Coordonné par Saïda Guellati-Khelifa Daniel Hennequin Marc Stehle Préface de Roland Lehoucq La lumière en lumière Du photon à l’Internet LA LUMIÈRE EN LUMIÈRE LA LUMIÈRE EN LUMIÈRE Du photon à l’Internet Coordonné par Benoît Boulanger, Saïda Guellati-Khélifa, Daniel Hennequin, Marc Stehle Composition et mise en pages : Patrick Leleux PAO Conception de la couverture : CB Defretin, Aurore boréale, côte norvégienne, © Artic Light Photo, Ole C. Salomonsen Imprimé en France ISBN : 978-2-7598-1829-7 Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinés à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute repré­sentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou r­ eproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon s­ anctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal. © EDP Sciences, 2016 PRÉFACE I l y a mille ans le mathématicien et philosophe d’origine perse Ibn al-Haytham (965-1039), plus connu en Occident sous le nom d’Alhazen, commençait la rédaction de son « Traité d’optique ». Dans ce livre révolutionnaire, il repensait complètement l’optique de son temps et démontrait pour la première fois que la lumière ne sortait pas de l’œil qui en était, au contraire, le récepteur. Depuis les réflexions des premiers savants, nos conceptions sur la nature de la lumière ont considérablement évolué. Qu’est-ce que la lumière ? De quoi est-elle constituée ? Se propage-t-elle instantanément ou à vitesse finie ? Comment interagit-elle avec la matière ? Ces questions fondamentales furent si présentes dans l’histoire de la physique que l’on pourrait sans doute la raconter en suivant l’évolution des réponses qui leur fut apportées. Connaître le cheminement qui permit d’aboutir à ces réponses, c’est suivre de près l’évolution des idées dans plusieurs domaines de la physique allant de l’optique à la physique microscopique en passant par l’électromagnétisme, le mouvement relativiste et les liens intimes entre l’espace et le temps. La lumière fut en effet identifiée comme le premier « quanton », entité physique à la fois onde et particule, mais aussi objet dont les propriétés particulières permirent à Einstein de bâtir sa relativité restreinte. Pour l’astrophysicien que je suis, la lumière est le principal messager des informations que nous recevons du cosmos. Se propageant à une vitesse gigantesque mais finie, la lumière permet de remonter le temps et d’explorer l’Univers sur des milliards d’années-lumière. Pour les physiciens, les chimistes ou les biologistes, la lumière est aussi un formidable moyen d’investigation sur la matière, inerte ou vivante. Au quotidien, la lumière est surtout celle du Soleil, qui transporte l’énergie de notre étoile jusqu’à la surface de la Terre. Même si certaines formes de vies des abysses peuvent s’en passer, la lumière solaire est, via la photosynthèse, la première source d’énergie des écosystèmes terrestres et donc à la base de la vie telle que nous la connaissons. La lumière est aussi à l’origine de certains des plus merveilleux spectacles de la Nature tels les arcs-en-ciel, les mirages ou les aurores polaires. Enfin, n’oublions pas qu’elle est indispensable à la vision et, par conséquent, responsable d’une part importante de notre bien-être, de notre vie sociale et culturelle. La lumière est aussi dotée d’une grande puissance symbolique. Permettant de percevoir les objets avant de les toucher, elle est associée, dans toutes les cultures humaines, à l’intelligence, à la connaissance et au progrès. Le livre que vous tenez entre les mains a pour ambition de vous éclairer sur toutes ces histoires de la lumière. Et il le fait de façon… lumineuse ! Roland Lehoucq Astrophysicien au Commissariat à l’énergie atomique et des énergies alternatives V SOMMAIRE UN PEU D’HISTOIRE Brève histoire de la lumière. . . . . . . . . . . . . . . . 3 NATURE DE LA LUMIÈRE L’éternel enchantement . . . . . . . . . . . . . . . . . . Jeux de lumières. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Du Soleil aux leds. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Explorer le monde quantique à la lumière... de la lumière. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . LA LUMIÈRE ET LA VIE Vivre de lumière. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les couleurs du vivant. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Voir et revoir la lumière. . . . . . . . . . . . . . . . . . La lumière rythme notre vie. . . . . . . . . . . . . . VI 11 15 19 23 29 33 37 41 Voir et contrôler le cerveau. . . . . . . . . . . . . . . 45 Le microscope pour décrypter l’architecture du vivant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 Bilan de santé. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 La lumière pour soigner . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 LUMIÈRE ET ENVIRONNEMENT La lumière dans l’assiette. . . . . . . . . . . . . . . . . 63 La surveillance de l’atmosphère. . . . . . . . . . . . 67 Lumière et climat. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71 LA LUMIÈRE ET LA TERRE Les couleurs du ciel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77 Les mirages. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81 Les aurores polaires. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85 LA LUMIÈRE EN LUMIÈRE LUMIÈRE ET ESPACE Percer les mystères de l’Univers . . . . . . . . . . . 91 Éclairage sur les distances dans l’Univers. . . . 95 Lumières du Cosmos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99 Des voiliers dans l’espace . . . . . . . . . . . . . . . . 103 TECHNOLOGIES DU QUOTIDIEN De Lascaux à la Lune. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Se repérer dans le temps et l’espace. . . . . . . La lumière pour analyser les matériaux à distance. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Communiquer par fibre optique . . . . . . . . . . . . 109 113 117 121 Du pixel à l’image. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125 La lumière des lasers pour l’industrie. . . . . . 129 LUMIÈRE ET ÉNERGIE Lumière, notre énergie. . . . . . . . . . . . . . . . . . 135 Le Soleil sur Terre ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139 La lumière comme arme. . . . . . . . . . . . . . . . . 143 LUMIÈRE ET CULTURE Lumière synchrotron : à la recherche des matériaux anciens. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149 Les fleurs de feu. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153 VII UN PEU D’HISTOIRE BRÈVE HISTOIRE DE LA LUMIÈRE “ L’œuvre collective des chercheurs qui travaillent depuis des millénaires évoluera encore et permettra de découvrir de nouveaux horizons. Bernard Maitte Q ue seraient la splendeur colorée de notre environnement et la vie sur Terre sans la lumière ? Mais quelle est sa nature ? La réponse ne va pas de soi. Seule la vision intéressait les philosophes de l’Antiquité. Les savants en pays d’Islam ont formulé les premiers une théorie physique de la lumière. Depuis, débats, controverses, affrontements ont opposé les savants s’intéressant au problème. Bien souvent, les différentes conceptions portaient sur le monde, la manière de l’appréhender, de l’expliquer. Nous allons évoquer l’histoire de l’élaboration tourmentée de nos modernes conceptions. Les premières théories « La lumière blesse l’œil, fait souffrir, chauffe, enflamme : elle possède donc une existence propre, dont il n’est pas vain de chercher la nature ». C’est Ibn al-Haytham (965-1039) qui raisonne ainsi. Il vit au Caire, est l’un des savants éminents du monde islamique. Lors de l’expansion arabe (viie et viiie siècles), les musulmans se sont appropriés les connaissances des cultures rencontrées, les ont laissées subsister. Nourris de plusieurs traditions (grecque, indienne, chinoise, babylonienne), de pratiques artisanales (celles du « croissant fertile »), ils vont plus loin et ailleurs que leurs prédécesseurs. La « science arabe » est Figure 1 : Splendeur des bulles de savon. © B. Maitte. ” Brève histoire de la lumière Figure 2 : Chemins suivis par les rayons lumineux dans une sphère de verre selon Ibn al-Haytham. La précision des tracés, alors que l’auteur ignore la loi de la réfraction, est rendue possible par l’utilisation d’une chambre noire. In L’Essai de la sphère ardente d’Ibn al-Haytham. écrite par des musulmans, des chrétiens, des juifs, des païens, dans la langue intellectuelle, celle du Coran ; elle est profane, et veut à la fois comprendre le monde et augmenter les connaissances pratiques. En ce qui concerne la lumière, Ibn alHaytham mesure précisément tous ses effets, les explique par une même cause : sa nature physique. Au moyen d’appareillages soignés qu’il conçoit, il démontre sa propagation rectiligne, vérifie les lois de la réflexion, étudie la réfraction et les conditions dans lesquelles des rayons de lumière peuvent se concentrer en un point, embraser les corps, donner les couleurs (Figure 2). Conjecturant que la lumière est constituée par des corpuscules sphériques pesants, il vérifie que les lois de 4 l’optique sont analogues à celles selon lesquelles un mobile se déplace, rebondit sur les surfaces, les traverse. Il calcule que la lumière va plus vite dans l’eau que dans l’air. C’est la méthode expérimentale qui naît sous sa plume, méthode qu’il expose dans le préambule de son « Discours sur la lumière ». Pour expliquer la vision, Ibn al-Haytham a l’idée d’assimiler l’œil à un système optique. Il en réalise un modèle analogique et l’étudie grâce à une chambre noire. Décomposant un faisceau lumineux en une infinité de rayons individualisés, il forme (à tort) sur le cristallin l’image d’un objet vu. Il distingue ainsi ce que nous appelons les composantes physique (la nature de la lumière), géométrique (les lignes selon lesquelles elle se propage), physiologique (l’action de l’œil), voire psychique (le rôle du cerveau) de la vision. Dès le xiie siècle, ces travaux passent dans le monde chrétien, sont traduits, commentés. Mais les intellectuels de l’Occident sont des clercs travaillant dans les abbayes. Leur principale préoccupation vise à concilier foi et raison : la méthode expérimentale ne les intéresse pas, ils ne traduisent pas cette partie de l’œuvre de Ibn al-Haytham. Witelo (1270) se fait le propagateur de la conception corpusculaire de la lumière ; Robert Grossetête (1253) la conteste et pose le problème d’une autre manière : dans la Genèse, il est écrit que Dieu a séparé la lumière des ténèbres le premier jour, créé les luminaires célestes le quatrième. Pour résoudre cette LA LUMIÈRE EN LUMIÈRE contradiction, Grossetête s’appuie sur le fait qu’en latin lumière se dit à la fois lux (la lumière fondamentale), et lumen (ses effets). Le premier jour, Dieu aurait créé un point lumineux, ayant la propriété de se dilater instantanément, étendant à la fois la lumière (lux) et l’espace. Arrivé à sa limite de ténuité, ce lux se rétracterait sous forme de lumière matérielle (lumen) jusqu’au point initial et ainsi de suite jusqu’à la quatrième rétractation, au cours de laquelle seraient créées étoiles et planètes, disposées selon Aristote (Figure 3) : Terre au centre, étoiles sur la sphère des fixes, Ciel empli d’un élément subtil, l’éther. Puisque la lumière se propage dans cet éther, elle est analogue à des vagues : ses mouvements peuvent se décrire grâce à des sphères, des droites, des rayons, par la géométrie. Pendant tout le Moyen-Âge, ces deux conceptions, vibratoire et corpusculaire, s’opposent, ainsi qu’à celle de Thomas d’Aquin, qui fait (1266) de la lumière une représentation de Dieu, parfaite, non quantifiable. La lumière et la naissance de la science moderne : avantage pour la théorie corpusculaire Au xviie siècle, les conditions de production des savoirs ont changé : ils s’élaborent Figure 3 : Le monde selon Robert Grossetête. La Terre est au centre ; au-dessus se trouve le Ciel, empli d’éther et limité par la sphère des étoiles fixes. Dans cette région céleste tournent les sept planètes. In « Les échecs amoureux », Louise de Savoie, fin xve siècle, Bibliothèque nationale de France. principalement non dans les monastères, mais à la cour des mécènes ; ceux-ci ont besoin de connaissances pratiques. Après Copernic, les fondateurs de la science moderne font de la Terre une planète. Après Galilée, ils considèrent que la Bible doit « nous montrer comment aller au Ciel et non nous dire comment le ciel est » : c’est en raisonnant, en adoptant la méthode expérimentale, en confrontant, grâce aux mathématiques, expériences et déductions théoriques, que nous comprendrons la création divine. En ce qui concerne la lumière, la théorie ondulatoire est la première formulée rigoureusement. Descartes (1637) considère un monde empli d’éther, dans lequel toutes les étoiles sont des soleils, et où d’immenses tourbillons d’éther entraînent les planètes. À sa suite, Huygens fait de la lumière des ondes traversant l’éther. Il peut ainsi expliquer très précisément, grâce à la géométrie, propagation rectiligne, réflexion et réfraction, et démontrer que la lumière va moins vite dans l’eau que dans l’air. Newton (1687) s’oppose à ces conceptions qui impliquent un monde plein : il décrit un monde vide où circulent des masses. 5 Brève histoire de la lumière Figure 4 : Thomas Young découvre les interférences : de la lumière ajoutée à de la lumière peut donner de l’obscurité. © B. Maitte. Sa gravitation universelle rend compte de la trajectoire des planètes : une force de gravité s’exerce instantanément entre les corps. Il fait de la lumière des corpuscules soumis à l’action de forces et peut expliquer par l’analyse mathématique, réflexion, couleurs, réfraction. Il calcule que la lumière va plus vite dans l’eau que dans l’air, en contradiction avec Huygens. Les physiques de Descartes et de Newton ne font pas les mêmes hypothèses sur le monde, l’expliquent en des termes de mécaniques, parviennent à des déductions opposées. Comme à l’époque on ne sait pas mesurer la vitesse de la lumière dans l’eau, c’est sur le problème de la gravitation que les deux physiques s’affrontent. En expliquant le mouvement des planètes par une gravité s’exerçant dans un espace vide, Newton n’en fait pas une force mécanique, mais l’action constante de Dieu sur le monde. Les cartésiens rejettent cette 6 influence divine : Dieu se repose le septième jour ! Le débat sur l’action de Dieu en physique s’estompe bientôt : on constate peu à peu que les lois de Newton rendent compte de la forme de la Terre, de la précession des équinoxes, du retour de la comète de Halley (1759) : elles finissent par s’imposer en raison de leur succès. À la fin du siècle, Laplace (1796) les intègre dans un « système du monde » newtonien plus général : il fait de la gravité une propriété inhérente à la matière, et de celle-ci un assemblage d’atomes. Pour lui, la lumière est formée de corpuscules qui se déplacent sous l’effet de forces dans un espace et selon des temps absolus. Une autre théorie ondulatoire prend le dessus Le triomphe de cette conception corpusculaire est de courte durée. En 1802, Thomas Young, un Anglais, met en évidence que « de la lumière ajoutée à la lumière peut donner l’obscurité » : seules des ondes permettent ces interférences (Figure 4). Ses travaux sont rejetés par une Royal Society entièrement acquise à Newton. Peu après, en France, Augustin Fresnel observe que la lumière contourne les obstacles (elle diffracte), puis il démontre par l’expérience et les mathématiques que tous les effets lumineux peuvent s’expliquer par une théorie ondulatoire de la lumière (1821). Pour ce faire, il est obligé de donner à l’éther la consistance d’une gelée visqueuse, une gelée qui n’oppose pas de résistance au mouvement de la Terre ! Cette propriété surprenante est loin d’entraîner l’adhésion des physiciens. Arago repense alors à la LA LUMIÈRE EN LUMIÈRE Figure 5 : Les lignes dessinées par de la limaille de fer autour des aimants et des courants montrent l’existence de ce que Faraday appelle un champ de forces. vitesse de la lumière dans l’eau et dans l’air et suggère à Foucault de tenter de la mesurer. Celui-ci y parvient (1849) et montre qu’elle est plus faible dans l’eau. Ce résultat permet de rejeter la théorie corpusculaire. Il va falloir se pencher sur les bien curieuses propriétés de l’éther... Ce problème de l’éther va être envisagé sous un autre angle, pour résoudre de nouvelles contradictions de la physique laplacienne : chaleur, électricité, magnétisme y sont expliqués par des fluides sans poids, ce que n’admettent pas certains physiciens. En particulier, dans la partie germanique de l’Europe, triomphe alors la « Naturphilosophie » : elle s’oppose à Newton et Laplace, réfute les atomes, décrit des forces attractives et répulsives qui se combattent dans l’espace. Oersted croit faire triompher cette conception : en 1819, il observe qu’un courant électrique dévie perpendiculairement l’aiguille d’une boussole alors que toutes les forces newtoniennes s’exercent dans la direction des corps en interaction. Apprenant cette expérience, Ampère mathématise l’interaction électricité-magnétisme. Faraday étend les expériences et les interprète (1821). Manquant de formation mathématique, il caractérise l’action d’un courant et d’un aimant en regardant leurs influences sur de la limaille de fer. La disposition de celle-ci ressemble à des labours observés depuis un ballon : il appelle « champ » l’action qui se propage dans l’espace et oriente les fragments de limaille (Figure 5). J.C. Maxwell (1861) en rend compte grâce à une analogie qu’il mathématise ; il trouve des équations de propagation du « champ électromagnétique », grâce auxquelles il calcule sa vitesse (1873) : c’est la même (300 000 km/s) que celle la lumière ! Ainsi, lumière et champ électromagnétique ont la même vitesse et supposent tous deux un éther. De plus, leurs vibrations sont transversales. Ces ressemblances ne peuvent 7 Brève histoire de la lumière être fortuites : Maxwell en conclut que l’une et l’autre sont de même nature. Il fait de la lumière la partie (de 0,4 à 0,8 µm) du champ électromagnétique à laquelle nos yeux sont sensibles. En 1878, il rompt avec la tradition de vouloir décrire le monde en termes de mécanique : l’éther devient simple support. La fin du xixe siècle voit les physiciens affirmer que leur science est achevée, que leurs successeurs n’auront qu’à pousser plus loin les précisions. Ils décrivent le monde au moyen de valeurs continues, comme celles de l’électromagnétisme, de la thermodynamique, et rejettent la notion d’atome. Il y a bien de petites contradictions dans cette description : elles n’entament pas leur optimisme... Une nouvelle physique... La résolution des « petites contradictions » amène au xxe siècle un bouleversement complet de la physique et la formulation des théories quantique et de la relativité. La relativité : introduite par Einstein, elle montre que la lumière possède une vitesse limite, que l’espace et le temps sont liés dans un continuum espace-temps, que la gravité possède une structure de champ. L’éther devient inutile. La quantique : elle unit, à l’échelle de l’infiniment petit, matière et lumière dans une même description. Peu à peu, la lumière apparaît comme formée de photons : ils possèdent certaines propriétés des ondes (extension continue) et d’autres des particules (on peut les compter). Dans le même temps, les physiciens montrent que la matière est constituée d’atomes. Ceux-ci comprennent noyaux, électrons et ce qui les fait tenir ensemble : l’attraction électromagnétique, c’est-à-dire des photons. Dans les atomes, les électrons ne peuvent avoir que des énergies bien précises, passer d’un niveau énergétique à un autre en émettant ou absorbant la lumière, donc des photons. Les photons ont une masse nulle et sont pourtant aussi substantiels qu’électrons et protons, qui en ont une ! Les recherches actuelles sur les hautes énergies et sur l’Univers se situent dans ces cadres... mais quantique et relativité ne sont pas unifiées. Les connaissances actuelles sont donc perfectibles ; elles reposent à la fois sur des certitudes et des fragilités. La résolution de celles-ci fera pousser plus loin nos déductions. Ainsi, l’œuvre collective des chercheurs qui travaillent depuis des millénaires évoluera encore, permettra de découvrir de nouveaux horizons. La science n’est pas un livre écrit une fois pour toutes ! Pour en savoir plus ➤➤ B. Maitte, Une histoire de la lumière de Platon au photon, Paris, Seuil, Science-ouverte, 2015, 392 pages. ■■ Bernard Maitte, Professeur émérite d’Histoire des sciences et d’épistémologie, Université de Lille 8 NATURE DE LA LUMIÈRE L’ÉTERNEL ENCHANTEMENT “ L’onde est l’avatar des photons qui les guide et nous renseigne sur leur présence. Saïda Guellati-Khélifa et Benoît Boulanger L a nature nous offre une infinité d’œuvres d’art façonnées par la lumière, certes éphémères mais en perpétuelle renaissance. Au-delà de la satisfaction esthétique, la beauté des phénomènes lumineux interpelle la curiosité de l’Homme et plus particulièrement celle des scientifiques. Les premières idées pour décrire « la lumière » sont nées de la contemplation de ces œuvres. On peut imaginer qu’Euclide, qui fut le premier à affirmer que la lumière voyage en ligne droite, s’est inspiré d’un paysage similaire à celui de la Figure 1. Les rayons lumineux dessinent notre ombre, nous renvoient notre image à travers un miroir et ils sont déviés, réfractés, par le phénomène de réfraction quand ils franchissent une interface comme l’air vers l’eau, ou vers la vapeur d’eau d’un nuage. À partir de ces observations, la représentation géométrique s’est naturellement imposée pour décrire le comportement de la lumière. La première esquisse de l’optique géométrique a été faite vers l’an mille, par Ibn al-Haytham à partir d’expériences simples (cf. page 3). Au xviie siècle, les lois de SnellDescartes, qui gouvernent la réflexion et la réfraction de la lumière à l’interface de deux milieux et le principe de Fermat qui énonce que la lumière « choisit » le chemin le plus rapide pour se déplacer, offriront les outils mathématiques qui consolident le modèle géométrique. Ce modèle est incontournable pour la conception des systèmes optiques (télescope, lunettes, lentilles, etc.), mais ne répond pas à la question simple et centrale : Figure 1 : Rayons du Soleil traversant les nuages. ” Lumière synchrotron : à la recherche des matériaux anciens Figure 2 : Un synchrotron est une grande source de lumière qui alimente des dizaines de lignes expérimentales d’imagerie et de spectroscopie. © Cavok Production/Laurent Persin. À droite : fossile de 300 millions d’années en cours d’analyse par imagerie de fluorescence X sur la ligne Diffabs de SOLEIL ; le faisceau incident a été figuré en jaune, celui allant vers le détecteur en vert (en bas à gauche). © L. Bertrand/CNRS. gramme de matière. Elle a été réalisée en collectant le signal de fluorescence de rayons X sur une station synchrotron. Le déplacement rapide du fossile devant le faisceau permet de le cartographier. Un traitement informatique des données conduit à cette carte de Depuis une quinzaine d’années, le synchrotron trouve de nouvelles applications pour l’étude des matériaux archéologiques, paléontologiques et du patrimoine culturel. Imager les fossiles plats La photographie de gauche sur la Figure 3 donne une bonne idée de ce que les paléontologues voient lorsqu’ils observent des fossiles aplatis. La compression lors de la formation des roches rend la description anatomique de cette crevette particulièrement ardue. Elle a été découverte au Maroc et date du Crétacé supérieur, il y a environ 100 millions d’années. Ce fossile a subi des modifications physicochimiques au cours 150 de sa fossilisation, compliquant sa lecture. L’étude des caractères, ces indices spécifiques permettant d’établir les relations de parenté entre espèces, est ainsi très délicate. La tomographie, technique de reconstruction 3D similaire au scanner médical, ne donne que peu d’information sur les fossiles comprimés. L’image de droite de la Figure 3, en fausses couleurs, montre la localisation du fer et de deux terres rares, éléments chimiques contenus à l’état de traces dans les fossiles, typiquement de 1 à 1000 microgrammes par Figure 3 : L’image reconstruite à partir des données synchrotron permet de mieux visualiser la morphologie de cette crevette datant de 100 millions d’années. © P. Gueriau et al. LA LUMIÈRE EN LUMIÈRE composition. Les contrastes mis en évidence permettent de distinguer les « tissus durs » (carapaces, os) des « tissus mous » (muscles, autres organes fossilisés). Ils révèlent des particularités anatomiques cachées comme la morphologie des appendices, pattes ou antennes. C’est ici la haute brillance du faisceau synchrotron qui permet de balayer le spécimen avec une haute sensibilité pour obtenir des images mégapixels, ou plus, en quelques heures. Comprendre la décoloration des pigments d’artistes L’origine de la couleur des pigments bleus de Prusse et de smalt est bien connue. Celle du bleu de Prusse provient de couples d’atomes de fer de degrés d’oxydation distincts liés par un « pont » cyanure, Fe(II)–CN–Fe(III). La couleur du smalt, verre au cobalt pilé, résulte de l’ion cobalt (II) entouré de 4 atomes voisins, ou tétraédrique. Employés en remplacement du lapis-lazuli qui, broyé, mène au prohibitif bleu outremer, le succès de ces pigments vient de leur faible coût qui a permis à la couleur bleue de se « démocratiser », à la Renaissance pour le smalt et au xviiie siècle pour le bleu de Prusse. Ces pigments, utilisés pour les grands aplats, n’ont cependant pas la stabilité du lapislazuli et se décolorent avec le temps selon des mécanismes jusqu’alors mal connus. La spectroscopie d’absorption des rayons X permet de mieux comprendre ce phénomène. L’atout de la source synchrotron est qu’elle est « blanche », c’est-à-dire large spectralement, et intense dans le domaine des rayons X. Comme un prisme permet de décomposer la lumière visible issue d’une lampe à incandescence, un système optique adapté peut sélectionner continûment les rayons X en fonction de leur énergie. L’absorption des rayons X par les ions cobalt dans le smalt, et fer dans le bleu de Prusse, met en évidence leur changement d’environnement chimique et leur état d’oxydation. Que se passe-t-il ? Pour le bleu de smalt, c’est le départ d’ions potassium de la structure du verre qui perturbe l’environnement du cobalt(II) ; il bascule vers une structure octaédrique (avec maintenant 6 atomes voisins) et devient rose ; c’est le principe des testeurs d’humidité. Le bleu de Prusse se décolore par apport d’un électron à l’ion fer(III), qui se réduit et devient fer(II). Le pigment n’absorbe alors plus dans l’orange-rouge (Figure 4). Et voici comment un gai ciel printanier peut devenir un orage à la tonalité ténébreuse... Figure 4 : Le bleu de Prusse se décolore en présence de lumière, par changement de degré d’oxydation du fer © C. Gervais et al. Ce processus est également à l’origine d’un procédé photographique ancien : le cyanotype. 151