La lumière en lumière - e

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Coordonné par
Saïda Guellati-Khelifa
Daniel Hennequin
Marc Stehle
Préface de Roland Lehoucq
La lumière
en lumière
Du photon à l’Internet
LA LUMIÈRE
EN LUMIÈRE
LA LUMIÈRE
EN LUMIÈRE
Du photon à l’Internet
Coordonné par
Benoît Boulanger, Saïda Guellati-Khélifa, Daniel Hennequin, Marc Stehle
Composition et mise en pages : Patrick Leleux PAO
Conception de la couverture : CB Defretin, Aurore boréale, côte norvégienne, © Artic Light Photo, Ole C. Salomonsen
Imprimé en France
ISBN : 978-2-7598-1829-7
Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41,
d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinés à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les
courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute repré­sentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause
est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou r­ eproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon s­ anctionnée par les articles 425 et
suivants du code pénal.
© EDP Sciences, 2016
PRÉFACE
I
l y a mille ans le mathématicien et philosophe d’origine perse Ibn al-Haytham
(965-1039), plus connu en Occident
sous le nom d’Alhazen, commençait la
rédaction de son « Traité d’optique ». Dans
ce livre révolutionnaire, il repensait complètement l’optique de son temps et démontrait pour la première fois que la lumière ne
sortait pas de l’œil qui en était, au contraire,
le récepteur. Depuis les réflexions des premiers savants, nos conceptions sur la nature
de la lumière ont considérablement évolué.
Qu’est-ce que la lumière ? De quoi est-elle
constituée ? Se propage-t-elle instantanément ou à vitesse finie ? Comment interagit-elle avec la matière ? Ces questions
fondamentales furent si présentes dans l’histoire de la physique que l’on pourrait sans
doute la raconter en suivant l’évolution des
réponses qui leur fut apportées. Connaître
le cheminement qui permit d’aboutir à ces
réponses, c’est suivre de près l’évolution des
idées dans plusieurs domaines de la physique
allant de l’optique à la physique microscopique en passant par l’électromagnétisme,
le mouvement relativiste et les liens intimes
entre l’espace et le temps. La lumière fut en
effet identifiée comme le premier « quanton », entité physique à la fois onde et particule, mais aussi objet dont les propriétés
particulières permirent à Einstein de bâtir
sa relativité restreinte. Pour l’astrophysicien
que je suis, la lumière est le principal messager des informations que nous recevons
du cosmos. Se propageant à une vitesse
gigantesque mais finie, la lumière permet
de remonter le temps et d’explorer l’Univers sur des milliards d’années-lumière.
Pour les physiciens, les chimistes ou les
biologistes, la lumière est aussi un formidable moyen d’investigation sur la matière,
inerte ou vivante. Au quotidien, la lumière
est surtout celle du Soleil, qui transporte
l’énergie de notre étoile jusqu’à la surface
de la Terre. Même si certaines formes de
vies des abysses peuvent s’en passer, la
lumière solaire est, via la photosynthèse, la
première source d’énergie des écosystèmes
terrestres et donc à la base de la vie telle que
nous la connaissons. La lumière est aussi à
l’origine de certains des plus merveilleux
spectacles de la Nature tels les arcs-en-ciel,
les mirages ou les aurores polaires. Enfin,
n’oublions pas qu’elle est indispensable à la
vision et, par conséquent, responsable d’une
part importante de notre bien-être, de notre
vie sociale et culturelle. La lumière est aussi
dotée d’une grande puissance symbolique.
Permettant de percevoir les objets avant de
les toucher, elle est associée, dans toutes
les cultures humaines, à l’intelligence, à la
connaissance et au progrès. Le livre que
vous tenez entre les mains a pour ambition
de vous éclairer sur toutes ces histoires de la
lumière. Et il le fait de façon… lumineuse !
Roland Lehoucq
Astrophysicien au Commissariat à l’énergie
atomique et des énergies alternatives
V
SOMMAIRE
UN PEU D’HISTOIRE
Brève histoire de la lumière. . . . . . . . . . . . . . . . 3
NATURE DE LA LUMIÈRE
L’éternel enchantement . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Jeux de lumières. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Du Soleil aux leds. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Explorer le monde quantique à la lumière...
de la lumière. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
LA LUMIÈRE ET LA VIE
Vivre de lumière. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les couleurs du vivant. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Voir et revoir la lumière. . . . . . . . . . . . . . . . . .
La lumière rythme notre vie. . . . . . . . . . . . . .
VI
11
15
19
23
29
33
37
41
Voir et contrôler le cerveau. . . . . . . . . . . . . . . 45
Le microscope pour décrypter l’architecture
du vivant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
Bilan de santé. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
La lumière pour soigner . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
LUMIÈRE ET ENVIRONNEMENT
La lumière dans l’assiette. . . . . . . . . . . . . . . . . 63
La surveillance de l’atmosphère. . . . . . . . . . . . 67
Lumière et climat. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
LA LUMIÈRE ET LA TERRE
Les couleurs du ciel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
Les mirages. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
Les aurores polaires. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
LA LUMIÈRE EN LUMIÈRE
LUMIÈRE ET ESPACE
Percer les mystères de l’Univers . . . . . . . . . . . 91
Éclairage sur les distances dans l’Univers. . . . 95
Lumières du Cosmos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
Des voiliers dans l’espace . . . . . . . . . . . . . . . . 103
TECHNOLOGIES DU QUOTIDIEN
De Lascaux à la Lune. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Se repérer dans le temps et l’espace. . . . . . .
La lumière pour analyser les matériaux
à distance. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Communiquer par fibre optique . . . . . . . . . . . .
109
113
117
121
Du pixel à l’image. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125
La lumière des lasers pour l’industrie. . . . . . 129
LUMIÈRE ET ÉNERGIE
Lumière, notre énergie. . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
Le Soleil sur Terre ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
La lumière comme arme. . . . . . . . . . . . . . . . . 143
LUMIÈRE ET CULTURE
Lumière synchrotron : à la recherche
des matériaux anciens. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149
Les fleurs de feu. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153
VII
UN PEU D’HISTOIRE
BRÈVE HISTOIRE
DE LA LUMIÈRE
“
L’œuvre collective des chercheurs
qui travaillent depuis des millénaires
évoluera encore et permettra de
découvrir de nouveaux horizons.
Bernard Maitte
Q
ue seraient la splendeur colorée de
notre environnement et la vie sur
Terre sans la lumière ? Mais quelle
est sa nature ? La réponse ne va pas de soi.
Seule la vision intéressait les philosophes de
l’Antiquité. Les savants en pays d’Islam ont
formulé les premiers une théorie physique
de la lumière. Depuis, débats, controverses,
affrontements ont opposé les savants s’intéressant au problème. Bien souvent, les différentes conceptions portaient sur le monde,
la manière de l’appréhender, de l’expliquer.
Nous allons évoquer l’histoire de l’élaboration
tourmentée de nos modernes conceptions.
Les premières théories
« La lumière blesse l’œil, fait souffrir, chauffe,
enflamme : elle possède donc une existence
propre, dont il n’est pas vain de chercher la
nature ». C’est Ibn al-Haytham (965-1039)
qui raisonne ainsi. Il vit au Caire, est l’un des
savants éminents du monde islamique. Lors
de l’expansion arabe (viie et viiie siècles), les
musulmans se sont appropriés les connaissances des cultures rencontrées, les ont laissées subsister. Nourris de plusieurs traditions
(grecque, indienne, chinoise, babylonienne),
de pratiques artisanales (celles du « croissant
fertile »), ils vont plus loin et ailleurs que
leurs prédécesseurs. La « science arabe » est
Figure 1 : Splendeur des bulles de savon.
© B. Maitte.
”
Brève histoire de la lumière
Figure 2 : Chemins suivis par les rayons lumineux dans une
sphère de verre selon Ibn al-Haytham. La précision des tracés,
alors que l’auteur ignore la loi de la réfraction, est rendue
possible par l’utilisation d’une chambre noire.
In L’Essai de la sphère ardente d’Ibn al-Haytham.
écrite par des musulmans, des chrétiens, des
juifs, des païens, dans la langue intellectuelle,
celle du Coran ; elle est profane, et veut à la
fois comprendre le monde et augmenter les
connaissances pratiques.
En ce qui concerne la lumière, Ibn alHaytham mesure précisément tous ses effets,
les explique par une même cause : sa nature
physique. Au moyen d’appareillages soignés
qu’il conçoit, il démontre sa propagation rectiligne, vérifie les lois de la réflexion, étudie
la réfraction et les conditions dans lesquelles
des rayons de lumière peuvent se concentrer en un point, embraser les corps, donner
les couleurs (Figure 2). Conjecturant que la
lumière est constituée par des corpuscules
sphériques pesants, il vérifie que les lois de
4
l’optique sont analogues à celles selon lesquelles un mobile se déplace, rebondit sur les
surfaces, les traverse. Il calcule que la lumière
va plus vite dans l’eau que dans l’air. C’est
la méthode expérimentale qui naît sous sa
plume, méthode qu’il expose dans le préambule de son « Discours sur la lumière ».
Pour expliquer la vision, Ibn al-Haytham a
l’idée d’assimiler l’œil à un système optique.
Il en réalise un modèle analogique et l’étudie
grâce à une chambre noire. Décomposant un
faisceau lumineux en une infinité de rayons
individualisés, il forme (à tort) sur le cristallin l’image d’un objet vu. Il distingue ainsi
ce que nous appelons les composantes physique (la nature de la lumière), géométrique
(les lignes selon lesquelles elle se propage),
physiologique (l’action de l’œil), voire psychique (le rôle du cerveau) de la vision.
Dès le xiie siècle, ces travaux passent dans
le monde chrétien, sont traduits, commentés. Mais les intellectuels de l’Occident sont
des clercs travaillant dans les abbayes. Leur
principale préoccupation vise à concilier foi
et raison : la méthode expérimentale ne les
intéresse pas, ils ne traduisent pas cette partie de l’œuvre de Ibn al-Haytham. Witelo
(1270) se fait le propagateur de la conception corpusculaire de la lumière ; Robert
Grossetête (1253) la conteste et pose le problème d’une autre manière : dans la Genèse,
il est écrit que Dieu a séparé la lumière des
ténèbres le premier jour, créé les luminaires
célestes le quatrième. Pour résoudre cette
LA LUMIÈRE EN LUMIÈRE
contradiction, Grossetête s’appuie sur le
fait qu’en latin lumière se dit à la fois lux
(la lumière fondamentale), et lumen (ses
effets). Le premier jour, Dieu aurait créé
un point lumineux, ayant la propriété de se
dilater instantanément, étendant à la fois la
lumière (lux) et l’espace. Arrivé à sa limite
de ténuité, ce lux se rétracterait sous forme
de lumière matérielle (lumen) jusqu’au point
initial et ainsi de suite jusqu’à la quatrième
rétractation, au cours de laquelle seraient
créées étoiles et planètes, disposées selon
Aristote (Figure 3) : Terre au centre, étoiles
sur la sphère des fixes, Ciel empli d’un élément subtil, l’éther. Puisque la lumière se
propage dans cet éther, elle est analogue
à des vagues : ses mouvements peuvent se
décrire grâce à des sphères, des droites, des
rayons, par la géométrie. Pendant tout le
Moyen-Âge, ces deux conceptions, vibratoire et corpusculaire, s’opposent, ainsi qu’à
celle de Thomas d’Aquin, qui fait (1266) de
la lumière une représentation de Dieu, parfaite, non quantifiable.
La lumière et la naissance de
la science moderne : avantage
pour la théorie corpusculaire
Au xviie siècle, les conditions de production des savoirs ont changé : ils s’élaborent
Figure 3 : Le monde selon Robert Grossetête. La Terre
est au centre ; au-dessus se trouve le Ciel, empli d’éther
et limité par la sphère des étoiles fixes. Dans cette
région céleste tournent les sept planètes. In « Les échecs
amoureux », Louise de Savoie, fin xve siècle, Bibliothèque
nationale de France.
principalement non dans les monastères, mais
à la cour des mécènes ; ceux-ci ont besoin
de connaissances pratiques. Après Copernic,
les fondateurs de la science moderne font
de la Terre une planète. Après Galilée, ils
considèrent que la Bible doit « nous montrer
comment aller au Ciel et non nous dire comment
le ciel est » : c’est en raisonnant, en adoptant
la méthode expérimentale, en confrontant,
grâce aux mathématiques, expériences et
déductions théoriques, que nous comprendrons la création divine.
En ce qui concerne la lumière, la théorie
ondulatoire est la première formulée rigoureusement. Descartes (1637) considère un
monde empli d’éther, dans lequel toutes les
étoiles sont des soleils, et où d’immenses
tourbillons d’éther entraînent les planètes.
À sa suite, Huygens fait de la lumière des
ondes traversant l’éther. Il peut ainsi expliquer très précisément, grâce à la géométrie,
propagation rectiligne, réflexion et réfraction, et démontrer que la lumière va moins
vite dans l’eau que dans l’air.
Newton (1687) s’oppose à ces conceptions qui impliquent un monde plein : il
décrit un monde vide où circulent des masses.
5
Brève histoire de la lumière
Figure 4 : Thomas Young découvre les interférences : de la lumière
ajoutée à de la lumière peut donner de l’obscurité. © B. Maitte.
Sa gravitation universelle rend compte de la
trajectoire des planètes : une force de gravité s’exerce instantanément entre les corps.
Il fait de la lumière des corpuscules soumis
à l’action de forces et peut expliquer par
l’analyse mathématique, réflexion, couleurs,
réfraction. Il calcule que la lumière va plus
vite dans l’eau que dans l’air, en contradiction avec Huygens.
Les physiques de Descartes et de Newton ne
font pas les mêmes hypothèses sur le monde,
l’expliquent en des termes de mécaniques,
parviennent à des déductions opposées.
Comme à l’époque on ne sait pas mesurer
la vitesse de la lumière dans l’eau, c’est sur
le problème de la gravitation que les deux
physiques s’affrontent.
En expliquant le mouvement des planètes
par une gravité s’exerçant dans un espace
vide, Newton n’en fait pas une force mécanique, mais l’action constante de Dieu sur
le monde. Les cartésiens rejettent cette
6
influence divine : Dieu se repose le septième
jour ! Le débat sur l’action de Dieu en physique
s’estompe bientôt : on constate peu à peu
que les lois de Newton rendent compte de
la forme de la Terre, de la précession des
équinoxes, du retour de la comète de Halley
(1759) : elles finissent par s’imposer en raison de leur succès. À la fin du siècle, Laplace
(1796) les intègre dans un « système du
monde » newtonien plus général : il fait de la
gravité une propriété inhérente à la matière,
et de celle-ci un assemblage d’atomes. Pour
lui, la lumière est formée de corpuscules qui
se déplacent sous l’effet de forces dans un
espace et selon des temps absolus.
Une autre théorie ondulatoire
prend le dessus
Le triomphe de cette conception corpusculaire est de courte durée. En 1802, Thomas
Young, un Anglais, met en évidence que « de
la lumière ajoutée à la lumière peut donner
l’obscurité » : seules des ondes permettent
ces interférences (Figure 4). Ses travaux sont
rejetés par une Royal Society entièrement
acquise à Newton.
Peu après, en France, Augustin Fresnel
observe que la lumière contourne les obstacles (elle diffracte), puis il démontre par l’expérience et les mathématiques que tous les
effets lumineux peuvent s’expliquer par une
théorie ondulatoire de la lumière (1821).
Pour ce faire, il est obligé de donner à
l’éther la consistance d’une gelée visqueuse,
une gelée qui n’oppose pas de résistance au
mouvement de la Terre ! Cette propriété
surprenante est loin d’entraîner l’adhésion
des physiciens. Arago repense alors à la
LA LUMIÈRE EN LUMIÈRE
Figure 5 : Les lignes dessinées par de la limaille de fer autour
des aimants et des courants montrent l’existence de ce que Faraday
appelle un champ de forces.
vitesse de la lumière dans l’eau et dans l’air
et suggère à Foucault de tenter de la mesurer.
Celui-ci y parvient (1849) et montre qu’elle
est plus faible dans l’eau. Ce résultat permet
de rejeter la théorie corpusculaire. Il va falloir
se pencher sur les bien curieuses propriétés
de l’éther...
Ce problème de l’éther va être envisagé sous
un autre angle, pour résoudre de nouvelles
contradictions de la physique laplacienne :
chaleur, électricité, magnétisme y sont
expliqués par des fluides sans poids, ce que
n’admettent pas certains physiciens. En particulier, dans la partie germanique de l’Europe,
triomphe alors la « Naturphilosophie » :
elle s’oppose à Newton et Laplace, réfute
les atomes, décrit des forces attractives et
répulsives qui se combattent dans l’espace.
Oersted croit faire triompher cette conception : en 1819, il observe qu’un courant
électrique dévie perpendiculairement l’aiguille
d’une boussole alors que toutes les forces
newtoniennes s’exercent dans la direction des
corps en interaction.
Apprenant cette expérience, Ampère mathématise l’interaction électricité-magnétisme.
Faraday étend les expériences et les interprète
(1821). Manquant de formation mathématique, il caractérise l’action d’un courant et
d’un aimant en regardant leurs influences sur
de la limaille de fer. La disposition de celle-ci
ressemble à des labours observés depuis un
ballon : il appelle « champ » l’action qui se
propage dans l’espace et oriente les fragments de limaille (Figure 5). J.C. Maxwell
(1861) en rend compte grâce à une analogie
qu’il mathématise ; il trouve des équations
de propagation du « champ électromagnétique », grâce auxquelles il calcule sa vitesse
(1873) : c’est la même (300 000 km/s) que
celle la lumière !
Ainsi, lumière et champ électromagnétique
ont la même vitesse et supposent tous deux
un éther. De plus, leurs vibrations sont
transversales. Ces ressemblances ne peuvent
7
Brève histoire de la lumière
être fortuites : Maxwell en conclut que l’une
et l’autre sont de même nature. Il fait de la
lumière la partie (de 0,4 à 0,8 µm) du champ
électromagnétique à laquelle nos yeux sont
sensibles. En 1878, il rompt avec la tradition
de vouloir décrire le monde en termes de
mécanique : l’éther devient simple support.
La fin du xixe siècle voit les physiciens affirmer que leur science est achevée, que leurs
successeurs n’auront qu’à pousser plus loin les
précisions. Ils décrivent le monde au moyen
de valeurs continues, comme celles de l’électromagnétisme, de la thermodynamique, et
rejettent la notion d’atome. Il y a bien de
petites contradictions dans cette description :
elles n’entament pas leur optimisme...
Une nouvelle physique...
La résolution des « petites contradictions »
amène au xxe siècle un bouleversement
complet de la physique et la formulation des
théories quantique et de la relativité.
La relativité : introduite par Einstein, elle
montre que la lumière possède une vitesse
limite, que l’espace et le temps sont liés dans
un continuum espace-temps, que la gravité
possède une structure de champ. L’éther
devient inutile.
La quantique : elle unit, à l’échelle de l’infiniment petit, matière et lumière dans une
même description. Peu à peu, la lumière
apparaît comme formée de photons : ils
possèdent certaines propriétés des ondes
(extension continue) et d’autres des particules (on peut les compter). Dans le
même temps, les physiciens montrent que
la matière est constituée d’atomes. Ceux-ci
comprennent noyaux, électrons et ce qui les
fait tenir ensemble : l’attraction électromagnétique, c’est-à-dire des photons. Dans
les atomes, les électrons ne peuvent avoir
que des énergies bien précises, passer d’un
niveau énergétique à un autre en émettant
ou absorbant la lumière, donc des photons.
Les photons ont une masse nulle et sont
pourtant aussi substantiels qu’électrons et
protons, qui en ont une !
Les recherches actuelles sur les hautes
énergies et sur l’Univers se situent dans ces
cadres... mais quantique et relativité ne sont
pas unifiées. Les connaissances actuelles
sont donc perfectibles ; elles reposent à
la fois sur des certitudes et des fragilités.
La résolution de celles-ci fera pousser plus
loin nos déductions. Ainsi, l’œuvre collective des chercheurs qui travaillent depuis
des millénaires évoluera encore, permettra de découvrir de nouveaux horizons. La
science n’est pas un livre écrit une fois pour
toutes !
Pour en savoir plus
➤➤ B. Maitte, Une histoire de la lumière de Platon
au photon, Paris, Seuil, Science-ouverte, 2015,
392 pages.
■■ Bernard Maitte,
Professeur émérite d’Histoire des sciences et
d’épistémologie, Université de Lille
8
NATURE DE LA LUMIÈRE
L’ÉTERNEL
ENCHANTEMENT
“
L’onde est l’avatar des photons qui les guide
et nous renseigne sur leur présence.
Saïda Guellati-Khélifa et Benoît Boulanger
L
a nature nous offre une infinité
d’œuvres d’art façonnées par la
lumière, certes éphémères mais en
perpétuelle renaissance. Au-delà de la satisfaction esthétique, la beauté des phénomènes
lumineux interpelle la curiosité de l’Homme
et plus particulièrement celle des scientifiques. Les premières idées pour décrire « la
lumière » sont nées de la contemplation de
ces œuvres. On peut imaginer qu’Euclide,
qui fut le premier à affirmer que la lumière
voyage en ligne droite, s’est inspiré d’un
paysage similaire à celui de la Figure 1. Les
rayons lumineux dessinent notre ombre,
nous renvoient notre image à travers un
miroir et ils sont déviés, réfractés, par le phénomène de réfraction quand ils franchissent
une interface comme l’air vers l’eau, ou vers
la vapeur d’eau d’un nuage.
À partir de ces observations, la représentation géométrique s’est naturellement imposée
pour décrire le comportement de la lumière.
La première esquisse de l’optique géométrique a été faite vers l’an mille, par Ibn
al-Haytham à partir d’expériences simples
(cf. page 3). Au xviie siècle, les lois de SnellDescartes, qui gouvernent la réflexion et la
réfraction de la lumière à l’interface de deux
milieux et le principe de Fermat qui énonce
que la lumière « choisit » le chemin le plus
rapide pour se déplacer, offriront les outils
mathématiques qui consolident le modèle
géométrique. Ce modèle est incontournable
pour la conception des systèmes optiques
(télescope, lunettes, lentilles, etc.), mais ne
répond pas à la question simple et centrale :
Figure 1 : Rayons du Soleil traversant les nuages.
”
Lumière synchrotron : à la recherche des matériaux anciens
Figure 2 : Un synchrotron est une grande source de lumière qui
alimente des dizaines de lignes expérimentales d’imagerie et de
spectroscopie. © Cavok Production/Laurent Persin.
À droite : fossile de 300 millions d’années en cours d’analyse
par imagerie de fluorescence X sur la ligne Diffabs de SOLEIL ;
le faisceau incident a été figuré en jaune, celui allant vers le
détecteur en vert (en bas à gauche). © L. Bertrand/CNRS.
gramme de matière. Elle a été réalisée en collectant le signal de fluorescence de rayons X
sur une station synchrotron. Le déplacement
rapide du fossile devant le faisceau permet
de le cartographier. Un traitement informatique des données conduit à cette carte de
Depuis une quinzaine d’années, le synchrotron trouve de nouvelles applications
pour l’étude des matériaux archéologiques,
paléontologiques et du patrimoine culturel.
Imager les fossiles plats
La photographie de gauche sur la Figure 3
donne une bonne idée de ce que les paléontologues voient lorsqu’ils observent des
fossiles aplatis. La compression lors de la
formation des roches rend la description
anatomique de cette crevette particulièrement ardue. Elle a été découverte au Maroc
et date du Crétacé supérieur, il y a environ
100 millions d’années. Ce fossile a subi des
modifications physicochimiques au cours
150
de sa fossilisation, compliquant sa lecture.
L’étude des caractères, ces indices spécifiques
permettant d’établir les relations de parenté
entre espèces, est ainsi très délicate. La
tomographie, technique de reconstruction
3D similaire au scanner médical, ne donne
que peu d’information sur les fossiles comprimés. L’image de droite de la Figure 3, en
fausses couleurs, montre la localisation du fer
et de deux terres rares, éléments chimiques
contenus à l’état de traces dans les fossiles,
typiquement de 1 à 1000 microgrammes par
Figure 3 : L’image reconstruite à partir des données
synchrotron permet de mieux visualiser la morphologie
de cette crevette datant de 100 millions d’années.
© P. Gueriau et al.
LA LUMIÈRE EN LUMIÈRE
composition. Les contrastes mis en évidence
permettent de distinguer les « tissus durs »
(carapaces, os) des « tissus mous » (muscles,
autres organes fossilisés). Ils révèlent des
particularités anatomiques cachées comme
la morphologie des appendices, pattes ou
antennes. C’est ici la haute brillance du
faisceau synchrotron qui permet de balayer
le spécimen avec une haute sensibilité pour
obtenir des images mégapixels, ou plus, en
quelques heures.
Comprendre la décoloration
des pigments d’artistes
L’origine de la couleur des pigments bleus de
Prusse et de smalt est bien connue. Celle du
bleu de Prusse provient de couples d’atomes
de fer de degrés d’oxydation distincts liés par
un « pont » cyanure, Fe(II)–CN–Fe(III). La
couleur du smalt, verre au cobalt pilé, résulte
de l’ion cobalt (II) entouré de 4 atomes voisins, ou tétraédrique. Employés en remplacement du lapis-lazuli qui, broyé, mène
au prohibitif bleu outremer, le succès de
ces pigments vient de leur faible coût qui
a permis à la couleur bleue de se « démocratiser », à la Renaissance pour le smalt et
au xviiie siècle pour le bleu de Prusse. Ces
pigments, utilisés pour les grands aplats,
n’ont cependant pas la stabilité du lapislazuli et se décolorent avec le temps selon
des mécanismes jusqu’alors mal connus. La
spectroscopie d’absorption des rayons X permet de mieux comprendre ce phénomène.
L’atout de la source synchrotron est qu’elle est
« blanche », c’est-à-dire large spectralement,
et intense dans le domaine des rayons X.
Comme un prisme permet de décomposer la lumière visible issue d’une lampe à
incandescence, un système optique adapté
peut sélectionner continûment les rayons X
en fonction de leur énergie. L’absorption des
rayons X par les ions cobalt dans le smalt, et
fer dans le bleu de Prusse, met en évidence
leur changement d’environnement chimique
et leur état d’oxydation. Que se passe-t-il ?
Pour le bleu de smalt, c’est le départ d’ions
potassium de la structure du verre qui perturbe l’environnement du cobalt(II) ; il bascule vers une structure octaédrique (avec
maintenant 6 atomes voisins) et devient
rose ; c’est le principe des testeurs d’humidité. Le bleu de Prusse se décolore par apport
d’un électron à l’ion fer(III), qui se réduit et
devient fer(II). Le pigment n’absorbe alors
plus dans l’orange-rouge (Figure 4). Et voici
comment un gai ciel printanier peut devenir
un orage à la tonalité ténébreuse...
Figure 4 : Le bleu de Prusse se décolore en présence
de lumière, par changement de degré d’oxydation du fer
© C. Gervais et al. Ce processus est également à l’origine
d’un procédé photographique ancien : le cyanotype.
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