La leçon du printemps arabe
Spécialiste de la géopolitique de l'environnement, François Gemenne (ULg, chargé de cours à
l'ULB et Sciences Po Paris) (3), a fait les comptes. Sur les quarente-sept opérations de
maintien de la paix lancées par les Nations-Unies depuis leur création, quarante-six ont été
motivées par des conflits où les facteurs environnementaux ont joué un rôle. Il l'affirme sans
ambages: "un monde plus chaud sera plus violent". Certes, il reconnaît que la relation de
cause à effet entre l'évolution du climat - anomalies de températures, précipitations... - et
l'insécurité géopolitique - révolutions, conflits, guerres... - n'est pas encore scientifiquement
établie. Deux courbes qui évoluent en parallèle, en effet, ne suffisent pas à établir une
véritable corrélation entre les deux phénomènes qu'elles traduisent (4). Autre bémol aux
prévisions les plus sinistres : les guerres et les conflits s'expliquent généralement par un
enchevêtrement de causes dans lequel il n'est pas facile d'isoler le facteur environnemental ; et
encore moins de lui assigner une place prépondérante. Mais voilà, François Gemenne nous
prévient : au rythme où vont les choses, il va falloir improviser.
"Ce que nous savons du passé, cette fois, ne pourra peut-être pas nous aider dans le futur. Car
les changements climatiques actuels et les impacts déjà perceptibles sont d'une rapidité
inégalée dans l'histoire humaine : environ un siècle pour des changements aussi profonds,
c'est très court !"
Lorsqu'on pense aux guerres induites par l'évolution climatique, on songe spontanément aux
conflits entre Etats qui se disputeraient l'accès aux ressources naturelles - eau, terres agricoles,
énergie... - à la suite, par exemple, d'une sécheresse majeure. Le spécialiste belge reconnaît
qu'une multiplication de tels conflits est plausible. "Le mur qui sépare actuellement l'Inde du
Bangladesh n'est-il pas d'ores et déjà porteur d'un message bien clair à l'égard des Bangladais :
'en cas de montée des eaux - NDLR : 10% du territoire du Bangladesh, très pauvre, est situé
sous le niveau de la mer -, ne vous réfugiez pas chez nous, mais au Pakistan ou en Birmanie'
?" Plus largement, il rappelle que deux tiers des bassins fluviaux dans le monde sont la
copropriété de deux Etats ou davantage. Mais, pour lui, plus qu'à des conflits frontaliers
classiques - on peut aussi s'attendre à des renforcements de coopération entre certains Etats -,
il faut plutôt envisager une multiplication de guerres civiles et de conflits internes à ceux-ci.
"La faim est un puissant moteur de révolution et de délégitimation des gouvernements en
place. Le Printemps arabe est d'ailleurs né en Tunisie après qu'un homme se fût immolé par le
feu pour protester contre la flambée des prix des denrées alimentaires". Et de rappeler, pour
l'anecdote, que la Révolution française, près de deux siècles plus tôt, fut surtout motivée par la
volonté farouche des paysans français de s'accaparer les réserves de pommes de terre
entassées à la Bastille. Plus, en tout cas, que par des velléités antimonarchiques ou des idéaux
romantiques, venus plus tard…
Le rôle des tribunaux internationaux
Selon François Gemenne, il faut également s'attendre à une multiplication des conflits portés
devant les cours et les tribunaux. Le premier exemple historique, à ce stade, est celui de
l'archipel de Tuvalu, micro-Etat situé dans l'Océan pacifique, dont l'altitude moyenne est de
quatre mètres. Menacé de submersion par la hausse du niveau de la mer et s'estimant victime
des émissions de gaz à effet de serre des pays développés, Tuvalu a déposé plainte dès 2002
contre les Etats-Unis et l'Australie. Motifs : la non-ratification par ces deux Etats du Protocole
de Kyoto et, plus précisément, la violation de son intégrité territoriale - par les eaux montantes