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Université lumière Lyon 2
Institut d'Études Politiques de Lyon
LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE
JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
Galode Guilhem
Affaires publiques – 4ème Année
Séminaire d'Histoire de Idées politiques (XIXème)
Sous la direction de M.Bruno BENOIT et M.Gilles VERGNON
Soutenance du 5 Septembre 2011
Table des matières
Remerciements . .
Préambule . .
Introduction : Jules Grévy, sa vie son œuvre . .
CHAPITRE I : LES PERCEPTIONS LOCALES ET INTERNATIONALES . .
A.LES PERCEPTIONS LOCALES : UN PRESIDENT JURASSIEN . .
1.Une fierté Jurassienne . .
2.Grévy, le profane anticlérical . .
B.LES REACTIONS INTERNATIONALES . .
1.Un pacifiste respecté des chancelleries européennes . .
2.Grévy l’hypocrite . .
CHAPITRE II : LES REACTIONS DE LA PRESSE DE DROITE . .
A.LE TRAITRE DE 1880 . .
1.La Croix . .
2.L’Univers . .
B.UN PROMOTEUR DE LA CHIENLIT REPUBLICAINE . .
1.Un monarque républicain . .
2.L’opportuniste de Sedan . .
3.Le spoliateur républicain . .
CHAPITRE III : PERCEPTIONS DES JOURNAUX DE GAUCHE . .
A.LE PRESIDENT BOURGEOIS . .
1.Le marchand de rubans . .
2. L’homme qui faillit tuer la République . .
B.GREVY L’INTEGRE . .
1.Une bête politique . .
2.La République dans l’ordre . .
3.Un père fondateur de la République . .
Conclusion . .
Bibliographie . .
Annexes . .
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er
Annexe 1 : Etat de la presse nationale en France métropolitaine au 1 septembre
383
1891
95
..
er
Annexe 7: Résultats des élections législatives de 1889 . .
95
95
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98
98
99
100
Annexe 8 : Comparaison du traitement de la mort de deux anciens Présidents de la
République par Le Petit Parisien . .
101
Annexe 2 : Etat de la presse Franc-Comtoise au 1
septembre 1891 . .
Annexe 3 : Positionnement géographique de Mont-sous-Vaudrey . .
Annexe 4 : Odonymie du village de Mont-sous-Vaudrey . .
Annexe 5 : Plaque de Jean Bavilley apposée sur le fronton de la mairie . .
de Montsous Vaudrey . .
Annexe 6 : Buste de Jules Grévy à côté de l’église de Mont-sous-Vaudrey . .
Annexe 9 : La part en pourcentage de la nouvelle de la mort de Grévy dans la presse
du 9 au 16 septembre 1891 . .
Annexe 10 : Enterrement de Jules Grévy . .
Annexe 11 : Grandes dates de la vie de Jules Grévy . .
Annexe 12 : Durée des différents ministères sous les deux présidences de Grévy
exprimée en mois . .
Annexes 13 : Liste des différents ministères sous Jules Grévy . .
Annexe 14 : Tableau de la remise des drapeaux le 14 juillet 1880 . .
Mots clés . .
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Remerciements
Remerciements
Je tiens à remercier M. Bruno BENOIT, M. Gilles VERGNON pour leurs conseils avisés et le
temps consacré à ce mémoire, mes parents pour les utiles relectures, Marie-Lys ARNETTE pour
son œil d’experte, Rémy BERMANN, Romain PONCHON pour leur aide informatique et enfin
Antoine PARIS, Thomas GRANDI, Pierre GUERRIN, Camille RANQUET, Sandra GANARD,
Maxime CRAMOTTE, Anne-Laura AULON, Léonard MARTIN, Kévin ESTIEVENART, Paulin
VACELET, Clément SCHOUVEY, Guillaume BOZZI, Benjamin GRAS, Maxime BACONNET
et bien d’autres encore pour leurs soutiens.
GALODE Guilhem_2011
5
LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
Préambule
« La République ne doit pas faire peur », c’est par ces mots que peuvent se résumer les mandats
successifs de Jules Grévy à la tête de la présidence de la République. Premier président républicain
de l’Histoire de France, il est étrangement oublié de tous ; en effet dans la mémoire collective les
années qui composent ses deux mandats (1879-1887) se résument à l’installation de la République,
aux grandes lois dont l’école laïque et obligatoire pour tous, la liberté de la presse, la liberté
syndicale et l’instauration de la symbolique Républicaine, etc. Pourtant si on examine plus
attentivement le souvenir laissé par Jules Grévy, on peut constater qu’il est relativement restreint
comparé aux plus illustres contemporains de ses contemporains. Pour étayer ce propos, on peut
prendre en exemple l’odonymie des établissements scolaires de ses contemporains politiques et
il ne manque pas d’être surprenant ; soixante-douze pour Gambetta, cinq cent soixante six pour
Jules Ferry. Seuls deux sont baptisés Jules Grévy, dont un à Mont-sous-Vaudrey1, le village d’un
millier d’âmes qui l’a vu naître et mourir! Comment expliquer cette différence entre un homme
qui a été le premier Président de la république républicain, premier réélu et qui a su durant son
mandat maintenir la République face à la monarchie et ses deux contemporains qui n’ont été
« que » d’éphémères présidents du Conseils ? Comment se fait-il qu’il ait été l’oublié du Panthéon
Républicain, l’absent de cette « République des Jules » ; comment la mémoire collective a-t-elle
fait le tri ? Avant de se poser ces questions, il faut revenir en amont et se demander quel a été
le traitement de la mort de Jules Grévy à travers la presse.
Pour ma part j’ai grandi dans ce village, Mont-sous-Vaudrey dans le Jura, le village de Grévy;
j’habite dans la rue Jules Grévy, je suis allé à l’école primaire Jules Grévy puis par la suite au
collège Jules Grévy, j’allais jouer avec mes amis à la salle des fêtes Jules Grévy et je les retrouvai
au clos Jules Grévy qui elle-même se situe dans la rue du Général Grévy …2
Même si durant des années je n’ai pas su avec exactitude qui était cet homme au regard
austère et au collier de barbe et en redingote qui était sur la photo noir et blanc qui figurait dans
les salles de classe de ma mairie-école. Les années faisant leur œuvre et les études avançant, j’ai
commencé a m’intéresser à ce président méconnu. Au fil de mes études et je me suis rendu compte
que son absence était également criante dans la mémoire collective mais également dans les cours
d’Histoire. Par exemple; lors de mon cours d’Histoire Politique de première année de droit, j’ai
constaté que la professeure ne lui avait consacré que cinq lignes alors que Casimir Perrier quant à
lui avait droit au double, alors que ce dernier n’avait exercé la plus haute magistrature que durant
six mois etc.
C’est donc cette injustice de la mémoire ainsi que la proximité qui m’ont poussé à choisir un
sujet traitant de la perception de la mort de Grévy à travers la presse.
1
Pierre JEAMBRUN,
2
6
Jules Grévy ou la République debout
, Librairie Jules Tallandier, 1991,
Annexe 4
GALODE Guilhem_2011
p.432
Introduction : Jules Grévy, sa vie son œuvre
Introduction : Jules Grévy, sa vie son
œuvre
Avant de se pencher sur la perception de sa mort, il convient de se poser la question ; qui
était Jules Grévy ?
Jules Grévy est né le 15 août 1807 dans un famille bourgeoise dans le petit village de
3
Mont-sous-Vaudrey dans la département du Jura . Ce village de mille âmes construit sur
un colline qui domine la rivière de la Cuisance est au centre d’une voie de communications
qui dessert toute la plaine du Nord-Jura. Les idées neuves accompagnaient ces flux
commerciaux ce qui explique que le Jura de la plaine était plus sensible aux nouvelles idées
républicaines que le Jura reculé montagneux, cette différence est encore palpable de nos
jours. Il est né dans le château que ses parents, grands propriétaires terriens avaient acheté
aux nobles qui y habitaient auparavant ; le noble de l’ancien régime a été chassé par le
bourgeois du XIXème siècle, tout un symbole. La famille Grévy est une famille républicaine
de longue date, elle a bénéficié de la Révolution, son grand-père a été membre du Conseil
du Directoire du district de Poligny et par la suite a été nommé juge de paix. Le petit Jules
a été certainement bercé par l’histoire de Jean Bavilley, un paysan du village qui quelques
années auparavant avait gagné un procès long et coûteux face au seigneur de Mont-sous4
Vaudrey pour que la commune se voit rétrocéder ses terres forestières , ce qui faisait de lui
un héros républicain. Par la suite Grévy a suivi une éducation brillante, il a reçu de nombreux
prix, il monta à Besançon puis à Paris dans l’ambiance électrique de 1830 pour faire son
droit. Ses études traduisent la volonté d’ascension sociale des bourgeois de province. Il faut
« monter » à la capitale car dans la France très jacobine du XIXème, il était difficilement
envisageable de suivre des études dignes de ce nom ou d’espérer avoir une quelconque
ascension en restant en province. Il passe le barreau peu de temps après mais les premières
années sont difficiles, il n’arrive pas à se faire une riche clientèle et demande à plusieurs
reprises à son père de l’aider. C’est d’ailleurs à cette même époque qu’il fréquente Alfred
de Musset dans les bars à absinthe et se lie d’amitié avec lui. Pour améliorer ses maigres
revenus, il a l’idée de rédiger « le procédurier », un code de procédure à la portée de
tous qui rencontre un vif succès. Dès 1837, il entre comme avocat stagiaire à la Cour
Royale de Paris, à partir de là il a gravi tous les échelons jusqu’à devenir bâtonnier de Paris
en 1868. Ses nombreuses lectures classiques dont celle de Voltaire qu’il affectionne tout
particulièrement font de lui un sophiste très à l’aise avec la prose. D’ailleurs, cette aisance
5
de tribun fit dire à Jules Ferry « ses mots sont frappés en médaille ». Pourtant sa formation
de juriste lui fera toujours préférer la raison à la passion; un contemporain dira de lui « qu’il
6
a horreur de la phrase et de la déclamation
». Pour cet avocat le fond commande la
forme, la parole est au service de l’argument pas du charisme. Un de ses collègues avocats
3
4
5
6
Annexe 3
Annexe 5
Pierre JEAMBRUN,
Ibidem
Jules Grévy ou la République debout
, Librairie Jules Tallandier, 1991,
p.334
, p.31
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7
LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
a dit de lui qu’il « plaide avec une simplicité extraordinaire, sans faste, presque sans bruit,
7
comme un homme qui s’attache au raisonnement
». Bien qu’étant de formation civiliste,
il a prit part à deux procès politiques . Tout d’abord en 1839 pour défendre deux instigateurs
de l’insurrection républicaine du 12 mai 1839, procès qu’il perdit mais qui le fit remarquer
par la sphère politique. Puis il plaida des années plus tard aux côtés de Jules Favre durant
le « procès des Treize » en 1864 condamnant les opposants politiques au II° Empire. Sa
carrière professionnelle ne s’arrêta qu’avec son élection en 1879 à la présidence de la
République. En ce début de XIXème, la vie politique Jurassienne est relativement agitée.
Suite aux émeutes du 13 avril 1834 à Lyon contre les mesures antirépublicaines prises par
Adolph Thiers, les habitants du bourg d’Arbois proche de Mont-sous-Vaudrey prennent les
armes . Tout comme à Paris et à Lyon la révolte y est matée dans le sang mais la postérité
retiendra que D’Epercy, ministre de l’intérieur de Louis-Philippe lui envoya ces mots «Paris,
8
Lyon et Arbois sont calmes à présent
». Grévy quant à lui demeure à Paris et sa qualité
d’avocat lui permet de fréquenter l’élite.
C’est avec la Révolution de 1848 à laquelle il ne participe pas qu’il mit un premier
pied dans l’arène politique. En effet, la jeune IIème République a besoin de missi dominici
dans ses départements pour assurer la transition politique, c’est ainsi qu’elle créa les
Commissaires de la République. C’est tout naturellement que Grévy fut nommé à ce poste
pour le Nord-Jura. Son discours d’investiture traduit la volonté Républicaine de rassurer.
« J’apporte ici la magnanime Révolution dont je suis l’envoyé. Point de recherche du passé,
point de réaction mais aussi point de faiblesses, respect des personnes, des propriétés, des
croyances, des positions justement acquises mais en même temps attribution exclusive des
9
fonctions politiques aux républicains éprouvés » ; en d’autres termes la République n’est
pas un abysse anarchique mais une rupture tranquille. Il remporte en avril 1848 la députation
du Jura grâce au soutien massif des nombreux vignerons de la région pour lesquels Grévy a
combattu les taxes sur le vin. Ses qualités de juriste reconnues par ses pairs lui permettent
d’accéder au poste de Vice-président de l’Assemblée. Durant cette éphémère République
Grévy appartient au courant réformateur Républicain, il s’oppose au courant socialiste de
Louis Blanc qui est partisan d’une République sociale, celle des ateliers nationaux et du
travail pour tous. Il est respecté de ses collègues grâce à ses qualités dialectiques, l’un d’eux
dit de lui qu’il possède « une parole grave et lucide , cette logique de sincérité qui gagne tous
10
les bons esprits
». Durant son mandat Grévy eu des prises de positions audacieuses
qui le firent apparaitre de plus en plus souvent sur le devant de la scène politique. Il vote
notamment pour l’abolition de l’esclavage, contre les tribunaux militaires, pour la liberté de la
11
presse «un droit qui appartient à tout citoyen d’exprimer sa pensée
». On peut constater
à travers ces différentes positionnements l’expression d’une pensée libérale. La prise de
position la plus intéressante à étudier demeure celle sur la création du mandat de Président
de la République. Il est opposé à la création d’un tel poste car, contrairement à ce que dit
Alexis de Tocqueville, le Président de la République serait un roi-président. Il aurait, selon
7
8
9
ibid
. , p.31
Ibid
. , p.40
Pierre JEAMBRUN,
Jules Grévy ou la République debout
, Librairie Jules Tallandier, 1991, p.50 : ce sont les
paroles prononcées le soir de son investiture.
10
11
8
Ibidem
Ibid
,
p.69
. , p.91
GALODE Guilhem_2011
Introduction : Jules Grévy, sa vie son œuvre
les termes de Grévy, autant de pouvoir qu’un roi à la tête de l’Etat et de ses armées, mais
également une aura de légitimité que lui ont conféré des millions de votes. Il appuie son
argumentaire sur les précédents historiques et l’ivresse naturelle du pouvoir présente en
chaque homme. Il prononce par ailleurs dans ce discours une phrase prophétique « Et si
cet ambitieux [le président de la République élu] … est le rejeton d’une des familles qui ont
régnées sur la France et s’il n’a jamais renoncé à ses droits … et si le peuple est en crise,
12
pensez-vous que cet ambitieux ne parviendra pas à renverser la République ?
». Durant
ce débat, l’un des plus mythique de la Chambre des Députés, il est confronté à la rhétorique
du poète Lamartine, celui-ci défend le droit de tout peuple de guider à sa propre destinée,
celui-ci a le droit de donner le pouvoir à un despote au nom de la souveraineté populaire. Il
termina son discours éloquent par une citation de Pharsale « Victrix causa deis placuit sed
13
victa Catoni
». On constate ici que la rigueur et la justesse du droit s’oppose à l’emphase,
aux sentiments romantiques de Lamartine dont la carrière politique ne dura que six mois.
Cependant dans un cas comme dans l’autre leurs paroles sont prophétiques car Lamartine
a raison ; un César va venir prendre le pouvoir sous les ovations du peuple. Il en va de
même pour Grévy car ce César est le descendant d’une famille régnante puisqu’il s’agit de
Louis-Napoléon Bonaparte qui deviendra Napoléon III. Il proposa donc son amendement
14
qui resta dans la postérité sous le nom d’amendement Grévy . Cet amendement prévoyait
la création d’un Président du Conseil des Ministres élu par l’assemblée plus effacé et donc
moins enclin à prendre le pouvoir par la force. Il fut rejeté par une large majorité, le poste de
Président de la République fut crée et Louis Napoléon Bonaparte s’en servit pour fomenter
un coup d’état et ainsi renverser la République. Grévy est arrêté au matin du coup d’état,
le 2 décembre 1851, il aurait dit, en bon juriste à l’officier venant procéder à son arrestation
« N’oubliez pas que vous devez allégeance et obéissance à l’article 68 de la Constitution !
» mais il semble que l’officier n’en eut cure …
15
Il retourna donc à sa profession d’avocat et ne réapparut sur la scène politique que
lors des élections de 1868 pour reprendre la députation du Jura, il devint le fer de lance de
l’opposition républicaine face à un Second Empire vacillant que le piège tendu par Bismarck
à Napoléon III avec la dépêche d’Ems vint achever. La guerre fut votée contre la Prusse
le 15 juillet 1870 à deux-cents quarante voix contre dix dont celle de Grévy. Il estimait à
juste titre que cette guerre n’était pas gagnable, qu’elle était contraire au droit international
et qu’elle allait s’achever sur une occupation de la France, ce qu’il advint. Mais il dut subir
les foudres des journaux patriotiques qui l’accusèrent de défaitisme et de « courber le
dos » face aux exigences prussiennes. La IIIème République est proclamée le 4 septembre
1870, mais le gouvernement de celle-ci doit fuir Paris assiégée par les Prussiens afin de se
réfugier à Tours. Grévy reste éloigné de ce gouvernement provisoire mené par Gambetta
car il condamne ses prises de positions personnelles. Il remporte la députation du Jura aux
élections de février 1871 et devient Président de la Chambre des Députés grâce à un large
consensus du à son ancienneté, sa probité et ses positions modérées. Il fut réélu à ce poste
12
13
14
Ibid
. , p.71
Ibid
. , p.73 « Les Dieux furent pour le vainqueur mais Caton pour le vaincu »
« L’Assemblée Nationale délègue le pouvoir exécutif à un citoyen qui reçoit le titre de président du Conseil des Ministres. Le
Président du Conseil des ministres est nommé à la majorité absolue des scrutins. Il est élu pour un temps illimité mais il est toujours
révocable. »
15
Pierre JEAMBRUN,
Jules Grévy ou la République debout
, Librairie Jules Tallandier, 1991,
p.100 : L’article 68
condamne par la haute trahison toute entrave au fonctionnement de l’assemblée nationale.
GALODE Guilhem_2011
9
LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
16
dix fois entre 1871 et 1873, son style médiateur et sa carrure lui permettent de s’imposer
devant ses collègues. Il dut cependant faire face à des crispations dans les rangs de ses
collègues dont celle du très célèbre de Victor Hugo qui lui remettra d’ailleurs sa démission
17
lors d’une séance houleuse . Adolph Thiers est nommé au poste de Chef de l’Exécutif par
une assemblée qui a fui un Paris en ébullition et qui redoute un soulèvement populaire de
tendance libertaire. Cette jeune République doit faire ses preuves et montrer qu’elle est
capable de rétablir le calme, c’est cette tâche qui incomba à Thiers. Le rôle de Grévy durant
18
la Commune reste trouble, en légaliste zélé il condamne cette « criminelle insurrection
» mais il dénonce également les crimes commis par les Versaillais durant la Semaine
Sanglante. La paix avec la Prusse est signée le 10 mai 1871, ainsi la République retrouve
son calme. Les législatives de 1871 voient le camp monarchiste remporter une large majorité
à l’assemblée débutant ainsi ce que l’on a appelé la « République des monarchistes ».
Celle-ci ne devait être que transitoire et n’avait pour seul but que de rétablir la monarchie
et l’ordre moral en mettant le Comte de Chambord, hypothétique Henri V sur le trône de
France. C’est à cette tâche que vont se consacrer Adolphe Thiers et Patrice De Mac Mahon.
Grévy quant à lui, à la suite d’un incident de séance prend tout l’échiquier politique de cours
en démissionnant de son poste de président de la Chambre des Députés, ce qui était un
poste important détenu par un républicain de l’opposition. La raison de cette démission vint
19
du fait qu’il ne « voulait plus couvrir les complots d’une majorité monarchiste
». Grévy
demeura par la suite dans une franche réserve, il laissa Thiers rallié à la cause Républicaine
depuis mars 1873, convaincu qu’on « ne peut occuper un trône à trois»,se faire contraindre
à la démission par la majorité monarchiste. Patrice de Mac Mahon, un monarchiste, est
élu par l’assemblée Président de la République. Grévy rédige durant cette courte retraite le
Gouvernement nécessaire dans lequel il affirme que la république des républicains est la
seule viable, sa brochure est censurée mais reçoit un très bon accueil dans les milieux
20
politiques . Sous la présidence de Mac-Mahon il va s’opposer a prorogation du mandat
de chef de l’exécutif de dix ans mais vota pour l’amendement Wallon créant ainsi le poste
de Président de la République, ce qui, au vu de ses premières positions peut sembler
paradoxal. Enfin, il s’opposa aux lois constitutionnelles de 1875 car il les estimait trop floues
et pas assez durables, il eut tort sur ce point car elles maintinrent la IIIème République
pendant près de soixante-cinq ans. Les élections de 1876 voient le retour gagnant des
Républicains, l’assemblée jusqu’alors monarchiste bascule dans l’autre camp, Grévy est
pour sa part réélu dans le Jura. Adolphe Thiers meurt à la même période et Jules Grévy
devient le porte drapeau unique des Républicains modérés, ce qu’il convenait d’appeler
l’Union Républicaine. C’est à lui, réélu en 1876 à la présidence de la Chambre des Députés
qu’échoit la tâche de gérer la crise du 16 mai 1877. Jules Simon le républicain Président
du Conseil des Ministres est contraint à la démission par De Mac-Mahon qui lui préfère un
monarchiste, Albert de Broglie qui avait déjà officié dans le tumulte. La Chambre s’oppose
logiquement à cette nomination, Mac-Mahon décide de la dissoudre. Léon Gambetta lui
lance comme un défi que quelque soit le résultat des élection il devrait « se soumettre
16
17
18
19
20
Ibidem, p.162 - il mesurait 1m90
http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/victor_hugo/discours_fichiers/seance_8mars1871.asp
Pierre JEAMBRUN
ibidem
,
, Jules Grévy ou la République debout,
Librairie Jules Tallandier, 1991, p.165
p.171
Le Temps, 02/04/1873, p.1 « l’œuvre d’un sage qui voit les choses de haut cherche la loi sous les faits et signale à autrui
la voie que sa raison trouve la meilleure »
10
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Introduction : Jules Grévy, sa vie son œuvre
21
ou se démettre
» ce qu’il fit ; l’élection anticipée de 1877 marque une large victoire
des républicains qui est accentuée par une victoire dans la Haute-Chambre en 1879. MacMahon qui s’est soumis, finit par se démettre à la première occasion le 30 janvier 1879. Le
même jour le Congrès est appelé à nommer un nouveau Président de la République et c’est
Grévy, champion des républicains et homme de consensus qui est élu avec quatre-vingts
quatre pour cent des suffrages et ce, en moins de huit heures, un record. La République
des Républicains ou « République des Jules » est née.
Sa première action en tant que Président de la République est de poser les bases de
la Constitution Grévy. Dans un discours devant l’Assemblée Nationale le 6 février 1879, il
affirme que « soumis avec sincérité à la grande loi du régime parlementaire, [il] n’entrerait
22
jamais en lutte contre la volonté nationale exprimée par les organes constitutionnels
».
Cette constitution voit, conformément aux visions de Grévy, l’exécutif laisser la place au
profit d’un parlementarisme absolu garant de la volonté populaire. De facto, elle déséquilibre
les pouvoirs au profit du Parlement car celui-ci peut contraindre le Président à la démission
ce qui fut le cas avec Casimir Perrier, Alexandre Millerand et bien évidement, ironie de
l’Histoire avec Jules Grévy en 1887. Grévy s’est en effet opposé toute sa vie à la fonction de
Président de la République qu’il voyait comme un César Républicain. Il n’accepte ce poste
que sous la contrainte liée à son temps mais il se démet immédiatement des attributs du
poste car il veut déshabituer les Français du pouvoir personnel. Jules Grévy a deux missions
lorsqu’il arrive à l’Elysée en 1887, il doit assurer la paix avec une Allemagne puissante et
empêcher sur le plan intérieur l’instauration d’une dictature. La mission du président est
purement symbolique sur le plan intérieur, il doit rassurer pour gagner la confiance des
campagnes hostiles à une république qu’elles assimilent à la Commune et ainsi marquer
sa pérennité. Sur le plan extérieur, il joue un rôle plus important car il incarne le pacifisme
français et il doit développer le jeu diplomatique dans les chancelleries d’une Europe sous
tension dirigée la plupart du temps par des monarques autoritaires. On peut observer de ce
point de vue une certaine sagesse dans la vision d’un Président de la République effacé et
il convient de noter que cette vision s’est imposée à tous ses successeurs durant la IIIème
République.
Cependant Grévy n’est pas non plus un président soliveau se contentant d’inaugurer
les chrysanthèmes ; il sut se montrer réactif pour résister aux nombreuses crises qui
ont émaillé sa présidence comme on put le constater par la suite. Depuis le début de la
IIIème République les logiques de pouvoir ont changé ; l’opposition antirépublicaine est
très réduite et divisée entre Bonapartistes, Royalistes puis plus tard les Boulangistes. Le
président Grévy peut compter sur une large majorité Républicaine, hétéroclite cependant,
car s’étendant des radicaux-socialistes de Georges Clémenceau jusqu’aux républicains
modérés de Jules Ferry en passant par la gauche républicaine de Léon Gambetta. Durant
ses deux mandats, Grévy gouverna par la nomination, il a taché d’écarter ces fortes
personnalités des responsabilités politiques, les reléguant à des rôles de second plan car
trop ancrées dans une vision personnelle du pouvoir. Il va leur préférer des personnalités
plus effacées pour le poste de Président du Conseil comme Charles De Freycinet ou Charles
Duclerc. Ses choix de nomination étaient donc d’avantage guidés par des convictions
personnelles que par la couleur du Parlement. Malgré tout ce sont ces trois chefs de parti
que le Panthéon Républicain va retenir car ils sont les artisans des grandes lois de l’époque,
la liberté de la presse (1881), l’école gratuite, laïque et obligatoire (1881), la liberté syndicale
21
22
Phrase prononcée par Léon Gambetta lors de son discours à Lille le 15/08/1877
Discours devant la Chambre des Députés le 06 février 1879
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11
LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
(1884), etc. C’est à travers l’érection de ces grandes lois que la République se stabilisa et
se normalisa dans les esprits. Elles forment l’écrin d’une république non-violente qui s’est
pérennisée jusqu’à aujourd’hui. Sa présidence fut également marquée par l’instauration
d’une symbolique Républicaine ; l’adoption de la Marseillaise comme hymne officiel (1880),
le changement de la devise de la nation (1880), l’instauration du 14 juillet comme fête
23
nationale (1880), … Bien que sa gouvernance se fit par la nomination, la réalité du pouvoir
appartenait au Parlement et plus particulièrement à Gambetta, Grévy quant à lui ne se
cantonnait qu’aux affaires extérieures notamment pour adoucir les relations avec le Reich
allemand.
Sur le plan religieux la devise de Grévy aurait pu être « oui aux curés non aux
24
congrégations
», en d’autres termes, il a suivi une politique de laïque modéré car il
demeurait sur le plan personnel catholique non-pratiquant , ce qui faisait de lui l’interlocuteur
du Saint-Siège. Cependant la loi de 1880 interdisant les congrégations religieuses provoqua
le courroux des milieux religieux, celle-ci étant une atteinte à leur liberté et à leur influence.
La politique étrangère fut prolifique et porta sa griffe, il soutint l’expédition en Tunisie de 1881
qui en fit un protectorat français par le traité de Bardo. Il s’opposa par ailleurs à l’expédition
du Tonkin la même année qui se révéla être un gouffre financier et un désastre militaire.
Dans les deux cas on peut observer qu’il s’agit de politiques colonisatrices prises sous
l’impulsion de Jules Ferry lors de son passage à la tête du conseil des ministres. L’affaire de
25
Schnæbelé en 1887 démontre toute l’intelligence géostratégique de Grévy, il empêcha le
Général Boulanger, revanchard de 1870 qui jouissait d’une grande popularité, de déclarer
la guerre à l’Allemagne. Ainsi sur le plan interne il sut enrayer la montée du Boulangisme et
sur le plan externe conserver la paix avec le voisin allemand.
Il est réélu facilement en 1885 ce qui fait de lui le premier président réélu de l’Histoire.
Cependant ses soixante dix-huit printemps pèsent sur lui et il doit déléguer les affaires à
son entourage ; à la distribution des bureaux de tabac, sa fille, à la distribution des légions
d’honneur son gendre Wilson, etc. En 1887 devant la montée inquiétante du Boulangisme
soutenue par les radicaux que Grévy trouve trop ‘à gauche’, il s’allie à l’Union des Droites
dirigée par Mackau pour former le cabinet Rouvier de tendance modérée. Le résultat est
atteint et Boulanger est évincé du ministère de la Guerre et la montée du Boulangisme est
enrayée. On peut noter ici que Grévy inaugure en quelque sorte le concept de real-politic
car il s’est associé à la droite de l’hémicycle. Cela prouve que Grévy est en temps de crise
un grand pragmatique qui sait résoudre les conflits.
La même année, au mois d’octobre, le journal Le Gaulois dévoile le scandale des
décorations, « Monsieur Gendre » aurait ouvert une « boutique de décoration à l’Elysée
26
», devant le contexte historique patriotique et les tensions politiques, l’affaire fait grand
bruit. Les journaux somment Grévy de choisir entre « la famille et l’état » et les chansonniers
27
plaignent Grévy en fredonnant « quel malheur d’avoir un gendre
». Une commission
d’enquête est créée le 25 octobre qui met en lumière la culpabilité de Wilson. S’en suit une
23
24
Annexe 14
Pierre JEAMBRUN,
Jules Grévy ou la République debout
, Librairie Jules Tallandier, 1991,
p.288
25
26
27
Le Gaulois, 07/10/1887, p.1
Pierre JEAMBRUN,
Jules Grévy ou la République debout
, Librairie Jules Tallandier, 1991,
milieu «Tombe dans l’pétrin»
12
GALODE Guilhem_2011
p. illustrées du
Introduction : Jules Grévy, sa vie son œuvre
crise politique durant le mois de novembre où personne de Clémenceau au centre gauche
ne veut former de cabinet, il est sommé de partir. Il refusa dans un premier temps invoquant
une raison légale, la peur de créer « un précédent fâcheux » mais il se rétracta, il donna sa
démission le 2 décembre 1887, ironiquement le jour des coups d’état. Dans son message
de démission lu aux assemblées il n‘oublia pas de blâmer « les incessantes attaques de la
28
presse et l’absence des hommes de la République
». Ironie du sort, le premier président
de la République républicain, réélu de surcroît, fut également le premier démissionnaire…
Il quitta le château de l’Elysée pour celui de Mont-sous-Vaudrey, il y mourut trois ans
plus tard le 9 septembre 1891, oublié de tous.
Nous allons nous intéresser maintenant au traitement de l’information de la mort de
Jules Grévy par la presse ou, devrait-on dire, les presses, devant la masse de journaux
existant à l’époque. Pour avoir un œil objectif, on va raisonner sur deux axes ; un axe
horizontal qui couvrira tout le prisme politique de l’époque en se basant sur les élections
29
30
législatives de 1889 qui est le scrutin national le plus proche de sa mort. Ainsi on va se
pencher sur des journaux qui vont de l’extrême gauche en observant les réactions allant
de L’Egalité Sociale anarchiste jusqu’aux nationalistes du Gaulois en passant bien sûr par
le spectre politique représenté au Corps Législatif, seule assemblée élue alors au suffrage
direct. Ainsi on pourra obtenir une réaction politico-journalistique la plus juste possible car
il ne faut pas oublier que cet homme est arrivé à la présidence sous les hourras populaires
mais qu’il s’en est allé dans le plus grand embarras. La deuxième angle d’approche est
quant à lui vertical car il consiste à séparer les réactions des différents journaux en trois
catégories, les journaux locaux, les nationaux et les internationaux. Donc on pourra obtenir
une perception niveau par niveau, voir ce que les plus proches de Grévy pensaient de même
que la majorité des français.
Etudier la mort de Jules Grévy à travers les journaux suscite un véritable intérêt car
il ne faut pas oublier qu’en 1891 la liberté de la presse est toute jeune, elle date de 1881
et c’est d’ailleurs sous la présidence de Grévy que celle-ci a été instaurée ; la bête vat-elle se retourner contre son créateur ? Auparavant la presse devait faire face à deux
obstacles majeurs que la loi du 29 juillet 1881 vient abolir. Tout d’abord, l’obstacle financier
car les rédacteurs de journaux devaient s’acquitter d’un cautionnement prohibitif pour la
création d’un journal et la distribution de celui-ci était rendue difficile par l’obligation de
payer un droit de timbre relativement élevé. Ainsi seuls les journaux fortement dotés, pour
ne pas dire bourgeois et défendant cette même cause pouvaient être édités. Par ailleurs,
le deuxième obstacle est tout simplement politique car cette loi supprime la censure qui
était exercée par le pouvoir en place pour empêcher les idées séditieuses de se propager,
la majorité des journaux français de l’époque l’ont subie. La liberté de la presse est le
vecteur essentiel de la liberté d’expression à une époque où elle est le seul média existant,
or la liberté d’expression qui est consacrée par l’article XIX de la Déclaration des Droits
de l’Homme de 1789 est essentielle pour cette République qui vient tout juste de fêter
ses vingt ans à l’époque des faits. L’essentiel du sujet portera sur la presse quotidienne
politique car cette presse connait un fort essor dès les années 1870, elle est présente
certes pour informer le lecteur mais également pour véhiculer les idéaux défendus par les
différents bords politiques aux nouveaux électeurs. Les dirigeants politiques de l’époque ne
28
29
30
Message de démission lu aux assemblées le 2 décembre 1887
Annexe 7
Par ailleurs, il s’agit d’une élection au suffrage universel direct au scrutin de liste majoritaire, elle représente donc assez
fidèlement l’opinion publique.
GALODE Guilhem_2011
13
LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
s’y sont pas trompé, en République, le pouvoir se conquiert par la communication de idées.
Plus un parti sera persuasif dans les lignes de ses quotidiens, plus son nombre d’électeur
grandira. La multiplicité des quotidiens partisans s’explique par le fait que très tôt les chefs
de parti se sont rendu compte de la portée de cette nouvelle arme. Les grands hommes
de la République dirigent un quotidien, on peut citer par exemple Léon Gambetta et La
31
République, Jules Ferry et L’Estafette ou alors Georges Clémenceau avec La Justice . La
presse devient un nouvel enjeu politique, les années de la Belle Epoque constituent son Age
d’Or, il y a plus de deux-millions de lecteurs à la fin des années 1880 et trois millions de plus
lors de l’entrée en guerre. Cependant la presse peut rapporter des voix mais également en
faire perdre … C’est d’ailleurs par cette même presse que sont apparus aux yeux incrédules
des lecteurs ces mots d’Alfred Capus, journaliste du Gaulois : « Jadis on était décoré
32
content. Aujourd’hui on n’est décoré que comptant
». Ils inaugurèrent, ce que l’Histoire
retint comme le scandale des décorations. La presse informe le peuple et agit ainsi comme
un contre-pouvoir populaire et ce, pour l’une des premières fois. L’échiquier politique qui
était auparavant relativement fermé et opaque se retrouve face à un nouvel acteur, ou plutôt,
devrait-on dire une nouvelle actrice. A chaque fois le même scénario, un journaliste qui
fouine, tire un fil et tombe sur une boîte de Pandore. La presse découvrit et exploita durant
ces années de nombreux scandales : l’Union Générale, Panama, Dreyfus, etc. Ils eurent
tous pour effet de bousculer fortement la classe politique, faisant tomber des têtes et valser
des ministères. En outre, à travers la presse on peut voir l’image que ce président avait
auprès de ses contemporains, politiques d’une part mais également plus simples comme
ses concitoyens, les français de base vivant en France à la fin du XIXème. En effet, comme
le souligne Delphine DULONG, « derrière la célébration du mort, c’est la société qu’on
33
aperçoit
». Cette presse qu’on pourrait qualifier de classique, est très différente de celle
que l’on connait actuellement, d’une part par le nombre car il existait une pléiade de journaux
34
à la fin du XIXème : une soixantaine de grands quotidiens nationaux et des milliers de
quotidiens régionaux. D’autre part, la presse papier connaissait une situation de monopole
médiatique, de fait, la radio et la télévision n’existaient pas encore d’où son importance dans
la formation des opinions. Ensuite, la presse du XIXème se caractérise par une grande
volatilité des lignes éditoriales, celles-ci dépendent surtout de l’étiquette du rédacteur en
chef du journal, l’exemple le plus édifiant est celui de La Presse qui tirait pourtant un million
d’exemplaire lors de l’évènement qui nous intéresse. En effet, ce journal fondé en 1836
a soutenu entre autre : Louis Napoléon Bonaparte, l’opposition libérale au II° Empire, le
Conservatisme, le Bonapartisme, la République, le Boulangisme, etc. Enfin la presse de la
IIIème République est plus violente. Cela peut s’expliquer par le fait que l’échiquier politique
était très étendu, le contexte historique était turbulent et les différents débats de sociétés
déchaînaient les passions. Ces années-là marquent définitivement la fin d’une époque, la
véritable fin politique de l’Ancien Régime caractérisé par le royalisme et la prédominance
du clergé et son remplacement par une doctrine républicaine. Ce changement fondamental
se traduisit dans la presse par des propos parfois d’une extrême violence affectant ainsi le
jeu politique. On peut citer ici par exemple le suicide de Roger Salengro.
31
32
33
34
14
Dominique LORMIER, Histoire de la presse en France, Ed. De Vecchi, 2004
Le Gaulois, 07/10/1887, p.1
Delphine DULONG, Mourir en politique, Revue de sciences politiques, 1994/4, (vol.44), p.1
Dominique LORMIER, Histoire de la presse en France, Ed. De Vecchi, 2004
GALODE Guilhem_2011
Introduction : Jules Grévy, sa vie son œuvre
Jules Grévy est un président relativement méconnu, d’ailleurs une majorité de nos
contemporains vient même à en ignorer l’existence. Il s’agit cependant du premier Président
de la République Républicain élu, il achève la République des monarchistes qui n’avait pour
but que de donner les pouvoirs au Comte de Chambord pour qu’il rétablisse la royauté. Il
arrive dans une période de grande incertitude, bien que la révolution industrielle batte son
plein en France il ne faut pas oublier que le climat géopolitique est incertain. La France a
perdu en 1870 la guerre contre la Prusse, deux provinces, a vu son territoire occupé et a été
ruinée par les indemnités de guerre. Durant son mandat, la République s’est enracinée dans
les institutions mais par-dessus tout dans les esprits, c’est sous ses magistratures qu’ont
été votées les principales libertés fondamentales dont nous bénéficions toujours aujourd’hui
et qui apportent du crédit à notre surnom de nation des droits de l’homme. Par ailleurs, il
a été capable d’apporter une base symbolique à la République. Cependant le tort de cet
homme est d’être parti à la suite d’un scandale et après avoir été le premier président réélu
il a été le premier à démissionner ; ironie du sort ! Comme chacun le sait, c’est la dernière
impression que l’on retient le mieux mais ce n’est pas toujours la bonne car elle ne reflète pas
l’œuvre objective du défunt. En effet, Grévy bête politique aux cinquante années de carrière,
à l’ascension fulgurante jusqu’à la plus haute magistrature, au bilan révolutionnaire n’est
resté dans les mémoires qu’à cause d’une chute pitoyable qui n’a même pas été provoquée
de son propre fait.
GALODE Guilhem_2011
15
LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
CHAPITRE I : LES PERCEPTIONS
LOCALES ET INTERNATIONALES
Il convient de préciser tout d’abord quel est l’éventail de la presse locale en 1891. On va ici
étudier les réactions de deux journaux jurassiens et de deux journaux régionaux. Les deux
premiers sont la République du Jura de tendance républicaine modérée et la Croix du Jura
de tendance catholique conservatrice. Puis on étudiera deux journaux régionaux. Le Petit
Comtois, un journal républicain opportuniste se revendiquant de l’héritage de Gambetta,
s’adressant au petit peuple de Franche-Comté, paysans et ouvriers horlogers, à ces «
nouvelles couches » dont parle Gambetta, il connaitra un succès. Est-ce que les journaux
arriveront à se détacher de l’image positive du grand-père illustre qui était leur voisin ou
adopteront-ils un point de vue plus tranché ?
A.LES PERCEPTIONS LOCALES : UN PRESIDENT
JURASSIEN
1.Une fierté Jurassienne
Le Jura et sa région, la Franche-Comté ont toujours été des terres républicaines, bien que
majoritairement paysannes, elles ont vus naître des penseurs socialistes tels que Proudhon,
Fourier ou des écrivains romantiques tels que Charles Nodier ou Victor Hugo. C’est dans
cette terre résolument égalitariste que naquit, vécut et mourut Jules Grévy, homme politique
Républicain et Président de la République.
a.La République du Jura
L’édition spéciale de la République du Jura consacrée à sa mort revient avec des termes
élogieux sur la trace qu’a laissé et que laissera ce grand citoyen. Dans la première partie ?
de l’article le journaliste insiste sur les racines résolument Républicaines de Jules Grévy et
de sa famille « Son père parti en 1792 à Valmy pour sauver la patrie en danger … il fut élu
chef de bataillon par ses pairs … une fois de retour à Mont-sous-Vaudrey il fut élu juge de
Paix … l’histoire de la famille Grévy est une histoire emplie de la grandeur majestueuse de la
35
République
». On observe ici que le journal appuie fortement sur l’enracinement de Grévy
et de sa famille dans la région, on ne peut que constater que c’est une traitement typique
d’un journal local parlant d’un auguste personnage. Cette feuille insiste sur la continuité de
sa famille dans l’engagement républicain, son père était allé se battre à Valmy ce qui doit
avoir une certaine résonance alors que l’on vient de fêter deux ans auparavant le premier
centenaire de la Révolution.
35
16
La République du Jura, 12/09/1891, p.1
GALODE Guilhem_2011
CHAPITRE I : LES PERCEPTIONS LOCALES ET INTERNATIONALES
La suite de l’article loue les qualités analytiques, la clairvoyance de Grévy. Il relate
l’amendement Grévy qu’il défendit en 1848 devant l’assemblée Constituante de la IIème
République, cet amendement prévoyait que le Président de la République ne pouvait être
élu au suffrage universel car cela allait faire de lui un monarque républicain doté d’une
légitimité trop importante. « Cet amendement, s’il avait été accepté aurait épargné peut-être
36
à la France dix-neuf années d’empire et la guerre finale
. » L’article continue de louer
les qualités prophétiques de Jules Grévy en ajoutant une citation du discours que Grévy
prononça contre le plébiscite du Président des Français Louis Napoléon Bonaparte en 1851.
« Quand on place une nation entre le fait accompli et le néant, en la trompant, en la terrifiant,
je dis que la réponse qu’on lui demande est un ordre qu’on lui donne … il est manifeste
que le plébiscite n’est pas une manière de connaitre la volonté nationale : ce n’est qu’un
37
moyen de la confisquer.
» Moins d’un an plus tard, le Second Empire était né. Le journal
s’étend bien évidement sur les grandes lois prises sous sa présidence mais retient que le
plus grand succès de Grévy reste la pérennisation de la République à travers sa vision de la
présidence. Une présidence en retrait, laissant les affaires courantes à l’organe émanation
de la volonté populaire, à savoir l’assemblée : « Le vœu de l’ancien président a été accompli
et les efforts tentés par la coalition réactionnaire pour rétablir la présidence plébiscitaire dont,
38
dès 1849, il pressentait les dangers ont piteusement échoué.
». Ce journal soutint Grévy
39
durant toute la durée de son mandatnotamment lors de sa réélection . Il était proche du clan
Grévy et l’avait soutenu activement en plein scandale des décorations, en dénonçant un
complot du clan Ferry pour faire tomber Grévy. Le journal arguait à l’époque : « Maintenant
Grévy doit rester. Il faut qu’un ministère soit formé, quel qu’il soit, pourvu qu’il sauve la
France des mains de Ferry, des mains de la droite. Après on avisera mais qu’on sauve la
40
république, qu’on sauve le pays !
». La République du Jura a été durant cette tempête
médiatique l’un des seuls organes à soutenir l’enfant du pays ce qui n’est pas le cas de la
majorité des journaux, y compris républicains. Après la déchéance de Grévy, le journal a
continué à couvrir les sorties protocolaires de l’ancien Président, à mettre en avant l’affection
de la population locale et à démentir les rumeurs sur sa mauvaise santé. C’est en effet
l’un des seuls journaux à rapporter ces faits car Grévy juste après la crise et sa démission
du 2 décembre 1887 quitte la vie politique et prend sa retraite dans le Jura. Il y demeure
quelques années quasiment coupé du monde et les médias se désintéressent totalement
de lui : après la déchéance, l’exil. Le journal conclut, ce qu’il faut bien appeler un éloge
par ces mots : « M Jules Grévy laissera parmi ses contemporains le souvenir d’un esprit
solide à la fois ferme et modéré qui n’aura jamais dévié de la ligne que lui tracèrent ses
convictions fermement républicaines et qui a présenté l’exemple, rare de nos jours d’une
fidélité inébranlable aux principes de toute sa vie. Grévy restera l’honneur et une des gloires
41
les plus pures de notre troisième République
». Le souvenir que doit laisser Grévy
selon le journal est celui d‘un homme juste, droit, constant dans ses opinions, qui a été l’un
36
37
38
39
idem
Id.
Id.
Id. «Grévy a une correction parlementaire, sa notoriété considérable, sa conduite irréprochable, son honnêteté proverbial,
son attachement à la république démontré. »
40
41
La République du Jura, 03/12/1887, p.1
La République du Jura, 12/09/1891, p.1
GALODE Guilhem_2011
17
LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
des instigateurs de la République. C’est l’avis partial d’un journal qui en plus de connaître
une proximité idéologique avec l’ancien président avait également une proximité territoriale
forte, d’où cet éloge.
b.Le Petit Comtois
L’édition du Petit Comtois, journal de tendance Gambettiste lui aussi fait sa une sur Jules
Grévy, comme beaucoup de journaux, il recopie une biographie officielle datant de 1877
occultant ainsi son passage à la présidence. Ceci s’explique par le fait que la mort de
Jules Grévy survenue le 9 septembre au matin n’a été rendue publique que le soir même
d’où des journaux pris de court pour sortir l’édition du lendemain. Déjà la presse avait
cette volonté du scoop, avoir l’information avant tout le monde quitte à ne rien écrire de
véritablement intéressant. Cette biographie parlementaire écrite par Jules Claire en 1877
est très protocolaire, elle ne traite que de la vie politique de Jules Grévy et est très élogieuse.
Elle loue Grévy pour ses qualités de juriste et de devin , cette bête politique, machine
d’intelligence froide qui avait une lecture très fidèle de l’échiquier politique et pouvait donc
anticiper ses réactions. Le journal semble être assez critique vis-à-vis de la presse nationale
qui oublie quelque peu les apports de sa présidence à la République, il fait d’ailleurs ce
reproche au Parti Républicain dont Grévy a été le chef de file durant plus de dix ans. « Il
serait oiseux de refaire ici l’Histoire … l’avènement de M. Grévy à la présidence marque
la première heure du triomphe définitif du parti républicain sur la coalition monarchiste et
cléricale.
42
». Le journal, par ailleurs Franc-Comtois tient également de rendre hommage
43
à Jules Grévy « un illustre enfant de la terre Franc-comtoise
». Le journal fait également
fi du scandale des décorations ayant entrainé la chute de Grévy faisant abstraction « des
accusations entassées durant les heures les plus douloureuses » et ajoute « le grand citoyen
qui vient de s’éteindre n’a rien à craindre du verdict de la postérité ». Il est intéressant
de souligner le caractère positif de cette nécrologie. Il ne faut pas oublier que ce journal
est de tendance Gambettiste. Or Grévy a tout fait pour que Gambetta n’accède pas aux
responsabilités car il ne voulait pas s’attirer les foudres sur le plan interne des modérés
ainsi que de l’opposition monarchiste et sur le plan externe des chancelleries européennes.
Par ailleurs, il était de notoriété publique que les deux hommes ne s’appréciaient guère,
Grévy le surnommait le « dictateur » en raison de sa propension au pouvoir personnel. Par
ailleurs, il lui reprochait d’avoir continué une guerre perdue d’avance face à la Prusse qui a
44
fait perdre « des vies et deux provinces à la France ». Au contraire Grévy avait du respect
pour Adolphe Thiers car il avait su négocier la paix avec la Prusse, c’est pourquoi il sera
proclamé à titre posthume libérateur du territoire par Gambetta.
42
43
44
18
Dans son édition du 12 septembre, le journal fait un rapide rappel de la politique
extérieure de la France des vingt dernières années. Le Petit Comtois qui a condamné
par le passé, comme la majorité de la population, la politique étrangère menée sous
Grévy va cependant l’exempter de deux manières. Historiquement tout d’abord, le journal
en évoquant les fautes commises par les précédents régimes rappelle que l’expédition
mexicaine menée par Napoléon III lors des dernières années de son règne a été un
désastre. De même que la politique diplomatique piteuse de Louis-Philippe qui a poussé les
Anglais à faire alliance avec les Autrichiens. Ensuite le journal le disculpe en rappelant la
faible importance de son rôle dans le domaine extérieur. En effet selon cette feuille, Grévy
Le Petit Comtois, 11/09/1891, p.1
Idem
Pierre JEAMBRUN,
Jules Grévy ou la République debout
, Librairie Jules Tallandier, 1991,
GALODE Guilhem_2011
p.312
CHAPITRE I : LES PERCEPTIONS LOCALES ET INTERNATIONALES
n’était pas aux commandes de la politique étrangère puisqu’il s’agissait de Jules Ferry. Le
journal reproche à ce dernier sa politique colonisatrice pour « civiliser les races inférieures »,
mais le journal rappelle qu’ « une fois que le politique de M. Ferry a été connue, elle a été
45
frappée du suffrage universel, de telle façon qu’elle ne put jamais réapparaître.
» Il est
fait référence ici à la deuxième expédition du Tonkin qui a provoqué en 1885 la chute de
son gouvernement et le sobriquet de « Ferry-Tonkin ». Le journaliste achève sa rubrique en
écrivant que la politique étrangère de la France ne devrait pas être l’œuvre d’un seul homme
mais de l’assemblée afin qu’elle soit plus juste et éclairée. Cependant il est intéressant
d’observer que la Constitution Grévy qui, certes, prévoyait un président effacé derrière le
législatif lui permettait cependant de s’adjuger les affaires étrangères. C’est pourquoi on
peut estimer que l’attitude du journal est complaisante car Grévy savait et a même d’une
certaine façon mené la politique colonisatrice de la France dont l’expédition de Tunisie et
celle du Tonkin sont les deux exemples les plus frappants.
Le Petit Comtois du 13 septembre s’ouvre sur ces mots « la mort a des rigueurs à nulle
autre pareilles mais elle a aussi de tardives et suprêmes réparations », cette citation ouvre
une biographie élogieuse du président défunt, titrée « Acte de Justice ». Le journaliste tenta
de réhabiliter le bilan de cet homme en passant en revue les qualités qui ont jalonné ses
cinquante années de carrière. L’article commence par étudier son action durant la IIème
République et salue sa capacité analytique très développée : « Repassez toute la carrière
de M. Grévy, en 1848 comme en 1869 comme au lendemain de la chute de l’empire, au
24 mai 1873 comme au 16 mai 1877, vous constaterez la même inflexible et clairvoyante
46
sagesse.
» Il met en lumière la capacité de Grévy à chaque tournant institutionnel d’être
dans le vrai et de prévoir les bienfaits ou les méfaits d’une future loi. Il est vrai que si on
repasse en revue ces dates on constate que : en 1848 Grévy se prononce contre le statut
de Président de la République élu au suffrage universel direct car cela lui donne trop de
légitimité et peut accoucher d’un césar républicain. Moins de deux ans après ces paroles,
Louis Napoléon Bonaparte élu président des Français, fomente un coup d’état qui donna
le Second Empire. En 1869, il condamne le plébiscite que veut mettre en place l’Empire
agonisant pour se maintenir aux affaires dans ces termes, « la question que vous lui posez
47
[au peuple] est un ordre que vous lui donnez !
». Par la suite en 1870, il met en
garde l’Empire contre le piège de la dépêche d’Ems et contre une guerre que la France ne
peut gagner, Grévy fut, en effet parmi les dix députés sur deux-cent quarante-cinq à voter
contre. Il s’en suivit la défaite écrasante à Sedan, la capture de l’empereur, l’occupation
du territoire, une ruine budgétaire due aux indemnités de guerre. Le 24 mai 1873, il laissa
Thiers se faire renverser par l’opposition conservatrice car il s’était retiré de la présidence de
l’assemblée deux mois auparavant suite à un incident de séance, ainsi il devint le nouveau
champion des républicains. Le 16 mai 1877, devant la dissolution de Mac-Mahon il sut
prédire le retour gagnant des Républicains à la Chambre et ainsi la fin de la république
monarchique. Durant tous ces évènements, Grévy fit montre d’une excellente lecture de
l’échiquier politique qui effectivement s’apparentait à une clairvoyante sagesse. Par ailleurs,
le journal rend hommage à Grévy, le constitutionnaliste, qui s’efforçât de ne jamais entrer
en conflit avec le Parlement, ce dernier fut-il en opposition avec lui, sur certaines questions,
notamment lors de la discussion du scrutin de liste qu’il comparait à un plébiscite déguisé.
Cependant il sut « faire abstraction de ses sentiments ». Par la suite, le journaliste fait
45
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47
Le Petit Comtois, 12/09/1891, p.1
Le Petit Comtois, 13/09/1891, p.1
Pierre JEAMBRUN,
Jules Grévy ou la République debout
GALODE Guilhem_2011
, Librairie Jules Tallandier, 1991,
p.123
19
LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
48
l’éloge de Grévy, le tribun dont les mots « ressemblaient à des médailles antiques
».
Ensuite, c’est Grévy le pacifiste qui est mis en avant car il sut « sauver la cause de la
49
paix
» en évitant que l’incident de Schnæbelé ne prenne une tournure dramatique.
Enfin le journal rend hommage à Grévy, l’homme, exemple de sympathie et d’intégrité,
50
d’une « rare délicatesse de cœur », le « vieillard illustre » est magnifié comme étant une
sorte de patriarche, une figure paternaliste de la République. Enfin l’article s’achève en
faisant l’apologie de son gouvernement nécessaire, ouvrage qu’il a écrit en 1873, celui de
la République par le peuple pour le peuple.
L’édition du 14 septembre ne parle pas du décès mais du discours de De Freycinet
sur l’état de l’Europe et les manœuvres militaires à l’est. Les dernières éditions ont fait part
des préparatifs des funérailles de Grévy en précisant ses derniers instants, apporté des
précisions sur la congestion pulmonaire qui l’a emporté et les derniers sacrements. L’accent
est mis sur une communauté d’habitants qui entoure « son défunt », l’enfant du pays
dans ses derniers instants, Grévy a en effet reçu la visite du maire du village, d’une partie
du conseil municipal, des curés de Mont-sous-Vaudrey et de Poligny, … L’article précise
également que les funérailles de Jules Grévy seront nationales, en effet une résolution
du Parlement prévoit une dotation pour celles-ci. Le gouvernement sera représenté par
Ferry et De Freycinet. Cependant le journal ne fait pas écho des grandes absences à cet
enterrement. En effet puisqu’il s’agit de funérailles nationales, on pourrait être en droit de
penser qu’il y aurait de nombreux représentants du monde politique. Par ailleurs, l’absence
la plus évidente est celle du Président de la République en exercice, Sadi Carnot qui
est pourtant censé représenter la France lors des cérémonies officielles. Cependant cette
absence peut être justifiée par le fait que l’étiquette voulait qu’un Président de la République
51
en exercice n’assiste pas aux funérailles de son prédécesseur . Carnot apposa cependant
52
un mot au cahier de condoléances ouvert à l’Hôtel d’Iéna , résidence parisienne de Jules
Grévy.
L’édition du 15 septembre relate l’enterrement, elle s’ouvre par ces mots, « Les
obsèques de l’ancien Président de la République ont revêtu un caractère solennel,
53
grandiose et émouvant
», le journaliste continue, « elles ont été, en dépit des
clabauderies réactionnaires, dignes d’un grand républicain, d’un grand citoyen ». On
souligne ici que les obsèques nationales de Jules Grévy ne sont pas au gout de tout le
monde politique. En effet, bien que la mort soit, « un moment particulier de la compétition
54
politique
» durant lequel généralement la joute se met entre parenthèses pour respecter
le défunt, il n’en demeure pas moins qu’il demeure des dissensions. En effet, pourquoi selon
les conservateurs, offrir des funérailles nationales à un homme politique, premier magistrat
de surcroît, alors que celui-ci s’est servi de sa situation pour s’enrichir personnellement
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Le Petit Comtois, 13/09/1891, p.1
idem
Id.
La Croix, 11/09/1891, p.1 « La famille de M. Thiers ayant refusé au 16 mai les honneurs … l’étiquette exige que Carnot
n’assiste pas aux obsèques de son prédécesseur, il se fera représenter par un officier de sa maison militaire »
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20
L’Avenir du Jura, 12/09/1891, p.1
Idem
Delphine DULONG, Mourir en Politique, Revue française de sciences politiques, 1994/4 (vol.44), p.2
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CHAPITRE I : LES PERCEPTIONS LOCALES ET INTERNATIONALES
et ainsi être la négation totale des principes qu’il devait s’évertuer à défendre ? Pour
appuyer un certain manque d’objectivité du journal, on peut s’amuser en observant qu’une
couronne mortuaire figurant sur le char funèbre portait l’inscription du Petit Comtois …
M. Carnot est représenté par le Général Brugère, le gouvernement par M. De Freycinet
Président du Conseil dont Grévy était intime. La famille quant à elle est représentée par
Albert Grévy, sénateur et le Général Grévy, ses deux frères mais également par le gendre
Wilson. Il est à noter ici qu’il n’y a aucune commentaire sur la présence de Wilson ici
qui pourrait paraître un peu déplacée à des obsèques nationales car c’est tout de même
ce dernier qui a entrainé la chute de son beau-père lors du scandale des décorations en
1887. Cette absence de réflexion s’explique par le fait que le journal était proche du clan
Grévy mais également car Wilson a soutenu financièrement cette feuille. Bien qu’il ait été
innocenté par la suite, l’opinion publique garde une image très négative de cet homme
qui est décrit comme carriériste, pingre, manipulateur et malhonnête. Pour une partie de
l’opinion publique Républicaine, Wilson a été le gendre manipulateur qui a su se servir d’un
beau-père président, un grand-père aveuglé par l’amour de sa famille. Par ailleurs, le monde
politique n’en garde pas un meilleur souvenir. Lorsque Wilson est réapparu dans l’hémicycle
après sa réélection, le parlement, à titre de protestation a voté la suspension de séance.
Wilson resta seul comme un triste sire dans les travées désertées par ses collègues. Le
journal joue sur la présence importante d’officiels en précisant qu’il leur est « impossible
de donner tous les noms des parlementaires, des corps élus qui avaient regardé comme
55
un devoir de venir rendre un suprême hommage à l’ancien Président de la République
». Par ailleurs, on peut noter également la présence d’une représentation militaire, des
élus locaux, ainsi que de représentants du monde du spectacle. S’en suit le discours de
Freycinet sur la tombe de Grévy, ce dernier commence par décrire l’homme, un homme
qui, « ayant tous les droits de se sentir supérieur, s’appliquait à faire oublier la distance …
c’est ce qui faisait le charme indéfinissable de ses relations et qui explique que tous les
56
ministres sont devenus successivement ses amis
». En dépit des qualités humaines de
Jules Grévy qui ressortent de sa biographie et de l’impression de ses contemporains, il est
faux d’affirmer que tous les ministres étaient ses amis. Pour ne prendre que les exemples
de Jules Ferry et de Léon Gambetta, Grévy a toujours essayé de leur barrer la route car il
avait de nombreuses divergences d’opinion, s’en sont suivies des relations tendues. Grévy,
dans sa mission de nomination ministérielle favorisait toujours les qualités humaines au
poids politique des personnes, c’est pourquoi un De Freycinet duquel il était très proche
a toujours été privilégié à un Gambetta. Le président du Conseil continue en affirmant
que « Pendant plusieurs années, par la force des choses, la République s’était appelée
Thiers ou Gambetta, il paraissait impossible qu’elle devint anonyme, pourtant il le fallait pour
l’avenir des institutions d’un peuple accoutumé sous diverses formes au pouvoir personnel :
57
il fallait lui apprendre ce qu’était le pouvoir impersonnel
». C’est là un hommage à la
Constitution Grévy et plus largement à l’idée que Grévy s’était faite du pouvoir présidentiel.
De ses premiers discours en 1848 jusqu’à la fin, Grévy a défendu l’idée selon laquelle le
Président de la République ne doit pas être un dictateur Républicain. Celui-ci ne doit pas être
élu au suffrage universel, la réalité du pouvoir politique appartient aux assemblées seules
représentantes du peuple souverain. Grévy aurait certainement adopté l’adage, pouvoir
unique pouvoir inique. C’est pourquoi il a toujours adopté la posture du président effacé qu’il
55
56
57
Le Petit Comtois, 12/09/1891, p.1
idem
Id.
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21
LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
a décrite dans le gouvernement nécessaire, un système où « l’assemblée a le dernier mot …
58
les ministres devaient être en totale indépendance. » De Freycinet poursuit en arguant
qu’ « irresponsabilité ne signifiait pas indifférence, il s’efforça dès lors d’être le conseiller,
le guide, la lumière de ses ministres. » Le président de la Constitution Grévy était certes
effacé mais il n’en demeure pas moins qu’il était le chef protocolaire du gouvernement. Il
siégeait au Conseil des Ministres et pouvait faire part de remarques voire aiguiller les choix.
Grévy était un homme qui parlait peu mais dont la voix comptait, donc lors de la délibération
d’un projet de loi s’il énonçait une remarque, une réserve d’ordre légale, il avait l’attention
des autres ministres, sans pour autant bien sûr prendre part à la délibération même. Il
avait pour habitude de glisser des conseils de prudence comme à l’issue d’un Conseil des
Ministres portant sur la loi des congrégations « je pense que vous aurez réfléchi au parti
qu’on pourra en tirer contre vous … c’est du reste votre affaire messieurs, je n’en parle que
pour vous éclairer
59
». Il poursuit en louant les qualités de juriste de Grévy, « en toute
60
question, il dégageait le droit et en faisait comme le phare de la route à parcourir
», il
était de formation juridique, avocat de profession et a toujours considéré le droit comme un
leitmotiv. Si l’on étudie son parcours, toutes ses décisions ont été guidées par le droit, c’est
au nom du droit notamment qu’il a soutenu la répression de la Commune de Paris en 1871,
il argua devant l’Assemblée Nationale le 20 mars « qu’un gouvernement factieux se dresse
61
en face de la souveraineté nationale dont vous êtes les seuls légitimes représentants !
». Il a toujours eu le souci de la légalité contre les sentiments qui peuvent mener à des
décisions illogiques et dangereuses. De Freycinet achève son plaidoyer par ces mots :
« nous avançons dans les sentiers bâtis de leurs robustes mains [Grévy et Gambetta], la
République est aujourd’hui assise et incontestée ; la France est forte et respectée ». C’est
là où est la véritable œuvre de Grévy, il a fait partie de cette « République des Jules »
qui a assis la République durablement en France. Des débats de 1848 lors de la Seconde
République aux grandes lois garantes des libertés fondamentales, Grévy a toujours défendu
la République, contrairement à Thiers qui n’a rallié sa cause que sur le tard. Le journal
retranscrit également le discours de Thurel, sénateur du Jura, il est de la même teneur que
le précédent mais il met l’accent sur la proximité de Grévy, « il nous reste à dire adieu au
Jurassien, à celui qui nous appartenait d’une façon plus étroite qu’à toute la France, dont
62
nous avons droit de réclamer les titres et les services comme une part de notre patrimoine
». L’enfant du pays rejoint donc le panthéon républicain, il a contribué à la grandeur de la
France mais aussi de sa région.
L’édition du lendemain de l’enterrement, le 16 septembre voit publier la réaction du
« lecteur parisien », cet article condamne les attaques incessantes de la presse bonapartiste
63
et socialiste contre Grévy, qui l’ont « trainé dans la boue
» en dépit des services rendus
à la nation. Ce lecteur anonyme dénonce également les articles trop complaisants des
journaux Républicains car « chacun glisse sur les défauts bourgeois qui ont conduits à
sa chute ». Cependant il loue le système institutionnel que Grévy a créé car c’est le plus
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63
22
Jules GREVY, Le gouvernement nécessaire, Ed. Armand Le Chevallier, 1873
Pierre JEAMBRUN,
Jules Grévy ou la République debout
, Librairie Jules Tallandier, 1991,
Le Petit Comtois, 12/09/1891, p.1
idem
Le Petit Comtois, 15/09/1891, p.2
Le Petit Comtois, 16/09/1891, p.1
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p.239
CHAPITRE I : LES PERCEPTIONS LOCALES ET INTERNATIONALES
juste. Sur le plan interne il n’était qu’un simple juge entre les partis et sur le plan externe
sa consultation était obligatoire. « Le président de la République n’est pas un homme d’état
chargé de gouverner le pays selon ses vues personnelles, mais un magistrat, un juge
suprême qui exécute les volontés du Parlement » : le législatif légifère, l’exécutif exécute.
Il est très important de préciser encore une fois que Le Petit Comtois ne peut avoir un
64
jugement totalement objectif car il a été soutenu financièrement par le gendre de Grévy ,
Wilson qui possédait des parts du journal. De même, ses activités d’investisseur l’avaient
poussé à prendre des actions dans de nombreux quotidiens régionaux.
c.L’Avenir du Jura
L’Avenir du Jura est un journal de tendance républicaine modérée, il porte sur la mort de
Jules Grévy le même regard que les deux précédents journaux. Mais il s’intéresse dans
son numéro qui paraît dix jours après sa mort, le 19 septembre, plus particulièrement à la
politique étrangère de Grévy, aux relations franco-russes pour être plus précis. « Avec son
remarquable bon sens, Grévy voyait parfaitement quelle grande sécurité l’entente avec la
Russie devait procurer à la France. Aussi dans plusieurs moments critiques a-t-il donné des
preuves éclatantes de son désir de voir un accord avec la Russie se réaliser … Il fit alors
une démarche personnelle auprès d’Alexandre III … par son intervention a mit fin auprès de
65
Guillaume I à l’incident de Schnæbelé
». Le journal met au crédit de Grévy la création
d’une alliance franco-russe qui aurait empêché la France de se faire attaquer et de subir
66
une défaite lors de l’incident survenu en 1887 . Cette alliance, qui s’est également traduite
lors du premier conflit mondial est essentielle, en effet il faut pas oublier qu’avant 1905
et l’Entente Cordiale avec l’Angleterre, la France était démunie. L’Allemagne supérieure
démographiquement, économiquement et militairement est une véritable menace pour la
France en cette fin de XIXème. Il est important de préciser également que l’un des hommage
les plus vibrants hommage diplomatique à Grévy a été fait par l’ambassadeur de Russie,
Mohrenheim. Dans son hommage l’ambassadeur salue un ami de la Russie, un personnage
ayant travaillé ardemment au rapprochement des deux peuples et à la paix en Europe.
Malgré tout, il ne faut pas oublier que bien que le Jura et plus globalement la FrancheComté soient des terres traditionnellement Républicaines, elles n’en demeurent pas moins
très attachées à la religion. A cette époque, le clergé est bien implanté dans cette zone
car très paysanne, on peut en prendre pour preuve les incidents qui ont éclaté lorsque
la congrégation de Poligny a été chassée. Ce caractère religieux explique la présence de
nombreux journaux cléricaux qui ont relayé les attaques proférées par la République contre
leur dogme. C’est pourquoi la mort d’un Président de la République laïc ne peut pas les
laisser de marbre.
2.Grévy, le profane anticlérical
a.Le Franche-Comté, journal politique quotidien de la région est
64
Pierre JEAMBRUN,
Jules Grévy ou la République debout
, Librairie Jules Tallandier, 1991,
p..380 « Wilson
fait preuve d’un esprit novateur pour créer et soutenir des journaux régionaux populaires à cinq centimes … dont le Petit Comtois
à Besançon »
65
L’Avenir du jura, 19/09/1891, p.1
66
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23
LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
La Franche Comté, journal politique quotidien de la région est est un quotidien conservateur,
qui fait la synthèse des journaux nationaux pour la bourgeoisie franc-comtoise.
Son édition du 10 septembre met en relief le fait que la mort de Jules Grévy, sans passer
inaperçue, n’est pas traitée de la manière qu’on pourrait attendre. Le journal affirme que s’il
avait continué son mandat jusqu’à son terme, en 1893, sa mort en plein mandat aurait eue
des répercussions très importantes. Or sa mort après sa démission et sa retraite contrainte
67
explique que, « la mort de M. Grévy se voit presque réduite aux proportions d’un fait divers
». La relative représentation des officiels lors de son enterrement et la faible affluence
témoignent effectivement de ce manque d’engouement. Grévy est parti sous l’opprobre
publique, il s’est exilé, a été oublié. Le journal souligne, par ailleurs une contradiction
fondamentale « Détail curieux cependant, M Grévy est l’auteur de l’amendement proposé
à la constitution de 1848 et d’après lequel la république française pourrait fonctionner sans
président ! », Grévy, bien qu’appliquant une présidence effacée derrière le parlement, était
devenu le l’antithèse de sa propre doctrine qui refusait l’incarnation de la République dans
un personnage. Quant à son mandat, le journal argue qu’il a été « globalement correct »
mais il condamne « l’esprit sectaire qui lui fit signer sans la moindre résistance tant de
mesures odieuses contre le religion et la liberté … les décrets iniques et illégaux du 23
68
mars 1880
». Bien que l’auteur ici prenne en compte le caractère d’exécutant d’un
Grévy effacé derrière le Parlement, il lui reproche de ne point avoir protesté. Le journaliste
reconnaît ensuite que ce président a été le président du pouvoir impersonnel dont la France
avait besoin. La feuille fait abstraction « de la vulgarité des façons que l’on pouvait reprocher
69
à la présidente
», en effet Coralie Grévy, sa femme, était peu aimée par la presse et le
peuple, le journal d’extrême-droite Le Gaulois la surnommait même ‘la cuisinière’ en raison
de sa condition modeste. Cependant ici le journaliste lui reproche certains manquements à
l’étiquette dont elle a fait preuve au cours de cérémonies à l’Elysée en présence d’hôtes de
marque. L’auteur qui ne semble pas partager le caractère élogieux des autres quotidiens
locaux enchaîne en lançant une pique teintée d’ironie à l’encontre de Grévy « qu’importe
la même tendresse coupable dont il usa vis-à-vis des exploits discutables et discutés de
son fameux gendre M. Wilson ? M. Grévy était à l’Elysée pour restaurer l’étiquette qui avait
donné naguère tant d’éclat à la cour de France ? Sa liste civile il en usait au profit des siens,
mais quelle loi le lui défendait ? Victor Hugo, le Dieu du jour avait chanté ‘l’Art d’être grand
père’ : comment faire un crime à M Grévy de cultiver cet art lucrativement ?
70
».
Le journal contrairement aux autres journaux locaux ne semble pas oublier que Grévy
a été le premier magistrat de la République, le premier Républicain qui plus est. En raison
de sa fonction, il aurait du adopter une allure irréprochable, digne des fonctions qui étaient
les siennes. Au lieu de ça, il a laissé son gendre profiter de lui et a mis sa fonction et plus
largement la crédibilité de la République en péril. « Népotisme, favoritisme, mise à sac de
toutes les places au profit d’une bande de besogneux ; du ‘wilsonisme’ … ce système était
71
condamné à ne pouvoir plus durer au grand jour sans soulever des hauts le cœur !
» Le journal met en parallèle une dualité dans la personnalité de Grévy, tel Junon, avec
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70
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24
Le Franche Comté : journal politique quotidien de la région est, 10/09/1891, p.1
idem
Le Franche Comté : journal politique quotidien de la région est, 10/09/1891, p.1
idem
Id.
GALODE Guilhem_2011
CHAPITRE I : LES PERCEPTIONS LOCALES ET INTERNATIONALES
sa face publique : ‘Grévy l’intègre’ et sa face privée de patriarche faisant du népotisme
outrancier en offrant une place de conseiller à son gendre, un poste bien en vue en Algérie
à son frère, le général Grévy, ou un siège de Sénateur à son cadet. L’article s’achève de
manière assez brutale car pour le journal « Au total, ce républicain, dont le mérite, aux
yeux de l’opinion votante était de s’appeler « Grévy l’intègre » a fini misérablement dans
l’impopularité la plus pénible ... Faut-il rappeler ici qu’à la veille du jour ou Mlle Alice Grévy
devint la femme de M Daniel Wilson, Mgr Richard questionna le président sur les doctrines
religieuses de son futur gendre ? M Grévy répondit en se flattant de donner « un gendre qui
ne se confessa point ». L’expérience n’a guère bien tournée, M. Grévy n’a pas persévéré
pour lui-même en cette fatale résistance, et un télégramme nous assure qu’il a reçu les
derniers sacrements. Dès lors, paix à la cendre du premier président de la « vraie république
72
». Le journal d’obédience catholique termine donc en faisant un parallèle entre le manque
de foi religieuse du président défunt qui durant tout son mandat a lutté contre l’Eglise et
le scandale des médailles provoqué par ce gendre profane qui l’a entraîné dans sa chute.
Ironie suprême, ce mécréant sentant sa fin proche aurait retourné sa veste en réclamant
les derniers sacrements. Grévy que ce soit dans son parcours politique ou personnel aura
été un homme plein de contradictions.
Dans le bulletin du 11 septembre le rédacteur s’amuse en se demandant « Qui l’eut
crut ? On agite sérieusement la question de savoir si l’on fera des obsèques nationales à
73
Jules Grévy …
». On se demande si, à l’exemple de Thiers qui en 1877 avait bénéficié
des honneurs de la République, Grévy bénéficiera lui aussi. Contrairement au « libérateur
74
75
du territoire
» le « gérant de la boutique des décorations
» ne fait pas le consensus
même lors de sa mort. « Cette pauvre légion d’honneur, elle est pour les Grévy une tunique
de Nessus ; ils s’en embarrassent et leur cause des perplexités jusqu’après leur mort ». Il
est paradoxal de constater que même si la mort du politique est censée être un moment
particulier durant lequel le jeu politique se met entre parenthèses, on peut observer qu’à
l’époque du fait de la passion des débats, il n’y a guère de cessez-le-feu, même dans la
mort. L’édition du lendemain reprend le même thème, le journal se demande « Veut-on
reconnaître les services rendus au pays ? En ce cas, pourquoi expulsa-t-on du pouvoir il y
a quatre ans ‘l’homme éminent’ qu’on juge aujourd’hui glorieux ? … Ou bien se propose-t76
on de décerner des obsèques nationales à quiconque fut chef de l’état ?
». Le journal
de tendance conservatrice semble vraiment scandalisé par le mode de désignation aux
obsèques nationales, qui plus est si celles-ci sont payées avec l’argent du contribuable,
alors que la famille Grévy était qualifiée de richissime par la presse. Par ailleurs, il s’amuse
de constater que cet homme aujourd’hui adulé par toute la famille Républicaine avait juste,
quatre années auparavant été rejeté par toute la politique y compris par son propre camp.
Les Républicains ont la mémoire courte. Le journal reprend donc ce raisonnement en
syllogisme en affirmant qu’ « on s’engage à faire de telles funérailles au maréchal de MacMahon lorsqu’il terminera sa carrière, vraiment glorieuse et désintéressée ». Le journal
critique la panthéonisation Républicaine car celle-ci ne concerne pas des grands hommes
72
73
74
Le Franche Comté : journal politique quotidien de la région est, 11/09/1891, p.1
idem
Surnom posthume donné par Léon Gambetta à Adolph Thiers en hommage à son rôle dans la signature des accords de
paix avec la Prusse en 1871.
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76
Surnom donné à Grévy par la plupart des journaux nationalistes .
Le Franche Comté : journal politique quotidien de la région est, 11/09/1891, p.1
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25
LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
au destin exceptionnel ayant accompli des services incommensurables pour la France mais
juste des hommes qui ont accompli le devoir que leur déléguait leur mandat. Et dans le cas
de Grévy, on peut parler de devoir mal accompli. Il n’a fait qu’occuper une charge durant huit
années, ayant plus un rôle honorifique que véritablement politique et il n’a même pas réussi
à le mener jusqu’à son terme car il a été pris par sa propre pingrerie. Alors que Mac-Mahon
quant à lui a eu un destin exceptionnel, Maréchal de France, sur les champs de bataille
de Crimée jusqu’en métropole en passant par l’Algérie, il a su contribuer à la grandeur de
la France. Cependant il est amusant de constater que le journal fait abstraction de son
rôle dans la Commune, mais on peut comprendre qu’un journal de cette tendance ne s’en
émeuve pas. Il fait également l’impasse de son rôle durant la guerre Franco-prussienne où il
a été le grand perdant. Le bulletin se conclut par ces mots « au fond, ce pays ne manque pas
77
une occasion de prouver qu’il est monarchique jusqu’à la moelle
». En effet, un pays qui
réserve les honneurs à un homme qui ne fait qu’accomplir son devoir sans notion de valeur
ou de mérite est tout simplement une monarchie car seul un monarque peut bénéficier d’une
telle aura celle-ci lui étant déléguée par Dieu. Ce qui n’est pas le cas d’un Président de la
République qui ne doit se contenter « que » du suffrage de ses concitoyens et du pouvoir
temporel qui lui est attaché. Ce même Panthéon, le journal s’en moque dans son numéro
aux obsèques, on peut y lire « notre république que Gambetta déclarait ‘athénienne’ va faire
aujourd’hui à l’ex-président de splendides funérailles, où s’étalera tout le mépris du parti
pour ses propres doctrines et pour ses propres actes, ses doctrines il les renie en glorifiant
78
un homme par-dessus tous les autres
». En effet, c’est là où selon le journal le concept
Républicain pêche. Ces derniers veulent une République désincarnée et anonyme pour
éviter un coup d’état, or ils recréent le principe du Panthéon, ce même Panthéon dans lequel
seront inhumés Gambetta ou Carnot. Il ne faut pas oublier que c’est Grévy lui-même lors
de l’enterrement de Victor Hugo et son transfert au Panthéon en 1885 qui décide de rétablir
ce temple Républicain. Etant donné que le Président de la République de son vivant ne doit
pas incarner la République, pourquoi pourrait-il bénéficier d’honneurs extraordinaires lors
de sa mort ? Grévy qui n’a occupé qu’un poste de haut-fonctionnaire, qui en a bénéficié
d’ailleurs comme d’une rente alors qu’il se devait d’être irréprochable ne mérite pas de porter
l’épitaphe « la nation aux grands hommes reconnaissante ». Le journal critique également
le manque d’honneur des Républicains, cet homme qui a été jadis traîné dans la boue suite
au scandale de décorations mais également parce qu’ « ils lui en voulaient seulement de
garder trop longtemps une place à son propre gré », se voit maintenant honoré par ses
ennemis d’hier. Les Républicains se battent pour l’honneur d’incarner son héritage alors
que son cadavre est encore tiède.
La description des obsèques de Grévy dans le numéro qui suit détonne avec celle faite
par le Petit Comtois. Ici le Franche-Comté nous décrit un « spectacle sans la moindre portée
79
morale ou politique
», des participants qui « ne pouvaient se dispenser » d’y assister ,
bref une « banale curiosité ». Le journal s’amuse de la débauche de moyens qui a été
déployée devant le peu d’affluence : on a prévu vingt-trois wagons entre Besançon et Dole
alors que seules cinq personnes sont montées. Il est noté que Wilson ne montre « aucune
émotion » mais seulement une « complète indifférence », celui qui doit tout à son beaupère et qui a entraîné sa chute ne semble donc éprouver aucun remord. Le village est décrit
comme « un coin de province qui n’a jamais vu et ne reverra jamais de tel spectacle » et la
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26
Le Franche Comté : journal politique quotidien de la région est, 11/09/1891, p.1
Le Franche Comté : journal politique quotidien de la région est, 14/09/1891, p.1
Le Franche Comté : journal politique quotidien de la région est, 15/09/1891, p.1
GALODE Guilhem_2011
CHAPITRE I : LES PERCEPTIONS LOCALES ET INTERNATIONALES
peinture des participants, plus particulièrement des habitants est sévère : « les spectateurs
n’ont qu’un souci, se placer de manière à bien voir, … et quand ils ont bien vus, leurs yeux
80
brillent de satisfaction plus qu’ils ne se mouillent d’attendrissement.
». Ainsi l’enterrement
de Grévy, funérailles nationales que la République voulait hautement symboliques n’a été
qu’une foire à la faible fréquentation dans un coin perdu du Jura. A travers le traitement
ironique des obsèques de Grévy c’est toute la symbolique Républicaine qu’on raille et plus
largement les valeurs de ce système.
b.La Croix Jurassienne
La Croix Jurassienne est un journal d’inspiration comme son nom l’indique, religieuse. Elle
est par ailleurs une antenne départementale du journal national La Croix. C’est un journal
qui a une assez large audience dans le Jura car la grande majorité de la population est
paysanne et ces derniers ne sont pas exclusivement acquis à la cause républicaine. Alors
que les artisans visés par le Franc-Comtois le sont d’avantage. Ce journal va bien entendu
s’attaquer au bilan de Grévy mais plus spécialement aux lois de 1880 prévoyant notamment
la suppression des congrégations. Ce n’est pas tant l’homme privé que le journal attaque
mais l’homme politique trop effacé. Le journal rapporte une anecdote en ce sens : « Un de
ses amis intimes de Mont-sous-Vaudrey lui dit ‘mais dis donc c’est de bien vilains décrets !’,
le président lui répondit ‘assurément c’est une sottise, seulement je n’y suis pour rien, ce sont
les ministres … Il aurait pu ajouter ‘moi, je ne suis qu’un soliveau !’ ». Encore cette attaque
de président soliveau dont Grévy n’arrive pas à se défaire. Dans sa biographie Pierre
JEAMBRUN décrit un Grévy qui rassure le pape Léon XIII sur ses convictions religieuses
81
propres mais qui ne peut s’opposer aux travaux de ses ministres . Le journal reproche
également à Grévy sa pingrerie rappelant qu’il a épousé sa femme « contre un bas de laine
82
de six-mille francs
» ce qui n’est pas digne du comportement chrétien. Le journal insiste
enfin sur un évènement privé : ses derniers instants. Il s’interroge ; « que sert à l’homme
de gagner l’univers s’il vient à perdre son âme ? ». Il renchérit, « celui qui toute sa vie fut
un franc-maçon et un libre penseur, qui signa l’expulsion des religieux de leurs couvents,
des sœurs des hôpitaux, a senti la nécessité , pour se réconcilier avec le dieu qu’il avait
83
nié, d’appeler à son lit de mort le prêtre qu’il avait méprisé
». On peut émettre deux
observations : d’une part, celle selon laquelle la franc-maçonnerie est perçue de manière
très négative par les milieux religieux et plus globalement par la société française. En effet,
les francs-maçons ont été investis dans la Commune de Paris, qui représente pour les
religieux conservateurs les penchants révolutionnaires de la République. D’ailleurs, le père
de l’école laïque Jules Ferry est membre de la loge de la ‘Clémente amitié’ , il est le père
de la loi de 1880 contre laquelle les journaux catholiques écoulent leur fiel. D’autre part
le journal souligne le changement d’attitude, le retournement de veste de celui qui était
‘intègre’ et dont on soulignait la droiture et la continuité idéologique au travers des années.
Grévy sentant venir sa fin, la fin d’une vie impénitente, a du ressentir le besoin de se
confesser devant ceux qu’il avait maltraités, mais l’Eglise apostolique romaine, magnanime
80
81
Le Franche Comté : journal politique quotidien de la région est, 16/09/1891, p.1
Pierre JEAMBRUN,
Jules Grévy ou la République debout
, Librairie Jules Tallandier, 1991,
p.289 [A propos de la
loi de 1880], « il se retrancha derrière la distinction entre le président de la république et le conseil des ministres et rejeta toute la
responsabilité de la loi sur les ministres. »
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83
La Croix Jurassienne, 20/09/1891, p.1
idem
GALODE Guilhem_2011
27
LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
lui accorda son pardon. Cette dernière est moralement plus grande que la République et
ses bassesses temporelles. Le journaliste termine sa démonstration en se demandant s’il
y « aura toujours des travailleurs assez simples pour prendre au sérieux les grimaces de
tous ces parvenus qui jouent à la comédie pour avoir en retour honneurs pompeux luxueux
84
profits !
». A travers cette dernière tirade, il démontre que la religion est moralement et
philosophiquement plus grande que la République.
c.Le Courrier du Jura
Pour conclure cette partie on peut enfin s’intéresser à un journal à tirage plus limité, le
Courrier du Jura, il porte un jugement relativement pondéré sur l’ancien Président : « M.
Grévy est mort mercredi ou plutôt a achevé de mourir. Depuis longtemps, la place qu’il
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avait occupée dans l’opinion était vide et l’oubli s’était fait même autour de son nom
».
L’ascension de l’ancien président jusqu’à la magistrature suprême lui aura pris cinquante
ans, un scandale mineur l’a vu chuter et il a été oublié de tous en l’espace de quelques
mois. « L’ancien président par ses qualités d’esprit … était d’une pure race comtoise … qu’il
86
se tut ou qu’il parla il ne descendait pas de son piédestal de sage
», on comprend ici
que le journal cherche à magnifier ses racines, en bon franc-comtois Grévy parlait peu mais
juste. Toujours est-il qu’il avait une aura, cette aura de grand-père Républicain qui est assez
caractéristique de l’imagerie d’Epinal produite autour des grands hommes de la République.
Cette République est encore jeune et chaque province qui a sa singularité la transmet dans
la personnalité et les agissements des élus qui sont appelés à guider l’avenir de la nation.
Selon cette feuille, Grévy bien qu’étant un président actif n’avait pas d’idéologie arrêtée, il
n’avait pour bagage politique « qu’un vague libéralisme
87
88
» et c’est pourquoi « il était
toujours prêt à céder aux exigences de l’opinion
». Selon le journal, Grévy agissait plus
par opportunisme que par idéologie profonde, ce n’est pas ce en quoi il croyait qui l’a mené
aux cimes de l’état mais son carriérisme. Il lui reproche également sa politique étrangère
hasardeuse notamment au Tonkin et le népotisme républicain qu’il a créé et qui a entraîné
89
sa chute, « l’égoïsme conscient qui ne vient ni gérer ni stimuler le sens du devoir
»
et a pu constater qu’on « émerge de la foule qu’à la condition de la servir », ce qui ne fut
pas son cas. Au final, le journal local accorde l’absolution à Grévy car « Avec Grévy, le
90
Jura voit disparaître une race de républicain, celle-là même qui a fait la République
».
En dépit de toutes ses fautes de parcours, de ses erreurs de jugement, Grévy a le mérite
d’incarner le premier président de la République républicain qui n’a pas laissé la République
disparaître au profit d’un empire ou d’une monarchie. La République s’est pérennisée sous
sa présidence et rien que pour ça il mérite d’entrer au Panthéon républicain.
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85
86
87
88
89
90
28
Id.
Le Courrier du Jura, 13/09/1891, p.1
idem
Id.
Id.
Id.
Id.
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CHAPITRE I : LES PERCEPTIONS LOCALES ET INTERNATIONALES
Ces journaux locaux, qu’ils aient émis des jugements favorables ou défavorables à
l’encontre du président défunt, font tous fi des apports et aménagements dont Grévy a
fait bénéficier la région et plus particulièrement au Jura. Ce département s’est fortement
développé durant cette période, grâce bien évidement à la révolution industrielle ambiante
mais également grâce aux dotations fournies par Grévy. Bien qu’elle soit un carrefour
migratoire elle est peu desservie par les moyens de transports. Or ces derniers sont
essentiels pour le développement d’une économie, le moyen de transport privilégié de
l’époque est bien entendu le chemin de fer. Grévy durant toute sa présidence usa de son
influence pour développer le réseau ferré dans la région afin accroître les échanges entre
Rhône-Alpes et la Lorraine qui connaît un fort développement à l’époque. Pour l’anecdote,
on peut également noter que Grévy a créé une ligne de chemin de fer entre Dole et Poligny
91
qui desservait Mont-sous-Vaudrey . .La ligne, peu rentable a été supprimée au début du
XXème mais peut-on vraiment l’en blâmer ? Les présidents de la IIIème construisaient des
lignes de chemins de fer, ceux de la Vème des autoroutes, on ne peut que saluer une
certaine continuité. Le rédacteur du journal Le Gaulois ne s’y était pas trompé en décrivant
Mont-sous-Vaudrey comme « un village, presque un hameau perdu au milieu des bois qui
ne doit sans doute qu’à Grévy la petite ligne de chemin de fer qui le dessert
92
».
On a pu constater dans cette première partie que les journaux locaux sont partagés sur
le bilan de Jules Grévy, les journaux de droite qui représentent les paysans conservateurs
lui reprochent ses positions anticléricales, son absence de ligne de conduite politique car il
a occupé un poste qu’auparavant il exécrait. Les journaux Républicains quant à eux louent
la bonté de l’homme et la sagesse clairvoyance du politique. Il a bien mérité les honneurs
de la nation car il a su, lui et les autres Jules, pérenniser le modèle Républicain. On rapporte
également le Grévy privé, enfant du pays qui dans sa grande sagesse a su préserver la
région et la France d’un noir dessein. Il incarnait l’idéal du bourgeois de province éclairé
mais proche des gens grâce à cette simplicité toute Franc-Comtoise. Il avait la faculté à la
fois de guider la France et de prendre des décisions d’une complexité exceptionnelle mais
également de parler simplement à ses proches concitoyens qu’il tutoyait affectueusement.
On peut noter ici que c’est ce qui fut porté au crédit de Georges Pompidou, cette faculté
de communiquer avec les français moyens, inaugurant ainsi la communication politique
moderne. C’est cette proximité qui manqua quelques années plus tard à Edouard Balladur
et qui lui fit défaut contrairement à son adversaire Jacques Chirac alors qu’ils visaient le
même électorat. Dans un cas comme dans l’autre, il est fait abstraction de son rôle durant
la Commune de Paris dont, même les biographies ne font pas référence. Les Républicains
préfèrent oublier ce qui a été pour eux une erreur de jeunesse. Les conservateurs gardent
en mémoire ces rouges avinés qui ont mis Paris à feu et à sang, qui ont faillit rétablir la
chienlit révolutionnaire mais qui ont été stoppés par Thiers qui a bien mérité son surnom
de libérateur du territoire.
Après avoir passé en revue les réactions locales, celle des journaux ayant une proximité
géographique et parfois affective avec le défunt, il faut se pencher à présent sur les
perceptions les plus éloignées, à savoir celles des journaux étrangers. Ces perceptions sont
intéressantes à étudier car la présidence de Grévy a été marqué du sceau de l’instabilité
diplomatique qui a failli replonger l’Europe dans la guerre.
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Annexe 4
Le Gaulois, 10/09/1891, p.1
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LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
B.LES REACTIONS INTERNATIONALES
1.Un pacifiste respecté des chancelleries européennes
Comme on a pu le voir avec la Constitution Grévy, le Président de la République était, certes,
effacé au plan interne, il ne jouissait que d’un pouvoir de nomination mais il avait un grand
pouvoir de décision sur le plan international. Grévy avait deux domaines réservés où sa
consultation était obligatoire ; les affaires étrangères et la défense. Il était donc connu et
respecté dans les chancelleries européennes et internationales. C’est pourquoi à l’annonce
de sa mort, les réactions à l’étranger furent brèves, mais nombreuses. Grévy est considéré
sous un angle différent selon les pays ; chacun d’eux a ses propres coutumes et il ne faut
pas oublier que pour la plupart des pays, la République n’est pas une évidence, pis, dans
cette Europe de fin de XIXème elle est l’exception.
a.Les journaux belges
La Réforme, le principal journal belge francophone assure que « le rôle de M. Grévy fut
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assez analogue de celui de M. Carnot
» en ce sens où « il fallait rassurer les modérés
et les puissances étrangères ». En d’autres termes, la République ne doit pas faire peur
sur le plan interne mais également sur le plan externe. Sur le plan interne, il faut que la
République se détache de son image révolutionnaire héritée des journées de 1848 et pardessus tout de la Commune de Paris qui a été perçue comme un traumatisme par une
majorité de politiques à l’instar de la population. La répression dans le sang de le Commune
avait peut-être ce but, éliminer les franges républicaines extrémistes pour rassurer le camp
modéré sur la capacité de la République à incarner également un pouvoir fort : une poigne
de fer dans un gant de velours. Sur le plan externe, la République fait également peur
car il ne faut pas oublier qu’en 1792 les monarchies européennes se sont liguées contre
la France car elles avaient peur que l’idéologie révolutionnaire ne traverse les frontières
et les mènent à l’abdication. Cependant, elles ont été défaites à Valmy. Toutefois l’esprit
reste le même, par exemple un régime impérial et autoritaire jeune comme l’Allemagne
de Guillaume Ier ne peut se permettre de voir son pouvoir combattu par une idéologie
étrangère, qui plus est, si celle-ci vient de son ennemi éternel. La Belgique, à l’époque
est une République censitaire et relativement francophile, c’est pourquoi cette réaction est
clémente. Elle retient un Grévy qui a « exercé une influence considérable au profit de ses
94
idées
», ses idées républicaines ont influencé son pays mais également l’Europe. Malgré
tout, le journal détonne par une dernière remarque selon laquelle « M. Grévy tout comme
95
M. Bismarck ne sut pas finir avec dignité
». En effet, un an avant la mort de Grévy,
Otto Von Bismarck, le chancelier allemand fut limogé de son poste à cause d’oppositions
politiques avec Guillaume II. Dans un monde politique à prédominance aristocratique où le
sens de l’honneur est très important, la dignité est de se retirer, pas de se faire limoger. Bien
que Grévy ait officiellement démissionné, il n’en demeure pas moins que la pression était
tellement forte suite au scandale qu’il ne pouvait rester, c’est donc une résignation forcée.
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95
30
La Réforme, 10/09/1891, in Le Constitutionnel du 11/09/1891
La Réforme, 10/09/1891 in Le Constitutionnel du 11/09/1891
idem
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CHAPITRE I : LES PERCEPTIONS LOCALES ET INTERNATIONALES
Voilà donc un point commun entre deux hommes, deux bêtes politiques que pourtant tout
opposait.
Les journaux belges L’Etoile belge et La Chronique s’attardent davantage que la chute
96
de Grévy, cette chute n’a été due selon eux qu’à « une faiblesse paternelle
», Grévy
n’est donc pas l’escroc que décrivent les autres journaux, il a été aveuglé par l’amour filial
car Grévy pour être président n’en est pas moins homme.
b.Les journaux anglais
The Daily Telegraph, l’un des principaux quotidiens du Royaume-Uni, après une longue et
élogieuse biographie, loue la capacité du président défunt à avoir su doter la France, lors
de cette dernière décade « d’un gouvernement bourgeois ». Il surenchérit au travers d’une
métaphore allant dans le même sens, « il a puissamment contribué par son grand tact et son
grand savoir à ramener la barque républicaine dans les eaux tranquilles où elle se trouve
97
aujourd’hui
». Bien que l’Angleterre victorienne soit une monarchie constitutionnelle
tout comme la Belgique d’ailleurs, à l’instar de celle-ci, elle salue la capacité de Grévy
à avoir su enraciner la République dans les cœurs et dans les institutions. En outre, on
peut comprendre par la métaphore de l’eau trouble qu’un personnage comme Grévy et
d’autres ont su en moins de vingt ans, se relever d’une guerre, libérer le territoire, mater
l’insurrection révolutionnaire communarde, résister à la pression monarchique, créer des
institutions républicaines viables, résoudre la crise de Schnæbelé, etc. C’est cette stabilité
acquise en si peu de temps que le journal semble louer. Le journal britannique encourage
l’émergence d’un gouvernement bourgeois pour éviter une chienlit socialiste. D’ailleurs, les
relations entre la France et son ennemi Napoléonien sont bonnes à l’époque, bien que
l’Entente Cordiale ne soit intervenue que quatorze ans après ces lignes, ces deux pays
sont unis contre l’Allemagne toute puissante. L’Angleterre n’apprécie guère cette nouvelle
puissance qui s’industrialise de plus en plus et développe sa marine de guerre. Pas plus
d’ailleurs que le régime des Junkers qui la domine ; et ce, malgré la proximité familiale des
deux monarchies.
Le Standard de Londres quant à lui est plus mitigé car il rappelle que Grévy était un
homme effacé, qu’ « il n’ avait pas l’ambition qui pousse tous les obstacles pour arriver à
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leur renommée
» mais que ses deux mandats ont grandi la France et qu’il restera « un
nom éminent pour la république ». Les citoyens se souviendront d’avantage de ses vertus
que de ses fautes. L’article rappelle également que sa chute n’est due qu’à son gendre
malintentionné. Sa démission s’est faite sans dignité car il s’est accroché « lamentablement
au fauteuil », mais il a eu cependant le courage de se démettre ainsi que le bon sens
de se retirer définitivement des affaires publiques après sa démission. Le journal achève
son article par une pique intéressante car il « affirme que [cela] le distingue d’un homme
d’état plus éminent, qui après être tombé en disgrâce n’a pas su accepter sa nouvelle
situation ». Il est bien entendu fait référence ici au départ de Bismarck du poste de chancelier
du Reich Allemand. Cette démission s’est en effet faite sous la pression du nouveau
Kaiser Guillaume II, qui avait des visions et un comportement très différents de ceux du
chancelier. Alors que Bismarck a gagné une guerre contre l’ennemi héréditaire, unifié les
Allemagnes, crée un système de protection sociale innovant, etc. Il est remercié seulement
96
97
L’Etoile belge, 10/09/1891
The Daily Telegraph, 10/09/1891 in Le Constitutionnel du 11/09/1891
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The Standard, 10/09/1891 in Le Constitutionnel du 11/09/1891
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LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
deux ans après ascension au trône de Guillaume. D’ailleurs, ce limogeage s’est fait d’une
façon assez brusque car Guillaume II lui a retiré son soutien, ce qui est pour l’époque un
affront caractérisé. Bismarck s’en retourne amer à Friedrichsruh mais il ne renonce pas à
la politique, arguant qu’ « on ne peut pas me demander, après avoir fait quarante ans de
99
politique, que, soudainement, je ne m'y intéresse plus du tout
». C’est ce silence qui
a manqué à Bismarck contrairement à Grévy, qui a su savoir quand il n’était plus désiré
et n’avais plus droit de cité. Alors que Grévy, en bon grand-père Républicain était parti
dans sa retraite silencieuse, Bismarck a essayé de s’accrocher au pouvoir et de continuer à
compter, et ce, malgré la désaffection de l’opinion publique allemande. Son retour gagnant
n’eut jamais lieu. Grévy ne le tenta pas car lui qui avait non pas quarante mais cinquante ans
de vie politique derrière, savait qu’on ne peut plus compter sans le soutien populaire et que
le silence est ce qu’il pouvait offrir de mieux. Cette différence de comportement entre deux
hommes qui ont été à la tête de deux états voisins qui se haïssaient s’explique par le fait
que l’Allemagne, en tant que régime autoritaire connaît un brassage politique moindre. Les
élites sont stables et inamovibles, alors qu’en France Républicaine, il y a un fort changement
de gouvernants. A l’ouest du Rhin, l’opinion publique fait la politique alors qu’à l’est, elle
est plus contingente. Les journaux anglais rendent hommage au Président défunt d’un pays
allié qui a œuvré pour la paix en Europe, ce qui explique un jugement positif.
c.Les journaux américains
Le cas de la presse américaine est intéressant car il s’agit d’une presse relativement libre
et indépendante très tournée alors vers le continent européen. Les relations entre ces deux
démocraties que sont la France et les Etats-Unis sont excellentes. Par exemple, c’est en
1886, sous la présidence Grévy que la France fit don de la statue de la liberté pour fêter
le centenaire de l’indépendance du pays. Le New York Times, principal quotidien du pays
avait déjà auparavant salué Grévy le 4 décembre 1887, deux jours après sa chute de s’être
100
retiré plutôt que de « consentir à un arrangement avec le général Boulanger
». Selon le
journal, Jules Grévy aurait préféré quitter le pouvoir plutôt que de former un ministère avec
un homme qu’il estimait dangereux pour la République et qui avait faillit envenimer l’incident
de Schnæbelé. La formation de ce ministère lui aurait permis de demeurer à son poste. Cette
101
version est cependant contestable car durant les nuits historiques précédant sa démission
plus personne ne voulait former un gouvernement, la crise étant trop avancée. Cependant,
le journal écrit dans ses colonnes que les radicaux voulaient former un gouvernement avec
Georges Boulanger au portefeuille de la guerre mais que Grévy a refusé et a préféré « se
retirer dans sa vie privée plutôt qu’être derrière un homme dans lequel il n’avait aucune
102
confiance
». Cette attitude a été motivée par l’antiparlementarisme du personnage
mais également par le mécénat forcené de la duchesse d’Uzès, militante royaliste qui aurait
remit trois millions de francs au général pour défendre sa cause. Le journal conclu en disant
qu’au moins Grévy ne servira pas d’outil à la cause monarchique. Cependant un article paru
peu de temps après sa mort critiquait le faste dans lequel il vivait dans son hôtel particulier
99
« Aber das kann man nicht von mir verlangen, dass ich, nachdem ich vierzig Jahre lang Politik getrieben, plötzlich mich
gar nicht mehr damit abgeben soll. »
100
101
The New York Times, 04/12/1887
Surnom donné aux nuits fin-novembre, début-décembre 1887 durant lesquelles Grévy a tenté de former un ministère d’union
en vain.
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The New-York Times, 04/12/1887
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CHAPITRE I : LES PERCEPTIONS LOCALES ET INTERNATIONALES
avenue d’Iéna ; une telle débauche d’argent semblait pour le journal incompatible avec
103
la caractère républicain du personnage . La nécrologie de Grévy faite par le New-York
Times commence par ces termes : « il était issu d’humbles origines, son ascension jusqu’à
la magistrature suprême relève plus de la carrière américaine que de la carrière française
104
». Les Etats-Unis perçoivent la France comme une République bourgeoise censitaire,
pas comme une véritable démocratie, c’est pourquoi ils s’étonnent qu’un provincial n’étant
pas issu de l’establishment puisse gravir les échelons jusqu’au poste suprême. Il ne faut
pas oublier malgré tout que les parents de Grévy étaient de grands propriétaires terriens,
il était donc issu de la bourgeoisie de province. S’en suit une nécrologie classique où le
journaliste gratifie Grévy pour sa clairvoyance et ses qualités de juriste. Le journal ne fait
aucune mention de son bilan à la tête de l’Etat mais impute la cause de sa chute à son
gendre seul. Le journal termine sa nécrologie en concluant que « depuis sa démission, on
a peu entendu parler de cet ami sincère, sage et méritant de la République
ainsi l’ingratitude de la classe politique et des français.
105
» critiquant
d.Les journaux Austro-allemands
106
Les journaux viennois quant à eux se contentent de nécrologies protocolaires
où ils
saluent les services rendus à la nation et rappellent que c’est son amour paternel qui
a entraîné sa chute car il n’a pas su s’opposer à son gendre Wilson. Ces réactions
bienveillantes peuvent paraître surprenantes car l’alliance austro-germanique de 1878
aurait dû jouer en sa défaveur. Etant donné que l’incident de Schnæbelé en 1886 aurait pu
entrainer une guerre avec la France qui aurait pu impliquer leur pays, la réaction de ces
feuilles est d’une surprenante clémence. L’organe officieux du trône, Die Presse, souligne
que « peu d’hommes d’Etats après avoir joué un si grand rôle et avoir joui d’une si grande
réputation parmi ses compatriotes ont fini aussi tristement leurs jours que Grévy. Il est mort
dans l’isolement, oublié de presque tous ses contemporains malgré les services importants
107
qu’il a rendu à la république.
». Ici le journal fait référence à une dualité certaine ; durant
son mandat Grévy était très populaire parmi les politiques et la population, sa réélection en
1886 s’est faite avec grande facilité. C’était l’homme du consensus qui arrivait à maintenir
en place une majorité très hétérogène, celle-ci partant des modérés pour aller jusqu’aux
radicaux de Clémenceau. Par ailleurs, en dépit de rumeurs sur sa pingrerie, l’homme
jouissait du prestige de son grand-âge faisant de lui un sage et un grand-père républicain.
Cependant, après sa démission en 1887 il se retira définitivement de la vie politique et
s’en retourna dans sa campagne Jurassienne, exil forcé où il fut oublié de tous, du monde
politique et par-dessus tout de ses concitoyens. Ces derniers, quelque peu ingrats semblent
oublier que malgré la faute sur laquelle il a tiré sa révérence, on ne peut méconnaître les
immenses services qu’il a rendu à la nation toute entière. Les français n’ont retenu que leur
dernière impression sans prendre en compte le bilan global. Le paradoxe le plus frappant
vient du fait que les politiques durant leur mandat sont entourés d’une cour alors que la
chute, quant à elle se fait seul.
103
104
105
106
107
The New York Times, 04/01/1888
The New York Times, 10/09/1891
idem
Le Matin, 10/09/1891, p.1
Die Presse, 10/09/1891, p.1
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LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
Der Altpreußische Zeitung quant à lui, rend hommage au créateur de la République,
tombé par la faute de la « manipulation de son gendre ». Il a su être le Républicain, « qui
108
donne une forme à l’état et le tire de son brouillard
», ainsi Grévy a su doter l’Etat
français d’une constitution stable pour sortir du brouillard révolutionnaire, en d’autres termes
la Commune. Il a été l’homme providentiel dont la France avait besoin. La majorité de l’article
cependant se borne à une nécrologie résumant les grandes étapes de sa carrière, à l’instar
d’ailleurs des autres journaux allemands. Cependant il est étonnant de constater que d’une
part il n’y a aucune référence à la guerre franco-prussienne qui n’a même pas vingt ans,
véritable rancœur entre les deux pays. D’autre part, il n’y aucune référence à l’incident de
Schnæbelé durant lequel les deux pays ont été à la limite du casus belli. Enfin il est étonnant
qu’un journal prussien loue les qualités d’un ancien président de la République alors que les
tensions ont été très palpables durant son mandat. Malgré tout, le journaliste sait gré à Jules
Grévy de n’avait eu que des intentions pacifistes et de ne pas avoir voulu replonger son pays
dans une guerre. Enfin, il faut observer que bien que l’Allemagne impériale soit un régime
autoritaire, la liberté de la presse est consacrée par la Constitution impériale de 1871. Les
réactions journalistiques de l’axe Berlin-Vienne sont surprenantes car on pourrait imaginer
une grande animosité à l’égard de l’ancien chef du pays qui est leur ennemi héréditaire.
Cependant, cette clémence s’explique peut-être par le fait que Grévy a joué un grand rôle
pour désamorcer les incidents de 1886, or la population allemande ne souhaitait pas alors
de nouvelle guerre.
2.Grévy l’hypocrite
Cependant l’American Illustrated, l’équivalent de notre Petit Journal Illustré est moins
clément envers Jules Grévy, il fustige un homme que ses concitoyens croyaient durant un
quart de siècle être « l’honneur et l’intégrité » alors que sa « carrière n’a été qu’une intense
109
hypocrisie lui venant d’un égoïsme inné
» et qu’aucune « circonstance atténuante ne
peut être soulevée par l’un de ses rares amis restant. ». Cependant la suite de l’article élargit
sa réflexion en s’en prenant aux français « frivoles » mais félicite la IIIème République d’avoir
si bien tenu face aux trônes européens qui auraient aimé la voir échouer. Mais les français
110
ne vont jamais oublier celui « qui a tant blessé leur amour propre
» mais également
« le sens moral de la nation » car, de par sa situation Grévy ne pouvait se permettre de
fauter surtout pour des motifs d’enrichissement personnel. Le journal en déduit donc qu’on
a mit à la tête de cette République méritante qui a su triompher des épreuves un homme
malhonnête qui ne la méritait pas. Cet homme qui cristallisait tant d’espoirs et qui les a si
violement déçus ne sera pas oublié. Est-ce que cette réaction d’extrême sévérité est un
reliquat de l’éthique protestante dans laquelle le politique se doit d’être irréprochable, on
ne peut le savoir. Globalement la réaction des journaux américains est mitigée, certains
admirent le self-made man qui a été capable de prendre les rênes de la République dans
un pays si longtemps accoutumé à la monarchie. Pour d’autres, il n’a été qu’un soliveau qui
a abusé de sa position alors qu’il se devait d’être vertueux, le parfait contre-exemple de ce
qu’il ne faut pas faire : un comportement monarchique.
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109
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Der Altpreußische Zeitung, 11/09/1891
The American Illustrated, 20/09/1891
En français dans le texte
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CHAPITRE I : LES PERCEPTIONS LOCALES ET INTERNATIONALES
On a pu voir au travers de ces réactions diverses que la presse internationale rend
hommage à Grévy le républicain, fondateur d’une République pérenne et juste. Ces
hommages transcendent les clivages diplomatiques car ils sont partagés par les alliés
anglais, américains et belges mais également par les journaux autrichiens et allemands.
A chaque fois une nécrologie protocolaire vient rappeler son œuvre, la lutte tout au long
de sa vie pour la République contre les despotismes, la capacité qu’il a eu de relever la
France après la défaite. Son plus grand mérite aura été d’associer la République à l’idée de
liberté mais également à l’idée d’ordre car il a su maîtriser les penchants révolutionnaires
de celle-ci. La plupart du temps les journaux ne l’accablent pas avec le scandale des
décorations qu’ils attribuent à Wilson. On a donc des réactions relativement nombreuses
et bienveillantes qui font montre de sa présence appréciée sur le terrain international dans
une Europe relativement instable.
Après avoir étudié les réactions locales et internationales, il faut maintenant se pencher
sur le cœur du sujet, les réactions dans la presse nationale.
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LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
CHAPITRE II : LES REACTIONS DE LA
PRESSE DE DROITE
Il y a toujours eu une exception culturelle française vis-à-vis de la presse, aujourd’hui encore
la France compte un grand nombre de quotidiens nationaux, en général plus que dans
les autres pays industrialisés en dépit de la crise que subit la presse papier. La presse a
toujours été soutenue au nom de la liberté d’expression et plus précisément au nom du
pluralisme politique. Dans les deux parties qui suivent nous allons étudier, observer cette
grande multiplicité de quotidiens, ils représentent le prisme politique très étendu de l’époque.
Il faut garder en tête que le parlement issu des élection de 1888 va des socialistes de
tendance marxiste aux monarchistes et aux bonapartistes. Alors que dans notre parlement
actuel cet écart ne va que du Parti Communiste Français aux députés les plus réactionnaires
de l’Union pour un Mouvement Populaire et dans tous les cas les députés jouent pour la
République et ne veulent pas remettre en cause ses institutions. A l’époque, les socialistes
croyaient au Grand Soir et à l’émergence de la société prolétaire qui allait se fonder sur les
ruines de la République alors que de l’autre coté de l’hémicycle, chacun voulait rétablir son
champion. Les monarchistes veulent établir un Bourbon ou un Orléans selon leurs idées
et donc rétablir la royauté. Les Bonapartistes veulent mettre sur le trône un Bonaparte et
rétablir l’empire français. Et il demeure quelques Boulangistes favorables à une dictature
militaire avec à sa tête le très populaire Général Boulanger. Cependant à la mort de Grévy
en 1891, Boulanger est déjà exilé en Belgique car il s’est fait chassé par la République, il
devenait trop dangereux et devait se suicider moins de deux semaines après la mort de
celui qui l’a combattu durant les dernières années de son mandat. Pour bien se rendre
compte des répercutions de la mort de Jules Grévy, il convient d’étudier les réactions de ses
opposants que l’on qualifiera ici de droite. On peut les diviser en deux camps, opposition
temporelle et opposition spirituelle.
A.LE TRAITRE DE 1880
L’opposition spirituelle est composée des cléricaux, les défenseurs de l’Eglise apostolique
romaine ; le Vatican. Il incarnent en politique un certain conservatisme s’opposant à cette
République qui gagne en assurance. L’actualité cléricale a été extrêmement chargée sous
les mandats de Grévy, en effet la nouvelle République a du s’employer à combattre le
sentiment religieux présent dans une France toujours considérée fille aînée de l’Eglise.
L’Eglise a concouru de concert avec la royauté pour maintenir une société d’Ancien Régime
divisée en trois parties, la noblesse qui combat, le clergé qui prie et le tiers-état qui travaille
pour subvenir aux besoins des deux autres. Elle a donné au pouvoir royal une légitimité
qui lui a permis de se maintenir en place pendant près de treize siècles, elle a donc
tout intérêt à défendre la monarchie. La monarchie et le clergé voient leurs intérêts liés,
l’un a besoin de l’autre, le temporel et le spirituel. Cependant la République doit lutter
contre ce sentiment très ancré dans une France qui est encore pour moitié paysanne donc
religieuse. La République va édicter des lois pour réduire l’influence du clergé au sein de
36
GALODE Guilhem_2011
CHAPITRE II : LES REACTIONS DE LA PRESSE DE DROITE
la population, comme cela fut le cas avec la loi du 29 mars 1880 contre l’enseignement par
les congrégations religieuses. Pour enraciner la République dans les esprits, à l’instar de
tout autre système politique, il faut maîtriser l’enseignement car c’est à cet âge que se fait la
formation des idées qui forgeront les futurs citoyens. Cette laïcisation de l’enseignement va
de pair avec d’autres lois areligieuses même si, à l’époque celles-ci apparaissent comme
étant antireligieuses. Par exemple, le droit de vote des femmes sera repoussé par deux fois,
notamment par une majorité de républicains car il estimèrent que celles-ci sont encore sous
l’emprise du curé. La presse religieuse en France se compose de deux principaux organes,
même si la distinction avec les autres journaux conservateurs est ténue. Pour être clair,
deux journaux se consacrent essentiellement à la religion ; La Croix et l’Univers.
1.La Croix
La Croix est rédigée par les pères assomptionnistes qui ont une grande proximité avec le
Vatican, il s’adresse au bas peuple car il est un journal « à un sou », son faible prix et sa
facilité d’accès lui ont permis de rapidement se diffuser à Paris et en province. Le journal
a connu différents litiges avec le pouvoir anticlérical qui l’obligea à changer sa devise par
« le journal à cinq centimes» car le sou était la monnaie de l’Ancien Régime. Le journal se
111
dit en 1890 le « journal le plus anti-juif de France
» et fut très actif dans le camp des
antidreyfusards quelques années après. L’Univers quant à lui est également dirigé par des
religieux, il affiche une grande hostilité envers la IIIème République, il a soutenu l’empire
avant de se rétracter devant la condamnation par Pie IX de la politique italienne de Napoléon
III, le journal s’en fit écho ce qui lui valut une interdiction. L’Univers est à l’époque de la
mort de Grévy religieux, proche de la tendance légitimiste et ultramontain ; c’est la voix du
Vatican.
La Croix donne le ton de son article en rappelant que bien qu’on ne sache pas au 10
septembre si Grévy a reçu les derniers sacrements, la « position d’éternel élu ou d’éternel
112
damné est plus importante que celle de Président de la République
». Dans la
nécrologie, l’aspect spirituel du défunt sera donc prépondérant. La feuille insiste sur le fait
que « l’aumône de quelques approbations payées dans les journaux et les sourires des
113
libres penseurs ne valent pas le ciel
», en d’autres termes, la fortune terrestre du défunt
ou le jugement de ses contemporains ne sont rien devant le jugement du ciel qui lui est
absolu et irrévocable. Un homme, quelque soit son pouvoir, son influence ou sa richesse
ne peut se soustraire au jugement de Dieu. Le premier grief du journal porte sur les lois qui
ont été votées sous la première présidence de Grévy car « le président de la République
a toujours le pouvoir de faire suspendre les mauvaises lois et les faire discuter à nouveau
114
devant le parlement
». Malgré l’effacement institutionnel du président et son absence
relative de pouvoir sur le plan interne, ce dernier peut toujours intervenir pour empêcher
le parlement de prendre des lois iniques. Ici, le journal accorde au crédit de Grévy de ne
pas être à l’origine des lois mais qu’il est tout autant coupable que ceux qui les ont votées
car il ne les a pas empêchées alors qu’il en avait le pouvoir constitutionnel. Le papier va
111
Pierre SORLIN, "La Croix" et les Juifs (1880-1899), Archives de sciences sociales des religions 1966, p.159
112
113
114
La Croix, 10/09/1891, p.1
La Croix, 11/09/1891, p.1
idem
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LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
plus loin car il ajoute qu’ « il [le président] peut dissoudre les chambres et en appeler au
115
pays
», si le parlement s’obstine, il faut le dissoudre et laisser les français trancher
l’affaire comme il est de coutume en République. Cependant la dissolution, on l’a vu, va à
l’encontre de la Constitution Grévy dans laquelle il affirmait qu’il n’irait jamais contre l’avis du
Parlement. Le droit de dissolution qui n’a été utilisé qu’en 1877 par Mac-Mahon, un royaliste,
lors de la crise du 16 mai est perçu par les Républicains comme l’acte du prince et ne peut
pas se reproduire, car la dissolution est synonyme de coup d’état. On le met face à « ses
colossales contradictions », la première étant celle d’avoir condamné le poste de Président
de la République en 1848 et de l’occuper en 1879. On rapporte sa chute en des termes
sévères, il s’est « accroché au fauteuil
116
» et, comble de l’ironie, « lui qui était adversaire de
117
l’empire s’est arrangé pour tomber un deux décembre
», en effet Napoléon Bonaparte a
été sacré le deux décembre 1804 de même que le coup d’état de 1851. Grévy est comparé
118
négativement à « De Mac-Mahon qui sut partir avec tant de dignité
» car ce dernierse
retira librement en 1879 alors que la démission de Grévy a été forcée. Cependant avec du
recul, on peut constater que dans un cas comme dans l’autre, la situation politique était
intenable. En effet, « l’intègre vieillard », comme le surnommait ses contemporains a laissé
sous ses yeux s’ouvrir à l’Elysée une « agence d’affaire tenue par son gendre ». Encore
une fois on peut souligner que la faute du scandale des décorations n’est pas le résultat
d’un acte positif d’ un laissez-faire coupable, un « aveuglement » qui a entraîné la chute de
119
« Grévy l’intègre devenu austère
». Cependant comme ce fut le cas pour les vilaines
lois votées en 1880, l’inaction est tout aussi coupable que l’action malveillante.
Un article signé Du Moine précise qu’au moment où on lui montra le dossier judiciaire
120
de son gendre Wilson, « il brûla lui-même le papier le plus compromettant
». Cette
accusation va au-delà du laissez-faire, il s’agit d’une destruction de preuve, une complicité
coupable. Elle est surprenante à l’égard d’un Grévy qui plaçait la loi et le droit au-dessus
de tout et dont le parcours peut se résumer à une allégeance de cinquante années aux
lois. Par ailleurs, cette affirmation doit être difficilement prouvable et elle peut relever donc
de la diffamation, cependant la famille Grévy n’a pas attaqué le journal. Vient ensuite une
critique récurrente contre Grévy l’homme ; sa pingrerie légendaire, cette attaque vient par
ces lignes, « très économe, il sacrifia beaucoup à la conquête d’une fortune administrée
121
parcimonieusement
», puis le journal l’illustre par différents exemples : « il épousa sa
bonne … il mit de coté ses frais de voyage … habitait un luxueux hôtel avenue d’Iéna », il
122
poussa même le vice jusqu’à « vendre les gibiers qu’ils avait chassé aux Halles
» ! Il
est vrai que Jeambrun dans sa biographie précise que de nombreux bruits couraient dans
115
116
117
118
119
120
121
122
38
idem
idem
idem
idem
La Croix, 11/09/1891, p.1
Idem
Id.
Id.
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CHAPITRE II : LES REACTIONS DE LA PRESSE DE DROITE
123
le Tout-Paris quant à la radinerie du Président . Grévy dans le privé comptait ses sous
certes, mais n’agissait pas comme un Harpagon. Cette réputation doit venir de l’imaginaire
très imprégné dans les esprits en cette fin de XIXème selon lequel les petits bourgeois
de province sont près de leurs cassette, il suffit pour s’en assurer de lire Flaubert ou
des nouvelles de Maupassant. Le Moine achève son article avec « la meilleure de ses
124
contradictions
» celle selon laquelle, Grévy qui « ne voulut aucun contact avec l’église,
qui ferma la chapelle de l’Elysée et qui voulut d’un gendre qui ne se confessa point prit le soin
125
de recevoir les derniers sacrements
». C’est la même attaque que l’on a pu enregistrer
dans la Croix du Jura, ce président qui a toute sa vie combattu l’Eglise, ce président après
avoir fauté révise ses jugements et se confesse, se remettant ainsi au jugement d’un Dieu
qu’il avait ignoré. Cependant la majorité de ces affirmations est fausse, en effet, durant son
mandat il a entretenu des relations avec Léon XIII qu’il reçut même en visite officielle, il ne
126
ferma pas la chapelle de l’Elysée car sa fille s’y maria avec Wilson en début de mandat
127
. Par ailleurs la thésaurisation à outrance du président a souvent été caricaturée . Le
journal relate l’enterrement de manière assez simple, précise cependant que Ferry n’a pas
fait d’oraison funèbre. Il achève son article en énonçant que « Grévy dans son vieux fond
Franc-Comtois n’était pas un ennemi de la religion et que rien ne le froissait plus que les
128
campagnes anticléricales qui forment le socle du républicanisme officiel
». Ces derniers
mots sont paradoxaux car le journal dans son édition du 11 septembre condamnait le Grévy
politique mais également le Grévy privé. Malgré tout, en guise de dernière exemption, le
journal lui accorde la raison privée : c’était un président croyant, comme tout bon FrancComtois qui se serait vu enfermer dans un gouvernement anticlérical.
Globalement le journal parle peu du décès de l’ancien président, il ne lui consacre que
trois articles, une nécrologie et un article à charge le 11 septembre à l’occasion de sa mort
et un autre très simple sur le déroulement des obsèques le 15.
2.L’Univers
Pierre Veuillot, rédacteur en chef de l’Univers commence son bulletin en affirmant que
129
« Grévy ne comptait plus depuis longtemps
», il rapporte que le presse républicaine
est assez sévère envers cet homme mais, il lui accorde qu’il s’agit d’ingratitude car il
contribué à la fondation de la République. L’éditorial, à charge, comme on pourrait s’en
douter commence par ces mots : « M. Grévy n’a montré qu’une seule fois de l’énergie en
123
Mme GREVY est très économe et l'Elysée fut la cible de la presse; tel cet article de M. Rochefort, journaliste de
l'Intransigeant:" Un jeune homme en costume de soirée a été arrêté vers deux heures du matin en train de voler un petit pain chez un
boulanger. Interrogé par le sergent de ville, il répondit: "je sors de l'Elysée". C'était un cas de force majeur, il venait de dîner chez le
Président de la République. Il fut immédiatement relâché et une collecte organisée en sa faveur."
124
125
126
La Croix, 11/09/1891, p.1
La Croix, 15/09/1891
Le mariage entre Alice Grévy et Daniel Wilson eu lieu dans la chapelle de l’Elysée le 22/10/1881, les témoins furent Jules
Ferry et Pierre Magnin
127
128
129
Pierre JEAMBRUN, Jules Grévy ou la République debout, Librairie Tallandier, 1991, p.255
La Croix, 15/09/1891
L’Univers, 11/09/1891, p.1
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39
LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
130
tant que Président … c’est quand on l’a mis dehors !
». Selon le quotidien, Grévy en
plus d’être un président soliveau n’a mis ses compétences qu’à son propre service, celui de
l’avidité du pouvoir, s’accrochant à ce dernier comme s’il en allait de sa vie. Grévy s’est dont
conduit vis-à-vis de la République comme un parasite. La publication décrit un Grévy durant
les nuits historiques fin novembre 1887 calculateur, manipulateur cherchant à se raccrocher
à n’importe quel homme, pourvu que celui-ci veuille bien former un ministère lui permettant
ainsi de prolonger son mandat. Et ce, même si ce ministère n’est pas viable car l’homme ne
cherche qu’à contenter son propre intérêt, pas celui de ses contemporains. Grévy fit donc
le tour de l’hémicycle en dépit de ses idéaux pour savoir qui allait accepter de former un
ministère avec lui, allant du « fantaisiste Andrieux » au centre gauche, jusqu’au « chef de
l’extrême gauche Clémenceau ». Ce dernier en sortant d’une de ces réunions de crises à
131
l’Elysée aurait dit « quel vieux renard ! » en parlant du président . Grévy cherche à se
raccrocher à n’importe quelle branche, fut elle pourrie. Après moult tergiversations, le « père
de Wilson » accepta contraint et forcé de démissionner. En effet, en plus de la désaffection
du corps politique, il subissait également celle du corps électoral car « on ne s’intéresse pas
132
à un soliveau … on voit juste qu’il est gênant … mais on ne perçoit pas son utilité
».
Grévy était donc passé de l’inutilité à la gêne la plus pressante, c’est pourquoi il a du se
résigner à partir. Le journal revient également sur sa colossale contradiction, il relève même
qu’on disait en plaisantant à Paris que « fidèle à ses idées, Grévy avait accepté le poste de
la présidence pour montrer sa complète inutilité !
133
».
Il continue dans l’ironie car selon la feuille, il ne faut pas trop compter sur l’apathie de
Grévy par rapport au pouvoir, il veillait sur celui-ci et ne « s’endormait que d’un œil … et
134
semait des entraves, Gambetta en sait quelque chose !
». On rapporte une critique
assez fréquente à l’encontre de Grévy, celle selon laquelle il aurait gardé le pouvoir pour
son propre besoin, Jeambrun relève dans sa biographie que Grévy a empêché l’accession
au pouvoir de quatre personnalités : Boulanger en raison du danger qu’il représentait pour
la République car il aurait certainement fait un coup d’état pour mettre en place un régime
autoritaire militaire, Clémenceau ensuite car il était trop à gauche et aurait « mis la France
135
sans dessus dessous
». Les entraves les plus visibles sont faites à l’encontre d’hommes
de son propre camp, contre Léon Gambetta et Jules Ferry. A l’encontre de Léon Gambetta,
il nourrissait une certaine antipathie liée à la différence d’âge entre les deux hommes ainsi
qu’à leurs choix historiques. En privé, Grévy fustige Gambetta « d’avoir fait perdre à la
France deux provinces » et « d’avoir voulu continuer la guerre avec des conscrits qui ne
136
savaient pas tenir un fusil !
». De plus, il lui reprochait d’être trop emporté, esclave de
ses sentiments, ces mêmes sentiments qui lui faisaient avoir une vie débridée incompatible
avec les plus hautes fonctions. D’ailleurs, Grévy expliqua que celui qui s’appelait lui-même,
130
131
idem
Il aurait d’ailleurs promis à Grévy, suite à la découverte du scandale des décorations « une tempête politique comme il n’en
aurait jamais vue ! »
132
133
L’Univers, 11/09/1891, p.1
idem
134
135
136
40
Id.
Pierre JEAMBRUN,
Jules Grévy ou la République debout
, Librairie Jules Tallandier, 1991,
Pierre JEAMBRUN,
Jules Grévy ou la République debout
, Librairie Jules Tallandier, 1991, p.312
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p.351
CHAPITRE II : LES REACTIONS DE LA PRESSE DE DROITE
l’homme de la revanche, était une menace sur le plan international, il allait mettre le feu aux
137
poudres . Sur le plan interne, Gambetta n’était pas un homme conciliant, il imposait ses
réformes novatrices au peuple alors que la République n’en était qu’à ses balbutiements,
138
or tout revirement politique issu des urnes pouvait tout remettre en cause . En outre,
Gambetta est un naturalisé ce qui déplaît fortement aux députés de l’extrême droite qui ne
veulent pas voir un italien au pouvoir. Les mauvaises relations entre Grévy et Gambetta
n’ont pas été arrangées par Wilson qui a mené un front anti-Gambetta qui se composait de
tout l’éventail de la gauche, ce dernier a torpillé ses réformes dans l’ombre de son beaupère. Alors que Gambetta le tribun maîtrisait l’échiquier politique, il ne l’a pas appelé à
la présidence du Conseil de 1879 à 1881. Cependant, Grévy se défendait en public de
139
vouloir, devant son talent « le garder en réserve
». Malgré tout, le choix de Grévy
n’était pas dénué de sens, car d’une part, à ce moment Gambetta avec sa verve s’était fait
beaucoup d’ennemis, y compris dans son propre camp : son « grand ministère » de 1881
ne dura que soixante dix-huit jours. D’autre part, Grévy ne voulait pas créer la tradition d’un
gouvernement fort basé sur une majorité homogène. L’a-t-il fait pour des considérations
démocratiques ou pour son propre intérêt ? On ne le saura jamais. Par-dessus tout Grévy,
ne voulait pas que la République ait un visage, qu’elle soit personnifiée par un quelconque
individu car cela pouvait aboutir aux plus noirs desseins, il condamnait la propension au
pouvoir personnel de celui qu’il surnommait le « dictateur ». De Freycinet a écrit dans ses
mémoires en parlant de cette époque qu’il ne comprenait pas pourquoi Grévy ne voulait
140
pas de président du Conseil fort, ouvrant ainsi la porte à l’instabilité . Cela venait du fait
selon-lui que Grévy les choisissait selon des « aspirations personnelles, non pas d’après
141
les indications données par la majorité parlementaire
». Enfin, Grévy a barré la route à
Jules Ferry car celui-ci a fauté par sa politique étrangère trop tournée vers la colonisation
à outrance, par ailleurs l’expédition du Tonkin se révéla être un désastre qui se solda par
la disparition de son gouvernement en 1885. En outre, à l’instar de Gambetta, Ferry est
142
victime des manipulations de Wilson qui fait éclater des scandales sans contenu .
Le journal adresse également des critiques hédonistes contre Grévy, le « poste de
143
Grévy est agréable, peu de peine à prendre, beaucoup d’argent à recevoir !
», on rejoint
ici les critiques contre Grévy le pingre ou le président thésaurisateur. Grévy, en plus d’être
inutile institutionnellement, profite, voire abuse du système. Le quotidien s’acharne sur ce
point contre le défunt, il l’accuse d’avoir cumulé, en plus de son important héritage, une
dotation de six cent mille francs, trois cent mille francs de frais de représentation, trois cent
137
,
Ibidem
p.320 [Grévy parlant de Gambetta]: « il s’est appelé lui-même l’homme de la revanche, c’est à ce point
de vue que l’Allemagne le prend … c’est une bêtise vis-à-vis de la France, vis-à-vis de l’Europe qu’il mettait ainsi en défiance contre
sa politique. »
138
Ibid
.,
p.321 [Grévy décrivant les réformes de Gambetta] : « On veut faire des réformes ? et comment s’y prend-
t-on ? A-t-on le soin de s’assurer de ce que le pays réclame ?... Le procédé est celui-ci : commençons par détruire, on verra après
ce que l’on peut mettre ! »
139
140
141
142
Ibid.,
p.315
Annexe 1
Pierre JEAMBRUN,
Jules Grévy ou la République debout
Pierre JEAMBRUN,
Jules Grévy ou la République debout
, Librairie Jules Tallandier, 1991,
, Librairie Jules Tallandier, 1991,
p.318
p.338 A la visite
du roi d’Espagne Alphonse XIII, il fait croire que Ferry ne se pliera pas à l’étiquette, s’en suit une crise qui lui est attribuée.
143
L’Univers, 11/09/1891, p.1
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41
LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
mille francs de frais de voyage, etc. Pis encore, lorsque des voix s’élevaient pour protester
car il n’avait aucune utilité de ces sommes astronomiques pour l’époque, « Grévy haussait
144
les épaules, continuait à présenter aussi peu que possible et ne voyageait pas du tout
».
Par la suite, on l’accuse de s’être payé un hôtel somptueux avec l’argent des Croix , or c’est
faux car l’Hôtel particulier de Grévy, avenue d’Iéna a fini d’être bâti avant que Grévy ne soit
Président. L’Univers ensuite porte un coup d’estoc à Grévy en affirmant sa responsabilité
directe dans le scandale, il se demande « A quel naïf fera-t-on croire que Grévy ne se doutait
de rien croyant que les fournisseurs se contentaient de petits rabais de soixante-dix pour
145
cent subjugués par la simple éloquence de son gendre ?
». On accuse donc Grévy
d’avoir bénéficié des largesses de son gendre pour avoir des réductions de la part de ses
fournisseurs pour la construction de l’Hôtel d’Iéna.
La publication ne se borne pas à dénoncer les irrégularités de l’ancien président mais
également le manque de pudeur de ses collègues car ils étaient « quatre qui briguèrent la
146
succession, qui travaillèrent avec ardeur pour un cinquième …
». Ici le quotidien émet
à l’encontre des républicains la critique récurrente de l’opportunisme qui n’est pas présent
chez les royalistes, guidés par le sens de l’honneur. Cela s’explique pour une raison simple,
chez les royalistes les postes sont quasi-distribués selon l’importance du grade nobiliaire
alors que chez les républicains, la méritocratie donc l’ambition a toute sa place. Les quatre
candidats en lice pour la présidentielle de 1887 sont De Freycinet, qui n’obtint que neuf
pour cent des voix car trop proche du démissionnaire, Clémenceau et Brisson quant à eux
sont trop à gauche, ne reste que Ferry qui ait de réelles chances. Cependant, le scandale
des décorations a provoqué une crise institutionnelle mais également populaire, il y a de
nombreuses manifestations aux abords de la Chambre des Députés, le bruit court que les
socialistes vont appeler à l’insurrection si Ferry est élu par conséquent, toutes les voix se
reportent sur la candidature de Sadi Carnot « le cinquième », un modéré.
Le journal continue sa charge, sabre au clair contre Grévy en affirmant que celui-ci « a
mérité son dur châtiment … qui ne visa que le thésaurisateur mais atteignit le persécuteur » .
En d’autres termes, les foudres politiques et la vindicte populaire ne frappèrent Grévy
qu’à cause de sa mauvaise réputation de pingre qui s’est illustrée dans le scandale des
décorations auquel il était partie prenante. De plus, derrière cette raison opportuniste se
147
cache une raison plus profonde, il est la raison pour laquelle « souffre l’Eglise en France
». Grévy encore une fois n’est pas accusé directement d’avoir porté la main sur l’Eglise mais
plutôt d’avoir laissé faire, ce qui traduit une coupable complicité, Grévy « jouissant d’une
grande autorité sur son parti dont il était l’un des sages … aurait pu arrêter cette persécution
148
… il n’en était pas un partisan, car ce n’était pas un sectaire
». Grévy était donc un
homme éclairé qui ne se laissait conduire par ses sentiments, son attitude vis-à-vis de la loi
de 1880 corrobore les témoignages de ses contemporains, il n’était pas pour, mais n’a rien
fait pour l’empêcher : responsable mais pas coupable. L’article s’amuse de constater que
Grévy a de bout en bout laissé passer des lois injustes : son mandat s’est ouvert par la loi
144
145
146
147
148
42
idem
Id.
Id.
L’Univers, 11/09/1891, p.1
Idem.
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CHAPITRE II : LES REACTIONS DE LA PRESSE DE DROITE
149
de 1880 et son article 7 et il se finit avec l’adoption en 1887 de la troisième loi organique
sur la laïcisation de l’école. Durant son mandat, les attaques iniques contre l’influence de
l’Eglise n’ont eu de cesse et se sont soldées par l’assassinat de Chateauvillain. Cette pique
fait référence à un fait divers qui a eu lieu en 1886 dans la commune de Chateauvillain, alors
que les gendarmes voulaient faire fermer une chapelle illégale cachée dans une usine de la
Combe de Chateauvillain, une ouvrière, Henriette Bonnevie fut tuée. Cet incident marque
le début d’une passe d’armes violente entre cléricaux et anticléricaux, il fut utilisé par les
150
cléricaux pour dénoncer la « République Franc-maçonne tueuse de femmes
» . Il
ne faut pas oublier notamment que seulement deux ans auparavant, en 1884, la prière
de début de séance à la Chambre des Députés a été supprimée. Pierre Veuillot achève
son réquisitoire en espérant que l’ancien président a reçu les « derniers sacrements en
151
plein connaissance avec une repentance sincère
». Comme l’a souligné de l’article
du Franche–Comté, journal politique de la région est, la forme est très importante pour
les catholiques et il y a un sentiment final de supériorité car le défunt, après avoir subi le
jugement de ses contemporains mortels, va s’en remettre au jugement de Dieu, le seul
152
qui vaille. Dans ses numéros suivants, l’Univers relate les dernières heures de Grévy , le
faire-part de la famille, la mobilisation d’une brigade pour faire la haie d’honneur à son
enterrement. Le quotidien se pose la question oratoire de savoir combien de députés et
de sénateurs vont faire le déplacement, «pas beaucoup sûrement car M. Grévy était fini et
153
son gendre n’est plus d’aucune utilité et d’aucune dangerosité
». Le journal ironise le
jour de l’enterrement sur l’absence de discours de Floquet, de Ferry car ces derniers ne le
pouvaient décemment pas après « le rôle qu’ils avaient joué dans la démission de Grévy
154
qu’ils comptaient bien remplacer
» : des larmes de crocodile, républicaines certes,
mais ils leur reconnaissent cette lucidité qui rompt avec leur comportement indigne devant
sa mort.
On a pu constater à travers la lecture de ces deux journaux catholiques que Grévy
est perçu comme un hussard noir de la République, un laîciseur de force qui bien qu’il ne
soit pas l’instigateur des lois anticléricales ne les a pas empêchées se rendant complice
des atteintes faites à l’Eglise. Il est cependant étrange de constater que malgré le climat
religieux tendu régnant à cette époque, ces journaux ne sont pas tombés dans l’écueil
dangereux de la théorie du complot franc-maçon. Pour beaucoup de cléricaux, la bataille de
la laïcité les oppose à des dangereux socialistes. Ceux-ci, guidés par les idées impies de la
Franc-maçonnerie veulent leur retirer leur principale sphère d’influence, à savoir l’éducation.
Cependant, en dépit de la l’appartenance de Jules Grévy à la Franc-maçonnerie à l’instar
du principal instigateur de la loi, Jules Ferry, on n’enregistre pas d’attaques portant sur leur
appartenance à une quelconque loge. De même, malgré l’antisémitisme ambiant qui s’est
illustré quelques années après par l’affaire Dreyfus et son amalgame Juif/Franc-maçon,
149
150
Loi du 29/03/1880 art.7 « L’enseignement est interdit pour les congrégations non-autorisées. »
Le drame de Châteauvillain est exploité par l’opposition catholique pour vitupérer La République des francs-maçons et
stigmatiser les « tueurs de femmes ».
151
152
L’Univers, 11/09/1891, p.1
D’après le journal, Jules Grévy aurait fait appel au curé de Mont-sous-Vaudrey pour les derniers sacrements ce qui fut
contredit par la journal Le Matin
153
154
L’Univers, 13/09/1891, p.1
L’Univers, 15/09/1891, p.1
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43
LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
Grévy ne subit pas d’attaque de ce type. Il convient de rappeler que La Croix s’est targuée en
1890 d’être le « journal le plus anti-juif de France
156
155
» et l’Univers a consacré de nombreux
articles à la « question Juive
». Pour conclure, Jules Grévy s’est conduit durant toute sa
vie politique comme un pêcheur mais le Seigneur, dans sa grande miséricorde, lui accorda
Son Pardon induit de l’extrême onction.
On a vu ici les journaux d’opposition cléricale, dans un deuxième temps il faut se
pencher sur les journaux d’opposition politique.
B.UN PROMOTEUR DE LA CHIENLIT REPUBLICAINE
L’opposition politique à Grévy se compose de trois principaux courants : les boulangistes,
les monarchistes et les bonapartistes.
1.Un monarque républicain
En 1891, les monarchistes se redressent après des années de recul dans les élections,
les législatives de 1889 leur ont été bénéfiques car ils enregistrent une hausse, modeste
certes, mais qui rompt avec la baisse tendancielle des dernières années. A l’instar des
bonapartistes et des boulangistes, ils ont su surfer sur la vague de scandales qui ont
émaillé l’année 1888 : l’affaire des décorations et le scandale de Panama. Cependant ils ne
représentent plus que quinze pour cent des sièges à l’assemblée et la cause monarchiste
semble tombée en désuétude, et ce, malgré l’alliance des orléanistes avec les légitimistes
contre la République des Républicains.
a.Le Gaulois
Le principal organe de presse des royalistes est le célèbre Le Gaulois qui reste dans toutes
les mémoires à cause de ses unes très antidreyfusardes. C’est un quotidien qui a été
réprimé durant la Commune, dans un premier temps bonapartiste, il se rallie à la cause du
royalisme à la mort du Prince Eugène. Le prix de ce journal est très élevé pour l’époque,
157
quinze centimes , c’est le journal mondain de la grande bourgeoisie et de la haute noblesse
en cette fin de XIXème.
L’article traitant de la mort de Jules Grévy est rédigé par Jean-Joseph Cornely célèbre
journaliste catholique-monarchiste. Le journal est habité par un certain honneur qui semble
faire défaut aux Républicains si on se réfère aux autres organes de presse conservateurs,
il se défend d’emblée, « nous ne sommes pas venus déposer sur le cercueil du troisième
président de la république des hommages hypocrites après les luttes que nous avons
soutenues contre lui.
155
156
158
». Les jugements de la publication ne seront pas altérés par
http://presse-paris.univ-paris1.fr/spip.php?article35
L’Univers, 14/09/1891, p.1 un article nommé « la question juive » se situe deux colonnes à côté des préparatifs pour
l’enterrement de Grévy.
157
Annexe 1
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44
Le Gaulois, 10/09/1891, p.1
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CHAPITRE II : LES REACTIONS DE LA PRESSE DE DROITE
sa mort, Grévy vivant sera jugé comme Grévy le défunt. Le journal attaquait Grévy car il
« personnifiait tout ce [qu’ils détestaient]
159
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». Ils font référence ici aux « abominables
décrets sur lesquels il apposait sa signature
», il faut comprendre notamment les décrets
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sur les congrégations de 1880 ainsi que les lois de 1886 forçant à l’exil les prétendants au
trône. Le journal dénonce ces Républicains qui ont porté Grévy à la Présidence. Alors qu’ils
162
lui devaient « leur dévouement et leur appui
» ils l’ont « renvoyé comme un domestique,
commettant ainsi un véritable coup d’état, en sortant de la Constitution pour le mettre à la
163
porte, ils ont commis pis qu’une faute ; une malpropreté !
». Deux observations sont
à faire ici, premièrement, le manque de discipline des Républicains ainsi que leur manque
de loyauté. Comment assurer la pérennité d’un parti qui n’a pas de leader divin ? Les
Républicains de par le manque de leader incontesté en sont réduits aux pires bassesses,
y compris celle de faire les louanges d’un homme trépassé alors qu’ils l’ont traité de la pire
des manières et qu’il vivait dès lors en exil. La deuxième observation est intéressante car le
journal accuse les Républicains d’avoir fait fi de leur propre Constitution pour en finir avec
Grévy. Cependant cette affirmation avec du recul doit être tempérée. Certes, il y avait dans
les lois constitutionnelles de 1875 ainsi que dans la Constitution Grévy un déséquilibre des
pouvoirs en faveur du parlement. Cependant, cette affirmation, si elle est prise au pied de la
lettre est fausse car le Président de la République était irresponsable devant le parlement
ce qui n’était pas le cas du Président du Conseil qui pouvait se faire renverser. Mais si le
Président de la République est trop impopulaire, il peut voir tous les gouvernements qu’il
forme renversés par ce le parlement ce qui fut le cas lors des nuits historiques précédant
la démission de Grévy. Il ne faut pas l’oublier Grévy n’a pas été renversé, il n’a pas non
plus démissionné complètement libre mais il a été forcé à le faire. Ce fut le cas lorsque le
dernier gouvernement Rouvier sur le point d’être renversé n’a pas trouvé de remplaçant, et
ce, malgré les tractations de Grévy. Ainsi, parler de coup d’état est exagéré car c’est une
liberté laissée par la Constitution, un usage qui perdura et entraîna les chutes de Casimir
Perrier et Alexandre Millerand.
Cornely s’en prend ensuite à Wilson, gendre qui a marié la fille de Grévy qui aurait du
« jouer le prince consort, se laisser jouir à coté d’un beau-père qui ne voyait que par ses
164
yeux
» mais quia préféré « arrondir tous les jours un magot destiné aux petits-enfants
se condamnant tous les jours dans les entresols de l’Elysée à un travail de forçat … comme
165
agent d’affaire loqueteux
». L’image rapportée ici est caricaturale, celle du gendre qui
arrondit ses fins de mois en magouillant à la cave pendant que Grévy le grand-père joue
avec ses petits-enfants : quand le chat est absent les souris dansent. Le terme d’agent
d’affaires ne fait pas seulement référence à l’affaire des décorations, en effet ce n’est qu’un
grief parmi tant d’autres. Cela fait des années que les journaux notamment réactionnaires
159
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idem
Id.
Loi du 23/06/1886, prévoit l’exil des prétendants au trône de France ainsi que de leurs fils hors du territoire de la République
en les rayant des listes de l’armée
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idem
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accusent Wilson d’avoir transformé l’Elysée en agence à son service. Wilson dispose de huit
secrétaires, une annexe affairiste, il userait et abuserait de sa position. Lors de l’enquête
sur le scandale des décorations, on a rapporté vingt-mille interventions payantes en six
ans, soit plus de dix par jour. Elles font les choux gras des journaux, notamment la grâce
166
d’un richissime marchand de vin dans l’Yonne condamné pour fraude . De plus, Wilson
possède des actions dans des journaux comme La Petite France qui laissent entrevoir des
affaires assez louches et il poussa le vice jusqu’à monnayer les décorations ou ses services
contre des abonnements de soutien aux nombreuses feuilles régionales qu’il possède.
Jeambrun révèle qu’un ami de Grévy lui ayant fait part de ses suspicions, Grévy aurait
répondu incrédule : « mon gendre n’est pas aussi grand que coupable, il a lancé un peu
167
partout des journaux à un sou, ce sont des journaux à deux sous qui le combattent
». Par ailleurs, la comparaison de Wilson avec celle d’un prince consort est intéressante,
car elle se marie avec la vision de la majorité des français : celle d’un Wilson, véritable
éminence grise du président qu’il trompe couvert par l’amour aveuglé de Grévy pour sa
progéniture. La vision d’un gendre, éminence grise à la Richelieu, bien qu’exagérée, n’est
pas totalement fausse, Grévy lorsqu’il était à la présidence était très âgé, soixante douze
ans lors de son premier mandat, soixante dix-neuf lors du dernier, ce qui pour l’époque est
élevé. Par ailleurs, Grévy reste toujours aujourd’hui le plus vieux Président de la République
en exercice car il a quitté le pouvoir à quatre-vingts ans. Son gendre a profité de cette
position pour faire prévaloir ses vues, son bureau était à côté de son auguste beau-père à
l’Elysée. Interrogée à cet effet, l’ancienne femme de chambre de Grévy alla également dans
168
le sens d’une disculpation de son ancien maître . En outre, on a vu que c’est lui qui a en
partie empêché l’accession de Gambetta et de Ferry aux responsabilités, il tirait les ficelles
en coulisse faisant courir des rumeurs sur ces derniers et créant des fronts politiques contre
eux. Lorsqu’ils accédaient aux responsabilités, Wilson s’échinait à les faire tomber, c’est
depuis cette époque qu’il y a eu sous la IIIème République des tensions entre l’Elysée et
169
Matignon. Wilson, dans les salons élyséens accompagné des « ses tireurs
» fomentait
des coups pour faire chuter les grandes figures de Matignon. En l’absence de Républicains
personnifiant la République, c’était Jules Grévy qui demeurait sur le devant de la scène et
ainsi Wilson conservait son pouvoir ; l’appât du gain, toujours. Ce même appât du gain fit
chuter Grévy qui fut poussé vers la sortie par ses collègues Républicains. Ces derniers lors
du scandale « n’apprenaient rien, tous ils savaient ce qui se passait à l’Elysée … car depuis
170
des années les feuilles réactionnaires criaient à la calomnie
», ainsi sa démission
n’aurait pas été poussée par un devoir moral mais un devoir électif, une fois que l’affaire
était sortie dans les journaux, il leur a fallu se racheter une conduite. Il ne faut jamais perdre
de vue que c’est ce journal, Le Gaulois qui a fait découvrir le scandale des décorations au
grand public par ces mots parus dans son édition du 7 octobre 1887 : « Jadis on était décoré
content, aujourd’hui on n’ est décoré que comptant !
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». C’est pourquoi le journal, qui a été
Marie-Hélène PARINAUD, Scandale à l’Elysée, Historia, 01/03/2002
Pierre Jeambrun, Jules Grévy ou la République debout, Librarairie Tallandier, 1991, p.383
« Vous savez, à l’Elysée tout le monde allait et venait, les tampons trainaient sur le bureau de Monsieur [Grévy], il n’est
pas impossible que certains aient pu s’en servir »
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Bernard LAVERGNE, Les deux présidences de Jules Grévy (1879-1887), Librairie Fischbacher
Le Gaulois, 10/09/1891,p.1
Le Gaulois, 07/10/1887,p.1
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CHAPITRE II : LES REACTIONS DE LA PRESSE DE DROITE
en première ligne sur ce scandale, croit posséder toute la légitimité de commenter sa chute
qui est intervenue moins de deux mois après ces lignes. L’auteur s’amuse de voir que « le
vénérable grand-père décrit par les feuilles républicaines … est devenu un grigou, un père
172
Gobseck tenant une boutique de bric à brac
». Ilest vrai que Grévy, premier président
Républicain était programmé pour figurer en bonne place dans la symbolique républicaine,
il avait tout : les idées libérales, l’âge avancé, les origines provinciales, la stature mais le
scandale vint tout remettre en cause. La comparaison avec Gosbeck, personnage crée par
Honoré de Balzac n’est pas innocente, il représente l’archétype de l’usurier juif de province.
Il est proche d’ un Grévy qui était, selon l’imagerie populaire, un thésaurisateur à outrance
dont le trait de caractère pourrait s’expliquer par l’appartenance à la franc-maçonnerie et
donc à ce que l’on appelait par amalgame à l’époque la juiverie.
Cependant la journal va relativiser la condamnation de Grévy pour mieux s’en prendre
au système républicain en son entier ; « ce qu’il y a de comique … c’est que parmi les
aimables bonhommes qui ont conquis la France, et qui ont finis par gagner la sympathie
du Cardinal Lavigerie … tous ont utilisés la légion comme monnaie … Grévy en fit usage
173
ainsi que maints députés et maints sénateurs pour leurs besoins électoraux
». Selon
l’auteur de l’article, le dénominateur commun de tous les Républicains serait d’avoir utilisé la
légion d’honneur pour arriver à leurs fins, monnayer l’insigne que remet la France aux plus
méritants et ainsi monnayer l’honneur de la France, ce qui dans une époque de nationalisme
exacerbé est perçu comme une haute trahison. Comme aurait dit Voltaire, « le pouvoir
corrompt tout », même le cardinal Charles Martial Lavigerie, primat d’Afrique, rallié à la
République. Cependant, il n’a pas bénéficié des largesses de Wilson car il a été décoré de
la Croix sous Napoléon III.
Le quotidien résolument conservateur reconnaît à Grévy la qualité de Républicain pur
174
et loyal, pas un opportuniste contrairement aux Républicains de « fin de siècle
» qui
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« ont oublié jusqu’au sens du mot république » et qui n’ont pour but que de « conserver
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une place
» et « palper des billets de mille
». Le journal dénonce ainsi une
crise morale, un affaissement du bien commun face au profits privés, l’oubli du combat
de base du politique, on ne peut que constater que cette attaque perdure de nos jours.
L’auteur se risque à une métaphore, « pour le républicain d’autrefois, la république était une
178
maîtresse, pour les républicains fin de siècle, elle n’est plus qu’une marmite
», ainsi
auparavant bien qu’il y ait eu tromperie, le Républicain, frivole certes, aimait le République
et était prêt à se battre pour elle. En cette fin de siècle déliquescente, la République n’est
qu’un prétexte, un ordre établi où le leitmotiv est le profit privé. Il y a désintéressement
du désintérêt. Dans la suite de son article, Cornely s’intéresse à la biographie de Grévy
et souligne à l’instar des autres papiers ses contradictions, son discours de 1848 antiprésidentialiste alors qu’il occupât le même poste de président. Malgré tout, la publication
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s’attarde sur un point de sa nécrologie qui a été délaissé par tant d’autres, « à la fin de
l’empire, alors que les princes de sang demandaient leurs places dans les rangs de ceux
qui allaient donner leur vie à la patrie … inaccessible à l’enthousiasme [Grévy] se manifesta
dans un discours célèbre, il refusa le sol aux français qui l’avaient composé motte par motte
179
… dans son fanatisme de la légalité
». Grévy a en effet toujours été un partisan, au
crépuscule de l’empire qui tentait de survivre grâce à des mesures libérales, de la gauche
fermée, dite de la rue de la Sourdière. Il s’opposa ainsi à Picard, favorable à la gauche
ouverte qui admettait la possibilité de s’accommoder avec le II° Empire. A la fin de l’empire,
celui-ci rechercha le soutien républicain pour se maintenir, ce à quoi Grévy leur opposa
une célèbre fin de non recevoir, « ni dupes, ni complices », la République ne doit transiger
qu’avec des Républicains et honnir le reste. Selon le journal, il empêcha même les princes
de sang de prendre part au combat de 1870. Par exemple¨, le Comte de Chambord, Henri
er
V en puissance, lança un appel le 1 septembre 1870 pour « repousser l'invasion, sauver
à tout prix l'honneur de la France, l'intégrité de son territoire ». Le 8 juin 1871, le Parlement
abolit les lois d’exil de 1832 et 1848. Il n’y a pas de données exactes montrant le rôle de
Grévy dans l’empêchement aux royalistes de revenir en France. Cependant, il ne serait pas
étonnant que Grévy ait fait barrage au retour des princes de sang car en bon juriste, il sait
qu’ils peuvent se prévaloir d’une légitimité que la toute jeune IIIème République ne pourra
pas leur opposer. Cependant, Grévy a soutenu la loi du 26 juin 1886 qui prévoyait l’exil des
prétendants au trône et de leurs fils. Il sait donc mieux que quiconque qu’un prétendant
au trône peut provoquer un coup d’état comme ce fut le cas en 1852. Cette loi est dans la
continuité de son discours de 1848. Par ailleurs, les dires du journal corroborent le fait que
Grévy était un juriste zélé, cet aspect de sa personnalité qui lui a valu les foudres de ses
collègues les plus romantiques qui se laissaient guider par leurs sentiments, est reconnu
même par ses adversaires. Le Gaulois loue d’ailleurs cette rigueur quand elle n’est pas
dirigée contre les royalistes, c’est pourquoi selon le journal, il n’a pas cautionné « le quatre
septembre … lorsque l’émeute répondit à l’invasion du territoire par l’invasion du Corps
180
Législatif
». En effet, en apprenant la reddition de Napoléon III et de son armée à Sedan,
le 2 septembre 1871, le peuple envahit le Corps Législatif qui était vice-présidé par Grévy,
demandant la chute de l’Empire et le 4 septembre Gambetta proclama la IIIème République.
Grévy a d’ailleurs demandé l’élection d’une Assemblée Nationale, en vain, pour apporter
un crédit légal à ce qu’il qualifiait d’insurrection. Par la suite, il ne doit son élection à la
présidence de la Chambre des Députés que grâce « aux bons monarchistes
182
181
» qui ont
fait par la même « une bêtise
», il fut par la suite Président de la République suite
au renversement de Thiers en 1873 qui mourut en 1877 terrassé « d’une indigestion de
183
haricots
». Il faut noter ici que Le Gaulois, feuille monarchiste, semble garder rancœur
du renversement de ligne idéologique opéré par Thiers, ce dernier ayant été royaliste toute
sa vie et qui se convertit à la République sur le tard. A son poste de président, le journaliste
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écrit qu’ il sut « utiliser des résistances douces pour n’en faire qu’à se tête
», Grévy est
décrit comme une machine d’intelligence froide capable de toutes les manipulations mais
également d’un grand calme, d’une stabilité « rare dans les chancelleries européennes
185
186
» mais il n’a pu recevoir les « lauriers de l’alliance Russe
» s’étant retiré avant. On
reconnaît donc ici le grand rôle international de pacifiste qu’il défendit dans une Europe en
proie à des agitateurs comme Gambetta ou Boulanger. Le journal reconnaît également à
187
Grévy le mérite de « ne jamais voyager seul
» car il emmenait dans ses déplacements
le Président du Sénat et de la Chambre des Députés pour « présenter à la population le
visage d’une République tricéphale … loin de Carnot, César triste … à qui il ne manque
188
plus pour être empereur que de voir figurer sa belle barbe sur nos pièces de monnaie
». Il sut conserver les apparences en public ce qui ne semble pas être le cas de Carnot
qui semble avoir une conception plus personnelle du pouvoir. Grévy ne voulait pas d’une
République personnifiée par un seul individu, c’est pourquoi il avait pour coutume de se
présenter en public lors des réceptions officielles au sein de ce triumvirat pour bien montrer
que l’exécutif était l’égal du législatif. Cependant Grévy le pingre est encore dépeint ici et le
journaliste fait une réflexion sur le singularisme des Républicains français « qui abhorrent
189
les princes mais qui veulent un président qui ressemble à un prince !
». C’est une
attaque commune dans les journaux antirépublicains de l’époque, la République a la forme
de la monarchie avec son faste, ses palais Républicains, ses dorures mais sans le fond, à
savoir un souverain stable, dévoué à son peuple qui obéit aux commandements de Dieu.
Les inconvénients sans les avantages.
Pour achever son article, Cornely rappelle que Grévy s’est « déshonoré » en signant
190
les décrets « de spoliation du 29 mars 1881
», mais le laisse s’en remettre au jugement
de Dieu. Par ailleurs, il rappelle que le défunt était en train d’écrire ses mémoires, il est sûr
que Grévy « aurait rendu justice à ses adversaires qui ont été justes et loyaux envers lui
191
… et plus équitables que ceux là même dont il a fait la fortune
». On note toujours
ce sentiment de noblesse très présent dans les feuilles monarchistes. Bien qu’ils furent
ennemis, cela n’empêche pas un certain respect mutuel, Cornely reconnaît à l’ égard de
192
Grévy « sa sévérité tout en s’efforçant d’être juste
». Tel est le jugement des royalistes
envers leur ennemi de cinquante ans : sévère mais juste. Cependant, ce jugement est plus
appréciable que celui de ses anciens amis qui louent sa mémoire mais qui l’ont laissé se
faire traîner dans la boue, trop occupés qu’ils étaient à attendre que la place se libère.
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LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
La une du Gaulois datant du 10 septembre est également partagée par plusieurs articles
concernant ses habitudes dans son village natal qu’il aimait tant, ses dernières heures
accompagnées par l’extrême onction. Egalement sur sa fortune où l’on apprend qu’en plus
de ses revenus importants, il thésaurisait ses indemnités de présentation. Elles s’élevaient
193
selon les calculs du journal « sans exagération à dix millions de francs
», sans compter
les propriétés immobilières qu’il possédait à Mont-sous-Vaudrey et à Paris, on peut prendre
comme exemple le Château dans le Jura et son hôtel particulier avenue d’Iéna qui fit couler
tant d’encre. Un article annexe est intitulé « la politique de l’Elysée » il traite de la politique
intérieure et extérieure sous la présidence Grévy, l’article signé sous la plume Balzacienne
de Louis Lambert s’épanche sur les actions du Président de la République défunt. Il y est
décrit un Grévy « qui avait l’habitude de dénouer les cirses ministérielles selon les vues
194
personnelles et non selon des indications parlementaires
», cela rejoint donc les
indications fournies par ses nécrologies et sa biographie. Le seul pouvoir que la Constitution
lui laissait sur le plan interne, le pouvoir de nomination, était exercé selon des affinités
personnelles. Cela explique pourquoi les opportunistes de Ferry se plaignaient d’être la cible
195
des wilsoniens et les radicaux de ne jamais être appelés aux responsabilités. Grévy leur
préféraient les personnalités calmes de De Freycinet ou de Waddington. L’article revient
également sur les autres entraves faites par Grévy contre Gambetta « qui fut écarté du
196
pouvoir en moins de six mois
» et pour cause, son ministère ne dura que soixante-treize
197
jours à l’instar de Floquet ou de Clémenceau qui ne furent jamais appelés à la présidence
du Conseil. Le journaliste s’amuse, à raison, en pensant au chapitre des mémoires avortées
198
de Grévy concernant les nominations qui aurait pu de s’avérer « piquant
». L’article
évoque une chute qu’il n’attendait pas en se basant « sur des droit imprescriptibles de la
199
reconnaissance des républicains
», il dut se résoudre à la chute et à la démission. Il
est vrai que Grévy a opposé une résistance à sa démission invoquant une irresponsabilité
constitutionnelle et la peur de créer un précédent néfaste, cependant devant le blocage de
la situation, il dut s’y résoudre.
Un article intitulé « M. Grévy pendant la défense nationale » ne livre pas non plus
une version très élogieuse de son ascension au pouvoir, selon ces lignes « l’attitude de
Grévy à Tours … pendant la dictature de Gambetta n’est pas étrangère à son élection à
200
la présidence de l’assemblée
». Le Gaulois cherche à faire paraître Grévy comme
un parvenu ayant bénéficié d’un coup d’état de son « ami » Gambetta. La suite de l’article
décrit comment, les libéraux de l’empire se réunirent à Tours pour fomenter des rebellions
contre les révolutionnaires de la République du 4 septembre. L’épisode relaté ici est trouble
puisqu’il s’agit de celui de la fuite de l’assemblée à Tours, cette dernière ayant dû fuir Paris
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Ici il s’agit des partisans de Daniel Wilson
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du 14 novembre 1881 au 26 janvier 1882
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encerclé par les Prussiens. Un gouvernement de défense nationale y fut mis en place pour
poursuivre le combat contre les Prussiens. Les attaques du quotidien semblent injustes car
on sait tout le mal que Grévy pensait de ce gouvernement qui, en plus d’être illégal car non
élu, était de surcroît meurtrier car il voulait continuer une guerre déjà perdue. Dans un autre
article intitulé « conversation avec le colonel Lichtenstein
201
» on en apprend plus sur le
202
Grévy privé tel qu’il était à l’Elysée : la « vie du président y était des plus simples
».
Le colonel dément deux légendes autour de Grévy, celle selon laquelle il avait un canard
préféré et celle de son talent pour le jeu de billard car Grévy selon lui préférait les échecs.
Contrairement à ce qui a été écrit M. Grévy demandait peu conseil préférant se référer à sa
propre science pour trancher. Le colonel s’amuse des habitudes de Grévy en affirmant que
« rien n’était plus amusant de le voir au fur et à mesure de la course du soleil rechercher
203
l’ombre avec sa chaise le journal à la main
», cela vient pourrait apporter de l’eau
au moulin de ceux qui croyaient que Grévy était un président potiche. Toutefois, l’interrogé
réfute la description d’un vieil homme grabataire influençable, « il avait gardé toute sa
204
vivacité d’esprit
», ce qui lui a permis de résoudre de graves crises ministérielles. Enfin,
il décrit un Grévy toujours serein, même lors du scandale des décorations, qui a toujours su
garder son calme, il est parti de l’Elysée au soir du 2 décembre presque normalement ,se
contentant de serrer la main des hommes de sa maison militaire et de partir, accentuant ainsi
l’image du président froid que le journal cherche à véhiculer. Grévy est absent des articles
du quotidien par la suite, si ce n’est pour les habituels faire-part, préparatifs d’enterrement
et la description des funérailles habituelle pour un journal de l’époque.
b.La Gazette de France
Les réactions de la Gazette de France sont similaires car il s’agit également d’un journal
défendant la cause monarchiste légitimiste. C’est le plus vieux journal français puisque sa
fondation date de 1631 sous l’impulsion de Richelieu, il ne s’est éteint qu’en 1915.
La publication dénonce la présidence de Grévy qui fut celle « des libres-penseurs et des
francs-maçons contre les croyances et les institutions catholiques. Toutes les persécutions
205
et toutes les violences reçurent l’approbation de M. Grévy
». On fait référence aux lois
de 1880 sur les congrégations. Il est cependant paradoxal de noter que les attaques francmaçonnes, absentes comme on l’a vu des quotidiens cléricaux soient présentes dans un
quotidien légitimiste. Sont rappelées les manigances menées par son gendre à l’encontre
de Ferry, « la chute du ministère Ferry favorisée par M. Wilson, son gendre, les incidents
206
du roi Alphonse XII d’Espagne à Paris et le rôle joué par M Wilson à cette occasion
».
Durant cette visite d’Etat, Wilson avait fabriqué de toutes pièces un incident diplomatique
pour entraver son accession aux responsabilités. Le quotidien achève son court article en
écrivant que lui, l’homme qui était décrit comme intègre, était tombé à cause de son amour
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La Gazette de France, 11/09/1891, p.1
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LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
pour l’argent, ce même argent qui lui a payé son luxueux hôtel particulier à deux pas du
Trocadéro mais qui ne l’exempte pas du jugement de ses contemporains. Enfin, il se retira
207
dans sa luxueuse propriété du Jura et « plus jamais son nom ne fut prononcé
».
Cette expression souligne la dureté de sa chute, elle fait référence aux ostracisés des cités
antiques qui, ayant commis un crime grave étaient exilés de la Cité et dont le nom même
était banni à jamais. Le fait que prononcer son nom soit apparenté à un blasphème ajoute
un peu plus à la gravité de ses actions terrestres.
c.Le Soleil
Pour être complet sur la perception monarchiste, on peut noter la réaction du journal Le
Soleil qui parle brièvement de Grévy en ces termes : « M. Grévy n’a rien fait étant Président
de la République pour donner du lustre et du prestige aux hautes fonctions qui lui étaient
208
confiées
». On observe ici l’attaque redondante des monarchistes, Grévy avait le sceptre
et la couronne mais pas l’aura divine, il s’est voulu monarque mais il ne s’est comporté que
comme un soliveau.
Comme on a pu le voir, la perception de Grévy par les royalistes est négative, certes,
mais elles n’est pas dénuée d’honneur politique. On lui reproche évidemment l’acharnement
contre les princes de sang et les lois iniques sur les congrégations, cependant les véritables
attaques sont à l’encontre de ses anciens collègues et amis qui l’ont abandonné dans une
retraite forcée au lendemain de la démission. La description du personnage est celle d’un
politique doté d’une intelligence froide, faisant tout pour conserver son pouvoir mais qui
n’est cependant pas dénué d’honneur, ce même honneur qui manque aux Républicains fin
de siècle.
Ensuite, on peut étudier les réactions véhiculées par les journaux d’une autre opposition
antirépublicaine : celle des bonapartistes.
2.L’opportuniste de Sedan
Les bonapartistes sont les grands perdants des législatives de 1889 car en plus d’appartenir
à la minorité antirépublicaine, ils enregistrent un recul important, pour ne représenter plus
que neuf pour cent des sièges. Cette désaffection, en plus du fait que la République
commence à s’enraciner , s’explique par une succession de crises au sein de ce
mouvement. Tout d’abord, le Prince Impérial, fils de Napoléon III sur lequel reposait les
espoirs d’union, est tué en 1879 au Zoulouland lors d’une embuscade. Des espoirs étaient
permis car les bonapartistes ont enregistré un bon score lors des élections de 1876,
le prince cependant ne comptait pas sur un renversement de la République qui selon
lui allait mourir d’elle-même. Le testament du Prince impérial entraîne un schisme au
sein du mouvement entre le prince Napoléon, bonapartiste blanc proche des royalistes
et le Prince Victor, bonapartiste rouge proche de républicains. Une majorité de militants
suivirent le bonapartisme rouge et s’allièrent à la République. Cependant, les bonapartistes
blancs s’allièrent avec les boulangistes, une rencontre eut même lieu entre Boulanger et
le Prince Napoléon en 1888 où ils s’entendirent sur une prise de pouvoir par les urnes
et l’établissement d’une constituante. C’est ainsi que, durant un temps, les destinées du
Boulangisme et du Bonapartisme furent liées, quand le premier perdit en puissance, le
207
208
52
Id.
Le Soleil, 11/09/1891, p.1
GALODE Guilhem_2011
CHAPITRE II : LES REACTIONS DE LA PRESSE DE DROITE
deuxième suivit. Les bonapartistes perdirent leurs fiefs de Corse et de Charente. En cette
année 1891, il ne reste que le bonapartisme du prince Napoléon mais celui-ci est en perte de
vitesse. Il mourut au début du XXème. Ce mouvement s’appuya sur des organes de presse
puissants, avec les meilleures plumes de l’époque. Le prince Impérial avait fait part de sa
volonté de « posséder un journal de doctrine qui pourra traduire et expliquer [sa] pensée et
209
donner la note juste sur toutes les questions
». Les publications de cet âge d’or de ce
mouvement, les années 1870, furent l’Ordre, le Petit Caporal et Le Pays.
Les bonapartistes conservent une grande rancœur contre les républicains qu’il
accusent de la défaite de Sedan, il essaient de faire passer cette idée à travers leurs
revues et de nombreux chants dont le plus célèbre reste celui de Savinien Lapointe :
« Souvenons nous de l’Empereur à Sedan victime suprême/ Pourtant des robins émeutiers
ont insultés notre défaite/ Et dans le sang de nos troupiers la République était en fête ».
Le chant poursuit « Toujours nous les cherchions en vain dans nos rangs un jour de
bataille/ Ils [les républicains] poursuivaient leurs pots de vin ». Ce champ traduit la pensée
des bonapartistes de cette époque, la guerre de 1870 a été déclarée par un Corps
Législatif composé majoritairement de libéraux, donc de républicains. Les bonapartistes
sont allés sur le champ de bataille, dont l’empereur lui-même à Sedan, mais ils perdirent
car les républicains ont fomenté un coup d’état dans leur dos afin de renverser l’Empire.
L’impératrice Eugénie en appela aux républicains car « il s’agit de la France ! » pour
continuer le combat et trouver une issue favorable mais aucun ne répondit mis à part
210
Jules Grévy . Dans leurs esprits, l’Empire s’est sacrifié dans une guerre déclarée par les
libéraux, ces derniers n’ont pas répondu à l’appel d’union sauf Grévy ; c’est pourquoi on
peut penser que ces journaux feront preuve de modération ou tout du moins d’indifférence.
D’ailleurs le prince impérial préconisa, lorsque Grévy prit la tête de la République « une
sympathique abstention » en reconnaissance du passé mais il était convaincu que la
République périrait d’elle-même.
a.Le Moniteur Universel
Le Moniteur Universel est un journal qui a une longue histoire, fondé en 1789, il a longtemps
été l’ancêtre du Journal Officiel, puis il a été un organe de propagande bonapartiste sous le
II° Empire et il a perduré jusque sous la IIIème République.
Ce papier bonapartiste traitant de la mort de Grévy signé De Clay ne se contente
pas de décrédibiliser Grévy mais bien le système républicain dans son ensemble, pour
lui : « le jeu des républicains est transparent, il s’efforcent de réhabiliter le parti et le
régime en tentant la réhabilitation de l’homme qu’ils jetèrent jadis à l’eau pour alléger
211
leur barque qui sombrait
». Pour De Clay, le jeu républicain vise à réhabiliter un
régime en réhabilitant le représentant de celui-ci, cependant ce n’est pas suffisant pour
rapporter du crédit à un parti qui a en fortement manqué au long de ses années au pouvoir.
De plus, Grévy n’a pas été renversé par le camp adverse, il s’est tiré une balle dans le
pied et son propre camp s’en est débarrassé afin d’éviter de jeter l’opprobre sur la cause
républicaine. Ses anciens coreligionnaires n’ont rien tenté pour le sauver, la République
209
Musée National du Château de Compiègne, La pourpre et l'exil, L'aiglon et le Prince impérial, éditions de la Réunion des musées
nationaux, 2004, p.223
210
Pierre JEAMBRUN,
Jules Grévy ou la République debout
, Librairie Jules Tallandier, 1991, p .129 L’impératrice
Eugénie fit parvenir ce message à Grévy « Unissions-nous, il s’agit de la France ! »
211
Le Moniteur Universel, 11/09/1891, p.1
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LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
est comme une barque ou une montgolfière : en temps de crise il faut lâcher du lest … Le
journal poursuit, « [les républicains] voudraient empêcher l’Histoire de proclamer que leur
premier choix, à peine en possession de tous les pouvoirs publics, infligea un démenti à la
212
théorie républicaine des avantages appliqués à l’élection du chef de l’Etat
». Pour le
journaliste, l’élection du Président de la République est un sévère camouflet pour le camp
républicain car le premier président républicain a du piteusement se retirer. Les avantages
démocratiques attachés à cette élection ne sauraient faire oublier les forts inconvénients qui
l’accompagnent, l’absence de pouvoir fort et l’intéressement coupable de l’élu qui au fond,
se désintéresse de l’intérêt général pour se concentrer sur le sien. En revanche, l’empereur
nommé par la grâce de Dieu se dévoue corps et âme pour son pays et n’en demeure pas
moins démocratique avec le système de plébiscite qui permet à son peuple de valider ses
213
décisions. Etant donné que ceux-ci ont été ratifiés à une large majorité , cela prouve que
le peuple était en pleine connaissance de cause derrière son empereur : il est donc inutile
de voter pour un président, qui plus est s’il a des velléités à la malhonnêteté. On peut donc
noter que pour le journal, le système impérial surclasse amplement le modèle républicain, la
chute du premier président républicain en est la preuve. Malgré le mal que les républicains
se donnent pour le racheter aux yeux de l’Histoire, celle-ci « ne se laissera pas sophistiquer
214
».
b.L’Autorité
Le journal l’Autorité quant à lui compare la sortie de Grévy et celles de ses prédécesseurs,
« Thiers s’est laissé prendre au piège, fausse sortie … Mac Mahon s’est démis proprement
en vrai gentilhomme … Grévy, en sa qualité d’ancien avocat roublard, trouvait la place
215
bonne et ne voulait pas en décamper
». Il est décrit ici les fins de mandat des anciens
présidents, Thiers rallié depuis toujours à la cause monarchiste change de position en 1873
ce qui lui valut d’être renversé par la Chambre acquise à la cause royaliste, donc fausse
sortie. Mac Mahon quant à lui, après l’épisode du 16 mai durant lequel il a perdu tout pouvoir,
a su partir dès la première occasion car il ne possédait, ni le soutien du Sénat, ni celui
de la Chambre des Députés. Grévy, quant à lui fut face au même cas de figure sauf qu’il
ne du la désaffection des deux chambres non pas à un changement politique mais à un
manque de confiance qui n’était imputable qu’au scandale des décorations dans lequel il
s’était fourvoyé. De plus, au lieu de laisser la place, que ses anciens amis attendaient avec
216
impatience, il se borna à ergoter et à plaider « la présidence mitoyenne
», en bon
juriste qu’il fut. Cet image d’avocat déchu cherchant à se défendre à tout prix grâce au
217
droit mais surtout par la mauvaise foi est confirmée par une saillie de Clémenceau qui
le compare à Maitre Pathelin, avocat devenu pauvre, beau parleur et rusé. Par ailleurs, le
journal décrit un Grévy ne comprenant pas les accusations portées à son encontre car, bien
qu’il ait été prit « la main dans le sac, il [Grévy] se demanda d’où venaient ces pudeurs et
212
213
214
215
216
217
idem
Les cinq plébiscites de Napoléon III ont tous été ratifiés à plus de 80% des suffrages exprimés.
Le Moniteur Universel, 11/09/1891, p.1
L’Autorité, 11/09/1891, p.1
idem
Id. , le journal rapporte cette phrase prononcée par Clémenceau en sortant de l’Elysée lors des nuits historiques : « je croyais
parler à un octogénaire affaissé et éperdu, c’est à maître Pathelin en personne que j’ai eu affaire. »
54
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CHAPITRE II : LES REACTIONS DE LA PRESSE DE DROITE
ces effarouchements … quand tout le monde pille et s’engraisse, seul le président serait
218
condamné à la pudeur et au désintéressement ?
». Le journaliste s’en prend au
système républicain dans son ensemble, un système pourri où l’intérêt général est absent,
un système où la décadence omniprésente vient à faire croire aux dirigeants corrompus
qu’ils sont dans leur bon droit car celle-ci semble inhérente à la République. Enfin quand il
se rendit compte que tout était fini, il réclama « ses huit jours avant de se faire congédier
219
comme un domestique
», alors que Mac Mahon s’en alla, Grévy se fit congédier et
c’est là une différence de taille. Enfin la feuille bonapartiste dresse une dernière attaque à
l’encontre du défunt résumant bien l’opinion que ce parti a de lui : « l’éloge de M. Grévy
peut tenir en quelques mots : le hasard lui avait fait obtenir une bonne place, il ne sut pas
220
la garder
». En effet, la carrière de Grévy qui est pour les républicains l’illustration de
l’exemplarité, celle d’un homme qui a tout compris avant tout le monde, comme l’attestent
ses prises de positions et ses actions à la tête de l’Etat n’est pour les bonapartistes, qu’un
221
exemple d’opportunisme poussé à son paroxysme. Le journal parle ici de hasard car
Grévy était, certes intelligent, mais ce n’était pas un tribun, un chef de parti fédérateur
comme l’ont été Gambetta, Thiers, Ferry ou Clémenceau. Grévy se fit élire à la tête de la
Chambre des Députés car il ne faisait ombrage à personne, il prit la tête du camp républicain
uniquement grâce à la mort de Thiers et ne fut élu Président de la République que parce
que Mac Mahon s’est retiré, etc. Par-dessus tout, Grévy ne doit son poste et la République
ne doit son existence que grâce à l’injuste chute de l’Empire qui a été mené dans une guerre
qu’il ne voulait pas et qui s’est battu seul contre les prussiens mais également contre les
républicains qui manœuvraient dans l’ombre.
Les journaux bonapartistes reprochent à Grévy outre son inutilité, sa malhonnêteté et
sa chute pitoyable d’avoir su profiter de la chute de l’empire et plus globalement de la France
pour servir ses intérêts particuliers.
Après avoir étudié les réaction bonapartistes, il faut maintenant se pencher sur les
perceptions des boulangistes.
3.Le spoliateur républicain
Tout d’abord, il faut se demander qu’est-ce que le Boulangisme ? Le Boulangisme est une
doctrine politique relativement éphémère qui a gravité autour d’un homme, le populaire
général Georges Boulanger. Ce mouvement qui a failli mettre à mal la jeune IIIème
République, s’est appuyé, d’une part sur un soutien politique et d’autre part sur une adhésion
populaire indéniable. Pour ce qui est du soutien politique, Boulanger a réussi le tour de
force de s’allier les extrêmes de l’échiquier politique, il est un des inaugurateurs de la
célèbre formule « les extrêmes se rejoignent ». En effet, autour de son mouvement étaient
rassemblés les bonapartistes et les monarchistes sensibles au discours de la France
éternelle et qui souhaitaient renverser la République. Plus étonnant, il a été également
222
rejoint par l’extrême gauche, notamment par les radicaux de Clémenceau , républicains
218
219
220
221
222
Id.
L’Autorité, 11/09/1891, p.1
idem
Au sens premier du terme
Clémenceau ira même jusqu’à recommander Boulanger à De Freycinet pour former un gouvernement d’union en 1885
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LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
révisionnistes souhaitant donner une impulsion plus novatrice à la République qui selon
eux, prenait un tournant trop conservateur-bourgeois. Ils voient par ailleurs en lui le général
Républicain auquel ils aspirent. En effet, Boulanger a rendu le service obligatoire pour les
ecclésiastiques, abolissant ainsi un privilège qui avait survécu à la Révolution, les curés
seront « sac au dos ». En outre, il a fortement contribué à améliorer les conditions de
vie des militaires. Ce dernier point s’illustre notamment par l’adoption du fusil Lebel, une
amélioration de la solde et des rations, l’autorisation du port de la barbe, l’abaissement
223
du service à trois ans ,etc. Ce dernier changement est d’importance dans un pays où
la conscription était de cinq années, au cours desquelles les jeunes soldats acquièrent
leurs premières idées politiques. Dans l’imagerie populaire, le « brave général » qui peut
s’appuyer sur un physique avantageux et un don de tribun représente également les
aspirations du peuple. En effet, son programme politique, simple, repose sur deux idées
directrices. La patrie, dans un espoir de revanche contre l’Allemagne afin de reconquérir les
provinces perdues. Le peuple, car il représente un espoir d’ascension sociale pour toutes les
basses couches de la société qui ont la volonté de brusquer un gouvernement bourgeois trop
modéré à leur goût. Le Boulangisme est plus une nébuleuse idéologique antiparlementaire
qu’un véritable parti, d’ailleurs les buts de ses deux ailes sont antagonistes. Alors que la
frange radicale du mouvement souhaite réunir une constituante pour modifier la République,
la rendre définitive et incontestée, la frange monarchiste et bonapartiste ne souhaite que
la chute de la République et son remplacement. Bien que cette aile soit minoritaire dans
le mouvement c’est elle qui lui permet de survivre grâce aux contributions financières,
notamment celles de la duchesse d’Uzès, mécène du mouvement. Cela a son importance
dans un système politique sans financement public des partis. Comme on a pu le voir, Grévy
s’est toujours méfié de ce général populiste et ambitieux qui n’avait pour but selon lui que
d’instaurer une dictature militaire, c’est pourquoi il a tout fait pour entraver son accession au
pouvoir. Cependant devant l’insistance de Clémenceau, il doit accepter sa nomination à la
guerre dans le ministère De Freyciney en 1886. Boulanger prend une place de plus en plus
importante, il participe à des meetings nationalistes où il incarne le sentiment revanchard
224
très palpable dans la population . Bien que le ministère De Freycinet soit tombé, il est le
seul ministre à être maintenu. A partir de cet instant, il va multiplier les provocations envers
225
l’Allemagne ; il fait ériger une caserne à Belfort , il interdit l’opéra de Wagner : Lohengrin,
organise un réseau d’espion en Allemagne sans l’aval du gouvernement. C’est ce dernier
acte qui mérite toute l’attention car il va faire naître un évènement historique relativement
méconnu : l’affaire de Schnæbelé.
Guillaume Schnæbelé était un commissaire de police posté à la nouvelle frontière
franco-allemande qui faisait partie de ces réseaux de renseignement. En cette journée du
20 avril 1887, son collègue allemand lui tend un piège en lui donnant rendez-vous sur la
frontière pour deviser d’affaires courantes. Ce que le commissaire ne sait pas ce que son
collègues est un agent double à la solde de Bismarck, Schnæbelé est interpellé en territoire
allemand et accusé d’espionnage. Plus globalement la France est accusée de violation de
territoire. Immédiatement, Boulanger appuyé par Goblet propose l’envoi d’un ultimatum à
l’Allemagne et la mobilisation générale, ce qui est la marche typique et sûre vers un conflit
armé. Grévy sait que la France à l’époque est très isolée en Europe, l’alliance russe n’est
pas encore acquise, l’Entente Cordiale date de 1905. Tout nouveau conflit entraînerait une
223
224
Il était de cinq ans depuis la loi de 1872
« Nous pouvons enfin renoncer à la triste politique défensive ; la France doit désormais suivre hautement la politique offensive »
discours de Boulanger à Libourne 17/09/1886
225
56
Entraina la mobilisation de 70.000 allemands de l’autre coté du Rhin.
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CHAPITRE II : LES REACTIONS DE LA PRESSE DE DROITE
défaite assurée. Grévy en bon juriste demande au Reich d’étayer les preuves d’une activité
226
d’espionnage ce que l’Allemagne ne peut faire . Aux yeux du droit international il n’y a
pas de faute. D’ailleurs le piège, invention de Bismarck déplaît au Kaiser Guillaume Ier qui
ne souhaite pas une nouvelle guerre car il semble surestimer Boulanger et sa cinquième
colonne. Schnæbelé est relâché quelques jours plus tard, Grévy a su désamorcer un casus
belli incontestable.
Cette affaire eut pour conséquence de retirer à Boulanger l’affection d’une partie des
227
radicaux qui prennent peur de sa politique très personnelle ; constituer une cinquième
colonne de renseignement sans en référer au gouvernement était proprement inconscient.
Pire, il est identifié comme une menace à la paix dans toute l’Europe et est perçu comme
tel dans les chancelleries. Cependant, il ne perd pas l’affection du peuple, en témoignent
des élections organisées dans la Seine peu de temps après. Boulanger recueille quelques
cent milles voix alors que celui-ci ne s’était même pas présenté. Le gouvernement le limoge
en le mutant à Clermont-Ferrand avec un grade supérieur pour conserver les apparences.
Après la chute de Grévy, il joue un grand rôle dans les tractations pour sa succession,
cependant Sadi Carnot une fois élu ne veut pas de lui comme ministre de la guerre. En 1888,
il négocie les soutiens bonapartistes et monarchistes, devant ces nouvelles provocations, le
gouvernement le limoge de l’armée et le casse de son grade, ce qui a pour effet paradoxal
de le rendre éligible. Il est élu à la Chambre des Députés la même année, le Boulangisme
devient un parti institutionnel. Le parti boulangiste est bien implanté dans toute la France et
recueille de bons résultats qui lui permettent de représenter douze pour cent de l’hémicycle
en 1889. La même année, alors que sa popularité est à son zénith, il remporte des élections
à Paris sur le programme « dissolution, révision, constituante ». Alors qu’une foule de
cinquante mille personnes fête sa victoire, celle-ci lui hurle de prendre l’Elysée, ce qu’il ne
fit pas. Cet incident eut deux conséquences, il a crée la déception chez ses supporters et
a attisé la peur du gouvernement républicain. Désormais, le « Général Revanche » doit
être éliminé. Son principal soutien, la Ligue des patriotes de Paul Déroulède est dissoute.
Le parlement lève son immunité le 4 avril 1889 et Boulanger s’enfuit en Belgique avec sa
maîtresse. En août, la Haute-Cour le condamne par contumace à la déportation à Cayenne
pour complot contre la sûreté intérieure. Dès lors, le mouvement se fait plus discret et ne
survit que grâce à la personnalité de Boulanger, qui, bien que discrédité, est perçu comme
un martyr forcé à l’exil. Le 30 septembre 1891 Boulanger se suicide, deux mois après la mort
de sa maîtresse sur la tombe de celle-ci. Cette mort, digne d’une tragédie grecque fit dire
pourtant à son ancien allié Clémenceau : « il est mort comme il a vécu ; en sous-lieutenant ».
Cette mort qui n’a eu lieu que deux semaines après celle de Jules Grévy l’aurait sûrement
réjoui car il n’a eu de cesse de combattre ce général qui, comme César aurait voulu franchir
le Rubicon. Ce mouvement qui portait le culte de la personnalité de son fondateur n’a plus
de raison d’être et meurt peu de temps après. Il n’a duré que trois années, de 1888 à 1891
mais il est intéressant car il montre à quel point les velléités dictatoriales peuvent également
venir des radicaux, en effet deux tiers des députés boulangistes viennent de la gauche, ce
qui fit dire à Jean Jaurès que le Boulangisme était « un grand mouvement de socialisme
fourvoyé » .
Après cet épisode, la République est confortée dans l’idée selon laquelle elle a des
ennemis à sa droite mais aussi à sa gauche. Dans cette deuxième semaine de septembre
1891, bien que le Boulangisme soit en déclin, leur leader vit toujours à l’étranger et le
226
Schnæbelé a été convoqué par son collègue allemand, on retrouve une lettre allant dans ce sens dans son bureau ce
qui rend caduque les accusations.
227
Clémenceau dit de lui « La popularité du général Boulanger est venue trop tôt à quelqu’un qui aimait trop le bruit. »
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LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
mouvement perdure. Le Boulangisme est l’un des premiers mouvements politiques à avoir
fait, selon les termes déjà employés à l’époque une campagne de presse à l’américaine :
Boulanger est dans tous les journaux, on fait écrire des chansons par le chansonnier
populaire Villemer, une imagerie d’Epinal le présente avec la barbe fleurie, etc. Il a par
ailleurs pu s’appuyer sur des organes de presse puissants tels que, La Presse, la Cocarde,
le Boulangiste et l’Intransigeant.
a.L’Intransigeant
L’intransigeant a pour rédacteur en chef Henri de Rochefort, noble converti au libéralisme
il publie La Lanterne sous le II° Empire très critique à l’égard de l’empereur qui lui valut
de l’emprisonnement dès le deuxième numéro et un exil forcé. Une fois l’empire tombé,
il s’investi dans la Commune plutôt que dans une République qu’il juge bourgeoise, il est
capturé, déporté à Nouméa d’où il réussi une surprenante évasion en 1874. Il rentra en
France et fondra L’Intransigeant, il devient en froid avec la République dont il fut le premier
à la qualifier d’opportuniste. Il vit en Boulanger l’espoir des masses laborieuses et le soutint
activement, il fut d’ailleurs condamné comme ce dernier en 1889 à la déportation mais
préféra l’exil où il mourut quelques années plus tard .
228
L’article qui nous intéresse intitulé « L’Austère Grévy
», est rédigé par Edmond
Bazire, ancien communard également rallié à la cause boulangiste. Ce papier commence
par une interrogation ; « qui aurait dit, il y a cinq ans que la mort de Grévy serait un
229
évènement banal auquel la France ne prendrait à peine garde ?
», il faut bien avouer
qu’en ce début de septembre 1891, l’actualité est chargée et laisse peu de place à la mort
de l’ancien président. L’auteur souligne également ici la vitesse soudaine du jeu politique,
alors que Grévy a été un acteur incontournable de la politique française durant cinquante
ans, il n’aura suffit que de cinq petites années pour qu’il sombre dans l’oubli : « il suffit
230
de quelques mois pour démolir une légende
». Cela illustre ainsi les prémices d’une
société de l’information, dès l’instant où un personnage est absent des journaux, il n’a plus
de raison d’être : la mort médiatique et la mort biologique vont de paire. Cet homme qui
avait « sa cour
231
» à l’Elysée, ne vivait que sur son glorieux héritage passé, celui
232
de « vieux lutteur de la Révolution de Février
». Il y a un rapprochement avec la
forme de pouvoir patrimonial présente dans les royautés, le personnage le plus important
de l’Etat, possède une cour dans un palais Républicain qui n’a fait que se substituer au
palais monarchique et il vit sur un héritage, un souvenir, sans qu’il n’ait à faire ses preuves
de nouveau. C’est une critique fréquente des conservateurs à l’encontre de Grévy, il a fait
revivre le sentiment monarchique en incarnant le monarque Républicain mais sans la gloire
d’un roi. D’ailleurs, cette prestance se manifestait par une sévérité, un puritanisme, « c’était
un homme de bronze sans faiblesse et sans sourire
228
229
230
231
232
233
58
233
». On peut voir ici que la description
L’Intransigeant, 11/09/1891, p.1
idem
Id.
Id.
Id.
L’Intransigeant, 11/09/1891, p.1
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CHAPITRE II : LES REACTIONS DE LA PRESSE DE DROITE
de l’homme par les boulangistes détonne avec la description des républicains. Alors que
pour les premiers, c’était une machine froide, un homme austère et sans cœur, pour les
seconds c’était le grand-père républicain, proche des bonnes gens, aimant ses proches et
c’est de cet amour que provint sa chute.
L’Intransigeant rappelle scandale des décorations, il ne l’impute pas à Grévy mais
aux « affaires véreuses de son gendre
d’une indulgence coupable
236
235
234
», cependant il se rendit complice en le « couvrant
». Le journal poursuit en décrivant une chute « sans gloire
» qui ne rentrera pas dans les annales de la chevalerie mais exprime son sentiment
de retenue, voire de pitié à l’égard de ce « vieillard mêlé à tant d’intrigues, qu’il ne connut
237
peut-être pas à l’origine mais qu’il lui fut impossible d’ignorer à la longue
». En d’autre
termes, la cour du roi est dispendieuse mais le vieux monarque ne s’en rend compte que
trop tard. On peut voir ici qu’à défaut de repentir sincère le journal accorde au crédit de
Grévy qu’il n’est sûrement pas à l’origine du scandale. Bien qu’il soit thésaurisateur, il n’est
pas malhonnête, contrairement à son gendre. Cependant, à force de fermer les yeux sur
l’évidence, on se rend complice, or le complice est condamné en droit à la même peine que
l’auteur de l’acte. C’est pourquoi sa démission était naturelle et nullement disproportionnée.
L’enquête fit son travail, bien que certains voulurent trouver derrière l’indulgence de Grévy
une complicité active, on ne réussit à prouver qu’un « entêtement sénile
238
».
Le quotidien, comme la majorité des papiers rappelle sa grande contradiction dans
l’acceptation de la Présidence de la République alors qu’il avait dénoncé le poste de
suprême magistrat comme étant dangereux. Ce poste l’est car il ouvre la porte aux coups
d’état et aux changements de régime. La publication souligne pour justifier ces propos qu’
239
« en montant il diminua et son intégrité fut endommagée
», cette critique est toujours
présente aujourd’hui, le politique dans son ascension en vient à oublier la raison de son
mandat : l’intérêt général. Avec son accession à la présidence, il glissa sur une pente
240
infernale , « se livra et livra le pays aux ambitions des opportunistes
». On a pu observer
que le mouvement boulangiste, bien que financé majoritairement par les monarchistes et
les bonapartistes était principalement composé de radicaux voir de socialistes, à l’extrême
gauche de l’hémicycle. Bien qu’appartenant à un mouvement réactionnaire de gauche, leur
discours et leur grille de lecture demeure celle des socialistes de l’époque, celle de la lutte
contre une classe bourgeoise en train de s’approprier la République. Cette appropriation
s’est faite par les urnes, mais également par la violence en réprimant la Commune, à laquelle
le rédacteur de l’article a participé. Avec l’émergence de cette frange d’extrême gauche,
radicaux, radicaux-socialistes et socialistes vont repousser les opportunistes qui étaient au
centre gauche vers le centre droit. Ils sont donc assimilés à des ennemis de la République,
et c’est pourquoi le journaliste, ancien communard accuse Grévy d’avoir fait « la fortune de
234
235
236
237
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239
240
idem
Id.
Id.
Id.
Id.
L’Intransigeant, 11/09/1891, p.1
idem
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LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
241
Ferry
». Ferry était la bête noire des radicaux car il incarnait cette République des grands
bourgeois à l’instar de Grévy. Bien que ce dernier ait tenté d’entraver son ascension, Jules
242
Ferry a eu par deux fois la présidence d’un Conseil des Ministres : en 1880 et en 1883 .
Ferry a été le Président du Conseil le plus durable sous les présidences Grévy ce qui n’est
pas sans agacer ses détracteurs. De plus Ferry, est un partisan zélé de la colonisation ce
qui va à l’encontre de l’idée du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes défendue par
l’idéologie marxiste.
243
C’est durant cette même époque que Grévy « découvrit Constans
», cette attaque
fait allusion ici à Ernest Constans, ministre de l’intérieur sous De Freycinet. L’intransigeant
boulangiste reproche cette nomination à Grévy car Constans est le ministre qui a le plus
fait pour contrecarrer les plans du général Boulanger. Il a effectué un premier passage dans
244
un ministère sous le gouvernement De Freycinet mais ce n’est que sous le ministère
de Pierre Tirard en 1889, après la chute de Grévy qu’il s’illustra. Tirard le recruta dans
le but exclusif de juguler la montée du Boulangisme qui se dessinait alors comme une
véritable menace. Grévy démissionnaire, Boulanger n’avait plus de grande opposition dans
le gouvernement. En dépit de sa mutation à Clermont, il revient dans l’arène politique
plus fort que jamais et c’est à ce moment que Constans intervint. C’est lui qui porta le
premier coup d’estoc contre le Boulangisme en faisant interdire la ligue des patriotes de
Paul Déroulède, le 3 avril 1889. Cette décision est importante car elle coupe Boulanger
d’une base militante organisée et structurée. Une fois l’organisation dissoute, il ne restait
plus qu’à s’occuper de l’homme. Constans va alors encourager la levée de son immunité,
par ailleurs, c’est lui qui fit courir les premières rumeurs de réunion de la Haute-Cour qui
provoquèrent la fuite de Boulanger en Belgique. Grévy fit donc émerger ce personnage
qui s’illustra par sa répression très efficace du boulangisme en France ce que le journal
apparente à un réactionnaire. Constans par ailleurs, est un franc-maçon, il va s’attirer durant
des années les foudres de la presse boulangiste qui va faire ressortir la vieille idée du
complot maçonnique. Le journal conclu en affirmant qu’il est inutile d’essayer d’ériger Grévy
comme une grande figure républicaine car « il était trop accessible aux séductions de
245
l’argent et des honneurs
», ainsi il s’est comporté comme un monarque, avec tous
les attributs mais sans le talent. Enfin, comme une dernière attaque le quotidien déplore
que Grévy n’ait pas pu rester fidèle à sa devise « ni dupe, ni complice ». Dupe, il l’a été en
croyant qu’il allait insuffler de la sagesse dans une fonction inique, complice, il l’a été dans la
répression bourgeoise du Boulangisme, espoir du peuple. On constate ici que le jugement
de cette feuille est violent, Grévy est attaqué comme dans les autres journaux pour ses
contradictions, sa pingrerie, la défense de l’intérêt bourgeois et sa chute déplorable. Malgré
tout, ce journal lui reproche tout particulièrement son rôle de complice dans la répression
du Boulangisme car il offrit des responsabilités à Constans. Cependant, cette attaque n’est
faite que du bout des lèvres car on lui reproche de l’avoir découvert et non pas de l’avoir
dirigé. Cette tempérance peut s’expliquer par le fait que le journal identifie la répression à
l’année 1889 soit plus d’un an après la chute de Grévy.
241
242
243
244
245
60
Id.
Annexe 13
L’Intransigeant, 11/09/1891, p.1
17 mai 1880 au 14 novembre 1881
L’Intransigeant, 11/09/1891, p.1
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CHAPITRE II : LES REACTIONS DE LA PRESSE DE DROITE
Etonnement à aucun moment l’intransigeant ne rappelle l’entrave de 1887, Grévy
avait alors tout fait pour priver Boulanger des responsabilités et il a désamorcé les crises
provoquées par le revanchisme du général. Le journal opère un distinction entre 1887 et
1889, Boulanger n’est pas Boulangisme. En 1887, Boulanger est un général très populaire
qui fait de la politique, cependant sa doctrine n’a pas encore émergé, c’est pourquoi les
entraves ne sont pas relevées car il ne s’agit que d’empêchement. En revanche, en 1889
Boulanger n’est plus un général mais un politique, il peut s’appuyer sur une base militante
et sur une idéologie, c’est pourquoi le combat que lui a mené le gouvernement n’est pas
apparenté à une entrave mais à de la répression ce qui a un écho considérable dans les
esprits des nationalistes de gauche.
C’est le seul article que ce quotidien a consacré à la disparition de Jules Grévy, si on
fait abstraction de deux articles consacrés à sa biographie et à ses obsèques, cela ne fait
que confirmer les premières affirmations du journaliste selon lesquelles la mort de Grévy
était passée inaperçue.
b.La Cocarde
La Cocarde, dont le rédacteur en chef est Gabriel-Terrail Mermeix, un proche de Boulanger,
est également un journal qui représente ce boulangisme de gauche. Il porte également un
jugement globalement critique sur Grévy et son œuvre.
L’article nous intéressant est écrit par le journaliste Lucien Rabuel, ancien bagnard,
déporté pendant huit années suite à la Commune de Paris. L’article commence avec une
mise à plat complète de l’information, un dur retour à la réalité. En effet, selon la Cocarde, la
France est « moins émue par le décès de Grévy que par le match de vélocipède Paris-Brest
246
». Les Parisiens ne se demandaient pas quels avaient été les derniers instants de Grévy,
quel a été son accomplissement ou bien le jugement qu’en gardera la postérité mais plutôt
« quelle avance avait Tierront sur Jiel-Laval ? ». On voit ici que l’information sur la mort de
Grévy est noyée sous un flot informationnel ininterrompu. C’est une époque où le câble se
développe, la majorité des journaux le possède et cela accroît le nombre de dépêches en
provenance du monde entier. La mort d’un ancien Président de la République, quinze ans
auparavant, était un évènement qui faisait les gros titres et qui bénéficiait plus globalement
d’une couverture médiatique absolue car il se démarquait plus facilement du reste. La mort
de Thiers en 1877 avait eu une couverture médiatique beaucoup plus importante et par
ailleurs, on estime qu’un million de personnes était venu accompagner son cercueil au PèreLachaise. Ils étaient certainement moins de cinq mille à Mont-sous-Vaudrey. Si l’on ajoute à
cela que la famille de Thiers a refusé les obsèques nationales alors que Grévy y a eu droit,
on ne peut que constater le déséquilibre. Il est vrai que Grévy avait pris sa retraite politique
quatre ans avant sa mort et qu’il habitait dans un endroit retiré, cependant cela ne peut pas
expliquer une telle différence. Si on compare les unes de la grande majorité des journaux
on constate que la mort de Thiers donne lieu à une édition spéciale, un journal consacré
majoritairement à sa mort voire totalement, alors que l’annonce de la mort de Grévy n’a le
247
droit qu’à une partie des titres . Sa mort occupe, il est vrai, une place importante mais
est placée au même niveau que d’autres nouvelles. Par ailleurs, une grande partie des
articles qui sont consacrés à Grévy ne font que reprendre la biographie officielle ainsi que
les réactions d’autres journaux, les bulletins qui lui sont consacrés exclusivement sont rares
et le plus souvent écrits par des journalistes sans grande envergure alors qu’on pourrait
246
247
La Cocarde, 11/09/1891, p.1
Annexe 8
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61
LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
s’attendre à un article du rédacteur en chef, comme ce fut le cas pour Thiers. Grévy ne
peut pas échapper à cette comparaison avec Thiers car ce dernier est le premier Président
de la République à être décédé. Il a donc inauguré le Panthéon symbolique de la IIIème
République.
Par la suite, le journaliste fait une comparaison entre Jules Grévy et Jules Dufaure, ces
derniers étant tous deux affublés du qualificatif « d’austère ». Le parallèle ici est intéressant,
en effet, il s’agit de deux hommes nés sous Napoléon Bonaparte, venant de province, ayant
entamé une brillante carrière d’avocat qui les mena aux sommets. Tous deux eurent des
responsabilités sous la IIème République, tous deux s’enfuirent devant le coup d’état et
luttèrent contre le II° Empire dans les années 1860. Ils ont défendu ensemble les accusés
du procès des treize en 1864. Au commencement de la IIIème République, leurs chemins
se séparent car Dufaure choisi Mac-Mahon, le monarchiste, alors que Grévy sert la cause
républicaine. C’est après la chute du second Président de la République en 1879 que
Dufaure se retira pour mourir deux ans plus tard oublié. Après avoir mené une vie similaire,
248
ils ont également une fin semblable car ils sont décédés « oubliés de tous
». D’ailleurs,
selon le journaliste ce surnom d’austère qui devait « les faire vivre tous deux dans l’Histoire
249
ne fut qu’un masque voilant la plus profonde hypocrisie
», en effet, il ne suffit pas
d’être de marbre pour avoir sa statue. Ces deux personnages faisaient partie de « la
250
génération 1880, aussi vicieuse que les précédentes
. On peut mettre en lumière
ici un conflit générationnel, en effet le journaliste, ancien Communard semble exécrer le
nouveau personnel politique qui a émergé depuis 1880 c'est-à-dire depuis le début de la
République des républicains. Cela doit ressembler à un espoir déçu ; alors que le journaliste
d’extrême gauche attendait des hommes proches de la tendance socialiste, il a retrouvé des
hommes de centre-gauche, des modérés, des grands bourgeois qui n’ont pour but que la
défense de leurs intérêts propres. Alors que cette République devait être celle du peuple, elle
s’est retrouvée accaparée par les intérêts bourgeois. Une élite républicaine commence à se
développer mais elle est exclut les couches populaires, la majorité du peuple. On se retrouve
dans un cas de République oligarchique où le pouvoir est patrimonial car il ne dépend que
de l’argent que l’on possède et non pas de la dévotion à la cause commune. Il est vrai que
251
cette IIIème République, n’est pas tant celle des instituteurs que celle des avocats . En
effet, la grande majorité du personnel politique vient de la gauche bourgeoise voire de la
grande bourgeoisie alors que la droite de l’hémicycle est composée la plupart du temps par
la noblesse de robe ou la noblesse d’épée. L’élite est donc très homogène. Rabuel semble
exécrer la génération Grévy, Ferry, Favre, Simon ou Freycinet, cette génération « guindée
dans ses faux-cols irréprochables … sacrifiant tout au dehors et réservant pour l’intimité
252
absolue l’assouvissement des passions
». L’imagerie romantique du républicain façon
Lamartine ou Vallès, un peu débraillé est effectivement à mille lieues d’un Grévy guindé
dans sa redingote et avec les favoris bien taillés. Cependant, ce n’est pas l’aspect extérieur
qui compte mais les actions et sur ce point, « Grévy n’avait pas oublié le conseil de Guizot
248
249
250
251
252
62
La Cocarde, 11/09/1891, p.1
idem
Id.
Jules Grévy, Jules Ferry et Jules Favre pour ne citer qu’eux exerçaient la profession d’avocat.
La Cocarde, 11/09/1891, p.1
GALODE Guilhem_2011
CHAPITRE II : LES REACTIONS DE LA PRESSE DE DROITE
253
qui disait à la bourgeoisie ‘enrichissez-vous’ et toute sa vie a été guidée par cet objectif
». Grévy est donc comparé à François Guizot, l’un des principaux lieutenant de LouisPhilippe qui a beaucoup œuvré pour l’apparition d’une classe bourgeoise, c’est un grand
artisan du libéralisme économique de la première moitié du XIXème. Par ailleurs, il a été
l’un des promoteurs avec Marx de la lutte des classes, mais contrairement à ce dernier,
il était convaincu que le prolétariat ne devait tenir qu’un rôle subalterne en politique et
laisser la réalité du pouvoir à la bourgeoisie. En 1840, lorsqu’on propose d’abolir le suffrage
254
censitaire , il lance le fameux le fameux « enrichissez-vous » : si vous voulez compter,
soyez riche. C’est un plaidoyer pour un gouvernement bourgeois. Avec cette génération
1880, certes le droit de vote n’est plus soumis au cens mais il n’y a pas de changement
car les bulletins ne désignent que des représentants de la classe bourgeoise et non du
prolétariat.
Rabuel termine son article en affirmant qu’il ne doit pas toujours y avoir de paix au
mort, en particulier lorsque celui-ci, comme Grévy était « faux bonhomme, faux républicain,
255
faux honnête-homme
». Cette dernière pique fait un résumé des différentes attaques
contre Grévy. Il n’était pas le bon grand-père républicain proche de la population mais un
bourgeois austère plutôt proche de ses sous, donc faux bonhomme. Lui-même était un
bourgeois et a défendu toute sa vie la cause de sa classe à l’instar de Guizot et ce, en
dépossédant les masses laborieuses de la République, donc faux Républicain. Enfin faux
honnête-homme car la soif d’argent entraîne des comportements malhonnêtes, lui le grand
bourgeois n’en avait pas assez, il a donc du se fourvoyer dans un trafic de Légions d’honneur
qui fut découvert. Lui qui devait être le champion de la République au sens premier du terme,
res publica, n’a été que défenseur d’une République fermée et opaque, il tombé à cause
du vice premier de sa classe, l’argent.
Comme on a pu le constater ce mouvement politique en déclin ne porte pas
franchement Grévy dans son cœur, la faute aux attaques incessantes contre les
boulangistes, bien que ces attaques n’aient pas été portées de son propre chef, elles ont
été du moins provoquées. D’ailleurs, il est intéressant de voir que les journaux boulangistes
font abstraction du rôle de Grévy dans les évictions successives de Boulanger. Durant tout
son mandat Grévy a tout fait pour bloquer Boulanger son adversaire le plus dangereux
car, contrairement à Ferry et Gambetta qui étaient des républicains, Boulanger ne faisait
256
pas mystère de ses intentions une fois au pouvoir . Grévy accepta même le premier
renversement d’alliance de la République en créant un ministère avec le centre-droit
Mackau pour barrer le route à Boulanger. Les radicaux se rallièrent à Boulanger aveuglés
par l’espoir d’une constituante qui déboucherait sur une vraie République. A cette époque,
257
selon les mots de Ferry, « le danger vient de gauche
». Cette relative clémence visà-vis de Grévy sur l’empêchement de Boulanger ne va pas faire oublier le reste de son
œuvre. Comme on a pu le constater, la majorité des soutiens politiques et médiatiques
de Boulanger sont à gauche car Boulanger est un démagogue réactionnaire ou ce qu’on
253
254
255
256
idem
Le droit de vote était réservé aux citoyens qui payaient plus de 200 F de cens.
La Cocarde, 11/09/1891, p.1
Pierre JEAMBRUN,
Jules Grévy ou la République debout , Librairie Jules Tallandier, 1991.p.345 Grévy
:« Je l’ai
vu et jugé durant dix-huit mois au Conseil des Ministres … je sais ce qu’il [Boulanger] vaut … il ne peut faire que des sottises »
257
La Cocarde, 11/09/1891, p.1
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63
LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
pourrait appeler un membre de la gauche nationaliste. C’est pourquoi les journaux acquis
à la cause boulangiste ont une grille de lecture et un discours qui reflètent les idéaux
de l’extrême-gauche, à l’époque incarnée par les radicaux et les socialistes. Il est donc
reproché à Grévy, outre son train de vie et son comportement élitiste d’avoir contribué avec
une génération de politique à la spoliation de la République par les intérêts de la classe
bourgeoise ; une République par et pour les bourgeois. Ainsi, il aurait contribué à l’éviction
de la République populaire au profit de la République censitaire. Cependant, il convient de
mesurer les propos tenus dans ces feuilles, ils sont le fruit d’un mouvement idéologique qui
aura été, certes d’une grande importance, mais dont la durée est faible. Le Boulangisme
en lui-même a duré trois années de 1889 à 1891. Deux semaines après l’écriture de ces
papiers, Boulanger se suicida, ce parti qui comptait aux législatives de 1889 soixante douze
élus n’en compte plus aucun aux législatives de 1893. Ce mouvement, bien qu’il ait été
aussi violent que bref, a cependant réussi à faire vaciller la République.
Après avoir vu les réactions contenues dans les journaux antirépublicains, on va
maintenant étudier la perception de la mort de Grévy à travers la presse de son propre
camp : les républicains.
64
GALODE Guilhem_2011
CHAPITRE III : PERCEPTIONS DES JOURNAUX DE GAUCHE
CHAPITRE III : PERCEPTIONS DES
JOURNAUX DE GAUCHE
Cette partie portera sur les perceptions de la mort de Grévy à travers la presse représentant
la gauche du spectre politique : des anarchistes aux modérés. Il se trouve que Grévy dans
son camp même fait débat, pas assez à gauche pour les uns, trop pour d’autres, bourgeois
pour les uns, rassurant pour les autres. Dans tous les cas, on notera une gratitude envers
l’un des hommes qui a permis à la République de vaincre ses ennemis et de s’enraciner.
A.LE PRESIDENT BOURGEOIS
1.Le marchand de rubans
Les journaux anarchistes fleurissent en cette fin de XIXème, ils sont alimentés par le
terreau fertile d’une industrialisation qui a créé la classe prolétaire et la regroupe dans les
grands centres urbains. C’est également l’époque où le capitalisme tel qu’on le connaît
se développe avec ses inégalités et les frustrations qui en découlent. Les écrits de cette
deuxième moitié de XIX°, qu’ils soient communistes ou anarchistes inspirent les prolétaires
de tous les pays qui sont appelés à s’unir. Cet aspect apparaît bien évidemment dans la
France du XIXème qui est la nation la plus industrialisée au monde avec l’Angleterre et
l’Allemagne. Les idées fleurissent dans les esprits et sont relayées par une pléthore de
journaux anarchistes depuis la première Internationale de 1864. A de rares exceptions, leur
tirage est faible, voire confidentiel à l’exception du Père Peinard. Le mouvement anarchiste
a été réprimé après la Commune, les activistes ont du s’exiler et les publications ont été
interdites. La loi du 10 juillet 1880 amnistie les communards, la presse anarchiste et plus
largement le mouvement anarchiste peuvent reprendre leur droit. En 1891, il n’y a pas
encore les lois scélérates qui censurèrent les publications. Etant donné que nous sommes
en période de liberté de la presse et qu’il est très facile de créer un journal, on peut dire
que c’est la période de gloire de journaux anarchistes. Le courant anarchiste, outre sa
diffusion dans des journaux utilise d’autres moyens de communication, tels que les livres,
les bulletins, les revues, etc. ceci étant dû principalement au manque de moyens. Les
journaux anarchistes adoptent pour la plupart un langage très sarcastique pour analyser
un monde politique dans lequel ils ne croient absolument pas ; en effet leur but ultime est
la chute du régime, de cette IIIème République qu’il surnomment « la gueuse » car elle
est détenue par les bourgeois. Quoiqu’il en soit, les anarchistes, depuis qu’il sont de retour
éprouvent un sentiment de satisfaction teinté d’amertume : exit la République de la justice
et du travail de gouvernement direct défendue par Jean-Baptiste Clément : la République
258
est bourgeoise, modérée et dotée d’un gouvernement représentatif . Il est intéressant
258
Maxime JOURDAN, 1871 : L’adieu à la révolution, Le Nouvel Observateur, Hors-Série, p.29
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65
LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
d’étudier ce courant de pensée et sa perception de la mort de Jules Grévy, car il lui est
par essence opposé. Il faut prendre en compte le rôle trouble qu’a joué Grévy durant la
répression de la Commune de Paris en 1871. « Il fut un des signataires de la proposition
tendant à nommer M. Thiers chef du pouvoir exécutif … le 16 février 1871 il fut appelé
à la présidence de la Chambre des Députés, présidence qui fut renouvelée en mai, août,
décembre 1871. » La récente ouverture des comités secrets tenus à Versailles au début
de la Commune en mars 1871 montrent que Grévy a participé à ces comités en tant que
président de la Chambre des Députés. Bien que Grévy soit un homme de gauche, il n’en
demeure pas moins un légaliste, la Commune n’a selon lui aucune légitimité, c’est pourquoi
elle doit être empêchée. Il suffit de lire l’ouverture de la séance du comité secret du 22 mars
1871 présidée par Grévy pour s’en rendre compte, il fait part « des affreux événements
259
qui ensanglantent la capitale
» ou « d’évènements déplorables ». Bien que l’histoire
retienne que c’est le Président de l’Exécutif, Thiers, au travers du bras armé de Mac-Mahon
qui a maté la Commune dans le sang, cependant ils n’ont pas rencontré de résistance à
l’Assemblée. Les parlementaires d’une certaine importance comme Grévy ont du soutenir
cette action sans pour autant s’y fourvoyer.
a.L’Egalité Sociale
Il peut être intéressant d’étudier les réactions d’un organe anarchiste portant sur ce que
beaucoup ont appelé la vraie mort de Grévy, politique du moins : le scandale des décorations
L’Egalité Sociale, journal anarchiste lyonnais à faible tirage rappelle que Thiers, le fossoyeur
260
parisien dit un jour : « La République sera conservatrice ou ne sera pas
», au journal
d’ajouter, dix-huit ans après ces mots, « La République ne pouvant n’être que conservatrice
ne sera pas, elle doit disparaitre !
261
». La feuille se satisfait de la chute du « Grévy de
262
toutes les filouteries, de tous les tripotages
» car il est l’archétype même du bourgeois
capitaliste, l’égoïsme réincarné. Non content d’avoir une rente de situation à la tête d’un
système que le journal place au même niveau que la monarchie, il doit encore se goinfrer.
L’affaire pour le journal est dans la continuité des scandales qui ont émaillés la République
à l’instar des autres régimes, de l’affaire du collier de la reine au scandale de Panama, il n’y
a qu’un pas. Dans tous les cas, une décadence des élites toutes puissantes au détriment
d’un peuple qui se meurt.
L’affaire des décorations débute lorsque le préfet de police Gragnon décide d’enquêter
chez deux dames de la haute société, Mmes. Limouzin et Ratazzi. Un inspecteur se
présente chez la première en se faisant passer pour un commerçant souhaitant acquérir
la rosette, celle-ci lui rétorque sans prendre garde que c’est vingt-cinq mille francs, quand
l’acheteur lui demande des garanties, elle cite les noms du sénateur Andlau, du Général
Caffarel et du député Wilson. Le lendemain, l’inspecteur sous couverture se rend chez le
général au ministère de la guerre qui lui demande si « il n’y a rien de changé sur le prix
convenu ?
259
260
261
262
». L’affaire de corruption touche donc les hautes sphères de l’état, celle-ci
http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/comites-secrets-1870/seance-22-mars-1871.asp
L’Egalité Sociale, 18/12/1887, p.2
idem
Id.
263
66
263
Marie-Hélène PARINAUD, Scandale à l'Elysée, Historia, 01/03/2002
GALODE Guilhem_2011
CHAPITRE III : PERCEPTIONS DES JOURNAUX DE GAUCHE
se pratique en toute impunité, une personne est même venue se plaindre auprès du général
Caffarel du prix des légions, celui-ci lui aurait répondu : « pour qui me prenez-vous ?Je ne
décore que des gens riches ! ». Il s’agit d’une affaire de « gens de la Haute ». Caffarel est
perquisitionné le lendemain, on trouve à son domicile des preuves accablantes, il est limogé
mais il est trop tard. Dès le lendemain, le 7 octobre l’affaire est dévoilée par le Gaulois,
Andlau s’enfuit pour l’Amérique du sud le juge d’instruction demande l’audition de Wilson.
264
Celle-ci est levée à une lare majorité , les Dames Limouzin et Rattazi accablent Wilson
durant leur procès en correctionnel ce qui pousse le juge a pousser l’enquête. A partir ce cet
instant, la boite de Pandore est ouverte, on découvre le bureau de « M. Gendre, sa boutique
de décorations », un Elysée bis. Entièrement consacré à son profit. L’affaire se répand dans
265
la population à coup de chansonnettes , le personnel politique pousse le vieillard à partir,
Clémenceau lui promet « une crise politique comme on n’en a encore jamais vue dans le
266
monde parlementaire!
». La suite est connue, les nuits historiques pour tenter de former
un gouvernement, en vain suivie de la chute le 2 décembre.
Contrairement aux journaux conservateurs ou nationalistes, ce n’est pas tant le
déshonneur fait au pays qui est condamné : le journal doit porter peut d’estime à l’ordre de
la légion d’honneur. Ce qui ulcère le quotidien c’est cette impunité des puissants comme
au temps de la monarchie, c’est pourquoi le journal surnomme l’ancien président « Grévy267
Orléans
». C’est l’épilogue de l’affaire qui retient la véhémence du journal car Wilson
fut gracié grâce d’une part, à des erreurs dans l’instruction du dossier, d’autre part à des
amitiés dans le milieu de la justice mais par-dessus tout grâce à sa fortune. De fait, il a pu se
payer le meilleur avocat de l’époque, Me Lenté qui réussi à le défendre malgré un dossier
accablant. Il s’agit donc d’un scandale qui illustre un monde des élites coupé de celui des
mortels : le peuple citoyen. Un monde où un membre de la noblesse d’Etat peut échapper
à son juste châtiment grâce à ses relations et à l’argent qu’il a volé au peuple. Le journal
commente : « Est-ce que le bon populo aurait pu croire à une juste condamnation …allonsdonc ! Fadaises ! il ne fallait pas compter même sur une amendes de vingt ronds seulement
comme on en flanquerait une à un pauvre citoyen qui oublierai la muselière de son clébard !
268
269
». De plus, il y eu par la suite « deux bombardements édifiants
» car plusieurs
mis en cause dans le scandale furent promus, c’est pourquoi le journaliste écrit « crève
270
l’électeur et vive l’élu !
» Cette affaire a donc démontré qu’il y avait deux sociétés, sa
conclusion qu’il y avait deux justices. Le journal cependant ne se contente pas du départ de
Grévy, car pour le journal ce n’est pas un individu qui est pourri, c’est tout le système. C’est
pourquoi le journaliste rappelle à ses camarades socialistes que le temps des réformes est
révolu et que devant tant d’ignominies capitalistes, il est temps de passer à l’action. Ce
scandale n’a pas servi de leçon à la République, le journal salue le fait que ce ne soit pas
264
265
511 voix contre 1
Extrait de la chanson populaire d’Emile Carré intitulée : Quel malheur d’avoir un gendre : " Sous l'nom d'pod'vin et
compagnie / Mon gendre ouvrit des magasins / A sa boutique y's'chargait d'vendre /Rubans faveurs Légion d'honneur/ Ah ! quel
malheur d'avoir un gendre ! "
266
267
268
269
270
Marie-Hélène PARINAUD, Scandale à l'Elysée, Historia, 01/03/2002
L’Egalité Sociale, 18/12/1887, p.1
L’Egalité Sociale, 18/01/1888, p.2
idem
Id.
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67
LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
Ferry qui soit sorti des urnes le 3 décembre 1887 car « c’était certainement encore du sang
271
socialiste qui allait rougir le pavé
». Il est fait référence ici à l’épisode de la Commune
de Paris qui bien qu’officiellement ait été frappée par Thiers et Mac Mahon l’a été avec la
complicité cachée des Jules, bourgeois-républicains soucieux de conserver l’ordre établi et
leur confort. Son élection à la présidence aurait abouti à « la suppression des combattants
272
de la révolution sociale et celle-ci aurait du attendre pour reformer ses cadres
»,il
est vrai qu’au lendemain de l’insurrection de 1871, les personnels politiques anarchistes et
socialistes sont soi mort, soi en déportation, soi en exil : l’extrême gauche est décapitée pour
dix ans. Il faut en effet attendre l’amnistie de 1880 pour voir une résurgence du mouvement.
L’empêchement de cette élection, selon la feuille, n’a été possible que « grâce aux journées
273
populaires des 1 et 2 décembre 1887
». Il est vrai que Ferry partait grand vainqueur pour
les présidentielles succédant à Grévy, cependant une manifestation populaire aux abords de
274
l’assemblée où était notamment présente Louise Michel a changé la donne. Clémenceau
s’en servit pour faire courir le bruit selon lequel il y aurait un soulèvement insurrectionnel
en cas de victoire du chef des opportunistes. Cependant, le journal ne se réjouit pas de
l’élection de Carnot, celui-ci est le rejeton d’une famille de bourgeois républicains qui se
275
transmet le pouvoir et les mandats comme un héritage au détriment du peuple, le grand
absent. Celui-ci ne sera guère différent de ses ancêtres qui ont du sang « rouge » sur les
mains : les chats ne font pas des chiens.
b.Le Journal de Guignol
Le Journal de Guignol est un journal satirique de tendance anarchiste publié à Lyon à la fin
du XIXème, il dénonce lui la prééminence du pouvoir républicain et la répression faite sur
les anarchistes dans le bassin Lyonnais. Son édition du 20 septembre 1891 est surprenante
car la nouvelle de la mort de Grévy est rappelée de manière très brève sur un ton très
sarcastique en ouverture de la revue. « Salutances les gones et la compagnie, figurez vous
qu’un peu plus je vous laissais en plan, tellement j’avais de l’émotion, c’est pas la mort de
jules grévy que me l’accuse. Non bien que je soye plein de respeque pour la papa prasident
pour le gone que n’avait vioté la suppression de la présidence en 48 mais qui accepte la
place quand même. Enfin bref, il a cassé sa pipe : y faut le saluer et ne renucler en lui que
le gone républicain qu’à toujours à peu près fat son devoir, bien qu’il n’ait zété rapia tout le
276
temps de sa vie et qu’il n’avait pas un gendre tout coquasse.
». Outre l’aspect très bref
et très sarcastique de la nouvelle de sa mort on peut noter plusieurs choses. Tout d’abord,
le journaliste fait part de son indifférence presque totale de la mort du « papa prasident
271
272
273
274
275
277
Id.
Id.
L’Egalité Sociale, 18/01/1888, p.2
Pierre JEAMBRUN, Jules Grévy ou la République debout, Librairie Tallandier, 1991, p.397
L’Egalité Sociale, 18/01/1888, p.2 « Le premier Carnot membre du directoire, sous la première république a contribué au
massacre opéré en 1796 à Grenelle, le deuxième, ministre sous la II° république en juin 1848 a eu sa part de responsabilité dans la
sanglante répression de l’insurrection ouvrière, ce troisième, président de la république se conformera t-il aux traditions familiales ?
L’avenir nous l’apprendra ! »
276
277
68
Le Journal de Guignol, 20/09/1891 p.1
idem
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CHAPITRE III : PERCEPTIONS DES JOURNAUX DE GAUCHE
» qui semble être une dénonciation du paternalisme bourgeois ambiant durant la IIIème
République. Il est rappelé encore une fois le paradoxe Grévy : sa prise de position avec
l’amendement Grévy de 1848 contre le poste de Président de la République et le fait qu’il ait
occupé ce poste trente années plus tard. Par ailleurs, cette feuille qui s’adresse à un public
très populaire rappelle une croyance communément partagée sur Grévy, celle selon laquelle
il était un rapiat. Cette réputation venait d’anecdotes populaires comme celle portant sur sa
femme, Coralie dite « la cuisinière » qui aurait réprimandé son mari lors d’un diner officiel à
l’Elysée alors qu’il demandait à se resservir en poire, elle lui aurait crié « Ah non, celle-ci est
278
pour le dîner de ce soir !
». De plus le journal s’amuse de voir que « Monsieur Gendre »
n’était pas « tout coquasse », blâmant ainsi le gendre et non le beau-père qui devait sucrer
les fraises pendant que son gendre piquait les tampons officiels sur le bureau d’à côté. Mais
qui aime bien châtie bien car, le journal retient que Grévy a « à peu près fait son devoir »,
ce qui, dans les lignes d’un journal anarchiste, bien que satirique demeure un compliment.
Ces perceptions par la presse anarchiste ont été prises à des temps différents, ont un
style d’écriture différent et renvoient un message différent. L’Egalité Sociale traite de la mort
politique de Grévy dans un style très violent, la République de caste y est dénoncée, elle est
à l’image de Jules Grévy : injuste et tyrannique. Le Journal de Guignol quant à lui intervient
trois ans après, à la mort biologique de Grévy, son style est très sarcastique voire comique
et garde une image de lui qu’en tant que bon président paternaliste bon gré mal gré.
2. L’homme qui faillit tuer la République
Il y a peu de réactions socialistes à la mort de Grévy, on peut cependant noter celle apparue
dans La Bataille, sous la plume de Prosper-Olivier Lissagaray. Ce dernier a participé
activement à la Commune de Paris, à la fois sur les barricades mais également derrière
les rotatives, en effet, on lui doit plusieurs journaux notamment L’Action et Le Tribun du
peuple. Il est d’ailleurs en faveur, contrairement à Jules Vallès à la censure des journaux
anti-communards. Après la Commune, il s’exila en Angleterre où il écrivit Huit journées
derrière les barricades et il se maria avec la fille de Karl Marx. De retour en France, il fonda
le quotidien La Bataille dans lequel il prit la défense des travailleurs face à une République
bourgeoise et contra avec force la montée du Boulangisme en concours avec Clémenceau.
La conclusion de son article paru peu après la mort de Grévy est sans appel : « Le
Boulangisme est né en grande partie du dégout qu’il inspira à tant de républicains. C’est le
plus clair de la vie républicaine de Jules Grévy. Qu’on lui donne cette épitaphe : il exploita la
279
République et faillit la tuer !
». Il s’agit ici d’une critique assez proche des boulangistes,
en effet, on a vu que ce mouvement était composé essentiellement de personnel provenant
de l’extrême gauche, ses journalistes étaient souvent d’anciens communards. La promesse
de promotion sociale défendue par Boulanger a atteint le l’électorat populaire qui voyait
en lui le sauveur capable de changer les choses. Il est clair que Grévy et la République
des Jules en général n’est pas apprécié de l’extrême gauche, pour eux, les bourgeois ont
mènent une politique de modéré et endorment la République par leur absence d’audace
politique essentiellement du à leur volonté de conserver leur intérêts de classe, bien que
celle-ci soit minoritaire. Jules Grévy a été le président bourgeois, pas le président du peuple
et c’est pourquoi il est responsable des débordements extrémistes qui ont eu lieu. Le
journaliste confirme que Grévy a défendue la cause bourgeoise toute sa vie et n’a a aucun
278
Pierre JEAMBRUN, Jules Grévy ou la République debout, Librairie Tallandier, 1991, p.359
279
La Bataille, 11/09/1891, p.1
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69
LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
moment songé, même dans sa jeunesse à défendre la seule cause qui vaille la peine d’être
défendue : celle du peuple. Enfin il accuse Grévy d’avoir exploité la République jusqu’à la lie,
ce qui peut englober deux attaques. D’une part, Grévy a été le président bourgeois qui n’a
accordé que peu d’importance aux questions sociales car son leitmotiv était « ne pas faire
280
de vagues
» et ce au détriment du progrès social. D’autre part il est encore fait référence
ici au scandale au népotisme de Grévy, au scandale des décorations qui est la métaphore
même de la décadence d’une élite républicaine coupée de ses racines, coupée de ses
idéaux, ayant oubliée le sens du mot République. Il n’est fait aucune référence ici à Grévy
« le fossoyeur communal » ce qui peut sembler étrange de la part d’une feuille héritière
des idées de 1871. On a pu constater que la réaction des socialistes était extrêmement
véhémente face à ce président qui n’était pas le leur et qui a exploité la République comme
un rentier tel qu’il existait beaucoup au XIXème.
On va maintenant observer les réactions de l’ancien camp de Grévy, la famille
républicaine.
B.GREVY L’INTEGRE
La gauche républicaine est, au crépuscule du XIXème, extrêmement divisée. En effet, on
peut compter quatre franges majoritaires au parlement ; le centre-gauche, les républicains
modérés, les radicaux et enfin les radicaux-socialistes. La grande proximité historique et
idéologique entre les radicaux et les radicaux-socialistes fait que l’on estimera ici qu’ils ne
représentent qu’une seule et même famille. La République n’est quasiment plus menacée
en 1891, car à partir du début de la dernière décennie du XIXème, elle n’est contestée
que par moins du tiers de la Chambre des Députés. C’est pourquoi, commence à s’opérer
une modification de l’échiquier politique, une gauchisation générale qui touche à la fois le
personnel et le discours politique. Bien que le clivage gauche-droite puisse se faire entre
les républicains et les antirépublicains, devant la disparition des opposants à la République,
il va migrer dans le camp même des Républicains. Cette gauche républicaine représente
la majorité de l’hémicycle issue des élections législatives de 1889 puisqu’ils sont trois cent
281
soixante six contre deux cent dix conservateurs . Ce camp est celui de l’ancien Président
de la République Jules Grévy, bien qu’on puisse s’attendre à des réactions plutôt favorables,
la grande disparité idéologique et historique entre ces différentes factions républicaines peut
donner lieu à des jugements différenciés.
1.Une bête politique
La Justice est l’organe radical par excellence, il a été fondé par Clémenceau en 1880 et
est financé en partie par ses propres deniers. Bien que composant la majorité républicaine,
les radicaux ont toujours été dans une certaine opposition aux républicains modérés (ou
opportunistes) qui ne faisaient pas assez de réformes sociales. C’est pourquoi Clémenceau,
bien que faisant partie de la majorité s’est souvent opposé aux gouvernements Gambetta
et Ferry. Cependant ce journal contrairement à une majorité de quotidiens radicaux tels que
L’Intransigeant, La Lanterne, La Cocarde, Le National, etc. n’a pas rejoint le mouvement
280
281
70
Marie-Hélène PARINAUD, Scandale à l’Elysée, Historia, 01/03/2002
Le Figaro, 08/10/1889, p.2
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CHAPITRE III : PERCEPTIONS DES JOURNAUX DE GAUCHE
boulangiste. Cela peut sembler paradoxal que le journal de Clémenceau, ce même homme
qui a imposé Boulanger dans le gouvernement De Freycinet ne le soutienne pas. La rupture
entre Clémenceau et Boulanger s’est opérée en 1889 lorsqu’il a compris le danger pour
la démocratie que représentait ce général qu’il trouvait trop présomptueux. Son instinct de
tigre l’avait dupé, c’est pourquoi son journal n’a pas suivi les autres feuilles dans l’écueil
démagogique. La perception de ce journal peut donc s’avérer intéressante car elle peut
mettre en lumière les relations entre deux monstres politiques : Grévy et Clémenceau.
Pour le bulletin de l’édition du 10 septembre, Grévy a été frappé par sa deuxième mort,
la première ayant été consommée suite à sa démission. Il est fait référence à sa démission
et à son retrait total de la politique depuis la date du 2 décembre 1887, d’où un certain
anonymat autour de sa mort, le rédacteur vient à se demander si « c’est dans l’indifférence
282
générale qu’elle va être accueillie ?
». Cette indifférence selon le journal est injuste
car Grévy a rendu de grands services au parti Républicain, bien qu’on reconnaisse « une
283
impassibilité qui lui a souvent été reprochée comme étant une forme d’inertie
», on sent
que le journal prend les devants d’une attaque qui a été souvent proférée contre Grévy :
celle de n’être qu’un président soliveau. Or, il n’en était pas un car, en dépit de l’austérité
que sa fonction imposait, il était très actif dans la nomination ministérielle. Et c’est à travers
cette nomination qu’il a pu empêcher la République de tomber dans les pièges populistes
ou démagogiques. Le quotidien se refuse à rappeler les évènements qui l’ont poussé à la
démission, se bornant juste à souligner « qu’il était victime de fautes commises par son
284
entourage
». Cette feuille pris d’une espèce de pudeur se refuse à rappeler l’un des
évènements marquants la carrière de Grévy sa chute, par cette omission le journal signifie
d’une part, que c’est une histoire connue de tous et que justement elle appartient à l’Histoire,
donc au passé. En un sens il a payé pour les fautes d’un autre, il a été la victime expiatoire
d’une République qui se doit d’être et est irréprochable. Le journal en revanche souligne
qu’en plus du personnel politique, « l’opinion publique se prononça contre son maintien à la
285
présidence
», ce n’est donc pas une manipulation politique qui a forcé sa chute après le
scandale mais bel et bien l’expression du peuple. Le journal radical donne de l’importance à
la vox populi qui a été noyée sous la République des élites. Malgré tout, bien que Grévy ait
286
raté sa sortie, il a réussi sa retraite car il « semblait prendre à la tâche de se faire oublier
», après avoir déçu son camp, il ne s’est pas accroché au pouvoir et n’a plus interféré avec
la sphère politique alors que son aura, bien qu’écornée lui aurait permis de le faire. Dans
la conclusion du bulletin, il est dit qu’en dépit de ses fautes « chèrement expiées » Grévy
restera au Panthéon républicain pour toute son œuvre entièrement dédiée à la défense
287
d’une idéologie ; la République .
Le deuxième article du journal intitulé « la Mort de M. Grévy » est intéressant car il
rappelle les grandes étapes de sa vie politique sans le filtre des nécrologies officielles mais
282
283
284
285
286
287
La Justice, 10/09/1891, p.1
idem
La Justice, 10/09/1891, p.1
idem
Id.
Id. « mais en regard de défaillances chèrement expiées, l’Histoire plus indulgente que les jugements de ses contemporains
saura rappeler la place que Jules Grévy a occupée durant cinquante ans au premier rang du parti républicain. »
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71
LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
du point de vue des radicaux. L’amendement Grévy de 1848 est encore une fois présenté
comme visionnaire, voir clairvoyant, mais il n’a pu être accepté malgré la « verve » de Grévy.
Durant ce même mandat sous la IIème République, « il lutta contre la politique algérienne et
288
l’opposition monarchique de la chambre
», il est fait allusion ici aux politiques menées
pour renforcer la mainmise de la France sur cette colonie qui n’a à l’époque que dix-huit
ans, Grévy a du s’opposer à la levée des crédits pour l’invasion de la Petite Kabylie. Par
ailleurs, il a lutté contre les monarchiques car le Parti de l’Ordre bonapartiste était très
majoritaire dès les législatives de 1849. L’article poursuit en décrivant les grandes « mesures
289
réactionnaires
» contre lesquelles il s’est opposé ; expédition de Rome, lois sur la
presse, loi sur le droit de réunion, loi sur l’état de siège, etc. Il s’agit d’une nécrologie à la
gloire du défunt, il y a une volonté de souligner le fait que Grévy avait raison avant tout le
monde et qu’il avait une ligne de conduite relativement irréprochable.
Si l’on prend l’expédition de Rome, Grévy était, comme à l’accoutumée, seul contre
tous. Louis Napoléon Bonaparte, candidat à la présidence décide d’envahir l’Italie tout
comme son auguste oncle car elle est en proie à de graves troubles politiques entre les
catholiques du Vatican et les républicains. Bonaparte et le Parti de l’Ordre voient ici une
bonne occasion d’accroître leur prestige et de pérenniser leur pouvoir grâce à une victoire
militaire. La minorité républicaine quant à elle, vote également les crédits afin de porter
assistance aux républicains italiens dont l’émancipation pourrait être menacée par une
invasion autrichienne. L’expédition qui était voulue comme étant une opération de maintien
de la paix pour la conservation des idées libérales italiennes, se transforme en fiasco car
les Italiens n’en veulent pas, ils battent les français lors du siège de Rome. Cependant,
Louis Napoléon Bonaparte, nouvellement Président de la République souhaite faire tomber
Rome, rompt la trêve conclue et reprend l’assaut, victorieux cette fois, Rome tombe le 3
juillet 1849. Grévy s’y est opposé car cette opération militaire était dirigée contre une jeune
République, comme la France. En outre, cette opération a entraîné en France la tentative
de coup d’état des sociaux-démocrates le 13 juin 1849. Cette tentative de prise du pouvoir
par les « rouges » sera matée par Bonaparte, accroissant ainsi sa légitimité et éliminant ses
adversaires. C’est cette manœuvre qui, en partie, lui laissera les mains libres pour fomenter
son coup d’état deux ans plus tard. Le vote de Grévy, encore une fois ne manqua pas
d’intelligence. Le quotidien semble saluer les prises de positions très libérales de Grévy
notamment sur la presse et le droit de réunion dans une époque qui n’y était pas prête.
Enfin il a eu l’intelligence de proposer la création d’un poste de questeur qui aurait eu la
gestion d’une armée commandée par le Corps Législatif en cas de coup d’état mais sa
proposition fut rejetée et le 2 décembre 1851 le coup d’état de Bonaparte ne rencontra
aucune résistance dans les rues de la capitale.
Une fois le « crime » commis, il s’en retourna à son activité d’avocat mais il se représenta
en 1868 aux législatives pour contrer l’empire. Selon le journal son élection dans le Jura par
290
une large majorité d’électeurs fut vécu comme une victoire symbolique sur l’Empire, « on
291
s’en ému très vivement aux Tuileries
». Ici le journal doit magnifier l’histoire car bien que
l’élection d’un député républicain ait été une victoire en soit, il ne faut pas oublier que ces
élections furent une victoire globale pour les républicains, pas pour Grévy en particulier. Par
288
289
290
291
72
La Justice, 10/09/1891, p.2
La Justice, 10/09/1891, p.2
22.000 contre 10.000 pour le candidat impérial
La Justice, 10/09/1891, p.2
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CHAPITRE III : PERCEPTIONS DES JOURNAUX DE GAUCHE
ailleurs, il était élu d’une région relativement rurale sans grand impact dans la capitale. C’est
pourquoi parler d’émoi jusqu’aux Tuileries semble exagéré. Le 4 septembre 1870, à la chute
292
de l’Empire, il « rallia un certain nombre de députés et s’associa à leurs protestations
», en effet devant l’invasion du Corps Législatif par la foule et la proclamation de la IIIème
République, un groupe de députés, dont Grévy faisait partie alla demander la participation
de membres de l’Assemblée au gouvernement de défense nationale, en vain. On reconnaît
ici la fibre légaliste de Grévy qui veut par tous les moyens qu’il y ait des recours légaux
même dans des instants historiques où ce recours est difficilement envisageable. Il n’a
jamais pardonné à Léon Gambetta d’avoir été l’instigateur de ce gouvernement de défense
nationale car il n’était pas issu des urnes et a continué inutilement une guerre. C’est depuis
ce jour où il a été comme tant d’autres contre le cours de l’Histoire que Grévy s’est méfié des
penchants dictatoriaux de Gambetta. Par la suite, Grévy est élu président de la Chambre
293
des Députés, il fait avec Dufaure, une proposition pour « nommer Thiers chef de l’exécutif
» mais il n’est pas précisé ce qu’il advint par la suite. Or c’est cette nomination qui a donné
les mains libre à Thiers, le politique et à Mac-Mahon le militaire pour réprimer la Commune,
il n’y est pas fait référence ici. Que la répression de la Commune de Paris soit passée sous
silence dans des journaux antirépublicains peut sembler normal car il s’agit pour eux de
combattre l’anarchie et la décadence par la loi et l’ordre. Mais il est étonnant qu’un journal
radical proche de l’extrême gauche n’y fasse pas allusion, ceci d’autant plus qu’un certain
nombre de membres du parti radical sont d’anciens communards. De plus, Clémenceau
est le rédacteur en chef, on se souvient que lors du comité secret du 22 mars 1871 portant
sur la levée d’une armée pour marcher sur Paris il s’est exclamé à l’issue de la séance le
294
prophétique « vous serez responsables de ce qui va suivre !
». Bien qu’avec du recul on
puisse dire que l’épisode de la Commune de Paris a été bénéfique pour la République car
elle lui a permis de se légitimer par la sauvegarde de l’ordre, on ne peut qu’être étonné qu’un
journal radical ne relate pas cet évènement dans la nécrologie d’un acteur de premier plan.
Sa nécrologie continue en rappelant ses mandats successifs à la tête de la Chambre des
295
Députés, l’incident de Grammont durant lequel il se brouilla avec celle-ci et qui entraîna
sa démission. Bien que réélu par celle-ci dès le lendemain Grévy refusa le poste et retourna
comme simple député dans les rangs républicains. Il fut à nouveau président de la Chambre
des Députés lors de la crise du 16 mai 1877, à l’issue de la séance, la dernière avant la
dissolution et dit que « le parti républicain pouvait s’avancer sans crainte parce qu’il avait
296
bien mérité de la France et de la République
». La Justice rappelle son élection à
la présidence en 1879 contre le « glorieux soldat », le général Chanzy à une écrasante
297
majorité . Bien qu’il arrive dans un contexte d’instabilité ministérielle hérité de Mac-Mahon,
il parvient à débloquer la situation en nommant le discret William Henry Waddington.
292
293
294
idem
Id.
http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/comites-secrets-1870/seance-22-mars-1871.asp
295
Pierre JEAMBRUN, Jules Grévy ou la République debout, Librairie Tallandier, 1991, p.168 Il s’agit d’un incident de séance
er
datant du 1 avril 1873 durant lequel le député royaliste M. De Grammont s’écria « c’est une impertinence » aux mots de M. Royer,
député républicain qui qualifia l’œuvre des monarchistes de « bagage ». Grévy ne put faire revenir le calme et décida de démissionner
devant la vindicte des députés monarchistes.
296
297
La Justice, 10/09/1891, p.2
563 contre 93
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LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
La Justice rappelle le discours de la Constitution Grévy dans lequel il affirme qu’il ne
rentrera jamais en conflit avec le parlement, bien que le journal loue cet élan républicain, il
poursuit « ces paroles devaient plus tard lui être rappelées dans de pénibles circonstances
298
». En effet, à l’issue du scandale des décorations, Grévy n’avait plus aucun soutien dans
l’hémicycle, le parlement lui était donc opposé, c’est pourquoi suivant sa propre logique il
aurait dû partir sans perdre de temps en vaine résistance. Grévy a créé ce qu’il qualifiait
de « fâcheux précédent ». En effet, avec la Constitution Grévy qui servira de charte de
conduite à tous les autres présidents de la IIIème République le président de la république
est indirectement responsable devant le parlement à l’instar du président du Conseil qui
lui est directement responsable. Perrier et Millerand en ont fait les frais quelques années
plus tard, avec cette parlementarisation et ce déséquilibre des pouvoirs, le président de la
République peut être conduit à la démission si personne ne veut former de gouvernement,
entraînant le pays dans une crise institutionnelle. Grévy voulait d’une République tolérante
et ouverte, la République de l’union pas celle des divisions du passé. Dans un langage
plus actuel, il voulait être le président de tous les français. Le journal rappelle également
que Grévy, contrairement aux affirmations d’autres journaux était un président qui voyageait
dans toute la France. Le journal évoque la comparaison entre deux voyages effectués à
Cherbourg à deux années d’écart, le premier par Mac-Mahon, le second par Grévy. Alors
que le premier « entouré d’un brillant état-major et de toute la fine fleur du réactionnarisme
299
» était officiel et froid sans approbation populaire, comme un roi visitant un fief, le second
300
fut « chaleureusement reçu par la population
» car c’était le plus haut magistrat de la
République que l’on y recevait. Une guerre des récits qui a précédé la guerre des images.
Il est rappelé avec quel tact il agit devant l’incident de la visite du roi d’Espagne Alphonse
301
XII en 1883 et ce tact « fort apprécié à l’étranger et par le pays
». Le 29 septembre 1883,
le roi Alphonse XII se rendit à Paris pour une visite protocolaire, alors que celui-ci venait
d’être reçu par le Kaiser qui l’avait fait honorifiquement colonel d’une brigade stationnée à
Strasbourg, zone récemment annexée et source de tensions entre la France et l’Allemagne.
Les journaux à la fibre nationaliste dont ceux détenus par Wilson, répandent la rumeur selon
laquelle Grévy fâché ne se pliera pas au protocole mais que Ferry, Président du Conseil lui
s’y pliera. Démarre alors une campagne de presse violente menée en cachette par Wilson,
Ferry y est traité de traitre, surnommé « Ferry l’Allemand », etc. Lorsque le roi arrive, bien
que l’accueil de Grévy soit chaleureux, le cortège est conspué par la foule, à tel point que
l’itinéraire est modifié et le roi menace de quitter la France sur-le-champ déclenchant ainsi
une crise diplomatique. Ferry menace de présenter sa démission si Grévy ne s’excuse
pas auprès du roi, Grévy ravale son orgueil, s’excuse, désamorçant ainsi la crise. Ici est
soulignée le dévouement de Grévy, qui n’hésite pas à faire taire son honneur pour le bien
du pays.
Cependant, il n’est pas rappelé la politique colonisatrice de Ferry à laquelle pourtant les
radicaux étaient opposés. Grâce à « ses qualités de tact, de dignité et de juste appréciation
du caractère de ses fonctions de président
298
299
300
301
302
74
302
» il fut à nouveau élu par le Congrès en 1886
La Justice, 10/09/1891, p.2
La Justice, 10/09/1891, p.2
idem
Id.
Id.
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CHAPITRE III : PERCEPTIONS DES JOURNAUX DE GAUCHE
très facilement. Les élections d’octobre 1887 font reculer la majorité républicaine et Grévy
va devoir composer avec les conservateurs, malgré ses efforts, les ministères qu’il propose
sont renversés. Le journal ajoute que dans de telles conditions « il devenait puéril de songer
303
à concilier les deux tendances républicaines de la Chambre
», c’est en effet à partir
de cette période qu’apparaissent des tensions dans la majorité. Les radicaux sont séduits
par le discours de la gauche-nationaliste de Boulanger, en revanche les opportunistes et
les modérés ont peur de cette menace et se rapprochent ainsi de la droite républicaine.
C’est d’ailleurs ce pourquoi Grévy fut contraint à consommer une alliance avec le centredroit de Mackau pour proposer le modéré Rouvier à la tête du dernier Conseil des Ministres
en mai 1887. D’ailleurs le journal le souligne à raison, « M. Goblet a été renversé afin
304
d’éloigner du pouvoir le général Boulanger devenu un danger pour la République
».
Cependant le journal prend bien soin d’occulter le fait que c’est son propre rédacteur en
chef, Georges Clémenceau qui a imposé Boulanger en 1886 dans le gouvernement De
Freycinet, en outre, le même soin est apporté au fait qu’une majorité de radicaux s’était
ralliée à ce dangereux personnage. Il n’est pas non plus fait référence au rôle qu’a tenu
Grévy dans l’empêchement de Clémenceau d’accéder aux responsabilités ainsi qu’à son
rôle dans la résolution de l’affaire de Schnæbelé. A l’instar de l’épisode de la Commune,
il est fait ici abstraction du Boulangisme et de ses conséquences pour des considérations
partisanes. Cela explique pourquoi le journal loue le rôle de modérateur lors de cet épisode
305
appelé pudiquement « question brûlante
», ces lignes sont écrites en septembre
1891 alors que le Boulangisme en est à son épilogue. Les radicaux veulent se détacher
de cette part d’Histoire qui apparaît comme une tache sur leur parcours. En effet, eux, les
défenseurs les plus acharnés de la République, ont paradoxalement failli la détruire en
voulant porter au pouvoir un populiste qui se serait peut être transformé en César. La Justice
achève la nécrologie par sa démission survenue à la suite « d’incidents douloureux qu’il est
306
inutile de rappeler ici
», on retrouve cette pudeur présente dans beaucoup de journaux
républicains, à savoir, faire l’ellipse de sa démission pour ne pas écorner l’image de l’auguste
président. Une citation de Grévy l’avocat, faite par Laurier vient clore cet article : « A la
barre, il est un redoutable adversaire, précis serré, professant et pratiquant l’honneur de la
phrase il plaide avec une simplicité extraordinaire, sans faste, presque sans bruit, comme un
homme qui ne s’attache qu’au raisonnement et ne fait aucun cas du reste. Il parle d’une voix
nette, claire, peut-être trouble, contraste avec le nerf singulier de sa dialectique mais sous
cette parole négligée voire flottante on sent bien vite une argumentation de premier ordre
307
». Cette citation laisse le souvenir de Grévy le juriste, ce qu’il n’a jamais cessé d’être,
il a conduit toutes ses actions politiques avec ce sens du droit, prévoyant tous les cas de
figure et lui permettant d’avoir un coup d’avance sur ses adversaires. C’est ce même Grévy
ciseleur du verbe qui s’attachait toujours au fond et peu à la forme, c’est avec cette verve
qu’il a défendu la République dans l’hémicycle. C’est cette probité morale et intellectuelle
qui a permis à Grévy de faire, si on omet sa chute, un parcours de cinquante ans sans
fautes au service de la cause républicaine. C’est ce que cette nécrologie s’est employée
303
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Id.
La Justice, 10/09/1891, p.2
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Id.
Id.
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LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
à démontrer. Ce journal dans les jours qui suivent fait également un rappel des derniers
instants du mourant, du montant de sa fortune, des préparatifs de l’enterrement et de tout
ce qui s’y rapporte comme les personnalités présentes, les faire-part, etc. L’enterrement
est décrit comme dans les autres journaux, il s’agit en effet de faire un descriptif, le plus
fidèle possible, la télévision n’existant pas : on y décrit l’arrivée des personnalités, la messe
célébrée, le cortège funèbre, les discours et la mise en terre.
2.La République dans l’ordre
Les républicains modérés (ou opportunistes) ont dominé l’échiquier politique républicain
de 1870 à 1890, ils proviennent de deux partis politiques distincts. Tout d’abord celui de
308
la Gauche Républicaine (parti des Jules ) de Jules Ferry qui mise sur un programme
modéré afin de séduire un électorat qui représente la France démographiquement et
économiquement, les paysans et la petite bourgeoisie. Grévy est d’ailleurs issu de ce
premier parti. L’autre parti fondateur de ce courant de pensée est celui de l’Union
Républicaine de Gambetta, celui-ci mise d’avantage sur la représentation populaire en
adoptant un programme davantage social et Jacobin. Ce parti a été fondé historiquement
en 1870 car il regroupe ceux qui étaient pour la continuation de la guerre, on y retrouve
d’ailleurs beaucoup de membres du gouvernement de défense nationale auquel Grévy était
opposé. Lors des législatives de 1889, sur lesquelles on se base pour notre étude, beaucoup
de membres de ce parti, notamment les anciens membres de l’Union Républicaine, ont
rejoint le groupe des Républicains que nous allons étudier dans la prochaine sous-partie.
En effet, ils veulent faire tampon entre les radicaux de Clémenceau et trouvent que le
programme modéré porte trop bien son nom. Les modérés sont les victimes du phénomène
de gauchisation de l’échiquier politique que nous avons vu précédemment, en effet ils ne
représentent qu’un peu plus de cinq pour cent des suffrages. Cependant, leur perception
de la mort d’un de leurs anciens membres, qui plus est Président de la République peut
être intéressante. De plus, bien que faible dans les urnes, il s’agit d’un parti qui a une
histoire, donc une grille de lecture propre. Enfin, ils peuvent compter sur un réseau de presse
historiquement développé.
Le journal Le Temps en est le fleuron, ce journal développe une information de qualité
309
destinée à une classe sociale plutôt aisée, il demeure un quotidien relativement cher .
Le quotidien commence sa nécrologie en prenant le contre pied des journaux d’opposition
en affirmant qu’ « en dépit de l’éclipse finale qui est encore présente dans toutes les
310
mémoires, c’est une des grandes figures de la république qui disparaît
». Comme
dans toutes les nécrologies partisanes , on ne conserve que les bons côtés en faisant
abstraction du versant sombre du personnage. Le journal insiste sur l’ascension hors du
commun de ce prodige des mots qui devient dès trente-cinq ans vice-président du Corps
Législatif. Cette ascension, il l’a doit à ses qualités innées, sa « conscience, sa gravité,
311
sa conviction calme mais inébranlable
» qui lui permettent d’obtenir la confiance
de ses coreligionnaires politiques. Ici la description du personnage faite par le journal
est intéressante car elle s’inscrit en porte-à-faux de celles effectuées par les journaux
308
Le parti étant composé notamment de Jules Grévy, Jules Simon, Jules Ferry.
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CHAPITRE III : PERCEPTIONS DES JOURNAUX DE GAUCHE
d’opposition. En effet, ici la gravité du personnage qui est décrit comme « étant froid
dans ses allures, ayant une certaine lenteur, plutôt enclin à déconseiller qu’à conseiller
312
» est mise à son avantage. Alors que les journaux d’opposition le décrivent souvent
comme Grévy l’Austère, ici on transforme la froideur du personnage en une sagesse .
L’antipathique devient sympathique. Cette sagesse se traduisait par une intransigeance et
une « opposition silencieuse mais persistante à certains hommes qui semblaient déranger
313
l’otium cum dignitate
», le journaliste insiste ici sur le pouvoir de nomination de
Grévy qui se basait sur la personnalité et non pas sur des caractéristiques politiques. C’est
pourquoi Grévy a toujours privilégié le discret, mais compétent De Freycinet aux leaders
républicains tels que Gambetta, Ferry ou Clémenceau. Il en va de même pour Boulanger.
Grévy, bien qu’étant dans leur camp, ne les aimait tout simplement pas sur le plan personnel.
Par ailleurs, le journal reconnaît à Grévy d’avoir été à la manœuvre dans une période de
grande instabilité ministérielle alors qu’avec ses qualités naturelles il aurait excellé dans
une période sans remous. En effet, les premières années qui suivent sa démission sont
relativement tranquilles, la République s’enracine, les républicains ont de plus en plus
de sièges à l’Assemblée Nationale au détriment de l’opposition qui ne conserve qu’une
présence symbolique. La décennie 1880 pouvait être considérée comme l’Age d’Or de la
IIIème République car c’est à cette époque que les Républicains sont arrivés aux affaires,
les grandes lois ont été votées et on a doté la République de toute une symbolique, etc.
L’enracinement dans les têtes et dans les textes. Cependant cet âge d’or était mouvementé,
surtout pour un président, qui, bien qu’effacé devait résoudre subtilement les conflits d’idées
et de personnes qui étaient présents dans la majorité. On pourrait comparer cette situation
au rôle de Mitterrand lorsqu’il a du composer avec tous les partis du Programme Commun.
Ici il fallait faire s’entendre radicaux, opportunistes, modérés, socialistes dans un même
gouvernement, ce qui explique la forte instabilité ministérielle, les gouvernements dépassant
rarement six mois. La décennie 1890, du moins son début avant la vague anarchiste peutêtre considérée comme la Belle-Epoque de la III° République car il y a moins d’instabilité,
le boulangisme se meurt , les relations avec l’Allemagne sont normalisées, des alliances
diplomatiques se profilent, etc. Grévy n’a donc pas démérité car il a eu à gérer l’une des
périodes les plus troubles, celle où la République faisait ses premières dents.
Le quotidien républicain met à son crédit la résolution de l’affaire de Schnæbelé « sans
314
complication ni humiliation militaire
», on l’a vu avec cette crise provoquée par
Boulanger, la République est passée tout près d’un conflit armé avec l’Allemagne. Grévy a
même dû s’opposer à Boulanger et Goblet qui voulaient déclarer la mobilisation générale.
Cependant les affaires étrangères faisaient partie de son domaine réservé. Sûr que le droit
international était du côté français, il attendit comme tout avocat que l’Allemagne transmette
ses griefs, ce qu’elle ne put faire car il n’y en avait point. Ainsi Grévy a réussi le tour de
force d’éviter la guerre qui aurait été très certainement perdue car l’Allemagne avait plus
d’hommes et était mieux équipée. De plus il l’a fait dans l’honneur, il n’a pas eu à présenter
les excuses officielles de la France, apaisant ainsi les relations et n’alimentant pas un esprit
de vengeance. Le journaliste rappelle également qu’il lutta « contre l’opposition furieuse de
l’extrême gauche dans la formation du ministère Rouvier ce qui fut le premier coup sérieux
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Id.
Id.
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LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
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porté au Boulangisme
». Comme on l’a vu il s’est associé avec le centre-droit pour
barrer la route à Boulanger faisant montre d’un grand pragmatisme à l’anglaise ; le centre
plutôt que Boulanger. L’ennemi de mon ennemi est mon ami. Ces deux faits d’armes, la
résolution de Schnæbelé et l’empêchement du Boulangisme sont suffisants pour lui que la
postérité oublie « les incidents desquels il était étranger mais dont il ne put se dégager à
temps
316
».
Encore une fois, il y a une forte divergence dans la perception du scandale des
décorations entre le traitement qui en est fait par la presse républicaine et par celle
d’opposition. L’affaire des décorations n’a été provoqué que par son gendre, qui a « exploité
317
ses illusions et Grévy, par amour filial a opposé une résistance pardonnable
». Pour le
journal opportuniste, Grévy a eu raison de résister car d’une part la faute ne venait pas de
lui et d’autre part le juriste qu’il était lui guidait de ne pas créer « un fâcheux précédent ». Sa
résistance n’était pas celle d’un sénile s’accrochant à son fauteuil comme à sa cassette mais
au contraire celle d’un républicain investi par sa mission et soucieux de l’intérêt général.
Il démissionna et un « silence et une paix que personne ne songeait troubler s’étaient
318
faits autour de lui
» ; ici encore une perception différente de sa démission forcée.
Dans les papiers d’opposition, Grévy est parti sans honneur rejeté par son propre camp,
l’opprobre s’étant jetée sur lui, plus personne ne voulait s’approcher de lui et il est mort
dans une solitude absolue. En revanche pour les papiers républicains, Grévy s’est exilé,
comme l’ermite se retirerait pour méditer, il ne s’agit pas ici de l’exil du bagnard mais de
l’exil de Cincinnatus dont les pensées célestes ne sauraient être dérangées par le tumulte
du monde. En d’autre termes, Grévy est mort comme il a vécu, en sage. En plus de cet
article, le journal consacre également une nécrologie au défunt, il s’agit de sa biographie
officielle mais il y a quelques ajouts. L’épisode de son arrestation , le 2 décembre 1851
lors du coup d’état est mis en valeur, car il figure juste après son amendement qui visait
à prévenir les coups d’états. Pour ajouter à son courage, le journal rappelle qu’il a été
prisonnier politique après le coup d’état de Louis Napoléon Bonaparte, mais il n’est pas
rappelé que cet emprisonnement n’a pas excédé quelques jours, on est loin de Mandela.
Comme pour grossir le trait, le journal rappelle qu’en 1868 lors des élections dans le Jura
son succès a été tel que l’année suivante l’Empire ne présenta aucun candidat contre
lui. L’Empire aurait donc prit peur de l’élection d’un seul libéral et ne concernant qu’une
circonscription reculée. Cette peur aurait été d’autant plus grande qu’aucun candidat ne
lui aurait été opposé afin d’éviter l’humiliation. Grévy, le champion républicain ne trouve
plus personne de taille à l’affronter. Le discours de 1869 contre le plébiscite est également
évoqué, il est décrit comme « étant le plus remarquable et le plus saisissant si Gambetta
319
n’avait pas pris la parole
». Le positionnement politique du quotidien est ici marqué, pour
eux, comme pour Grévy, Gambetta n’était pas le père de la République mais un homme
trop emporté dans ses idées la plupart du temps extrêmes et qui avait une propension au
pouvoir personnel. D’ailleurs, le journaliste rappelle que Grévy n’a pas voulu rejoindre le
gouvernement provisoire au soir du 4 septembre « par haine des révolutions et scrupule de
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CHAPITRE III : PERCEPTIONS DES JOURNAUX DE GAUCHE
320
la légalité
». Ce que le journal omet de préciser contrairement à La Justice, c’est que
Grévy a fait pression, lui et quelques parlementaires pour rentrer dans ce gouvernement afin
de lui donner un minimum de légalité. Ce n’est qu’après avoir essuyé le refus qu’il a vivement
condamné ce gouvernement qui a fait vainement perdre des hommes et deux provinces à
la France. Encore une fois l’épisode de la Commune est passé sous silence bien que le
journal fasse comprendre le rôle qu’a joué Grévy dans sa répression en vertu de sa haine
des révolutions. C’est lui qui a proposé Thiers comme Chef de l’Exécutif. Il est par ailleurs
fait un parallèle entre sa démission du poste de président de l’Assemblée et celle de Thiers
car « cette retraite [de Grévy] laissa l’Assemblée à la droite qui put renverser Thiers peu de
321
semaines après
». Bien qu’il puisse y avoir une corrélation faible entre ces deux faits,
parler de rapport de cause à effet semblerait exagéré. Il est vrai que le poste de Président
de la Chambre des Députés est important dans un régime parlementaire, Grévy avait une
véritable visibilité nationale, cependant le chef de file du Parti Républicain était Thiers pas
Grévy. Celui-ci ne s’est imposé qu’à la mort de Thiers en 1877. Il n’est pas précisé qu’avant
les présidentielles de 1879 Grévy s’était déjà présenté en 1873 mais qu’il avait perdu assez
sèchement en obtenant une voix, la sienne. En outre, pour les présidentielles qui ont suivi,
le nom de Dufaure a circulé avant celui de Grévy, ce premier a préféré se retirer, cela n’est
pas non plus précisé. Peu de lignes sont consacrées à son mandat en lui-même, si ce n’est
qu’il a excellé sur le plan international, quant au plan national il n’a eu que peu d’influence.
Il est intéressant de noter comment le journal perçoit la chute de Grévy car pour le
322
papier la démission est un « suprême sacrifice
» ce qui implique deux conséquences : le
désintéressement voire un certain détachement de la chose politique et le caractère délibéré
et altruiste de son acte. Le quotidien cherche à nous faire comprendre que Grévy n’était pas
forcé de partir et il n’y a consenti que pour le bien de la République. Cependant, comme
on l’a déjà vu, cette affirmation peut être remise en question, la France n’avait plus de
gouvernement effectif depuis la mi-novembre 1887 et plus personne ne souhaitait composer
avec Grévy, en dépit de son irresponsabilité constitutionnelle, il a été institutionnellement
forcé de partir.
Le journal nous livre un article extrêmement intéressant le jour des funérailles car c’est
un article de fond sur la perception de la mort de Grévy par la presse et il s’interroge sur le
nouveau rôle de celle-ci du fait de sa modernisation récente. L’article constate en premier
lieu « la rapidité et la force avec lesquelles s’est formée dans la presse et dans l’opinion
323
nationale le jugement calme et juste de Jules Grévy
». Cette phrase est en partie
vraie car les journaux ont couvert très rapidement la mort de Jules Grévy, sa mort étant
survenue le 9 septembre à sept heures du matin et n’ayant été rendue publique que le soir,
les journaux, dès leur édition du 10 septembre s’ouvrirent sur sa mort. Cependant, il serait
faux d’affirmer qu’il y avait unanimité dans le jugement car, comme on a pu le constater et
c’est le but de ce mémoire, les journaux d’opposition ont parfois la dent très dure contre
Grévy et son œuvre qu’il estiment liberticide. D’ailleurs avec un peu de recul, on constate
que la mort de Grévy, bien que couverte par tous les quotidiens, ne fait pas toujours les gros
titres et se retrouve parfois noyée sous le flot informationnel. Enfin, dire que ce jugement est
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unanimement partagé par l’opinion est erroné. En 1891, quatre ans après sa démission il
semblerait que Grévy soit tombé dans l’oubli, c’est l’indifférence populaire qui domine. Pour
les français de l’époque, bien que le Président de la République ait un rôle à l’international
et une posture hautement symbolique, il est souvent perçu comme un soliveau, car leur
réalité politique est définie par le Président du Conseil. La formation rapide de cette opinion
est due, pour le quotidien, aux transformations technologiques très nombreuses en cette
fin de siècle, c’est grâce à la « multiplicité et à l’instantanéité des moyens d’information
324
qu’a crée le journalisme moderne
». En effet, le journalisme a connu les années
qui ont précédé des changements jusqu’alors inédits, le flux informatif est de plus en plus
dense et de plus en plus immédiat. Alors que cinquante ans auparavant, il fallait compter
plusieurs jours avant qu’une nouvelle ne traverse la France, dorénavant, il ne suffit que
d’un instant. Une nouvelle ère informationnelle était née. L’invention qui a révolutionné le
journalisme, en plus du chemin de fer qui permet aux envoyés spéciaux de couvrir les
évènements sur toute la France et dans le monde, est le câble. Le câble ou télégramme
n’est certes pas jeune, puisqu’il date du milieu du XIXème, cependant sa forme moderne
et sa démocratisation sont récentes. La première ligne télégraphique transatlantique qui
permet aux journaux américains de relater la mort de Grévy dès le 10 septembre n’a été
installée que trente ans auparavant. Par ailleurs, le câble devient un véritable argument
de vente des gazettes de l’époque, par exemple, un journal comme le très lu Le Matin
l’utilise. Sous le titre du journal on peut lire en bandeau : « derniers télégrammes de la
nuit ». Ce journal est l’un des premiers à référer de son décès. L’argument du câble est
vendeur à une époque où le journal est le seul média, car il est gage d’une information
sérieuse et à la pointe. Il y a déjà une course au scoop lancée entre les journaux qui conduit
parfois à des exemples de désinformation, le cas le plus connu demeurant la une de La
325
Presse du 9 mai 1927 « Nungesser et Coli ont réussi
» alors que les deux aviateurs
français se sont abîmés en mer. Il y a donc un développement de la technique journalistique ;
le journaliste de la Gazette de France d’Ancien Régime n’est pas le même que celui de
la fin de XIXème. Les feuilles envoient en province leurs envoyés spéciaux pour que le
lecteur ait un rendu le plus détaillé possible car l’image n’a pas supplanté le papier. Par
exemple, l’enterrement de Grévy est dans tous les journaux, relaté de la manière la plus
exacte possible, on décrit le village, le cortège, l’expression des personnes le composant,
les louanges chantées à l’église, le temps qu’il fait, l’ordre d’arrivée des personnalités, les
326
décorations prévues, les discours tenus à l’église , etc. c’est la mode et la nécessité de
l’époque. Avec l’apparition de la télévision ce type d’article n’existera plus, la description
d’un enterrement actuellement ne prend pas plus d’une dizaine de lignes alors que celui
de Grévy s’étale sur au moins deux colonnes dans la majorité des journaux. D’ailleurs, une
fois que l’envoyé spécial a fait son papier, il l’envoie directement via le poste télégraphique
installé sur les lieux de l’évènement à son journal avant qu’il ne parte en presse. Par exemple
18 580 mots ont été envoyés par télégramme par les journalistes présents à Mont-sous327
Vaudrey pour couvrir la mort de Grévy . Les câbles de condoléances sont aussi un outil
de communication politique très utilisé car tous les journaux rapportent ceux envoyés par
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Le Temps, 15/09/1891, p.2
La Presse, 09/05/1927, p.1
Le Figaro, 15/09/1891 p1 et 2
La République du Jura, 12/09/1891, p.1
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CHAPITRE III : PERCEPTIONS DES JOURNAUX DE GAUCHE
328
les personnalités pour faire part de leur sympathie , cependant ils sont livrés tels quels.
Cette immédiateté informationnelle induite par les progrès technologiques fait que selon
le journaliste du Temps « les procès d’intention qui demandaient autrefois des dizaines
d’années s’instruisent en quelques jours, la sentence moyenne et arbitrale que l’Histoire ne
329
fera guère que ratifier se trouve prononcée et confirmée pour les contemporains
».
L’analyse du journaliste ici est intéressante car elle démontre qu’un changement de relation
avec la postérité a été induit. Il est vrai qu’auparavant sans les moyens d’informations et
de communication, la mort d’une personnalité pouvait être apprise relativement longtemps,
seule la nouvelle de la mort est transmise, pas le jugement post-mortem. C’était le bouche à
oreille qui créaient les légendes et forgeaient ainsi la postérité du personnage. Des images
populaires étaient accolées aux personnages mais sans véritable connaissance de cause ;
Henri IV était resté « bon roi » et Louis XI était un « mauvais roi » alors que dans un cas
comme dans l’autre leurs sujets ne pouvaient pas se baser sur de l’information tangible mais
sur un vague bouche à oreille. Dans le cas de Grévy, l’exégèse de la personnalité et de
l’œuvre du défunt est faite en connaissance de cause par ses partisans et ses adversaires.
Ils se basent sur des faits concrets, il n’y a plus de place pour la légende. Cette information
raffinée est transmise dès le lendemain de sa mort aux lecteurs qui pourront se faire leur
opinion. Il est vrai que la majorité des articles nécrologiques portant sur Grévy se présente
comme une instruction, qu’elle soit à charge ou à décharge mais dans les deux cas on
analyse point par point la carrière de l’homme. Les adversaires cherchent les brèches et
les partisans cherchent à les cacher pour mettre en valeur les points positifs. Cette analyse
va accoucher, selon le journaliste, d’une sentence, d’un point de vue sur le personnage qui
ne sera plus remis en cause, ni par l’Histoire ni par les contemporains. Il est ici reproché
à la presse en général de faire un procès d’inquisition sans laisser de temps au recul,
ce recul est nécessaire pour se faire une opinion objective sur le personnage. Plus grave
selon lui, l’opinion transmise par le jugement péremptoire de la presse à ses contemporains
sera relayée par leurs soins et sera la marque laissée dans l’Histoire, « la postérité qu’on
330
croyait lointaine s’est rapprochée
», le journaliste fait l’Histoire.Bien que la réflexion du
journaliste ici soit intéressante, il exagère le rôle du journalisme. Il est vrai qu’à l’époque,
la presse est l’un des seuls contre-pouvoirs mais elle ne saurait enlever aux individus leur
libre-arbitre. L’opinion du lecteur d’un journal ne sera pas forcément lié par l’avis de la feuille
sur Jules Grévy. Le cas de Grévy est cependant différent car il n’est pas mort en fonction,
à son zénith ; comme l’ont souligné plusieurs feuilles, il est mort une deuxième fois, ceci
étant dû à «l’isolement de Grévy depuis cinq années ». L’auteur prend également du recul
331
et se rend compte de « la modération gagnée par nos mœurs politiques
», il y a
eu adoucissement de la joute politique, par rapport à ses débuts. En effet, les idées très
hétéroclites des débuts de la IIIème République avec les débats houleux et les attaques
dans la presse qui les accompagnaient ont laissé place à un prisme idéologique plus réduit
donc a un adoucissement du débat ainsi des mœurs politiques. Le jugement sur la mort
de Grévy s’est opéré avec du recul, il a donné lieu « à une manifestation républicaine
328
Le Matin, 10/09/1891 « M. le général Grévy s'est empressé de télégra phier la nouvelle de la mort à M. Carnot,
qui a répondu par un télégramme de condoléances ainsi conçu « Profondément affecté de la perte douloureuse que vous
m'apprenez, je vous prie d'être mon interprète auprès de la famille de M. Jules Grévy; Mme Carnot se joint à moi pour
vous of frir ses sympathiques condoléances. »
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LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
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d’une harmonie frappante et du plus grand prix
». Le journaliste ajoute qu’à de rares
exceptions, qu’on peut occulter, « tous les journaux ont parlé non seulement de la façon la
plus convenable, mais en termes presque identiques de l’ancien président de la République
333
». Cette affirmation, est certes partiellement vraie lorsqu’il s’agit des premières éditions
qui n’ont fait que ressortir des biographies parlementaires officielles, le copié-collé laisse
peu de place aux divergences. Cependant les réactions des journaux ont été différentes
d’un camp à l’autre, voire dans le même camp. Par exemple, pour ce qui est de la loi de
1880, certaines feuilles cléricales blâment Grévy arguant qu’il est un franc-maçon, ennemi
de l’Eglise et qu’il est le penseur de cette loi. D’autres feuilles catholiques pondèrent leurs
jugements et ne lui reprochent qu’une abstention coupable, ce qui est radicalement différent.
D’autre part, dans les feuilles lui étant favorables on ne le loue pas de la même manière. Les
radicaux le remercient de son combat contre les forces réactionnaires alors que les modérés
mettent en valeur son pacifisme. Il y a eu donc des réactions variées dans l’appréciation
positive ou négative du défunt mais aussi variées car justifiées différemment.
Le journaliste toujours dans la même formule ajoute que « ces jugements coïncident
334
avec ceux de la presse étrangère
», bien que cette affirmation soit déjà plus appropriée
que pour la presse nationale, la presse étrangère ayant une perception très majoritairement
positive de la mort de Grévy, il ne faut pas oublier qu’il y eut également des perceptions
négatives. Mais pour le journaliste, pour une fois la France et sa population ne se sont
pas laissées aller à la passion et ont jugé leur illustre citoyen avec tact. Dans la suite
de son article le journaliste met en lumière le rôle du président à l’étranger car « nul en
335
politique, dans un pays comme le nôtre n’est fou pour lui seul
». Le Président est
porteur de l’idéal national car il est élu , contrairement au roi, son opinion représente celle
du peuple, celle-ci peut être perçue à l’étranger comme un rameau d’olivier ou comme
un glaive. L’image que la France renvoie à l’étranger est celle de son Président élu, donc
celle du peuple. Le journaliste condamne donc un fait d’actualité, « les manifestations
336
absurdes qu’un certain charlatanisme tente d’organiser autour de l’opéra
» ; faisant
référence ici aux manifestations se déroulant devant l’opéra Garnier pour tenter d’empêcher
l’opéra Lohengrin. Cette information qui tient également une place importante en ce début
337
de septembre 1891 est un débat qui déchire l’opinion publique afin de savoir s’il faut
interdire cette pièce écrite par Wagner car trop germanique. Le journaliste espère que ces
restes de boulangisme seront éteints par la raison commune. En effet, il s’agit d’une pièce
que Boulanger avait faite interdire en 1886 ce qui avait été perçu comme une provocation
338
par l’Allemagne. Cinq années plus tard, elle est encore au centre des débats et elle
peut encore brouiller les relations franco-allemandes. Pour finir le journaliste rappelle une
anecdote, au moment où Wagner écrivait son pamphlet anti-français « aussi niais que
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Le Petit Illustré, 01/10/1891, p.1
Le Temps, 15/09/1891, p.1
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CHAPITRE III : PERCEPTIONS DES JOURNAUX DE GAUCHE
339
violent » dans l’espoir « d’échauffer notre patriotisme
», l’empereur d’Allemagne, qui
était alors Guillaume Ier avait écrivit à son neveu, le Tsar Alexandre III : « après Dieu, c’est
340
à vous que je dois ma couronne
». Par cette anecdote, l’auteur oppose à l’ignominie
germanique la grandeur française, en effet, les français n’ont pas d’intentions bellicistes et
n’ont pas l’intention de revivre le coup de la dépêche d’Ems. La France ne doit couronne,
donc sa souveraineté ni à un roi ou à Dieu, uniquement à son peuple.
Les réactions de la gauche modérée peuvent se synthétiser dans la conclusion de
l’article publié par l’organe officiel de Jules Ferry : L’Estafette. En effet, ce journal affirme
que : « Le parti républicain ne saurait oublier les services rendus par M. Grévy. Le mort
fut au premier rang de ceux qui apprirent à la démocratie militante ce grand secret de la
politique évolutionniste : le progrès par la modération et le respect des lois
341
».
Comme on a pu le constater dans cette brochure du centre gauche, Grévy est adulé
car il est l’auteur du consensus fragile qui a réussi à maintenir dans une même majorité
des partis et des personnes hétéroclites. C’est grâce à ce talent d’administrateur faisant le
promotion du pacifisme que Grévy a été un excellent président. Les portraits qui ont été
dressés ne souffrent d’aucune critique, ses contradictions et sa chute ne sont pas relevées.
La postérité retiendra qu’il a été l’un des fondateurs de la République Républicaine qui ne
se laisse pas entraîner par l’abysse des passions mais par la rigueur du droit. Ce même
droit qui garantit à la fois une République de la liberté et de la sécurité.
3.Un père fondateur de la République
Les Républicains se composent majoritairement d’anciens membres du parti Gambettiste
de l’Union Républicaine ainsi que de quelques transfuges de la Gauche Républicaine de
Ferry et Grévy. Ce parti, le plus important de la majorité républicaine en 1889, puisqu’il
représente un peu moins de quarante pour cent des sièges fait le trait d’union entre les
radicaux d’extrême-gauche de Clémenceau et le centre-gauche de Ferry. Il s’agit d’un
courant né des législatives de 1889, il est donc relativement neuf lors de la mort de Grévy.
En tant que parti majoritaire, il peut compter également sur des organes de presse à fort
tirage, cependant il n’en existe pas encore qui lui sont totalement acquis. Afin d’avoir la
vision la plus objective possible de la presse ayant la même obédience que celle du premier
parti de France, on peut baser notre étude sur deux journaux distincts. Le Siècle
journal à tirage limité s’adressant à un public bourgeois et Le Matin
tirages de l’époque, s’adressant à un large public.
343
342
, un
, l’un des plus gros
a.Le Siècle
Le Siècle est un journal républicain destiné à une classe plutôt éduquée, il a joué un grand
rôle sous le Second Empire mais perd son influence sous la IIIème République, il a compté
339
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342
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idem
Id.
L’Estafette, 10/09/1891, p.1
Annexe1
Annexe1
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83
LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
parmi ses grandes plumes Jules Vallès et Emile Zola, lequel il y fit paraître la Fortune
des Rougon. Bien que cette feuille soit initialement modérée, elle a été interdite sous la
Commune et Jules Simon en a été le rédacteur en chef, en 1891 elle représente l’idéologie
des Républicains. Dans sa relation du décès de Jules Grévy ce journal est encore sévère
avec son prédécesseur, Mac-Mahon, qui bien qu’ayant une carrière militaire très honorable
est accusé par le journal d’avoir « commis un acte de désertion par la crise du seize-mai,
344
un comble pour un soldat
». Deux choses sont observables ici, tout d’abord le fait que
Mac-Mahon abandonne son poste alors qu’il n’a fait que se « démettre » après l’expression
des urnes. Ensuite, cette honorable carrière s’est faite majoritairement durant la guerre de
1870 où il a été battu par Von Moltke mais surtout durant la répression de la Commune de
Paris où il était à la tête des troupes Versaillaises. Pour le journal, Jules Grévy, ce « juriste
345
doublé d’un philosophe
» avait pour qualités de former des ministères de cohésion, de
privilégier la tractation à la confrontation et de faire preuve d’un grand pragmatisme durant
les périodes de crise. Ici, le journal fait les louanges de Grévy, l’administrateur pacifiste et
non pas véritablement du penseur républicain, ce qui peut s’expliquer par une étiquette de
la feuille qui se situe plus à gauche que l’opportunisme. « Il exerçait le pouvoir avec autorité
mais sans jamais se départir de la réserve et de la neutralité de son rang … à cet égard
346
[son modèle] sera rappelé comme un précédent aux futurs chefs d’état
». Grévy était
donc comme l’a écrit plus tard De Gaulle en décrivant le rôle du président « au dessus de
la mêlée », étranger aux basses œuvre de politique politicienne et s’attelait avec sérieux et
gravité aux véritables enjeux de la société. Grévy était donc plus un chef qu’un idéologue, il
347
avait « une froideur extrême envers tous les préjugés et toutes les utopies
», c’est cette
même froideur qui l’a conduit à ne pas faire partie du gouvernement de défense nationale en
1870, à soutenir à demi mot la répression de la Commune, à haïr Gambetta ou Boulanger,
etc. Cependant il ne se basait pas sur ses seules opinions personnelles mais également
348
celles de son entourage et surtout de « l’opinion moyenne
», ce qui faisait de lui un
gouvernant « de solide lignée » don lui permettant d’allier dans ses décisions la sagesse
du gouvernant et l’assentiment populaire. Dans sa tâche il a été également un éducateur,
un professeur qui a permis à la France et aux français de s’acclimater avec la république,
après un siècle de troubles ; d’acquérir un esprit démocratique : «il accomplissait le geste
unique du laboureur qui sème et que rien ne dérange … Grévy a tracé le sillon et les
349
enseignements qu’il a donnés fertiliseront après lui le champ constitutionnel
». Grévy
a incarné cette rupture tranquille de la monarchie vers la République. Une rupture dans la
sécurité qui tranchait avec celle proposée par l’extrême gauche et qui s’est matérialisée par
la Commune.
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Le Siècle, 10/09/1891, p.1
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Le Siècle, 10/09/1891, p.1
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Id.
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CHAPITRE III : PERCEPTIONS DES JOURNAUX DE GAUCHE
Sur le plan personnel, il était un « gouvernant sans apparats vivant comme un
350
particulier
», ce qui tranche avec les accusations des feuilles d’oppositions qui
l’accusaient de vivre en monarque républicain. Le journal veut faire passer l’image d’un
homme simple vivant simplement ; le premier magistrat de la République vit comme la
majorité des citoyens qu’il représente. Seulement il est vrai que bien que le train de vie
élyséen sous ses septennats n’ait pas été fastueux, il n’en demeure pas moins qu’il a d’une
certaine façon thésaurisé en accumulant les défraiements du lui étaient alloués. Bien que
le luxe n’ait pas été apparent, il était cependant présent. Après la « chute horrible » qui l’a
fait tomber, « il fut encore exemplaire en se murant dans la vie privée … attendant comme
351
un sage cette mort qui n’eut que les débris de son corps
», Grévy a eu la sagesse
de se retirer des affaires du monde et par la même de se retirer en avance de ce monde
car ce 9 septembre 1891, Grévy n’a fait que consommer sa deuxième mort. Encore une
fois, les journaux républicains ressortent cette image de vieux sage qui se retire en ermitage
pour méditer en attendant sereinement la mort. Pour le journaliste, Grévy aura les faveurs
de l’Histoire, il faut faire fi du « témoignage de ses ennemis car ils furent les ennemis de
l’état et de la république … et qui le jugent sans le connaître ». L’auteur réfute en bloc les
hypothétiques témoignages contre Grévy car soit ces témoignages ne sont pas fiables car
leurs auteurs ne connaissaient pas le défunt, soit ils sont proférés par des traîtres n’ayant
pas droit de cité. La citation ici mérite d’être soulignée, car les adversaires de Grévy sont des
ennemis de la République mais par-dessus tout de l’Etat, la République est donc l’Etat, un
syllogisme se forme. Cela traduit un changement d’opinion dans la société, la République
germe dans les esprits. L’auteur ajoute que Grévy figurera à coté de Thiers et Dufaure
au Panthéon républicain ce qui peut sembler paradoxal car si Dufaure a été républicain
toute sa vie, Thiers ne l’a été que sur la fin. Grévy a su implanter la République issue de
la révolution « dans des esprits qui n’avaient rien de révolutionnaire » le journaliste ajoute
« l’apostolat de Gambetta se fortifiait de leur autorité perspicace et disciplinée associée
aux noms des éminents conservateurs qui ont apporté la liberté et la démocratie » car la
démocratie républicaine n’est pas celle des libertaires ni celle des conservateurs mais celle
du consensus. Le journal tranche avec l’idéologie des conservateurs du centre-gauche et
avec celle des radicaux pour adopter une troisième voie, celle du parti Républicain. Ce
journal à tirage limité, s’adressant à une certaine élite n’est cependant pas représentatif de
tout ce parti, pour s’en rendre compte il faut étudier un gros tirage.
b.Le Matin
Le Matin est l’un des premiers journaux français à entrer dans l’ère de la presse à très
352
gros tirage , en effet auparavant la presse était un milieu très ouvert où il n’y avait pas
réellement d’oligopole ce qui expliquait la présence de très nombreuses feuilles, notamment
républicaines. Il a été l’un des premiers journaux à faire son entrée dans une nouvelle
ère informationnelle et technologique, il se targue en effet d’être « le seul journal français
recevant par fils et par services spéciaux des nouvelles du monde entier ». Comme
on l’a vu auparavant le câble et les envoyés spéciaux deviennent la principale source
informationnelle pour les journaux , par conséquent seuls les journaux pouvant se payer un
service de câble et une armée d’envoyés spéciaux seront capables de produire une presse
de qualité. En effet, les concurrents plus pauvres ne peuvent pas suivre et par conséquent
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Id.
Le Siècle, 10/09/1891, p.1.
Annexe1
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LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
n’ont pas autant d’informations inédites à proposer que la concurrence. Par ailleurs, le
prix du journal, dix centimes est très attractif ce qui prouve que contrairement à un journal
comme Le Gaulois celui-ci s’adresse à toute la population car son prix n’est pas prohibitif.
La richesse de ce journal qui lui a été apportée par des financiers américains lui permet
également d’engager des plus plumes prestigieuses comme Jules Vallès ou Arthur Blanc.
Ces trois facteurs font qu’à partir des années 1890, la presse, qui était un marché ouvert
devient maintenant un oligopole. C’est pourquoi de nombreux journaux n’ont pas survécu à
la décennie. Le Matin est un journal de tendance républicaine il s’est opposé au boulangisme
ainsi qu’aux idées socialistes, il connaît un tirage de huit cent mille exemplaires, ce qui est
énorme pour l’époque mais qui le place cependant derrière Le Petit Parisien.
Jules Grévy fait la une de cette édition du 10 septembre 1891, le journal lui consacre
un long article en première page qui contient les sous-titres suivants « une biographie
connue, un don de prophétie, l’unité d’une vie , projets retardés par sa chute, la dignité
353
de sa retraite, la Constitution à l’épreuve, il appartenait à l’Histoire
». On peut dès à
présent constater que cet article va être très élogieux car il n’éprouve même pas le besoin
de rappeler sa biographie, celle-ci est censée être connue de chaque français. Le journaliste
commence par affirmer que Grévy appartenait à l’Histoire et qu’il avait été l’un des plus
éminents fondateurs de la République, il est intéressant de noter ici comme l’idée d’Histoire
et de République sont associées, l’histoire de la République c’est l’Histoire. Il est commun
que tout nouveau système politique en place veuille par son importance effacer les vestiges
du passé pour faire comme si avant il n’y avait rien, le néant, et après eux, le déluge.
Par exemple les révolutionnaires de 1789 s’y sont employés également, ils ont adopté un
nouveau calendrier, une nouvelle religion, abattu la Bastille, saccagé les dépouilles des
rois de France, etc. La IIIème République, à travers toute la symbolique créée autour du
Panthéon républicain s’y emploie avec talent. L’article loue le caractère prophétique dont
il a fait preuve sous la IIème République à travers son amendement mais également car
il a lutté contre deux ennemis distincts, les bonapartistes et les orléanistes qui voulaient
« escamoter l’héritage des Bonaparte ». Le journaliste poursuit en affirmant « qu’il serait
354
oiseux de faire le portrait et la biographie de Jules Grévy
» car la carrière et les tâches
prométhéennes qu’a accomplies ce président ne peuvent pas être résumées en quelques
lignes ce qui ajoute au caractère important du personnage. Le journaliste ajoute que la
photo de Grévy vaut tous les discours. Cela prouve à quelle point l’iconographie, l’imagerie
d’Epinal étaient importantes, car on veut faire passer à travers l’image l’idée d’un bon grandpère républicain, d’un sage qui traverse le temps et les âges avec sérénité.
Une brève biographie de quelques lignes résume son parcours, celui de l’idéal-type
républicain, celui de la méritocratie qui s’oppose à la fortune de naissance, elle commence
355
ainsi : « tout le monde connait ses origines obscures, sa jeunesse pauvre et laborieuse
». Cependant il s’agit ici d’une inexactitude, plus précisément d’un mensonge car la vérité
a été détournée à des fins partisanes. En effet, ne pas être né à Paris au début du XIXème
ne confère pas à un personnage forcément une origine obscure ; on sait avec exactitude
que Grévy est né le 5 août 1807 à Mont-sous-Vaudrey, bien qu’il ait toujours menti sur son
âge. Il est par ailleurs issu d’une famille de grands propriétaires qui sans appartenir à la
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Le Matin, 10/09/1891, p.1
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CHAPITRE III : PERCEPTIONS DES JOURNAUX DE GAUCHE
356
haute bourgeoisie est cependant fortunée . On sent ici que le journaliste a voulu abolir
l’image de bourgeois qui collait à la peau de Grévy, il voulait montrer qu’il n’était pas né
avec une cuillère d’argent dans la bouche et qu’il avait suivi le cursus optimal du parfait
républicain. Le quotidien qui pourtant lui est acquis, prend la décision de consacrer la plus
grande partie de son article à la chute de Grévy car « jamais la République n’a traversé
de période aussi critique, jamais Grévy maintes fois prophète ne lutta avec plus d’énergie
357
pour conjurer les périls
». Bien que cette affaire soit intervenue en plein boulangisme
triomphant et qu’il aurait pu la retourner en son avantage, cette affirmation est douteuse.
En premier lieu, la crise des médailles n’est pas l’évènement qui a le plus ébranlé la jeune
République, on peut citer entre autre la crise de Schnaebele ainsi que plus généralement
la crise du Boulangisme. Il est évident que le scandale des décorations a été un tournant,
une tempête politique mais elle n’a pas mis à mal tout un système. En 1887, alors que le
nationalisme est exacerbé et que la place de Grévy est convoitée, l’affaire tombe à pic pour
ceux qui veulent se débarrasser du vieillard encombrant. Il faut voir le trafic des décorations
davantage comme une guerre de succession que comme un séisme. Ensuite le journaliste
fait allusion au rôle actif de Grévy pour sortir de la crise. Pour le journaliste Grévy a tenté
de désamorcer la crise, tout en occultant que c’est son gendre qui l’avait provoquée.
L’article présente ses deux élections successives à la Présidence de la République sous
un jour très favorable car pour la première de 1879, elle était due « à l’unité de sa vie politique
358
», au fait que l’homme ait été fidèle toute sa vie à une seule cause. Sa réélection quant
359
à elle était « une nécessité publique
» qui venait du fait de l’instabilité politique, Grévy
devait incarner une continuité républicaine. Par ailleurs, sa réélection avait été accueillie
avec grande satisfaction par les chancelleries européennes car le fait que le chef de l’état
soit reconduit montrait une certaine stabilité favorable à la paix. La Russie notamment a
360
très bien accueilli cette « sorte de règne
» car elle voyait à travers lui la possibilité de
forger une alliance durable insoumise aux changements pourtant inhérents à la démocratie.
Il est paradoxal de noter ici que le journal mette en avant la durée exceptionnelle de « son
règne » car il est plutôt l’apanage des rois. Sa chute vint tout remettre en cause « alors que
361
l’alliance semblait imminente
». Cependant la réélection de Grévy a en partie entraîné
sa chute car la fortune qu’il avait amassée au long des années due « à l’allure démocratique
362
de sa présidence
» commença à semer le trouble surtout chez ses adversaires qui
voyaient en lui un monarque républicain.
Le journal rapporte en des termes intéressants la démission de Grévy puisqu’il parle
de « coup d’état parlementaire
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». Or, il ne s’agit pas à proprement parler d’un coup
Pierre JEAMBRUN, Jules Grévy ou la République debout, Librairie Tallandier, 1991, p.18
Le Matin, 10/09/1891, p.1
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LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
d’état fomenté par le parlement, en effet, la Constitution Grévy, bien que prévoyant dans ses
textes une irresponsabilité de droit du président, prévoyait également sa responsabilité de
fait. Le Président de la République devait être irresponsable afin de permettre au système
de conserver un exécutif durable. Cependant, il pouvait être poussé à la démission s’il
ne pouvait plus composer de gouvernement, ce qu’il advint. Le droit aurait voulu que le
président soit traduit devant la Haute-Cour de Justice de la République afin qu’il réponde
des accusations portées à son encontre. C’est pourquoi Grévy, en juriste zélé, semble s’être
opposé à sa démission de peur de créer un « précédent fâcheux », entre le fait et le droit,
Grévy a toujours choisi le droit. Le journal fait donc passer Grévy pour un déchu injustement
et non pas comme un démissionnaire et ce, afin de conserver son aura. Par ailleurs, ce coup
364
d’état « produisit une impression douloureuse
» surtout en Russie où l’alliance que
Grévy s’était échiné à mettre en place avec Alexandre III aurait pu être « remise en question
365
», c’est selon le journaliste « la cause principale et la plus honorable de résistance que
366
Grévy opposa à ses pairs du parti républicain
». Le procédé journalistique employé ici
est intéressant car il inverse le rendu des faits ainsi de la perception de la situation. Grévy
passe d’un président malhonnête poussé à la démission par les tenants de la souveraineté
nationale à celui de président qui cherche à conserver son poste non pas par profit personnel
mais par pur altruisme car il s’agit de sauvegarder une alliance qui permettrait à la France
de conserver la paix. Le journal va plus loin car il affirme que la chute de Grévy et la crise
institutionnelle qui l’a accompagné a permis à la République de se tester et d’en sortir
grandie. Grace à ce scandale, la République a traversé son premier écueil avec brio ce
qui lui permet de prétendre à être un système politique digne de la France. La résistance
de Grévy n’est donc pas pitoyable et n’a pas à être passée sous silence mais au contraire
est épique et se doit d’être prise en exemple. En l’absence d’alliance franco-russe, Grévy
semblait voir des nuages se profiler sur l’Europe, cette impression, il l’a transmise dans son
message d’adieux aux Chambres le 2 décembre 1887. Mais fort heureusement les difficultés
annoncées dans son message ne se réalisèrent pas, pour une fois, les qualités prophétiques
de Grévy étaient mises à mal. Il faut cependant souligner que l’alliance avec la Russie fut
bénéfique à la France durant le premier conflit mondial car sans elle, les empires auraient
pu concentrer leurs forces uniquement sur le front de l’ouest. Le journaliste ajoute que
367
contrairement à ce qu’on aurait pu attendre, ce n’est pas « l’auteur principal de l’intrigue
» qui fut élu mais l’illustre inconnu Carnot ; on ne peut pas savoir avec exactitude qui est
identifié comme tel ; on pourrait pencher pour Clémenceau car il semblerait que ce soit lui
qui ait fait courir des rumeurs de soulèvement des socialistes en cas de victoire de Ferry à
la Présidentielle du 3 décembre 1887. En effet, une foule s’était massée devant la Chambre
des Députés, elle était menée notamment par Louise Michel de retour de Cayenne, c’est
pourquoi Clémenceau a pu faire pression sur ses collègues pour que Ferry ne soit pas élu
au profit d’un quasi inconnu. Cependant Carnot permit grâce à ses nouveaux talents de faire
oublier cette fâcheuse chute aux yeux des français, quant à Grévy, il vécu assez longtemps
pour voir l’aboutissement des projets qu’il avait ébauchés à la fin de sa présidence tels que
l’alliance avec la Russie ou l’exposition universelle de 1889. Dans sa retraite, il ne porta
aucun préjudice, aucun embarras à la République car il se mura dans le silence le plus
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Le Matin, 10/09/1891, p.1
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CHAPITRE III : PERCEPTIONS DES JOURNAUX DE GAUCHE
total. « Les ombres du tableau disparaissent dans la mort et devant cette tombe, les fronts
368
doivent s’incliner avec respect
». Malgré les quelques imperfections de Grévy et de sa
présidence, devant une telle œuvre, on ne peut que faire fi des déceptions et ne conserver
que le principal, un bilan hors du commun d’un président hors du commun.
La publication contrairement à la majorité continue de fournir une large couverture
du décès, les autres éditions consacrent plus d’articles sur Grévy. Y sont présentes :
les dernières heures du patient malgré l’affairement des Docteurs Pactet et Ligier qui ne
purent rien contre la congestion pulmonaire. Par ailleurs, la chapelle ardente y est décrite
fidèlement, le défunt veillé par des bonnes sœurs, la disposition de la pièce, l’état du corps
369
et ses « traits qui ne sont nullement altérés malgré la blancheur cadavérique
».
Cependant cette description est la même mot pour mots que celle présente dans l’édition
370
du 10 septembre du journal Le Gaulois
, c’est pourquoi on peut imaginer qu’il s’agit ici de
l’œuvre du même envoyé spécial. Un récit très précis des préparatifs pour des funérailles
371
qui doivent donner lieu à « un grand mouvement de sympathie
» est décrit. La
maison est également décrite précisément « grande demeure bourgeoise sans prétention
372
à l’élégance, entourée d’un collier de verdure où on sent qu’il fait bon vivre
», à
travers cette description on veut rappeler la simplicité du personnage, ce bon grand-père
proche des gens de son pays, aimant la nature jurassienne à mille lieues des accusations
de grand bourgeois proférées par les opposants et illustrées par son hôtel d’Iéna. Même
dans la simple description de faits, le journal cherche à faire passer une image. Une image
à l’honneur du défunt qui tranche avec les journaux d’opposition.
Un article dans l’édition du 12 septembre porte sur l’administration ou non de l’extrême
373
onction au défunt, il est intitulé « Grévy est mort en libre-penseur
», dans cet article,
le journaliste dénonce la propagande religieuse autour de la mort de Grévy. On a pu voir
en effet que dans tous les autres journaux Grévy est mort avec les saints sacrements
administrés par le prêtre de Poligny, cependant le journaliste précise « contrairement à
ce qu’indique les autres journaux et le faire-part de Grévy, j’ai acquis la certitude que ces
374
sacrements ne lui ont pas été administrés
». Cette question est épineuse car elle
intéresse la réaction des journaux cléricaux qui ont souligné le paradoxe de cet anticlérical
qui a prit des décrets iniques et qui à l’orée de la mort a changé de camp de peur d’aller au
purgatoire. A l’inverse, certaines feuilles républicaines et cléricales lui reconnaissent ce trait
car illustrant la piété et la droiture de l’homme. Grévy a d’ailleurs été, selon le journaliste,
toujours opposé au clergé tout au long de sa vie et « s’est formellement refusé à recevoir
la visite d’un prêtre et il est mort en libre penseur
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». Ainsi Grévy, contrairement aux
Le Matin, 10/09/1891, p.1
Le Matin, 11/09/1891, p.1
Le Gaulois, 11/09/1891, p.1
Le Matin, 15/09/1891, p.1
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Le Matin, 12/09/1891, p.1
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Le Matin, 12/09/1891, p.1
GALODE Guilhem_2011
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LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
usages de l’époque est mort sans les sacrements, mettant en valeur la droiture idéologie
de ce libéral qui voulait être débarrassé du carcan des prêtres et des curés. Cependant, la
famille a cherché à faire venir un prêtre contre la volonté du mourant, le prêtre de Montsous-Vaudrey étant malade, on fit venir celui de Poligny mais le voyage étant long il arriva
après que la mort eut fait son œuvre, ce qui explique que tous les autres journaux aient fait
référence aux derniers sacrements. Cependant Grévy n’était pas un ennemi systématique
376
des gens du clergé, pour illustrer ce propos le journal rapporte une anecdote amusante
montrant toute l’humanité de Grévy. Alors qu’il était tout jeune député, il se lia d’amitié
avec un jeune curé, celui-ci lui dit un jour « tu seras président de la république , Grévy
377
lui rétorqua, dans ce cas tu seras nommé évêque !
», Grévy tint parole mais le curé
refusa. Un jour qu’il se présentait simplement à l’Elysée et demanda à voir son vieil ami,
le militaire de service, stupéfait de la requête lui demanda qui annoncer, le curé répondit
dans un ton familier « Dites à Jules que c’est le curé X qui veut lui parler » et Grévy le
reçu chaleureusement loin de la morgue de grand bourgeois qu’il était censé avoir. Cette
anecdote singulière, en plus de mettre l’accent sur l’humanité du personnage, met en valeur
la simplicité et le refus d’une certaine étiquette que les monarchistes l’accusant d’être un
président-monarque lui reprochaient. Le journal précise également la décision d’obsèques
nationales prise en conseil des ministres et l’attribution de fonds pour celle-ci, une escorte
militaire est prévue en raison de son titre de Grand’ Croix de la légion d’honneur.
Les éditions du 13 et 14 septembre rapportent les dépêches des envoyés spéciaux, la
mise en bière, le parcours du cortège « décoré de mats vénitiens et de tentures tricolores
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379
», les personnalités présentes, etc. La description des funérailles est la même que
celle rapportée dans les autres journaux.
Les perceptions qu’ont le parti Républicain sont très favorables à l’ancien président
mais elles portent sur différents points, Le Siècle reconnaît à Grévy sa qualité d’unificateur
et Le Matin fait des louanges à sa politique étrangère qui a su garantir paix et prospérité à
la France dans une période troublée. Ces journaux réussissent à inverser la tendance des
papiers d’opposition, même les évènements qui pourraient sembler sombres prennent une
tournure favorable à Grévy ; sa chute a permis de consolider les institutions ! Tout comme le
Franc-Comtois ces journaux cherchent à faire passer Grévy pour un bon grand-père et non
pour un vieux ronchon qui thésaurise sur le dos du contribuable, il a su malgré le pouvoir
rester simple, quelqu’un de bien.
Il convient enfin de se pencher sur la perception de sa mort dans la presse de très
grand tirage qui représente une bonne partie des lecteurs français.
Le Petit journal, quotidien français le plus lu car il tire à un million d’exemplaires
380
grâce à son prix attractif ne parle quasiment pas de la mort de Jules Grévy. Les rares
articles se contentent de rappeler sa biographie officielle, les préparatifs des obsèques
et l’enterrement. Il n’est à aucun moment fait référence à quelques jugements sur le
personnage ou son œuvre, on reste dans le purement informatif. La mort de Grévy est ici
véritablement noyée sous les autres informations. Dans ce journal à très grand tirage sa
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idem
Id.
Le Matin, 14/09/1891, p.3
Annexe 10
Annexe1
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CHAPITRE III : PERCEPTIONS DES JOURNAUX DE GAUCHE
mort est traitée comme un fait divers banal, faisant dire aux mauvaises langues que la mort
de Grévy y est reléguée à la rubrique des chiens écrasés. Cependant il était d’usage pour ce
381
journal de ne pas parler de politique mais plutôt de faire ses gros titres sur les faits divers .
Il en va de même pour le Petit Parisien, qui partage les mêmes caractéristiques que
le Petit Journal, une feuille bon marché à très grand tirage destinée à un large public, qui
se targue d’ailleurs d’être le quotidien le plus lu au monde avec deux millions de lecteurs.
Il y est fait référence à la mort de l’ancien Président de la République que dans l’édition du
20 septembre et sur une vingtaine de lignes seulement. En outre celles-ci ne sont qu’ une
nécrologie très protocolaire qui a été reproduite dans tous les journaux.
Ces deux journaux de très grand tirage, les leaders du marché ne font que peu
référence à la mort d’un ancien Président de la République qui apparaitrait pourtant
actuellement comme une nouvelle incontournable. Peut-être dans un souci de tirage et
d’intérêt du lecteur, les rédacteurs n’avaient rien à gagner à traiter à la une de la mort banale
d’un vieillard, ce dernier eut il été un ancien Président de la République.
Entre le mardi 9 septembre, jour de la mort de Jules Grévy et le mercredi 16 septembre
1891, lendemain de son enterrement, la part des articles qui lui ont été consacrés était
382
différente selon les jours .
La mort de Grévy n’a pas été la seule actualité de cette mi-septembre 1891, on peut citer
entre autre les grandes manœuvres de l’armée dans les Ardennes, les manifestations contre
le représentation de l’opéra Lohengrin, la course de vélocipède Paris-Brest, les émeutes
en Chine, le tremblement de terre au San Salvador, les troubles des socialistes allemands,
le discours de Freycinet aux états-majors étrangers, etc. sans oublier les nécessaires
chroniques mondaines ainsi que les faits divers scabreux.
381
382
Dominique LORMIER, Histoire de la presse en France, Editions de Vecchi, 2004, p.36
Annexe 12
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LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
Conclusion
Comme on a pu le constater dans ce sujet, les perceptions et les réactions journalistiques
relatives à la mort de jules Grévy sont différentes d’un camp à l’autre. A travers le large
prisme politique de l’époque, chaque courant idéologique a analysé la mort de l’ancien
Président de la République au travers de ses organes de presse propres. La presse est
d’ailleurs, à l’époque, le seul média existant d’où la forte importance de celle-ci dans la
formation de l’opinion publique.
A droite de l’échiquier, deux types de reproches sont faits à l’encontre de Jules
Grévy, les reproches généraux et les reproches particuliers. Pour ce qui est des critiques
particulières, les cléricaux le blâment pour les décrets iniques de 1880 contre les
congrégations, les monarchistes le réprimandent car il s’est comporté comme un roi mais
sans en avoir la légitimité ni les attributs, les bonapartistes le remontrent pour avoir profité de
la chute de l’empire et enfin les boulangistes le condamnent pour son égoïsme bourgeois,
le fait d’avoir fait passé ses intérêts avant ceux de la France.
Les feuilles d’opposition lui reprochent, toute tendance confondue d’avoir été un
carriériste toute sa vie, de faire fi de ses idéaux en fonction de l’avantage tiré, d’avoir joué
contre son propre camp en empêchant l’émergence de rivaux, de thésauriser comme un
rentier, de n’avoir été qu’un soliveau et enfin d’avoir été malhonnête durant sa présidence
ce qui s’est illustré par le scandale des décorations.
Cependant, on l’a vu, ces critiques sont également présentes à gauche chez les
anarchistes et les socialistes qui accusent Grévy d’avoir fait passer son intérêt bourgeois
avant l’intérêt de la classe prolétaire, ceci a conduit a une crise sans précédent qui faillit
réduire à néant les efforts débutés en 1871 par la Commune de Paris, cette même Commune
qu’il a mâté en collaboration avec les autres Jules. Il était le représentant d’une République
bourgeoise qui n’était et qui n’est toujours pas la leur.
Quoiqu’il en soit, les journaux d’opposition ont un jugement tranché, il est fait
étalage des nombreux défauts de Grévy, aucune concession n’est accordée à leur ancien
adversaire.
Du côté de la gauche républicaine, les différents partis le louent pour ses dons : pour les
radicaux il a enrayé la montée du Boulangisme, les modérés quant à eux le remercient pour
son pragmatisme : il a su allier l’idée de République et de sécurité et ainsi effacer le souvenir
de la Commune. Enfin le parti républicain le remercie pour l’ensemble de son œuvre, le fait
d’avoir gagné la lutte finale contre la monarchie qui oppressait la France depuis des siècles.
L’hommage des journaux républicains est unanime quand ils évoquent l’exemplarité
de sa carrière : de l’Amendement Grévy en 1848 jusqu’à sa chute en 1887, il a été en
avance sur son temps, ils lui reconnaissent un grand rôle dans l’affaire de Schnæbelé,
le louent pour l’alliance franco-russe ainsi que pour le rôle qu’il a joué dans l’écrasement
du Boulangisme. Par-dessus tout, il été le premier Président de la République républicain.
Grâce à cette fonction, il a su enraciner la République dans les esprits avec la constitution
d’une symbolique républicaine mais également dans les cœurs grâce aux grandes lois
et aux institutions qu’il a mises en place via la Constitution Grévy. En tant que premier
vrai président, il a su mener la barque de la République dans des eaux troubles sans
92
GALODE Guilhem_2011
Conclusion
toutefois chavirer, c’est pourquoi ces quotidiens font son éloge et le place dans le Panthéon
républicain aux côtés de Thiers et de Gambetta.
Au même titre que les critiques, les hommages à Jules Grévy ne souffrent d’aucune
contestation, même le scandale des décorations passe pour un test nécessaire que devait
passer cette jeune République, celle-ci l’a passé avec brio, et ce grâce à Grévy.
Dans tous les cas, la distinction entre l’homme et la fonction sont ténues, on estime en
effet que les qualités ou les défauts d’ordre personnel ont influé sur la fonction présidentielle.
On a pu observer enfin que la mort de Jules Grévy, bien qu’étant un sujet de une,
n’a pas bénéficié d’un traitement semblable à la mort de d’Adolphe Thiers, seul point de
comparaison à l’époque. Cela cependant n’est pas suffisant pour dire que sa mort est
passée inaperçue, elle a été en concurrence avec un flot informationnel plus important du
à la modernisation des moyens de communication.
Au-delà de l’homme, c’est surtout du système républicain dont il s’agit, les quotidiens
de droite estiment que la République n’est pas un système viable, elle n’a pas de leader
incontesté bénéficiant de légitimité morale et historique, de plus son personnel politique est
corrompu car il est atteint du mal de cette fin de siècle : le désintérêt du désintéressement.
C’est pourquoi, la République est un système politique qui n’est pas viable, à l’image de
l’homme qui l’a présidé Jules Grévy, la France connaîtra le même destin si elle continue
dans cette voie.
En revanche, pour les républicains, la vie et l’œuvre de l’ancien Président de la
République sont un gage de crédibilité, cet homme a démontré au fil de sa vie politique et de
sa présidence que la République est un système politique durable, amené à se perpétuer
dans le futur, respectant ainsi la devise que s’était fixé Jules Grévy « la République ne doit
pas faire peur ».
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93
LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
Bibliographie
Michel BODIN, Luc BRIOT, Philippe BRUNIAUX, Jean-Claude CHARNOZ, Jean-Louis
CLADE, Luc DUBOZ, Chantal DUVERGET, Jean-Pierre FEUILLEBOIS, Alain GOY,
Henri MEUNIER, Germaine OUDOT, Jachy THEUROT, Michel VERNUS, JeanClaude VERON, Jules Grévy : un jurassien président, Ed. DMODMO, 2007, 271p.
H.HAVENEL, Histoire de la presse française depuis 1789 jusqu’à nos jours, 1900,
717p.
Pierre JEAMBRUN, Jules Grévy ou la République debout, Ed. Jules Tallandier, 1991,
464p.
Maxime JOURDAN, Le Nouvel Observateur, Hors-série n°75 avril-mai 2010
Bernard LAVERGNE, Les deux présidences de Jules Grévy : 1879-1887, Ed.
Fischbacher,1966
Dominique LORMIER, Histoire de la presse en France, Ed. De Vecchi, 2004, 126p.
MUSEE NATIONAL DU CHATEAU DE COMPIEGNE, La pourpre et l'exil, L'aiglon et le
Prince impérial, éditions de la Réunion des musées nationaux, 2004, 292p.
Pierre SORLIN, "La Croix" et les Juifs (1880-1899), Archives de sciences sociales des
religions, 1966
94
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Annexes
Annexes
Annexe 1 : Etat de la presse nationale en France
er
métropolitaine au 1 septembre 1891
383
A consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes Politiques
er
Annexe 2 : Etat de la presse Franc-Comtoise au 1
septembre 1891
Titre
Le Courrier du
Jura La République
du Jura
Le Petit Comtois
Prix en
centimes
5
Exemplaires
a.d
Orientation
Années de parution
politique
Rep.
a.d
modérée Républicaine
Républicaine
L’Avenir du Jura
Rep. modérée
Le Franc-Comté :
journal politique
quotidien de la
région est
La Croix Jurassienne
Conservateur
Cléricalconservateur
Annexe 3 : Positionnement géographique de Montsous-Vaudrey
383
Ad : absence de données
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LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
Annexe 4 : Odonymie du village de Mont-sousVaudrey
96
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Annexes
Liste des lieux du village portant le nom de Grévy :
Château Grévy
Ecole Primaire Jules Grévy
Collège Jules Grévy
Salle des fêtes Jules Grévy
Rue Jules Grévy
Clos Grévy
Rue du clos Grévy
Caveau Jules Grévy
Rue du général Grévy
Infrastructures construites sous l’ère Grévy :
Gare
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LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
Ligne de chemin de fer Dole-Poligny
Eglise
Annexe 5 : Plaque de Jean Bavilley apposée sur le
fronton de la mairie
de Montsous Vaudrey
« La commune de Mont-sous-Vaudrey reconnaissante envers Monsieur Jean BAVILLEY
(1725-1801) Elu procureur par les habitants et après de nombreux procès intentés aux
seigneurs de Mont-sous-Vaudrey, il se rendit à Paris à pied et en sabots, il obtient face à la
Convention (1792-1795) la sauvegarde de nos 830 ha. de forêts. »
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Annexes
Annexe 6 : Buste de Jules Grévy à côté de l’église de
Mont-sous-Vaudrey
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LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
République Française
A Jules Grévy, ancien Président de la République 1807-1891
Annexe 7: Résultats des élections législatives de 1889
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Annexes
Annexe 8 : Comparaison du traitement de la mort de
deux anciens Présidents de la République par Le Petit
Parisien
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LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
Première page du Petit Parisien datant du jeudi 6 septembre 1877 annonçant la mort de
l’ancien Président de la République Adolphe Thiers. On peut constater que toute la première
page lui est consacrée, il en est de même pour la seconde.
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Annexes
Ceci est la dernière page du numéro (9) du Petit Parisien datant du dimanche 20
septembre 1891 relatant la mort de l’ancien Président de la République Jules Grévy. On
constate que l’information est reléguée à la dernière page du numéro et ne fait l’objet que
d’une biographie protocolaire ne faisant part d’aucune analyse ou point de vue. Il convient de
préciser cependant que le quotidien est devenu un hebdomadaire et que sa ligne éditoriale
a changée puisqu’il traite surtout des fait divers et des mondialités. C’est d’ailleurs le fait
divers « un fils tue sa mère » qui fait la couverture.
Annexe 9 : La part en pourcentage de la nouvelle de
la mort de Grévy dans la presse du 9 au 16 septembre
1891
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LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
Annexe 10 : Enterrement de Jules Grévy
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Annexes
A gauche : Dessin de l’église de Mont-sous-Vaudrey lors de la sortie du cercueil le
15 septembre 1891
A droite : Le même point de vue en 2011
Annexe 11 : Grandes dates de la vie de Jules Grévy
1807 : naissance à Mont-sous-Vaudrey (Jura) 1839 : Sous la monarchie de juillet, il plaide
lors de plusieurs procès politiques
1846 : Mariage avec Coralie Fraisse
1848 : Nommé commissaire de la République dans le Jura par le gouvernement
provisoire. 1848 : Elu député du Jura, acquiert de la célébrité, lors des débats relatifs à
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LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
l'élaboration de la Constitution notamment par son opposition à l'élection du président de la
République au suffrage universel, (Amendement Grévy)
1849 : Elu vice-président de l'Assemblée.
1848 : Naissance de sa fille Alice
1851 : A la suite du coup d'Etat du 2 décembre il est arrêté, puis relâché , il retourne à
sa carrière d'avocat et s’éloigne de la politique 1868 : Elu bâtonnier de Paris 1868 :
Elu député du Jura, réélu en 1869
1870 : Il s'oppose, avec Thiers et Gambetta, à la
déclaration de guerre en 1870 et condamne l'insurrection de la Commune.
1871 Elu président de la Chambre des Députés jusqu'à sa démission en avril 1873.
1876 Il est à nouveau Président de la Chambre des députés. 1877 A la suite de la
disparition de Thiers, le 3 septembre 1877, dont il prononce l'éloge funèbre, il est chargé
de la direction du parti républicain.
1879 Le 30 janvier, le président Mac Mahon démissionne et Jules Grévy est élu
président de la République par le Congrès, il expose sa vision institutionnelle, la Constitution
Grévy qui donne naissance à un régime parlementaire, elle perdura durant toute la IIIème
République 1879 Léon Gambetta est élu président de la Chambre des députés, le 14
Juillet est décrété fête nationale et la Marseillaise hymne national, signature du traité de
protectorat sur le Congo.
1880 14 juillet, première célébration de la fête Nationale et
remise du drapeau tricolore aux armées. 1880 Lois anticléricales
1880 Il fait opérer quelques transformations au Palais de l'Elysée durant son mandat :
installation du téléphone, construction du jardin d'hiver et pose d'une pendule sur le bâtiment
central. 1881 Signature du traité du Bardo: Protectorat sur la Tunisie. 1881 Le mariage
de sa fille avec Daniel Wilson
1882 Mort de Gambetta
de la branche des Bourbons.
le Tonquin.
1883 Mort du comte de Chambord, dernier représentant
1883 Traité de Hué: Protectorat français sur l'Annam et
1885 : démission de Ferry suite au désastre du Tonkin 1885 Jules Grévy est réélu
président de la République par le Congrès de Versailles 1885 Mort de Victor Hugo, le
Parlement vote des obsèques nationales, un million de personnes y assistent 1886 Le
général Boulanger est élu ministre de la guerre, il adopte de nombreuses
1886 Loi d'exil des prétendants au trône de France
incident diplomatique entre la France et l’Allemagne
1887 Affaire Schnæbelé, grave
1887 Ministère Rouvier : Boulanger est évincé.
1887 Boulanger est affecté à
Clermont-Ferrand, manifestation à la gare de Lyon des « boulangistes » pour protester
contre le départ du général. 1887 L’affaire des décoration est exposé par la presse en
octobre, Grévy doit démissionner sous la pression politique le 2 décembre 1891 décède
le mardi 9 septembre à Mont-sous-Vaudrey
Annexe 12 : Durée des différents ministères sous les
deux présidences de Grévy exprimée en mois
106
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Annexes
Annexes 13 : Liste des différents ministères sous
Jules Grévy
Dates
04/02/1879-21/12/1879
28/12/1879-19/09/1880
23/09/1880-10/11/1881
14/11/1881-26/01/1882
30/01/1882-29/07/1882
07/08/1882-28/01/1883
29/01/1883-19/02/1883
Gouvernements
Waddington
Freycinet I
Ferry I
Gambetta
Freycinet II
Duclerc
Fallières
21/02/1883-30/03/1885
06/04/1885-29/12/1885
07/01/1886-03/12/1886
11/12/1886-17/05/1886
30/05/1887-04/12/1887
Ferry II
Brisson I
Freycinet III
Goblet
Rouvier
Annexe 14 : Tableau de la remise des drapeaux le 14
juillet 1880
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LES PERCEPTIONS DE LA MORT DE JULES GREVY A TRAVERS LA PRESSE
Remise de ses nouveaux drapeaux et étendards à l’armée française sur l’hippodrome
de Longchamp, le 14 juillet 1880, Edouard DETAILLE, (huile sur toile 257x487), Musée de
l’armée
On peut noter au centre droit du tableau, Jules Grévy encadré à sa gauche par Léon
Gambetta et à sa droite par Léon Say.
108
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Mots clés
Mots clés
Jules Grévy, mort, 1891, presse, journal, quotidien, réaction, perception, démission, Jura,
Président de la République, IIIème République, 1879-1887, scandale des décorations,
affaire des décorations, Mont-sous-Vaudrey, Léon Gambetta, Sadi Carnot, Jules Ferry,
Georges Clémenceau, Georges Boulanger, Charles de Freycinet, Alice Grévy, Daniel
Wilson, Alphonse XIII, Paul Déroulède, Adolphe Thiers, Patrice de Mac Mahon, Louis
Napoléon Bonaparte, Napoléon III, Rouvier, Goblet, Mackau, Waddington, …
Anarchiste, radical-socialiste, socialiste, radical, républicain, centre
opportuniste, gambettiste, bonapartiste, conservateur, boulangiste, monarchiste
gauche,
Le Petit-Comtois, La République du Jura, L’Avenir du Jura, Le courrier du Jura, La Croix
Jurassienne, Le Franche-Comté : journal politique quotidien de la région est, La Réforme,
L’Etoile belge, The Daily Telegraph, The New-York Times, Die Presse, The American
Illustrated, La Croix, L’Univers, Le Gaulois, Le Soleil, Le Moniteur Universel, l’Autorité,
L’Intransigeant, La Cocarde, L’Egalité Sociale, Le journal de Guignol , La Bataille, La Justice,
Le Matin, Le Temps, La Presse, Le Figaro, Le Siècle, Le Petit journal, Le Petit Illustré.
Chambre des députés, Sénat, Congrès, affaire de Schnæbelé, alliance franco-russe,
Commune de Paris, gouvernement, instabilité, ministère, soliveau, Limouzin, Légion
d’honneur.
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