
communauté. La conversation est le lieu où se
manifeste « la territorialité »1 dans laquelle un
sujet social est mis dans la situation de mettre
en place un ensemble de stratégies pour
conserver son image et/ou pour ménager celle
de son interlocuteur. De cette façon, une
interaction est un mélange d’actes qui menacent
l’image (FTA, face threatening acts) et d’actes de
flatterie de l’image (FFA, face ftlattering acts),
qui mettent en vedette l’image du partenaire du
dialogue. Les aspects théoriques de la politesse
et leur application dans le cas de la langue
française ont été exposés par C. Kerbrat-
Orecchioni (1996 : 50–54)2. Cette linguiste se
réfère notamment au caractère de norme sociale
de la politesse et à ses côtés positif (amabilité)
et négatif (respect du territoire et de la face de
l’autre).
Les dictionnaires proposent beaucoup de
synonymes pour le nom « politesse » : « civilité,
courtoisie, savoir-vivre, bienséance, urbanité,
tact, convenance, amabilité, galanterie,
délicatesse, décence, distinction, respect,
éducation, manières, honnêteté, correction,
déférence, usage, tenue, réserve, retenue,
cérémonie, affabilité, égards, complaisance,
compliment, sociabilité, servilité, hommage,
façon, cérémonial, salutation, salamalecs,
obséquiosité, gracieuseté, bonnes manières, bon
ton, aménité, ton » (cf.
Trésor de la langue
française
). Selon ces synonymes, quand il
manifeste la politesse, l’énonciateur peut être
affecté, appliqué, cérémonieux, distant, enjoué,
exagéré, exquis, glacé, glacial, parfait, suranné.
L’attitude des partenaires du dialogue dépend de
la relation qui les lie : relations entre jeunes,
entre parents et enfants, entre collègues de
travail, entre patron et employés, entre les chefs
des institutions, entre professeurs et
élèves/étudiants, etc.
1 Selon Goffman, les rapports des personnes qui se trouvent
mutuellement en présence sont perçus comme des
comportements « face à face ». La face représente « [la]
valeur sociale positive qu’une personne revendique
effectivement à travers la ligne d’action que les autres
supposent qu’elle a adopté au cours d’un contact particulier »
(1993 : 9).
2 La contribution Kerbrat-Orecchioni réside dans l’analyse
minutieuse des niveaux du comportement verbal et non
verbal où il est possible de retrouver des variations
culturelles. Selon sa classification, la variation touche au
niveau des comportements verbaux, paraverbaux et non
verbaux, au niveau du système des tours de parole, au
niveau des systèmes de l’adresse et du marquage de la
relation interpersonnelle, dans la formulation des actes de
langage, ainsi que dans le fonctionnement des échanges
rituels. « La variation est partout : loin de se restreindre,
comme on le croit encore trop communément, à quelques
comportements isolés et superficiels, elle peut affecter tous
les aspects, et se localiser à tous les niveaux du
fonctionnement des interactions » (1996 : 68).
Vu toutes ces remarques, nous considérons
que la dénomination d’imparfait « de politesse »
manque de précision et ne reflète pas en totalité
la réalité. D’ailleurs, les auteurs de la
Grammaire
de la langue roumaine
(2005 : 432), considèrent
que pour rendre une demande atténuée, on
emploie l’imparfait de modestie (l’imparfait de
politesse ou l’imparfait d’attitude). Bien que
quelques-uns des synonymes pour le nom
« modestie » se retrouvent parmi ceux proposés
pour « politesse » (réserve, retenue, tenue,
décence, honnêteté, cf.
Trésor de la langue
française
), nous croyons que ces deux termes ne
sont pas synonymes, donc, l’imparfait de
modestie et l’imparfait de politesse n’expriment
pas la même chose. En même temps, ces deux
types d’imparfait apparaissent dans des
situations de communication différentes.
L’extrait suivant contient une phrase
prononcée par François Ciolina, l’ancien directeur
général adjoint de l’Opac, qui a levé le voile sur
les étranges pratiques de l’office HLM de Paris. Il
se trouve devant le juge et il accuse le maire de
la capitale d’avoir été l’un des maillons d’un
dispositif frauduleux. Le début de sa déposition
est dépourvu de sincérité, il déclare qu’il voulait
rencontrer le juge, c’est-à-dire, il voulait lui
parler, mais il le fait assez tard, plus d’un an
après la mise en examen. Par l’emploi de
l’imparfait, l’inculpé manifeste son attitude
réservée, car il se trouve devant un magistrat
chargé de rendre la justice et il affiche un
discours qui le mette en infériorité par rapport au
représentant du tribunal. Nous croyons qu’il
serait préférable de nommer ce type d’imparfait
« de réserve ». Selon nous, cet imparfait est de
plus en plus utilisé de nos jours, quand on est de
moins en moins polis, et pour obtenir quelque
chose on adoucit ses paroles, même si on ne
respecte pas le partenaire du dialogue.
Aujourd’hui, l’attaque est venue de l’intérieur.
François Ciolina a décidé de parler. Un an et six
jours après avoir été mis en examen par le juge
Halphen, il lève le voile sur les pratiques au sein
de l’Opac. Les premiers mots de sa déposition
sont révélateurs: « Je voulais vous
rencontrer pour parler des constructions
neuves, des Palulos [la rénovation d'immeubles
insalubres], des grosses réparations et de
l’exploitation [du parc HLM] », dit-il d’emblée au
juge.
(
HLM de Paris - Tiberi dans la tourmente
,
Le Point
, 8.06.1996).
Dans le dialogue suivant, les locuteurs sont
un ex-courreur de l’équipe cycliste Codifis et un
fournisseur de médicaments interdits. Même si
on lutte contre le dopage, vu la dangerosité des
substances et méthodes interdites, le dialogue
ci-dessous montre qu’on peut se soustraire aux