Avant que j’aie atteint le fond du jardin, mon propriétaire m’a crié de m’arrêter,
et a offert de m’accompagner à travers la lande. Cela a été une heureuse
inspiration de sa part, car tout le versant de la colline n’était qu’un océan de
vagues blanches ; les hauts et les bas n’indiquaient pas d’élévations ou de
dépressions correspondantes dans le terrain ; de nombreux trous étaient
entièrement comblés par la neige ; et des rangées entières de buttes, formées des
résidus de l’extraction des carrières, étaient effacées de la carte que ma
promenade de la veille avait laissée* peinte dans mon esprit. J’avais remarqué
sur un des côtés de la route, à intervalles de six à sept mètres, une ligne de
pierres dressées debout, qui se prolongeait* sur toute la longueur du terrain
dénudé : elles avaient été placées et peintes à la chaux pour servir de repères
dans l’obscurité, et aussi quand une chute de neige, comme à présent, ne
permettait pas de distinguer la chaussée ferme des profonds marécages qui la
bordent des deux côtés.
Mais à l’exception d’une tache sombre émergeant çà et là, toute trace de
l’existence de ces pierres avait disparu et mon compagnon a dû m’avertir
fréquemment d’appuyer à droite ou à gauche alors que je me figurais suivre
correctement les sinuosités de la route.
Nous avons échangé peu de paroles, et il s’est arrêté à l’entrée du parc de
Thrushcross en me disant que je ne pouvais plus me tromper. Nos adieux se sont
bornés à un rapide salut, puis j’ai continué ma marche, réduit à mes seules
ressources ; car la loge du portier est inoccupée jusqu’à présent. La distance de la
porte du parc à la Grange est de deux milles ; je crois que je suis bien arrivé à en
faire quatre, en me perdant au milieu des arbres et m’enfonçant jusqu’au cou
dans la neige : désagrément que seuls peuvent apprécier ceux qui l’ont
expérimenté. En tout cas, quels qu’aient été mes tours et détours, midi …sonnait
comme j’entrais dans la maison, ce qui faisait exactement une heure pour chaque
mille du chemin ordinaire depuis les Hauts de Hurlevent.
Emily Brontë, Les Hauts de Hurlevent