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François Englert
En quelques questions
Ce prix récompense une théorie formulée en 1964. Rappelez-nous comment elle est
née.
François Englert : En 1961, le professeur Robert Brout et moi avons rencontré, à l’Université
de Cornell, Yoichiro Nambu qui introduisit en théorie des particules élémentaires la brisure
spontanée de symétrie et qui recevra le prix Nobel de physique en 2008. Nous avions alors
commencé à étudier la théorie des particules élémentaires. À l’époque, les forces à longue
portée (c’est-à-dire agissant sur des objets très éloignés) étaient bien comprises et certains
scientifiques pensaient qu’on pouvait ainsi comprendre les phénomènes depuis l’échelle de
l’atome jusqu’aux limites de l’univers observable. Mais les forces à courte portée agissant
au niveau nucléaire et subnucléaire restaient mystérieuses. Nous basant sur la brisure de
symétrie introduite par Nambu, nous avons construit un mécanisme engendrant des forces à
courte portée à partir de celles à longue portée. Ce mécanisme opérait en donnant une
masse aux particules transmettant ces forces et plus généralement pouvait engendrer les
masses de tous les constituants élémentaires de la matière. En 1964, nous étions sûrs de la
cohérence logique de notre théorie même si nous n’en voyions pas encore toutes les
implications précises et nous avons publié notre article dans Physical Review Letters.
Quelques semaines plus tard, l’Écossais Peter Higgs introduisait lui aussi ce mécanisme.
Notre théorie implique l’existence d’une particule, le « boson de Brout-Englert-Higgs » que le
CERN a découvert l’année dernière. Dès 1967, ce mécanisme est devenu un des éléments
essentiels du « modèle standard » des interactions fondamentales initié par la théorie
électrofaible de Steven Weinberg.
L’« aventure du boson », vous l’avez vécue avec votre complice pendant plus d’un
demi-siècle, Robert Brout.
François Englert : Nous nous sommes rencontrés en 1959, aux États-Unis. Nous sommes
très vite devenus amis. Nos visions sur la physique étaient très complémentaires : lui avait
une approche plutôt anglo-saxonne basée d’abord sur l’image intuitive puis suivie du
développement théorique tandis que j’avais une démarche plus latine, allant du formel à
l’image. Et surtout, tous les deux, nous voyions la physique et la connaissance en général
comme devant échapper à la spécialisation. Malheureusement, mon ami Robert Brout est
disparu en mai 2011.
La physique, c’était une voie toute tracée pour vous ?
François Englert : Pas vraiment puisque je me destinais à être ingénieur et je me suis donc
inscrit à l’École polytechnique de Bruxelles. Pendant mes études, je me suis rendu compte
que ce qui m’intéressait, c’était comprendre les lois qui régissent les phénomènes et moins
comment les utiliser techniquement. Diplômé, j’ai poursuivi des études de physique, puis un
doctorat. Pendant mes études, j’avais rencontré le Français Pierre Aigrain dont j’étais