers
du premier chant de la Henriade de Vvit aire. «
Je chante ce Héros, qui régna fur la France,
, Et par droit de conquête, et par droit de naiflance;
Qui
!rAnalyfe. Jb, d 'ego, lItalien fit eo, puis io, d’/o, ie, et 17,
précédant une voyelle fut chan y. Chante, du fupin
de cano, le Latin même avoit fait cantare, comme
dictu, il fit dictare. Ce, eft ici un pronom.perfonel^
qui répond au latin ille, et îfle, il vient d'hicce, comme
c vient d'hocce. Héros, eil tout entier tiré du latm
. mais la terminaifon du nominatif relie a tous les
qui eit encor plus parfaitement latin pareeque Cans*. lar-*
ticle il ne fert en françois que pour lp nominatif. t Ré
gna, par le retranchement de la dernière fyllabe ie -
gnaret, que lItalien par contraction reduifiç à un èi
$ür; extrait de yk/^r, etpond k Htaliert y«, qui tou-
» joujr» porté à finir le met par une voy#lJ^ prenant du
fran-
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