« Le récit de vie, outil heuristique de la connaissance des identités plurilingues »
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manière « d’histoire non encore racontée » pour utiliser par analogie la
définition que donne P. Ricœur de la psychanalyse (1983 : 114). Le récit
de vie existe au départ comme possibilité évènementielle ouverte. Frag-
mentaire, incomplet et souvent non terminé au moment où il se donne à
entendre, il se distingue fondamentalement du récit de fiction, dont la
clôture est une des caractéristiques.
Se pose ensuite la question de la mise en intrigue des actions représentées
et de son élaboration.
On postulera que le processus identitaire de l’exil se dit à travers des lieux
et thèmes (
topoï
) privilégiés, susceptibles de réapparaitre d’un récit à
l’autre
4
et qu’il existe des similitudes dans l’expérience des sujets concernés,
ce qui conduit à penser que l’organisation des récits, malgré la diversité des
narrateurs, n’est pas forcément aléatoire. Il existerait de ce fait un ordre
narratif signifiant, résultant d’une expérience de l’espace et du temps
singulière, qui est celle de la mobilité, qu’elle soit exil ou migration. Enfin,
de par son caractère rétrospectif, le récit de vie implique un processus
mémoriel particulier expressif par ses souvenirs mais aussi par ses silences.
Une part de l’histoire du narrateur ne serait pas remémorée.
On se demandera pour finir s’il existe une stylistique du récit de vie, si
les narrateurs mobilisent des figures ou des procédés particuliers propres à
construire et à évoquer à la fois l’exil et la relation aux langues comme
expression de l’identité à travers une énonciation, lieu où se dit la subjec-
tivité.
Le récit de vie est une forme d’accès au savoir, notamment si on s’intéresse
à des itinéraires particuliers, figures d’exilés ou de migrants, par exemple, et
peut permettre de mesurer leur degré d’insertion dans la société française
contemporaine. En cela, il sert la réflexion sociolinguistique qui utilise des
itinéraires individuels, sans se limiter à en faire l’illustration d’une théorie
générale mais en leur donnant un sens et une forme en retour.
L’accès à cette forme de savoir, qui suppose une aptitude à susciter
l’impulsion narrative des sujets, n’est pas possible sans un engagement
particulier de l’observateur, et la pratique d’une observation participante,
supposant un décentrement socioculturel ; ce que C. Lévi-Strauss appelle
une
distanciation sociale
(1958 : 416). Connaitre l’autre suppose de se déta-
cher de soi pour comprendre son expérience de l’exil comme expérience de
rupture avec sa culture d’origine, et donc d’interpréter les récits de vie
comme trace de cette expérience, d’où la nécessité d’une méthodologie.
Méthodologie de l’analyse : observation participante
et connaissance des médiations sociales
La connaissance du processus de construction des
médiations sociales
est
requise (Ferrarotti, 1990 : 61), ce qui nécessite d’admettre que l’individu
reflète un ou plusieurs pôles sociaux et inversement que le système social
4. Par exemple le rapport à la langue et aux lieux d’origine, la relation à la langue française,
la mobilité, l’arrivée en France, l’insertion professionnelle et l’intégration, les liens avec les
autres migrants, avec les Français, l’hypothèse du retour au pays, la mémoire et l’oubli du
passé…
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.46.90.250 - 10/10/2014 09h28. © Armand Colin
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