RESUME Mes travaux de recherche, depuis une dizaine d’années ont porté sur l’étude de l’impact de la variabilité des processus physiques sur la dynamique biogéochimique du réseau trophique planctonique et sur les bilans d’éléments biogènes dans l’Océan. Ces travaux ont essentiellement été menés en Méditerranée qui est une région océanique privilégiée pour mener des recherches sur cette thématique et dont la compréhension est riche d’enseignements pour appréhender le fonctionnement actuel et l’évolution future de l’Océan global. En effet, il existe en Méditerranée une grande diversité de forçages physiques, diversité qui est liée à la fois au régime climatique particulier et à la nature quasifermée de cette mer entourée de continents. Ces forçages, chacun avec une variabilité propre, sont à l’origine, pour la plupart, de circulations hydrodynamiques se développant à différentes échelles spatiales et temporelles : de la grande échelle relativement pérenne et stable aux processus transitoires à (sub)-mésoéchelle sous la forme de filaments, tourbillons ou encore de fronts. Cette imbrication complexe des échelles de variabilité provoque des distributions de plancton et de sels nutritifs extrêmement hétérogènes et fugaces mais qui permettent de maintenir des bilans de productivité relativement élevés malgré une oligotrophie globale apparente. Dans ces régimes d’interactions fortement non linéaires, il vient se surimposer, de manière de plus en plus prégnante, les effets de la perturbation climatique qui évolue à basse fréquence mais dont les conséquences portent à la fois sur une modification des forçages et du milieu environnant mais aussi sur la biodiversité. L’appréhension du rôle de ces processus physiques sur la biogéochimie marine est ainsi très complexe et consiste à identifier et quantifier l’impact de chacun de ces processus sur la distribution du plancton, des nutriments ou bien encore l’intensité d’un flux de matière biogène. Dans ce manuscrit, je montre d’abord que la seule approche expérimentale est insuffisante pour répondre à ce questionnement dans des systèmes aussi complexes et je détaille comment l’approche par modélisation couplée physique-biogéochimie rend possible l’analyse et la compréhension approfondie de tels systèmes. Le succès de cette démarche repose aussi sur l’utilisation d’outils numériques adaptés et je montre les améliorations apportées par mes travaux dans la représentation de certains échelons planctoniques. La mise en œuvre de ces outils numériques a permis d’analyser les effets de processus couvrant une large échelle de variabilités. Parmi les processus variant à haute fréquence, je montre comment par exemple la présence de tourbillons, méandres et filaments agit sur la structuration spatio-temporelle de la communauté planctonique et les échanges de matières biogènes entre la côte et le large. L’étude de processus variant à plus basse fréquence comme la convection profonde ou encore les modifications à long terme de l’hydrodynamique liées à la perturbation climatique révèlent leurs rôles cruciaux dans l’intensité de l’efflorescence printanière et les interactions prédateurs-proie ou encore sur la modulation des flux biogéochimiques en lien avec la pompe biologique du carbone (exportation de matière, métabolisme net). En terme de perspectives, le couplage réalisé récemment entre les plates-formes Eco3M et NEMO-MED permet d’envisager des études à l’échelle de l’ensemble du bassin méditerranéen en accédant à une compréhension globale de cette région océanique tout en utilisant des outils numériques à haute résolution et réalistes en termes de représentation des processus. Sur ce dernier point, il est nécessaire de poursuivre les travaux engagés sur la représentation numérique end-to-end de l’écosystème marin. L’intégration de cet outil numérique au sein d’un « Regional Earth System Model » (plate forme MORCE-MED) ouvre la perspective d’études beaucoup plus affinées sur les trajectoires d’évolution de la mer Méditerranée au cours du siècle à venir grâce à la prise en compte des rétroactions des surfaces continentales et de l’atmosphère. Ces prévisions d’évolution que ce soit en termes de biodiversité ou de modification du milieu (e.g. acidification) revêtent une grande importance, peut-être encore davantage que dans une autre partie d’océan, en raison des très forts enjeux socio-économiques existants en mer Méditerranée.