Mise au point Nutrition, immunité et vieillissement B. Lesourd*, M.F. Mathey** I Il est apparu, dans les dernières années du XXe siècle, que le vieillissement immunitaire était probablement moins important que les études l’avaient rapporté, du moins si l’on étudiait des animaux non obèses ou des humains en bonne santé (1, 2). En effet, il a été montré que certaines réponses immunitaires ne diminuaient pas (3) mais, au contraire, augmentaient avec l’âge (1, 2, 4). Notre conception du vieillissement immunologique en est modifiée : on ne parle plus aujourd’hui de déclin immunitaire progressif et irréversible (3), mais de dysrégulation induite par l’âge (5) et surtout par la pression de l’environnement (6). La nutrition est probablement le facteur environnemental qui induit les changements les plus importants dans le système immunitaire (6, 7). Ce n’est que récemment que l’on a défini des conditions de santé, tant chez l’animal (20 % de réduction alimentaire par rapport à l’alimentation ad libitum) que chez l’homme (6, 8) permettant de séparer le vieillissement normal et le vieillissement pathologique dans l’étude du vieillissement immunitaire. Parmi ces critères de sélection (6), l’état nutritionnel est très important. En effet, la simple présence d'une subcarence nutritionnelle en un seul micronu- triment peut entraîner une diminution des réponses immunitaires chez les personnes âgées (6, 7). Cet article approche successivement : ✓ Le vieillissement immunologique en soi : celui qui est étudié chez les sujets âgés présentant tous les critères de bonne santé (6, 8). ✓ Le vieillissement immunitaire lié à des influences nutritionnelles : celui qui peut être mesuré chez des sujets âgés en apparente bonne santé présentant des modifications de leur statut nutritionnel, notamment en micronutriments. ✓ Le déficit immunitaire observé chez les sujets âgés présentant des carences nutritionnelles, notamment en protéines. Le vieillissement immunitaire en soi : déficit immunitaire primaire dû à l’âge Ce vieillissement est celui que l’on peut observer chez les sujets âgés en excellente santé, c’est-à-dire ne présentant aucune pathologie évolutive, ni aiguë ni chronique, et comparable biologiquement à des adultes plus jeunes (6, 8). Immunité à médiation cellulaire : fonction des lymphocytes T * Département de gérontologie, hôpital Nord, CHU de Clermont-Ferrand, Cébazat. ** Département de gérontologie, faculté de Médecine, CHU de Clermont-Ferrand, Clermont-Ferrand. ● Diminution de la genèse et de la maturation des lymphocytes T (tableau I) La genèse des prélymphocytes T, à partir des cellules souches de la mœlle osseuse, ne semble pas diminuer avec l'avance en âge, tandis que leur maturation et leur prolifération clonale se ralentissent. Les modifications hormonales induites par la vie sexuelle, notamment les grossesses, ralentissent le vieillissement (9). De plus, l’involution thymique à partir de la puberté entraîne aussi une diminution de différenciation et de maturation (10). Il en résulte une modification des sous-populations lymphocytaires T du sang périphérique, avec diminution des CD3+ (lymphocytes T ayant subi toute la maturation thymique) et augmentation compensatrice des lymphocytes CD2+ CD3- (non totalement matures) ayant de moins bonnes capacité de multiplication (prolifération lymphocytaire) (11). Cette difficulté de maturation des lymphocytes T est partiellement compensée par la genèse de lymphocytes T, là aussi non pleinement matures, hors du thymus, notamment dans le foie (12). La conséquence en est une incapacité de renouvellement des lymphocytes T périphériques, quand ceux-ci sont détruits en périphérie (infection, par exemple), avec apparition d’une lymphopénie transitoire, l’intensité de celle-ci ayant une valeur pronostique au cours des infections (13). Dans le sang périphérique, changement des sous-populations de lymphocytes T (tableau I) Le nombre de lymphocytes périphériques diminue faiblement avec l’âge (10 à 15 % chez les nonagénaires) (2, 6). L’âge, quant à lui, induit des changements importants des sous-classes de lymphocytes T : ✓ diminution des lymphocytes T matures (CD3+) et augmentation des lymphocytes T immatures (CD2+ CD3-) (11) ; ● 146 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume V, n° 4, juillet-août 2001 Tableau I. Sous-populations et fonctions des lymphocytes T du sang périphérique dans des populations en excellente santé et chez des sujets âgés fragiles. Nombre de sujets Jeunes adultes en très bonne santé (25-34 ans) n= 57 Moyenne Âge (années) Albumine (g/l) Lymphocytes (/mm3) CD2+ (/mm3) CD3+ (/mm3) “matures” CD2+ CD3- (/mm3) “immatures” CD4+ (/mm3) “auxiliaires” CD8+ (/mm3) “cytotoxiques” CD45RA (/mm3) “naïfs” CD45 R0 (/mm3) “mémoires” IL-2 (ng/l) (stimulation 5 µg PHAp/106 cellules) IL-6 (ng/l) (stimulation 5 µg PHAp/106 cellules) Prolifération lymphocytaire (103 cpm pour 1 µg PHAp/106 cellules) écart-type Jeunes vieux en très bonne santé (65-85 ans) n = 41 Moyenne écart-type Vieux vieux en très bonne santé (> 90 ans) n = 19 Moyenne écart-type Jeunes vieux en bonne santé apparente (70-85 ans) n = 51 Moyenne écart-type 29,1 43,5 2 248 2 014 1 897 117 1 267 672 1 234 846 2,01 3,2 2,8 456 321 264 105 209 144 314 201 0,35 79,6 42,4 1 993 1 794** 1 565** 214* 1 136* 437*** 658*** 1 222*** 1,84 5,3 4,1 568 397 311 224 243 174 228 365 0,34 94,3 41,7 1 817* 1 586** 1 323**‡ 254* 997* 378*** 404***‡‡ 1 192*** 1,21***‡ 3,2 3,7 598 434 356 242 264 211 197 462 0,44 78,9 37,2 1 705** 1 511***‡ 1 207***‡ 283** 812***‡‡ 387*** 464***‡ 1 057* 1,11***‡ 6,2 3,9 434 427 299 241 271 196 213 497 0,38 1,37 0,16 1,82* 0,22 1,99*** 0,34 1,48 0,40 152 40 114 35 75** 32 54**‡ 34 Différences statistiquement significatives entre les sujets jeunes et âgés en très bonne santé : *p < 0,05 / **p < 0,01 / ***p < 0,001. Différences statistiquement significatives de celles des Jeunes vieux en très bonne santé : ‡p < 0,05 / ‡‡p < 0,01. Les sujets jeunes et âgés en très bonne santé ont été recrutés en respectant tous les critères additionnels que nous avons rapportés au protocole SENIEUR (6,8). ✓ diminution des lymphocytes T naïfs (CD45RA+) et augmentation des lymphocytes T mémoires (CD45R0+) (6, 14) ; ✓ diminution des lymphocytes CD8+ sans diminution des lymphocytes CD4+, avec augmentation du rapport CD4/CD8 (6, 15). On a vu que le premier type de changement des sous-populations de lymphocytes T – diminution des CD3+ et augmentation des CD2+ CD3–, est dû au vieillissement intrinsèque (ceux de la mœlle osseuse et du thymus) (9, 10). Il s’agit d’un vieillissement immunologique induit par notre horloge interne et donc provoqué à distance, après 60 ans, par l’arrêt de la phase de maturation de l’organisme. À l’inverse, les deux autres changements (commutation lymphocytes naïfs [CD45RA] en lymphocytes mémoires [CD45R0] [14] et diminution des CD8+ [15]) apparaissent plus tôt au cours de la vie, dans les trente premières années pour le premier (14), au cours de la vie adulte active pour le second (15). Ils sont dus aux pressions exercées par les stimulations antigéniques répétées sur le système immunitaire (16). La commutation lymphocytes naïfs en lymphocytes mémoires est majeure pendant la phase de maturation du système immunitaire – phase d’acquisition de nouvelles réponses antigéniques – mais elle se prolonge, à bas bruit, pendant toute la vie (14). Elle est aussi responsable d’une diminution de fonction (prolifération lymphocytaire et sécrétion d’IL-2) des lymphocytes T du sang périphérique, les lymphocytes mémoires étant moins proliférants que les lymphocytes naïfs (6). La diminution des lymphocytes CD8+ (20 à 25 % entre 20 et 75 ans) est partiellement res- ponsable des moindres réponses de l’immunité à médiation cellulaire (moindre fonction cytotoxique) observées chez les sujets âgés. Elle résulte, elle aussi, de modifications induites par les stimulations immunitaires au cours de la vie entraînant une diminution de la fonction TH1 (17). Fonctions des lymphocytes T (tableau I) Les capacités prolifératives des lymphocytes T diminuent régulièrement au cours de la vie adulte (18). En revanche, les sujets de 80 ans en très bonne santé ont des réponses prolifératives comparables à celles des adultes plus jeunes (2, 6). Ce n’est que chez les sujets en très bonne santé très âgés (> 90 ans) que l’on observe une diminution des capacités prolifératives (2, 6), alors que ces réponses sont moindres dès qu’il existe une altération de l’état de santé (19), et ce, plus tôt au cours de ● 147 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume V, n° 4, juillet-août 2001 Mise au point la vie (15). Chez les souris, les souches vivant le plus longtemps présentent des phénotypes génétiques (liés au complexe majeur d’histocompatibilité) particuliers et ont de plus fortes réponses prolifératives que les souches à plus faible durée de vie (20). Chez l’homme, les sujets très âgés, ayant de meilleures réponses prolifératives ont un profil génétique différent pour le système majeur d’histocompatibilité (21). Il semble donc qu’il existe un avantage de longévité lié aux capacités prolifératives et partiellement déterminé par le background génétique. L’avance en âge se traduit aussi par un changement des sécrétions des cytokines lymphocytaires : diminution de sécrétion d’IL-2 (20, 22) et d’IL-12 (23) et augmentation de celles d’IL-4, d’IL-5, d’IL-6 et d’IL-10 (1, 4). L’avance en âge se caractérise par une commutation de lymphocytes auxiliaires TH1 (sécréteurs d'IL-2 et d'IL-12) en lymphocytes auxiliaires TH2 (sécréteurs d'IL-4, d’IL-6 et d'IL-12) (24). Cette commutation serait la conséquence des présentations antigéniques répétées au cours de la vie, ainsi que cela a été montré dans la maladie VIH (25). Elle entraînerait, avec l’âge, une diminution de l’immunité à médiation cellulaire et une relative préservation de l’immunité humorale (16). Les stimulations antigéniques répétées au cours de la vie font progressivement vieillir le système immunitaire : commutation du lymphocyte naïf en lymphocyte mémoire, de TH1 en TH2. Elles entraînent progressivement une dysrégulation immunitaire : moindre immunité à médiation cellulaire avec plus grande susceptibilité aux agents infectieux intracellulaires, et relative préservation de l’immunité humorale avec conservation des défenses contre les bactéries extracellulaires. Les progrès de l’hygiène, en diminuant les pressions antigéniques au cours de la vie, auraient donc été un facteur important de l’augmentation de l’espérance de vie observée au XXe siècle. Immunité humorale : fonction des lymphocytes B L’immunité humorale est peu touchée par le vieillissement (20). Les deux modifications importantes observées sont une diminution des cellules CD5+ avec une augmentation des CD5- (26), et une augmentation avec l’âge des anticorps anti-idiotypes (27). En conséquence, les réponses immunitaires humorales deviennent moins spécifiques avec l’avance en âge. Elles sont plus orientées vers des antigènes publics que vers des antigènes privés (plus spécifiques). Les réponses anticorps deviennent progressivement moins adaptées (20). On observe aussi, avec l’avance en âge, une augmentation de certaines classes d’immunoglobulines (IgA et IgG) (20). De même, les auto-anticorps sont plus souvent positifs, quoique à taux non pathogènes, et les immunoglobulines monoclonales sont plus fréquentes (28). Tous ces changements, sans grande importance fonctionnelle, sont dus aux pressions antigéniques répétées qui induisent, avec le temps, une diminution des réponses immunitaires spécifiques et une hypertrophie relative des réponses immunitaires non spécifiques (16, 20). Immunité non spécifique : fonctions des monocytesmacrophages (tableau II) Les fonctions des cellules présentatrices d’antigènes (monocytes et macrophages) sont conservées lors de l’avance en âge (7, 16). La présentation de l’antigène est augmentée chez les souris âgées (29). La capacité de synthèse d’IL-1, activatrice des lymphocytes T, n’est pas diminuée chez les souris, même très âgées, ni chez les hommes de 80 ans en bonne santé (30). De plus, il existe, chez les animaux et les humains âgés, une augmentation de production de PGE-2 (31) et des radicaux libres (32). L’augmentation des fonctions macrophagiques avec l’âge a des effets délétères sur les lymphocytes T. En effet, les fonctions des lymphocytes T, surtout ceux des sujets âgés, sont influencées par cette sécrétion de PGE-2 : diminution des capacités prolifératrices et des fonctions NK (31-33). De même, l’hyperproduction de radicaux libres, phénomène classique du vieillissement, a aussi des effets délétères. L’augmentation des fonctions macrophagiques liée au vieillissement (adaptation pour compenser les changements des fonctions des lymphocytes T ou stimulation permanente ?) est elle-même un facteur de vieillissement par son effet de diminution des fonctions des lymphocytes T et ce, même chez les sujets âgés en bonne santé (33). Ce déséquilibre (dysrégulation monocytelymphocyte T) joue certainement un grand rôle dans le vieillissement lié aux maladies : au cours d’une agression, quel qu’en soit le type, c’est le macrophage qui déclenche, par ses sécrétions de cytokines, l’activation des cellules impliquées dans les mécanismes de défense (lymphocytes, phagocytes) ou de réparation (fibroblastes) de l’organisme (34). De surcroît, ce sont les mêmes cytokines (IL-1, IL-6, TNFα) qui sont responsables de la réorganisation métabolique du syndrome d’hypercatabolisme : mobilisation des réserves nutritionnelles de l’organisme et réorganisations métaboliques, afin de fournir aux tissus agressés et aux cellules activées les nutriments nécessaires pour leur hyperfonctionnement (34). Ce processus central de défense est délétère chez les sujets âgés (7, 35). En effet, il survient chez des sujets qui ont déjà : – une diminution de leurs réserves nutritionnelles (ostéoporose, sarcopénie, …) ; – des modifications métaboliques (trouble de la régulation glycémique, déséquilibre du métabolisme au niveau du corps entier, …) ; – une synthèse accrue de cytokines monocytaires pour stimuler suffisamment des lymphocytes aux fonctions plus affaiblies que celles des cellules stimulantes (macrophages). Les agressions ont donc, chez le sujet âgé, des effets délétères qui vont le fragiliser. Certes, il est capable de se défendre aussi efficacement que l’adulte plus jeune, mais cela au prix de sécrétions plus fortes des cytokines monocytaires et donc d’un syndrome d’hypercatabolisme plus intense. Le prix à payer est une mobilisation plus importante de ses réserves nutritionnelles – réserves qu’à l’inverse de l’adulte plus jeune, il ne sait pas entièrement reconstituer. Il sort de tout épisode d’agression (maladie) avec des réserves nutrition- 148 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume V, n° 4, juillet-août 2001 nelles moindres, donc fragilisé, puisqu’il aura moins de réserves pour se défendre lors d’une agression ultérieure. Le déséquilibre entre fonctions monocytaires préservées et fonctions lymphocytaires diminuées (dysrégulation monocyte-lymphocyte T) est donc un élément important du vieillissement tant normal, tel qu’il est rencontré chez les sujets en très bonne santé, que pathologique, tel qu’il est observable chez le sujet âgé malade. Vieillissement immunitaire secondaire : influence des facteurs environnementaux : exemple des facteurs nutritionnels (7, 20, 33, 36) La caractéristique principale du vieillissement nutritionnel des populations est l’apparition de subcarences puis de carences nutritionnelles (37). Celles-ci sont fréquentes chez les sujets âgés en bonne santé vivant à leur domicile : un tiers d’entre eux présentent une carence en au moins un micronutriment et de 2 à 4 % une malnutrition protéino-énergétique, ou MPE (7, 37). Plusieurs travaux ont montré, au cours des dernières années, qu’elles étaient associées à un déficit immunitaire et qu’elles portent sur des carences majeures (en macronutriments) ou mineures (en micronutriments). ments, notamment de micronutriments antioxydants, soit encore par des cocktails associant de très nombreux micronutriments (7, 36). Nous-mêmes avons mis en évidence que des valeurs basses de folates, sans déficience nutritionnelle, étaient associées, chez les sujets âgés uniquement, à des réponses immunitaires plus basses (2, 6), et qu’une supplémentation corrigeait ce déficit (publication en cours). Certaines études ont même révélé que de telles supplémentations pouvaient avoir des conséquences cliniques en réduisant la fréquence et la durée des infections, tant chez les sujets âgés autonomes, vivant au domicile (39), que chez les sujets malades en institution (40). Il est important de noter que les sujets âgés, même en très bonne santé, présentent une plus grande sensibilité de leur immunité à médiation cellulaire (IMC) aux facteurs nutritionnels que les adultes plus jeunes (2, 6). Cette susceptibilité, associée à la grande fréquence des carences nutritionnelles chez les sujets âgés (7, 37), même en très bonne santé, est certainement la cause de défi- Dès 1987, Talbott avait montré, dans un protocole en double aveugle versus placebo, que la supplémentation en vitamine B6 permettait de restaurer les déficits immunitaires des sujets âgés autonomes présentant des taux bas de vitamine B6 sérique (38). Depuis, plusieurs études, en double aveugle versus placebo, ont établi que des supplémentations en micronutriments permettent de corriger, partiellement, les déficits immunitaires observés chez les sujets âgés autonomes, parfois en bonne santé. Cela a été montré soit par des supplémentations en un seul micronutriment, comme pour le zinc, la vitamine B6, l’acide folique, la vitamine E, soit par des associations de quelques micronutri- Tableau II. Fonctions des monocytes du sang périphérique dans des populations âgées présentant des états de santé et des statuts nutritionnels différents. Nombre de sujets Âge (années) Albumine (g/l) CRP (mg/l) IL-1 (ng/ml) Spontanée (stimulation 25 µg LPS/106 cellules) IL-6 (ng/l) Spontanée (stimulation 25 µg LPS/106 cellules) Jeunes vieux en très bonne santé (65-85 ans) n = 41 Moyenne écart-type 79,6 42,4 <6 5,3 4,1 Jeunes vieux fragiles en bonne santé apparente (70-85 ans) n = 51 Moyenne écart-type Jeunes vieux dénutris mais autonomes (70-85 ans) n = 25 Moyenne écart-type Jeunes vieux très dénutris et hospitalisés (70-85 ans) n = 17 Moyenne écart-type 78,9 37,2 7,1 6,2 3,9 4,2 78,7 29,4***‡ 16,8**‡ 5,9 3,2 12,6 79,6 22,3***‡‡ 26,4***‡‡‡ 6,4 2,8 9,6 ND 2,6 2,2 ND 2,4 2,1 1,4 1,2*‡ 1,5 1,6 0,5 0,7***‡‡ 1,1 1,0 ND 1,7 0,3 0,1 1,9 0,1 0,4 0,35 0,98**‡‡‡ 0,18 0,41 0,24 0,31***‡‡‡ 0,26 0,25 Les sujets de référence ont été sélectionnés sur des critères de très bonne santé (6,8), ou d’autonomie (fragiles et/ou dénutris) et comparés à des sujets âgés très profondément dénutris et malades (atteints de MPE par malnutrition d’apports avec inflammation faible : CRP < 30 mg/l). Différences statistiquement significatives par rapport aux sujets âgés en très bonne santé : *p < 0,05 / **p < 0,01 / ***p < 0,001. Différences statistiquement significatives par rapport aux sujets âgés fragiles en bonne santé apparente : ‡p < 0,05 / ‡‡p < 0,01, ‡‡‡p < 0,001. 149 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume V, n° 4, juillet-août 2001 Mise au point ciences immunitaires chez nombre d’entre eux. Elle peut expliquer beaucoup de publications déjà anciennes montrant que le vieillissement s’accompagne d’un déficit de l’IMC (3), en apparente contradiction avec les publications les plus récentes semblant montrer, au contraire, une certaine préservation des réponses immunitaires jusqu'à un âge avancé chez ceux restés en très bonne santé (2, 4, 6, 19). Il est probable que de nombreux travaux observant une baisse des réponses immunitaires chez les sujets âgés, même en apparente bonne santé, ne traduisent pas l’influence du vieillissement sur les réponses immunitaires mais plutôt l’influence de subcarences nutritionnelles chez les sujets âgés. Les études futures portant sur le vieillissement immunitaire devront intégrer cette dimension nutritionnelle et quantifier de nombreux micronutriments. Il faut considérer avec une attention toute particulière les travaux sur la vitamine E du groupe de Symin Meydani (Tufts University, Boston, États-Unis). Ce groupe a montré que des supplémentations en vitamine E permettent d’augmenter les réponses d’IMC des sujets âgés autonomes, alors même que ces sujets ne présentent pas de carence (ni d’apports ni biologique) en vitamine E. Cet effet immunitaire est associé à la diminution de production de radicaux libres et de PGE2 par les monocytes des sujets âgés traités (41), c’est-à-dire à une réduction des effets biologiques du vieillissement. Ainsi, une augmentation des réponses immunitaires peut être obtenue chez des sujets en bonne santé et ne présentant pas de subcarence pour le micronutriment en question. Les doses efficaces pour un tel effet sont largement supérieures aux apports nutritionnels conseillés (ANC) pour cette vitamine. Elles sont de 4 à 80 fois celles des ANC. La question posée par ces travaux est celle de la valeur réelle des recommandations actuelles faites pour les personnes âgées en ce qui concerne les ANC en certains micronutriments. Si des supplémentations importantes en vitamine E permettent d’amplifier les réponses immunitaires des sujets âgés auto- nomes et réduisent en même temps les manifestations biologiques du vieillissement, cela ne veut-il pas dire que les besoins des personnes âgées en ce nutriment sont plus importantes que ce qui est préconisé ? En corollaire, ne faut-il pas prendre en compte les travaux concernant les effets des supplémentations en micronutriments sur les réponses immunitaires des personnes âgées pour déterminer des ANC plus valables, permettant de définir des niveaux d’apports suffisants pour ralentir ou prévenir le vieillissement chez les personnes âgées autonomes ? La réponse est venue récemment de la commission de la CEDAP travaillant à une nouvelle définition des ANC, et elle est positive. Cette commission, qui établissait des recommandations particulières pour les personnes âgées, vient de publier récemment de nouveaux apports nutritionnels conseillés, et ce pour la première fois pour les sujets en bonne santé de 60 à 80 ans (42-43). Contrairement à ce qui est observé entre les ANC de 1992 et de 2001 pour les adultes plus jeunes – diminution des ANC en certaines vitamines –, il est préconisé, pour les sujets de plus de 60 ans, non pas une diminution mais une augmentation, parfois même très importante, comme pour la vitamine E (qui passe de 12 à 20-50 UI/j), des ANC en certains micronutriments. Les micronutriments, pour lesquels les apports conseillés sont plus importants chez les sujets âgés, sont tous des micronutriments ayant une influence et sur les réponses immunitaires et sur certains facteurs biologiques associés à un vieillissement accéléré : ■ micronutriments à activité antioxydante (et immunostimulante) ; ■ vitamines du groupe B, dont les déficits se traduisent par une augmentation de l’homocystéine et des déficits immunitaires. Cette prise de position de la commission des ANC, si elle est logique, reste tout du moins encore assez théorique, puisque très peu d’études ont montré que des apports plus élevés permettaient un réel bénéfice clinique et un ralentissement des phénomènes de vieillissement. Quoi qu’il en soit, il apparaît aujourd’hui évident que la prévention du vieillissement et de ses conséquences (baisse de l’IMC) passe par des apports en micronutriments plus importants que ce qui était préconisé jusqu'à aujourd’hui. Comme les niveaux qui commencent à être préconisés, surtout pour la vitamine E, sont difficilement couverts par des apports alimentaires, on peut se demander si l’on n’entre pas aujourd’hui dans la prévention du vieillissement par des “pilules nutritionnelles”, comme on est entré dans la prévention du vieillissement osseux par les traitements hormonaux de la ménopause. Le niveau des réponses d’IMC dépend du statut nutritionnel non seulement en micronutriments mais aussi en macronutriments, et ce, même chez les sujets âgés autonomes, en apparente bonne santé, vivant à leur domicile et menant une vie active. Nous avons vérifié, chez de tels sujets, avec malnutrition protéino-énergétique (MPE) débutante (ingesta < 20 kcal/kg/j avec < 1 g/kg/j de protéines, index de masse corporelle < 21 kg/m2, et albumine sérique comprise entre 35 et 39 g/l), que leurs réponses immunitaires étaient comparables, en niveau et en profil, à celles décrites comme typiques du vieillissement immunitaire normal : diminution des lymphocytes T matures (CD3+) et augmentation des lymphocytes T immatures (CD2+ CD3-), diminution de la prolifération lymphocytaire et des synthèses de cytokines, notamment d’IL-2 (2, 6, 15, 33) (tableaux I et II). Nous avons pu ainsi montrer qu’il existait un effet cumulatif entre le vieillissement dit “normal ” et le degré de MPE sur les réponses d’IMC des sujets âgés autonomes (6, 33, 36). Cet effet additionnel de la carence nutritionnelle protéino-énergétique sur les réponses immunitaires des sujets âgés existe même chez ceux qui ne sont pas considérés comme atteints de MPE (albumine sérique > 35 g/l) (2, 6). On peut donc se poser la question de l’importance de ces “pré-MPE” sur les réponses immunitaires des sujets âgés et donc sur le vieillissement immunologique per se. Plus encore, on peut se demander quelle est leur influence sur le 150 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume V, n° 4, juillet-août 2001 devenir de ces sujets âgés fragilisés, même s’ils sont encore en apparente bonne santé. Vieillissement immunologique tertiaire : influence des malnutritions majeures : les MPE avérées (tableaux II et III) L’influence des MPE sur les réponses immunitaires est connue depuis longtemps. Celleci est majeure aux âges extrêmes de la vie (44). Il existe même une relation proportionnelle entre l’intensité des MPE observées chez les sujets âgés et l’intensité des déficits IL-6, TNFα), sont aussi dépendantes de leur niveau de MPE (47) (tableau II). Lors de la survenue d’une maladie infectieuse, leurs sécrétions de cytokines monocytaires sont diminuées, et la stimulation de leurs systèmes de défense est donc moindre. Ils présentent alors des maladies infectieuses majeures, soit très intenses, sont de longue durée, difficiles à guérir et qui utilisent encore plus leurs réserves nutritionnelles. Ils sortent de telles maladies encore plus dénutris et donc plus fragilisés, avec une moindre capacité de stimulation de leurs systèmes de défense lors d’une pathologie ultérieure (49). Nous avons d’ailleurs observé que, chez ces sujets âgés dénutris, la guérison était nettement plus longue (36, 47). Il exis- immunitaires (45). Lors des MPE, la relation déficit immunitaire-déficit énergétique est observée pour toutes les réponses immunitaires : IMC (7, 20, 33, 36, 44-46), comme immunité humorale (20, 46), comme immunité spécifique et comme immunité non spécifique (30, 47, 48). Lipschitz avait montré cet effet cumulatif du vieillissement et de la MPE sur les réponses immunitaires non spécifiques, dans un modèle de carences protéiques chez le rat, il y a déjà 15 ans (48). Les sujets âgés atteints de MPE ont donc un déficit immunitaire proportionnel à l’intensité de leur MPE. Plus celle-ci est profonde, plus ils ont de risque infectieux (tableau III). Or, leurs réponses macrophagiques, cytokines pro-inflammatoires (IL-1, Tableau III. Sous-populations et fonctions des lymphocytes T du sang périphérique dans des populations âgées présentant des états de santé et nutritionnels différents. Jeunes vieux en très bonne santé (65-85 ans) n = 41 Nombre de sujets Moyenne écart-type Jeunes vieux fragiles en bonne santé apparente (70-85 ans) n = 51 Moyenne écart-type Jeunes vieux dénutris mais autonomes (70-85 ans) n = 25 Moyenne écart-type Jeunes vieux très dénutris et hospitalisés (70-85 ans) n = 17 Moyenne écart-type Âge (années) Albumine (g/l) Lymphocytes (/mm3) CD2+ (/mm3) CD3+ (/mm3) CD2+CD3- (/mm3) CD4+ (/mm3) CD8+ (/mm3) CD45 RA (/mm3) CD45 RO (/mm3) IL-2 (ng/l) 79,6 42,4 1 993 1 794** 1 565** 214* 1 136* 437*** 658*** 1 222*** 1,84 5,3 4,1 568 397 311 224 243 174 228 365 0,34 78,9 37,2 1 705** 1 511***‡ 1 207***‡ 283** 812***‡‡ 387*** 464***‡ 1 057* 1,11***‡ 6,2 3,9 434 427 299 241 271 196 213 497 0,38 78,7 29,4***‡ 1 356** 1 264***‡ 935***‡ 335* 461***‡‡‡ 395 517* 831** 0,77***‡‡ 5,9 3,2 287 336 221 148 188 165 245 497 0,28 79,6 22,3***‡‡ 859** 864***‡ 517***‡‡ 356**‡ 354***‡‡‡ 256**‡ 549 372***‡‡‡ 0,45***‡‡‡ 6,4 2,8 214 217 167 203 271 178 276 349 0,33 IL-6 (ng/l) 1,82* 0,22 1,48 0,40 1,10***‡ 0,44 0,77***‡‡‡ 0,31 Prolifération lymphocytaire (103 cpm pour 1 µg PHAp/106 cellules) 114 35 54**‡ 34 43*** 29 21***‡‡ 32 Les sujets de référence ont été sélectionnés sur des critères de très bonne santé (6,8), ou d’autonomie fragiles et/ou dénutris) et comparés à des sujets âgés très profondément dénutris et malades (atteints de MPE par malnutrition d’apports avec inflammation faible : CRP < 30 mg/l). Différences statistiquement significatives par rapport aux sujets âgés en très bonne santé : *p < 0,05 / **p < 0,01 / ***p < 0,001. Différences statistiquement significatives par rapport aux sujets âgés fragiles en bonne santé apparente : ‡p < 0,05 / ‡‡p < 0,01 / ‡‡‡p < 0,001. 151 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume V, n° 4, juillet-août 2001 Mise au point te donc un cercle vicieux entre la réponse immunitaire des sujets âgés et leur état nutritionnel (37, 49). Ainsi, maladie après maladie, le sujet âgé entre dans un cercle vicieux (déficit nutritionnel entraînant un déficit immunitaire, qui augmente le risque infectieux et le temps nécessaire à la guérison en cas de maladie, celle-ci aggravant à son tour le déficit nutritionnel et donc le déficit immunitaire, …), dont il aura de plus en plus de mal à sortir. Il faut donc, pour l’éviter, chez tout sujet âgé malade (50) : ✓ traiter le plus précocement et le plus efficacement possible sa maladie, ✓ traiter par des compléments nutritionnels tout sujet âgé malade, afin de lui procurer les nutriments réclamés par son hypercatabolisme, et ainsi freiner l’utilisation de ses réserves nutritionnelles. Conclusion La nutrition – ou plutôt ses états de carences, la dénutrition –, a une grande influence sur les réponses immunitaires des sujets âgés. En effet, il existe une susceptibilité particulière des réponses immunitaires du sujet âgé aux facteurs environnementaux, et notamment aux facteurs nutritionnels. Des apports bas en certains micronutriments, comme en acide folique, peuvent entraîner une diminution de l’immunité à médiation cellulaire (IMC), alors même qu’il n’existe ni carence ni subcarence, mais simplement des valeurs normales basses. De surcroît, des apports nutritionnels au-delà des ANC en certains micronutriments (comme la vitamine E), entraînent une augmentation des réponses immunitaires chez les sujets âgés autonomes en apparente bonne santé. Il semble donc, en ce début de XXIe siècle, que les besoins nutritionnels des sujets âgés en certains micronutriments soient plus importants que ceux des adultes plus jeunes, notamment en ce qui concerne le maintien de réponses immunitaires satisfaisantes. De tels apports, mais à quels niveaux (?), pourraient aussi être à l’origine d’un ralentissement des processus de vieillisse- ment. Les études actuellement en cours devraient permettre, dans un avenir proche, de déterminer les niveaux de micronutriments nécessaires au maintien d’une réponse immunitaire efficace et peut-être de ralentir le vieillissement. Le maintien d’un niveau de réponse immunitaire comparable à celui des adultes plus jeunes pourrait être un bon index d’un vieillissement réussi. À un stade plus avancé de vieillissement, lors d’un vieillissement pathologique, donc associé à la présence de maladie évolutive aiguë ou chronique, il existe une relation proportionnelle entre intensité de la MPE et diminution des réponses immunitaires, notamment d’IMC. On peut ainsi mesurer le degré de fragilité d’un sujet âgé malade en quantifiant ses réponses immunitaires, ou plutôt l’intensité de son déficit immunitaire. On peut le faire aussi en mesurant in vivo les conséquences de la réponse immunitaire ; par exemple, le niveau des protéines inflammatoires, comme le CRP, reflète l’intensité de la réponse immunitaire in vivo, dans le cas présent, de la sécrétion d’IL-6. On peut donc avoir une idée de l’intensité du déficit immunitaire en fonction du niveau de CRP sécrétée in vivo. Cette approche n’est toutefois pas suffisante, car elle ne permet pas d’évaluer les capacités restantes pouvant être stimulées, capacités souvent très faibles chez les sujets âgés, ainsi que nous l’avons démontré. Des études plus approfondies de ces relations nutrition-immunité pourraient certainement permettre de mieux comprendre les formes cliniques particulières de certaines maladies des sujets âgés ; par exemple, celles des infections peu fébriles. ● Références 1. Barrat F, Lesourd B, Boulouis HJ et al. Sex and parity modulate cytokine production during murine ageing. Clin Exp Immunol 1997 ; 110 : 562-8. 2. Mazari L, Lesourd B. Nutritional influences on immune response in healthy aged persons. Mech Ageing Dev 1998 ; 104 : 25-40. 3. Makinodan T, Kay MMB. Age influence on the immune system. Advances in immunology 1980 ; 29 : 287-330. 4. Kubo M, Cinader B. 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