Renforcement de population - Conservatoire d`espaces naturels

publicité
Conservatoire d’espaces naturels de Picardie
Beauvais, 26-28 août 2013
Renforcement de populations
Une gestion d’avenir pour les espèces menacées
Introduction à la table ronde n°1
Serge MULLER, Université de Lorraine,
Conseil National de la Protection de la Nature
Définitions
Introduction = Translocation (ou installation ou implantation) par l’homme
(volontairement ou involontairement) d’individus d’une espèce dans un
territoire où cette espèce n’était pas présente dans la période historique
(ou postglaciaire)
Réintroduction = Translocation (ou réinstallation) par l’homme d’individus
d’une espèce dans un territoire où l’espèce était présente dans la période
historique (ou postglaciaire) et en a totalement disparu
Renforcement de population = Translocation d’individus d’une espèce dans
un territoire où l’espèce est (encore) présente, mais généralement dans un
état de conservation non satisfaisant, dans l’objectif de sa reproduction
sexuée avec les individus présents. Les individus introduits peuvent
provenir de la population existante (élevage, boutures, culture in vitro) ou
d’autres populations
Les introductions d’espèces dans les espaces
protégés ou à vocation de conservation
Non souhaitable en règle générale, car « dénaturation » des écosystèmes, risque de
compétition avec espèces indigènes ou de prédation et surtout d’invasion
Sauf cas particuliers :
- la conservation d’une espèce ou d’un écotype ou génotype particulier et
menacé (ex. Andromeda polifolia à Cessières) ,
- la création de nouvelles populations pour garantir la pérennité d’une
espèce à faible effectif (Brassica insularis en Corse),
- l’introduction d’espèces pour la lutte contre les EEE (ex. introduction du
champignon Colletotrichum gloeosporioides pour lutter contre Miconia
calvescens à Tahiti, ou de la tenthrède Cibdela janthiana pour lutter contre
Rubus alceifolius), cf lutte biologique,
- l’introduction , dans certains cas, d’espèces à rôle fonctionnel : espèces
pionnières ou « nurses » à présence transitoire (ex. Acacia mangium à
Mayotte et ailleurs) ou de « substitution » (même rôle fonctionnel) suite à la
disparition de l’espèce native (ex Aldabrachelys gigantea , la tortue d’Aldabra,
à Maurice ).
Les réintroductions d’espèces dans les
espaces naturels
Objectifs :
- redonner sa place à une espèce patrimoniale et emblématique de la
faune ou de la flore (oryx, gypaète barbu, saumon dans le Rhin, bois de
senteur à La Réunion, Lamantin en Guadeloupe) ,
- accroître la biodiversité en rétablissant des espèces disparues ,
- rétablir ou améliorer le fonctionnement des écosystèmes (lynx, lamantin),
- favoriser l’adhésion populaire pour une opération de protection de la nature.
Contexte:
- Programmes nationaux de réintroduction dans le cadre de PNA (Plans
nationaux d’actions) validés par le CNPN pour les espèces d’intérêt national ou
international,
- Programmes régionaux, dans le cadre de mesures compensatoires ?
Les renforcements de populations dans des
espaces naturels
Objectifs :
- Améliorer l’état de conservation d’une espèce ou d’un taxon et le sauver
de l’extinction par un apport d’individus et de diversité génétique (ex: Ours
brun dans les Pyrénées, Arenaria grandiflora à Fontainebleau, Drosera
longifolia en Champagne)
- Améliorer le fonctionnement des écosystèmes par le rétablissement de
populations d’une espèce à rôle fonctionnel (ex. Faucon pèlerin, Gentiane
croisette)
Contexte:
- Programmes nationaux de renforcements dans le cadre de PNA pour des
espèces d’intérêt national ou international en mauvais état de conservation.
- Mesures de compensation ou d’accompagnement dans le cadre de
demandes de dérogation à la destruction d’espèces protégées, avec mise en
œuvre de la démarche E-R-C.
Conditions de réalisation d’un renforcement de
population d’une espèce dans un espace protégé
- S’assurer que l’opération répond à un intérêt réel pour la conservation de la
biodiversité (espèce menacée, à intérêt fonctionnel…),
- S’assurer au préalable, par des inventaires et des études suffisantes, que la
population est effectivement en mauvais état de conservation,
- S ’assurer que les conditions d’habitat sont favorables au renforcement et
qu’une restauration de l’habitat ne conduirait pas, à elle seule, à un
rétablissement de la population,
- En règle générale (sauf exception justifiée) réaliser le renforcement à partir de
la même population ou d’une population voisine proche au niveau génétique.
-Avoir des garanties sur la pérennité de la conservation du site de renforcement
de la population
- S’assurer que l’opération est techniquement réalisable à un coût raisonnable,
- Informer et impliquer les organismes concernés, obtenir les autorisations
nécessaires et s’assurer au préalable de l’adhésion sociale,
- Réaliser un suivi scientifique de l’opération afin d’en réaliser un bilan et d’en
tirer les enseignements utiles pour d’autres opérations du même type.
Risque de dérive…
Jusqu’où doit-on aller dans la « manipulation » de la nature ? Quelle est notre technicité en
la matière ?
Ne risque-t-on pas une remise en cause de la protection in situ ? Ce sont des questions que
l’on doit se poser face à la demande croissante de déplacements d’espèces animales et
végétales. Pour un aménageur, déplacer un élément gênant est bien évidemment la solution
idéale. Celui-ci ne se prive donc pas, en général, de proposer ce type d’intervention comme
mesure compensatoire aux impacts environnementaux. En théorie, la législation ne prévoit
pas cette possibilité, sans doute parce que cela ouvrirait le champ à toutes les dérives. Dans
la pratique, les choses sont plus complexes. Tout est une question d’échelle.
Si le projet met en péril l’unique population d’une espèce mondialement menacée, c’est
généralement le projet qui sera déplacé, voire annulé. Si l’enjeu naturel est moindre et le
projet d’utilité publique, ce sont alors quelques animaux ou végétaux qui seront déplacés,
comme cela a été le cas en Guyane pour le barrage de Petit-Saut.
Il n’existe pas de règles absolues en la matière. Pour l’instant, le déplacement d’une espèce
est considéré comme une solution exceptionnelle, strictement dérogatoire. Sur le plan
technique, c’est une opération souvent délicate qui demande un investissement financier et
humain sans rapport avec le bénéfice attendu. Le déplacement d’espèces animales et
végétales ne peut donc être pratiqué que dans des cas bien particuliers, lorsque toutes les
autres solutions ont été épuisées.
MARC CHEYLAN, Espaces naturels, n° 10 (2005)
Conclusion
Les renforcements de population (et réintroductions d’espèces) ne
doivent pas devenir des actions « routinières » menées par les
gestionnaires d’espaces naturels pour « enrichir » les sites
protégés.
Elles doivent demeurer des opérations « extraordinaires », qui
doivent répondre à des objectifs partagés et être soigneusement
préparées pour être bien comprises, acceptées et réussir et surtout
ne pas être des justifications à des destructions d’espaces naturels
(par exemple dans le cadre de « mesures compensatoires » à des
projets d’infrastructure).
Lambinon (1994), professeur de botanique à l’université de Liège et
expert auprès du Conseil de l’Europe :
« Une réintroduction est un faux, au sens de la copie d’une œuvre d’art
ou d’une pièce archéologique. Elle ‘brouille les cartes’ au point de vue des
types d’intérêt de ces plantes ou animaux ‘rares’ ».
Le même auteur s’inquiète aussi de
« l’impact médiatique et pédagogique d’une politique de
réintroduction, à l’incidence de celle-ci sur le plan psychologique, auprès
des naturalistes, auprès des gestionnaires de l’espace, auprès du grand
public… Une politique de reconstitution artificielle d’espaces
prétendument de vie sauvage peut être perverse. Elle peut donner bonne
conscience à ceux qui sont responsables de la destruction ou de
l’altération des milieux ».
Recommandations du Conseil de l’Europe relatives aux « Réintroductions,
reconstitution des réserves et restaurations de plantes »
(Wise Jackson P.S. & Akeroyd J.R., 1994. « Lignes directrices à suivre pour les plans de conservation
et de récupération des végétaux ». Conseil de l’Europe, Sauvegarde de la nature, n°68)
1.Les causes initiales de la rareté des espèces doivent être étudiées de manière
approfondie et des mesures doivent être prises pour les écarter ou les réduire
avant de tenter de réintroduire une espèce.
2.La réintroduction doit être considérée comme une tentative de dernier ressort si
toutes les autres mesures ont échoué. Il faut envisager de reconstituer des
réserves avant qu’une population atteigne une taille critique.
3.Les réserves utilisées pour la réintroduction doivent comporter des semences et
un matériel clonal sans mélange génétique et de provenance connue, de
préférence locale. Les plantes doivent, autant que possible, être représentatives du
pool génétique de la population qui est restaurée ou dont des réserves sont
reconstituées.
4.Il convient d’effectuer au préalable une étude écologique détaillée et de comparer
l’écologie des espèces dans d’autres sites d’Europe, ou plus éloignés, avant
d’entreprendre un plan de récupération.
5. Il convient de maintenir l’habitat et la population sous surveillance avant,
pendant et après la reconstitution de réserves ou la réintroduction. Toutes
les étapes de ces travaux doivent faire l’objet d’une documentation complète
et les renseignements doivent être mis à la disposition de tout le personnel
et des organisations appropriées.
6. Une surveillance et un financement à long terme doivent être prévus, de
même qu’un programme complet de contrôle ultérieur.
7. Si les espèces végétales réintroduites présentent une valeur économique
ou sociale, il convient de créer un système durable d’exploitation par la
population locale.
8. Il faut éviter d’introduire une espèce végétale dans un lieu entièrement
nouveau, sauf si tous les milieux naturels existants ou précédents ont été
détruits ou considérablement endommagés. Ce type de programme doit de
préférence être considéré comme un filet de sécurité à court terme ou être
intégré dans un exercice à but éducatif ou de relations publiques.
Téléchargement