Et si l’effondrement de la biodiversité était plus
grave que le changement climatique?
DISCOURS DOUVERTURE
DE LA RENCONTRE
AVEC LES CANDIDATS
À L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE
PAR JEAN-FRANÇOIS SILVAIN,
PRÉSIDENT DE LA FRB
23 MARS 2017
Bonjour à toutes et à tous et merci d’être
venu nombreux assister à cet événement
assez exceptionnel. Je suis très heureux de
constater que l’assistance est variée, avec des
membres du Conseil d’orientation stratégique de la
FRB, de son Conseil scientifique, des journalistes, des
chercheurs, des étudiants, des représentants d’entre-
prises et de ministères, en un mot, de nombreuses
personnes qui s’intéressent à la biodiversité.
Plusieurs parmi vous pourraient être surpris par la
vigoureuse, et un peu provocatrice, interrogation que
nous avons mis en introduction de cet après-midi:
Et si l’effondrement de la biodiversité était plus grave
que le changement climatique?
Je rassure très vite celles et ceux quis’inquiètent à
juste titre du réchauffement climatique, celui-ci est
un processus majeur qui impacte déjà les sociétés
humaines, nul scepticisme à ce niveau de notre part;
lors de la COP 21, nous avions d’ailleurs mis en avant
le slogan «Biodiversité et climat, même combat».
Derrière la question que nous posons, il y a la convic-
tion que le devenir de la biodiversité sous toutes ses
formes, des individus aux écosystèmes, mais aussi le
devenir des multiples services que l’Homme en retire,
est crucial pour l’avenir de l’humanité.
Vous le savez, la biodiversité va mal et même très mal;
elle est soumise à des pressions qui ne diminuent pas,
notamment le changement d’usage des terres, (là-bas
déforestation, ici urbanisation et artificialisation des
sols), la surexploitation des ressources, la multiplica-
tion des pollutions, etc. Le résultat n’est pas toujours
la disparition pure et simple d’une espèce, même si
cela arrive dans des cas de plus en plus nombreux,
mais il s’agit surtout de la diminution inquiétante du
nombre d’individus au sein des espèces, à l’exemple
des populations de marsouins du Pacifique ou de
Dauphin de Maui au large de la Nouvelle–Zélande
dont les devenirs plus qu’incertains ont été soulignés
par la presse quotidienne en France ces derniers jours.
Vous me direz que cela est triste, mais que cela ne va
pas mettre directement en péril notre quotidien ou
notre alimentation. En est-on si sûrd’ailleurs ?
Tournons nous un instant vers les écrits de Daniel
Pauly, le grand spécialiste mondial des pêcheries à
l’Université de Colombie britannique au Canada,
qui, dans un article paru au début de cette année,
considère qu’un effondrement de tous les stocks de
poissons en 2048 est une hypothèse probable, si les
tendances actuelles se maintiennent; assez logique-
ment le spectre d’un accroissement de la malnutrition
dans les pays en développement dont l’alimenta-
tion repose sur les ressources maritimes risque de
seconcrétiser.
Une étude chinoise récente, de Li et al., parue fin 2016
confirme qu’un grand nombre de vertébrés ont vu
leurs populations décliner à partir de la fin du XIXe
siècle, en lien avec l’industrialisation de la planète.
Sur la terre ferme, on pourrait parler ici des
populations de guépards qui noccupent plus que
9%de leur aire de distribution originelle et dont
14des 18 populations dont on peut suivre le devenir
sont en déclin. Par ailleurs, les scientifiques ont
démontré que 75 % des espèces de primates ont
des populations en décroissance et que 60 % de ces
espèces sont menacées d’extinction. Enfin, nos plus
proches parents des genres Pan, Gorilla et Pongo,
voient également leur milieu naturel se réduire et
bientôt viendra le moment où, en dehors des parcs
zoologiques, plus aucune de ces espèces ne subsistera
dans son milieu naturel: nous serons alors les seuls
Hominidae survivants; c’est tout de même assez
poignant, ne pensez-vous pas?
Si on se tourne vers ce que l’on appelle souvent la
biodiversité ordinaire, c’est-à-dire les espèces com-
munes qui nous entourent, le constat est le même.
Les insectes, par exemple, ont payé dans nos pays un
lourd tribu à l’usage intensif des pesticides et il nest
plus nécessaire aujourd’hui de s’arrêter régulièrement
pour nettoyer son pare-brise comme on devait le faire
il y a 50 ans lorsque l’on traversait la campagne fran-
çaise; c’est assez illustratif d’un déclin qui touche
toute une communauté animale et dont on perçoit
encore mal les conséquences à long terme.
Dépassant le niveau des populations et des espèces, si
on regarde l’état des écosystèmes mondiaux, la même
inquiétude devrait nous saisir, face notamment aux
pressions qui s’exercent sur les derniers grands massifs
forestiers de la planète menacés par l’activité minière,
certaines formes d’agriculture et les plantations de
palmiers à huile. Et là, l’étonnante proposition de la
FAO de considérer les plantations comme des forêts,
une certaine manière de casser le thermomètre, ne
changera rien au constat. Les pertes de biodiversité et
notamment l’altération du fonctionnement complexe
des écosystèmes, via des processus de rétroactions,
influent sur les climats locaux et peuvent accentuer
les effets du changement climatique conduisant à
des changements environnementaux majeurs, aux
lourdes conséquences sur les populations humaines.
Si le constat est clair, pourquoi la mobilisation nest-
elle pas au rendez-vous, ou ne s’impose t-elle pas dans
toutes les sphères de la société comme pour le climat?
Peut-être pour une large partie à cause de l’amnésie
environnementale, ce processus qui fait que chaque
génération voit le monde vivant tel qu’il est et non
tel qu’il a été à la génération précédente. Les seuils
changent et comme on n’a pas pour la biodiversité,
à la différence des climatologues, une référence abso-
lue telle que la température, qui puisse servir à éva-
luer facilement l’état du monde vivant au cours des
siècles passés, le grand public et les décideurs évaluent
et perçoivent mal les pertes de biodiversité et donc
s’en préoccupent moins; à l’exception bien sûr les
scientifiques qui s’efforcent de mesurer et de quan-
tifier l’importance des changements qui ont eu lieu,
surmontant ainsi l’amnésie environnementale.
Comme exemple des incohérences extraordinaires
auxquelles nous devons faire face, je me référerais à
un récent rapport américain de la Dogwood Alliance,
qui insiste sur le besoin de protéger les forêts améri-
caines pour contribuer au stockage du carbone, tout
en relevant que le sud des États-Unis est devenu le plus
grand exportateur mondial de granulés de bois pour
les chaudières européennes, ce, au prix d’un accroisse-
ment considérable des coupes dans des forêts écologi-
quement importantes. On voit ainsi qu’une évolution
dans les comportements pouvant être perçue comme
positive a des conséquences catastrophiques sur la bio-
diversité 5000 km plus loin.
Le constat étant établi, il y a là matière à agir, aux
USA comme en France, où nous pourrions également
relever d’autres types de politiques dommageables à
la biodiversité et incompatibles entre elles.
Non seulement, il ne faut pas altérer la biodiversité
existante, mais il faut ici être vigilant quant à l’inci-
dence sur la biodiversité des solutions qu’il convient
de mettre en place pour augmenter la sécurité ali-
mentaire, lutter contre le réchauffement climatique,
réduire la consommation des énergies fossiles.
Vous l’avez compris, il est urgent de se préoccuper
du devenir de la biodiversité, la protéger et en com-
prendre les dynamiques pour insérer nos activités et
nos sociétés dans les écosystèmes et non contre eux.
La communauté scientifique, les grandes organisations
et ONG internationales et les gestionnaires d’espaces
soulignent, dans le même temps, l’importance
de la biodiversité comme partie prenante des
solutions qui peuvent être proposées pour réduire
le changement climatique ou en réduire les
Photos © Frédéric Lemtre
conséquences environnementales. Cest le concept
des solutions fondées sur la nature qui semble
extrêmement prometteur si la science a les moyens
d’en accompagner le développement.
Il faut cependant garder à l’esprit que ces solutions,
offertes aujourd’hui, sont elles aussi menacées, si la
biodiversité qui les porte venait à disparaître.
S’il n’y avait qu’un seul message à porter aujourd’hui,
comme me le rappelait une des personnes qui réfléchi
le mieux aux questions des relations entre l’Homme
et la nature, ce serait celui-ci: «Agissons avant
d’atteindre le point de non retour: il faut des
millions d’années pour que se mette en place un
écosystème complexe, il faut quelques coups de
pelleteuse pour le détruire». Un aparté rapide sur
les pelleteuses et autres engins : aujourd’hui il suffit
d’une seule personne et d’une machine sophistiquée
pour mettre à nu en quelques heures une parcelle
forestière; face à l’environnement, l’homme nest plus
contraint par ses propres capacités physiques.
Toutes les actions que j’ai évoquées, compréhension
des grands mécanismes biologiques et des liens avec
nos sociétés, protection de la biodiversité, mise en
œuvre de solutions fondées sur la nature, nécessitent
au préalable l’acquisition de nouvelles connaissances
scientifiques, une meilleure utilisation et un meilleur
partage des données existantes, le développement de
dispositif d’observation sur le long terme, la mise
en place de dispositifs expérimentaux, l’élaboration
de scénarios du futur de la biodiversité et le trans-
fert raisonné de ces connaissances vers la société et
lesdécideurs.
Cest la principale mission de la Fondation pour la
recherche sur la biodiversité, qui s’approche de son
10e anniversaire et a été créée par les principaux orga-
nismes de recherche français dans le but de favoriser le
veloppement des recherches sur la biodiversité, en
lien étroit avec les acteurs de la société. Susciter l’inno-
vation, réfléchir aux besoins de recherche nécessaires
à une meilleure connaissance de la biodiversité et de
sa dynamique, promouvoir des projets scientifiques
répondant aux enjeux de la biodiversité au service des
acteurs de la société, développer des expertises à tra-
vers des approches novatrices sont autant d’action au
cœur de son dispositif. La diffusion des connaissances
accompagne nécessairement ces missions.
La FRB c’est une équipe, un conseil scientifique mais
aussi un Conseil d’orientation stratégique de plus de
175 membres. Ces deux dernière instances ont appris
au cours de ces presque dix année à travailler ensemble
pour transformer les besoins de connaissance des
acteurs en programme et questions derecherche.
Je laisse Daniel Baumgarten, président du Conseil
d’orientation stratégique, vous présenter cette struc-
ture originale et dynamique et vous expliquer la
genèse de cet événement qui nous réunit aujourd’hui.
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