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En 1633, au cœur de Paris, sur le Pont-Neuf près
de Notre-Dame, le petit Jean-Baptiste tient la manche
de son grand-père Louis pour ne pas le perdre au milieu
des badauds. La foule vient là pour s’amuser, rire aux
éclats, interpeller, applaudir les comédiens ambulants
dont les tréteaux sont dressés d’un bout à l’autre du
pont. La vocation de Jean-Baptiste germe à ce moment-
là. Il a onze ans et s’extasie devant l’habileté des farceurs,
souvent italiens, acteurs, jongleurs, acrobates, musiciens.
Ils pratiquent ce qu’ils nomment : La commedia dell’arte,
une forme de théâtre qui vise à la réaction immédiate du
public à travers des canevas simples, éternels. On y moque
vieux jaloux, fanfarons, balourds, docteurs charlatans,
et paysans bornés… les valets y trompent allègrement
leurs maîtres et, après maintes intrigues, poursuites,
bastonnades, l’imbroglio s’achève immanquablement
par un mariage entre deux jouvenceaux aussi bêtas
qu’amoureux.
Le grand-père se réjouit du penchant de Jean-Baptiste
pour la comédie. Il espère que son petit-ls préféré - il
en a six - échappera à la profession de tapissier. On est
tapissier de père en ls aussi bien du côté paternel que
maternel dans la famille du futur Molière. Il n’y a rien
là de déshonorant d’autant qu’on détient la charge de
Tapissier du Roi… mais être comédien de haut rang
comme Bellerose, l’étoile de l’Hôtel de Bourgogne,
c’est autre chose ! En tout cas dans l’esprit du vieux
Louis. Dans celui de son gendre Jean Poquelin, il en va
différemment. Les Gaultier-Garguille, Gros-Guillaume,
Turlupin et Tabarin, princes des farceurs, ne trouvent
pas grâce à ses yeux. Être artisan du Roi lui donne le
privilège de faire admettre ses enfants sur les bancs du
prestigieux Collège de Clermont (de nos jours Louis-Le-
Grand) où l’on dispense le meilleur enseignement aux
jeunes nobles.
- Jean-Baptiste fera son droit ! clame Jean
Poquelin. La « Robe » a tous les avantages. La comédie
ne nourrit pas son homme et ceux qui s’y adonnent sont
peu considérés. L’Église les tient pour hérétiques, tandis
qu’un juge, un avocat sont recherchés dans le monde,
ainsi qu’à la Cour et… s’enrichissent fort.
Attaquer un magistrat, le contrefaire, vaut à un comédien
un séjour en prison. Pour ce délit, le fameux Turlupin a
été incarcéré au Chatelet(1).
- Mon ls fera son droit ! répète Jean Poquelin.
Jean-Baptiste entre donc, à treize ans, au Collège de
Clermont tenu par les Jésuites(2). Cela a son importance.
Les subtilités de leur enseignement émaillent l’existence
et l’oeuvre de Molière. On les devine dans les atteuses
dédicaces au Roi :
« Louis, le grand Louis, dont l’esprit souverain
Ne dit rien au hasard, et voit tout d’un œil sain… »
On les entend dans le culte du compromis de Philinte
(Le Misanthrope) :
« Il est bien des endroits où la pleine franchise
Deviendrait ridicule, et serait peu permise… »,
Elles sont à l’extrême dans les propos de Tartuffe :
« Et ce n’est pas pécher que pécher en silence… »
(1) Avant d’être un des plus beaux théâtres de Paris, du Moyen-Âge au XIXe siècle le
Châtelet fut une prison dont Molière éprouva les cachots à deux reprises pour dettes.
(2) Ordre religieux fondé en 1540 par Ignace de Loyola. Ses membres « La Compagnie
de Jésus » étaient voués à l’apostolat, à l’enseignement et aux missions. Ils furent aussi
d’excellents confesseurs par leur largesse d’esprit. Leurs accommodements avec le Ciel leur
valurent une réputation d’hypocrites qui perdure. Est-elle tout à fait justiée ?
Avocat ou aventurier ?
1622-1643
La vocation de Jean-Baptiste Poquelin
Ses études d’avocat
Le théâtre sur le Pont-Neuf
Création de « L’Illustre Théâtre »