La sensibilité écologique
Julie BARDES
C’est au cours des années 1970 que les préoccupations écologiques ont commencé à mobiliser une partie de
l’opinion publique française et, plus largement, européenne, mais c’est après 1986 qu’une véritable rupture se
produit en France, en raison des conséquences de la catastrophe de Tchernobyl. Les Français ont été longs à se
sensibiliser à la cause écologique (comparés à leurs voisins allemands ou néerlandais) mais ils ont enregistré la
plus grosse progression dans les changements d’attitudes à l’égard de l’environnement dans la deuxième moitié
des anées 1980, pour atteindre un pic en 1992. Cette sensibilité écologique s’accompagne d’un mécontentement
croissant à l’égard de la qualité de l’environnement local mais aussi national, voire international, motivé à la
fois par des préoccupations de santé et de confort, et par le souci de préserver la qualité de l’environnement
pour les générations futures.
LA MOBILISATION POLITIQUE
Les années 1970 ont vu surgir une première vague de mobilisation environnementale dans la plupart des pays
industrialisés. Si le mouvement écologiste puise certaines de ses origines au siècle précédent, la particularité de
la décennie 1970 est bien la rencontre de ses diverses composantes en un mouvement, réunissant autour
d’actions communes et notamment du conflit nucléaire, les diverses fractions du futur mouvement vert. Héritant
de la virulence militante de la jeunesse protestataire de mai 1968, le mouvement connaît, malgré son
hétérogénéité, une certaine audience et une indiscutable efficacité, dont le succès le plus éclatant sera
l’infléchissement du programme de développement nucléaire dans certains grands États. Parmi les événements
mobilisateurs de la décennie 1970, on se souvient pour la France du triste épisode de Creys-Malville qui
rassemble en 1977 60 000 militants antinucléaires, mais aussi des succès enregistrés lors de la bataille pour la
sauvegarde du parc naturel de la Vanoise (fin des années 1960), la résistance à l’extension du camp militaire du
Larzac, ou encore l’abandon du projet de la centrale nucléaire de Plogoff en 1981. Politiquement, le mouvement
fait son apparition sur la scène électorale dès 1974, autour de la candidature très appréciée de l’agronome tiers-
mondiste René Dumont.
Depuis, l’influence du mouvement ne cesse de s’étendre, si l’on en juge à la diffusion des thèmes écologiques
dans le discours public (les médias, les pouvoirs publics et même certains industriels) et son poids croissant dans
le jeu économique et politique. De plus, sous l’influence conjointe de l’émergence du mouvement écologique,
des grandes affaires de pollution largement médiatisées et de conditions économiques et sociales plus clémentes,
est apparue une conscience écologique que les enquêtes d’opinions cherchent à scruter depuis les années 1980.
Malgré cette limite temporelle, nous sommes en mesure de dégager les grandes tendances de la sensibilité des
citoyens aux problèmes et aux risques liés à la dégradation de l’environnement. Par leur suivi du thème
environnemental 1, les enquêtes européennes d’Eurobaromètre mettent en évidence un renforcement du souci
environnemental dans tous les pays européens, aussi bien au niveau des inquiétudes déclarées que dans les
changements d’attitudes et de comportements. Elles permettent également d’apprécier la sensibilité écologique
des Français au regard du reste de l’Europe et révèlent, au final, un clivage nord-sud dans les attitudes à l’égard
de l’environnement. Ces disparités culturelles nous amènent à réfléchir sur les représentations sociales de
l’environnement, qui semblent opposer une perception de l’environnement proche fondée sur l’expérience
sensible à une vision plus globale et abstraite des problèmes d’environnement. La nouveauté de ces deux
dernières décennies est la prise de conscience de la dimension globale et transversale des pollutions, révélée au
grand jour par les images fortes des grandes marées noires, du dépérissement de la forêt noire sous l’effet des
pluies acides, du nuage radioactif issu de la catastrophe de Tchernobyl qui inquiète l’Europe entière en 1986,
jusqu’aux derniers ravages provoqués par El Niño. Des notions telles que l’effet de serre, la déplétion de la
couche d’ozone ou les pluies acides vont dès lors alimenter le discours environnemental des médias et nourrir
les enjeux politiques internationaux de demain. On assiste également durant cette période à l’essor des
1 Présent de manière plus ou moins développée dans les enquêtes de 1982, 1986, 1988, 1992, 1995, 1996, 1997.
359
Futuribles / Etude rétrospective et prospective des évolutions de la société française (1950-2030)
34.
361