Docteur Guy DUPIELLET LE SYSTEME TONIQUE POSTURAL C’est un système automatique, inconscient, dont la finalité est de maintenir la projection du centre de gravité du corps à l’intérieur du polygone de sustentation. La statique rachidienne peut être considérée comme normale, si l’attitude réalisée peut être maintenue avec un minimum d’efforts. Les efforts d’un individu, pour maintenir la position debout, résultent de micros mouvements incessants qui assurent un équilibre dans les 3 plans de l’espace: à la fois dans le plan sagittal antéropostérieur, dans le plan frontal, et aussi dans le plan horizontal. - Dans le plan sagittal avec mise en jeu des muscles antéropostérieurs. - Dans le plan frontal grâce à un système de haubans musculaires tendus entre le grand mât du navire (la colonne vertébrale) et 2 vergues transversales (les ceintures scapulaires et pelviennes). - Dans le plan horizontal avec mise en jeu des muscles rotateurs internes et externes. La stabilité d’un corps nécessite que sa ligne de gravité tombe au milieu de son polygone de sustentation et que celui-ci soit le plus grand possible. Chez l’homme, il se réduit au pourtour des pieds, et la position pieds serrés sera donc rarement adoptée. La rotation externe physiologique du tibia élargit le polygone de sustentation. En fait, chez un sujet normal , le polygone de sustentation ne dépasse pas 200 cm2 ce qui revient à dire qu'un sujet debout immobile se comporte comme un pendule inversé, l'axe corporel oscillant normalement autour d'un axe de 4°. Les mécanismes qui régissent notre équilibre sont extrêmement complexes et divers. Certes l’homme contrôle sa position dans l’environnement suivant un schéma opérationnel fondamental, commun à toutes les situations: - Il prévoit sa posture, et l’anticipe selon ce qu’il décide de faire, - Il la surveille par les différentes exo- et endo-entrées de son système postural, - Il la corrige par une activité musculaire, Ce système fonctionne grâce à la régulation centrale d’informations sensorielles qui vont permettre une réponse adaptée. De très nombreuses expérimentations ont montré que nous utilisons différentes stratégies de contrôle de l'équilibre totalement dépendantes de la position de nos pieds au sol. EXPERIMENTATIONS Le centre de gravité du corps étant un point hypothétique, non matériel, il est très difficile à étudier. On substitue donc à l'étude du centre de gravité, l'étude du déplacement des centres de pression d'un sujet debout. Pour cela, on place le sujet sur des plates formes de force (plate forme de stabilométrie) qui enregistrent à chaque instant la projection au sol des centres de pression. Il s'agit du statokinésigramme qui renseigne donc sur la position du centre de gravité. On a pu démontrer que nous utilisions différentes stratégies de contrôle. Dans le cas où les pieds se trouvent l'un à côté de l'autre, en position de Romberg postural, la position du centre de pression est régulé au niveau latéral par les hanches alors qu'en antéropostérieur la position est régulée par l'articulation des chevilles. En Romberg sensibilisé, un pied devant l'autre, c'est l'inverse : l'équilibre latéral est régulé par les chevilles et l'équilibre antéropostérieur par les hanches. Ceci démontre bien que la stratégie utilisée dépend de nos conditions d'appui et du polygone de sustentation. Il est facile de montrer en matière d'équilibre que la même information est traitée différemment par le système nerveux central selon les informations fournies par les divers capteurs. Sur un sujet debout immobile, yeux fermés, appuyé contre un mur qui l'informe en permanence de son immobilité, on provoque une vibration du soléaire au niveau du tendon d'Achille, à une fréquence de 70 Hz. Ceci crée une sensation d'étirement du muscle comme si le sujet était penché en avant. S'il n'est pas maintenu, il se penche en arrière pour rétablir l'équilibre et tombe. Si l'on fait la même expérience, yeux ouverts, le sujet se rend bien compte que l'environnement visuel ne bouge pas, donc il ne se penche pas en arrière mais il a l'impression d'être penché en avant. De même de très nombreuses expérimentations ont montré une amélioration constante de la régulation posturale par la vision. Si l'on augmente les surfaces de contact entre la peau des pieds d'un sujet et l'environnement en lui faisant porter des chaussures montantes on constate sur la plateforme de stabilométrie une réduction de la surface du statokinésigramme et une diminution de l'amplitude des oscillations posturales. Si l'on modifie la surface de contact de la sole plantaire en disposant régulièrement sur la plate-forme des plombs de chasse de 2 mms, à demi enchâssés dans un support dur, on constate également une réduction de la surface des statokinésigrammes qui varie en fonction de l'écartement des plombs (semelles proprioceptives). Le système tonique postural fonctionne grâce à des informations sensorielles qui sont de 2 types : - celles qui perçoivent la position de notre corps par rapport à l’environnement, c’est ce qu’on appelle les exo-entrées liées aux exo-capteurs ou encore entrées primaires. - celles qui informent sur la position des différentes parties de notre corps et relient les entrées primaires entre elles, liées aux endo-capteurs. On les appelle endo-entrées ou encore entrées secondaires. LES ENTREES PRIMAIRES Ce sont les pieds, les yeux, les vestibules. LE PIED Capteur primaire du système tonique postural, avec l'oeil et le vestibule, il intervient dans toutes les situations qu'elles soient statiques ou dynamiques en station verticale. En effet les soles plantaires indiquent en permanence la pression différentielle entre les 2 voûtes plantaires, permettant ainsi de percevoir les irrégularités du sol et d'adapter des réflexes d’équilibre en conséquence. La voûte plantaire est innervée par un seul et même nerf, le nerf tibial postérieur (continuité su sciatique poplité interne) qui se divise en 3 branches, le nerf calcanéen interne, plantaire interne et plantaire externe. Il existe seulement un petit filet du saphène interne ( branche terminale du nerf crural ) qui innerve une petite zone de l'arche interne. Le pied possède une très grande variété de capteurs : - des mécanorécepteurs cutanés soit dans le derme, soit dans le tissu sous-cutané, qui enregistrent les pressions, leurs variations mais également, pour certains, les étirements cutanés et la direction de ces étirements. Ces récepteurs sont particulièrement nombreux dans les zones d'appui. Le seuil de sensibilité à une stimulation mécanique de la peau correspond à un enfoncement de 6 µm ce qui correspond à des pressions de moins de 1 gramme. - des capteurs proprioceptifs qui nous permettent de connaître la position des différentes pièces osseuses les unes par rapport aux autres et la tension des différents muscles. On en trouve dans les muscles, ce sont les fuseaux neuro-musculaires qui enregistrent les variations de longueur. On en reparlera. On en trouve dans les tendons, ce sont les organes neuro-tendineux de Golgi sensibles aux tensions. On en trouve dans les articulations et les tissus péri-articulaires. Le pied est donc fondamental dans la régulation posturale. LE CAPTEUR OCULAIRE Il donne 2 types d'informations: - une information visuelle liée à la transmission au système nerveux central de l'image rétinienne c’est l’entrée primaire - une information oculo-motrice liée à la tension des muscles oculo-moteurs externes. C’est l’entrée secondaire L'information rétinienne informe à la fois sur la position et sur le mouvement du corps dans l'espace. Cette rétine transmet 2 types d'informations: la vision focale ou fovéale qui permet l'identification des objets et donne la direction du regard par rapport à la position de la tête et la vision périphérique qui transmet les mouvements de l'environnement par rapport à la rétine. LE SYSTEME VESTIBULAIRE ET LABYRINTHIQUE Ce système joue un rôle majeur dans la régulation posturale, il donne des informations de mouvement quand le sujet est soumis à des accélérations angulaires qui stimulent les cupules des canaux 1/2 circulaires ou des accélérations linéaires qui stimulent les macules des organes otolithiques. Chaque canal possède sa propre orientation géométrique et est sensible uniquement aux accélérations qui se font dans son propre plan. Les organes otolithiques (saccule et utricule ) transmettent des informations sur la position de la tête dans l'espace et sur l'accélération des déplacements. LES ENTREES SECONDAIRES L’OCULO-MOTRICITE L'oculo-motricité fournit au système nerveux des informations en provenance du milieu intérieur (on parle d'endocapteurs) et informe de la position de l'oeil dans l'orbite et dans le contrôle des mouvements oculaires. Les muscles oculo-moteurs externes sont au nombre de 6: Droit externe innervé par le VI (nerf moteur oculaire externe) Droit interne par le III ( nerf moteur oculaire commun) Droit supérieur par le III Droit inférieur par le III Petit oblique par le III Grand oblique innervé par le IV (nerf pathétique) Différentes expériences ont montré que les muscles oculo-moteurs externes codent le mouvement non pas en fonction du muscle qui se contracte mais en fonction du muscle antagoniste qui se laisse étirer. C'est l'antagoniste qui code le mouvement par l'intermédiaire des fuseaux neuro-musculaires et des organes tendineux de Golgi. Expérimentalement, si l'on fait vibrer le droit externe droit et le droit interne gauche qui sont des muscles conjugués, on entraîne un déplacement du corps à gauche. Le réflexe vestibulo-oculaire permet la stabilisation des yeux lors des mouvements de la tête. De manière schématique, lors d’un mouvement de la tête à gauche, les yeux ont un mouvement lent de compensation à droite et le regard reste stable dans l’espace. En effet lors d’une rotation gauche le canal semi circulaire horizontal gauche est stimulé pendant que le droit est inhibé. C’est dire l’interdépendance qui existe entre musculature cervicale, oculomotricité et vestibules. LA PROPRIOCEPTION RACHIDIENNE Chez un animal décérébré ( section des fibres motrices venant du cortex moteurs des noyaux gris centraux jusqu'au pont de la protubérance ) et que l'on supprime les 2 labyrinthes la position dans l'espace de la tête ne peut plus être signalée par ceux-ci. Si on soulève la tête de l'animal (extension) le tonus des extenseurs des pattes postérieures se réduit alors que s'accroit le tonus des extenseurs des pattes avant. Quand la tête est fléchie, la répartition du tonus s'inverse. Si l'on tourne la tête à droite qui reporte le poids du corps vers la droite induit une augmentation du tonus des extenseurs des pattes droites. Cette expérience indique bien que la musculature du cou et des articulations cervicales induisent un réflexe tonique postural ( fuseaux neuro-musculaires et organes tendineux de Golgi ). En réalité l’entrée rachidienne renseigne le système postural sur la position réciproque des capteurs podaux et céphaliques. Ce sont les petits muscles segmentaires qui sont les plus riches en propriocepteurs et qui règlent l’agencement vertébral. LE SYSTEME MANDUCATEUR Ce n'est pas un capteur à proprement parler mais un système généralement perturbateur. En effet ce système sous la dépendance sensitive et motrice du trijumeau présente des connexions avec le rachis cervical d'une part ( noyau sensitif spinal du V avec les 3 premiers nerfs cervicaux ) et certains noyaux gris centraux impliqués dans la régulation posturale. Beaucoup d'études ont démontré que les malocclusions étaient à l'origine de perturbations posturales: les prognathes ont tendance à postérioriser le massif céphalique et le plan scapulaire, les rétrognathes antériorisent. De même les dysfonctions de l'appareil manducateur consécutives à des traumatismes, un bruxisme, un clenching peuvent être à l'origine de perturbations posturales. LA REGULATION CENTRALE Les corps cellulaires des neurones à l'origine des afférences sensorielles primaires sont localisés dans les ganglions des racines dorsales. Chaque axone pénétrant dans la moelle se divise en plusieurs branches : une branche segmentaire, une branche ascendante et une branche descendante. Ainsi, l'information somesthésiques peut rapidement diffuser vers les circuits spinaux et vers les régions supraspinales. L'action des centres supérieurs est une action d'intégration et de contrôle. En effet, les influx nerveux provenant des capteurs dont nous venons de parler aboutissent vers des structures corticales et sous corticales. L'organisation de ces centres est d'une extrême complexité et nous ne rentrerons pas dans les détails. Retenons seulement les voies extrapyramidales pour le contrôle inconscient de la posture et des principaux réflexes posturaux et les voies pyramidales pour le contrôle de la motricité volontaire. LA SORTIE DU SYSTEME : la réponse musculaire Il représente la voie finale commune qui permet aux centres nerveux l'exécution de ses réponses statiques ou dynamiques. C'est en dernier ressort le muscle qui va adapter la réponse et la contrôler. Les influx parviennent aux motoneurones alpha de la corne antérieure de la moelle qui vont déclencher la contraction des fibres musculaires. La régulation de cette réponse musculaire est très complexe et fera l’objet d’un article ultérieur.