F acebook et moralité M ichel Alberganti reprend, sur son blog Globule et télescope, une enquête faite par la journaliste Chelsea Schilling (en créant un faux profil d’enfant sur Facebook) sur l’exploitation de Facebook par les pédophiles. Le résultat ne s’est pas fait attendre et elle a été très vite contactée par des pédophiles. Elle raconte son expérience dans une interview publiée sur youtube réalisée à la suite d’un article sur WND (World Net Daily). La facilité avec laquelle elle a pu être repérée par des groupes pédophiles pose sérieusement la question de l’inaction de la police qui pouvait bien évidemment faire la même chose et qui a les moyens légaux de poursuivre les délinquants. La traque des délinquants sexuels et la protection des mineurs est l’affaire des autorités qui doivent multiplier les moyens pour la rendre de plus en plus efficace mais pas plus qu’on ne peut vraiment empêcher le «tourisme sexuel» on ne pourra enrayer la présence des pédophiles sur internet. Je suis, par contre, plus que réticent à l'idée que l’œil de Facebook "analyse" les échanges des amis sur Facebook au prétexte d’une mission de police qui lui serait déléguée par on ne sait qui. Ma réluctance n’y change bien sûr pas grandchose et les moteurs d’inférence de plus en plus sophistiqués de ces grands scrutateurs d’internet continuent de dérouler les pétaflops de leurs ordinateurs de plus en plus puissants. Il ne sert pas à grand-chose de prétendre qu’on devrait même interdire à ces grands silos applicatifs (je pense aussi à google), qui étendent leur pieuvre sur le monde internet, de faire ce genre d'analyses qui sont clairement une violation de la liberté individuelle. Dans son article, Michel Alberganti rapporte une autre solution pour contrer les pédophiles "proposée par l’université Ben Gourion du Negev (BGU) en Israël. Il s’agit d’une approche similaire en matière de détection mais proposée sous la forme d’une application utilisable par les parents d’enfants inscrits sur Facebook". Cette solution de protection par filtrage est bien meilleure mais elle soulève le problème du contrôle parental en amont de l'utilisation des smartphones, tablettes et autres ordinateurs personnels. Il paraît impossible d'interdire par la loi à des mineurs de s'inscrire sur Facebook, difficile et probablement contreproductif de menacer les parents laxistes. Il est également illusoire de vouloir renverser le mouvement qui veut que des enfants de plus en plus jeunes soient directement des utilisateurs des prothèses communicatives que sont les smartphones, les tablettes ou les ordinateurs. Il y a d'ailleurs, notamment en matière d'éducation, des aspects positifs à cet envahissement des technologies. Ils donnent à nos enfants une fenêtre fantastique sur le monde, la connaissance, des moyens de formation qui sont d'ailleurs aujourd'hui sousutilisés, un accès aux arts, à l'histoire, une vision des mécanismes de la vie autrement parlante que nos vieilles planches d'anatomie, une mappemonde interactive, un télescope vertigineux sur l’univers, etc... Facebook, Google et autres silos applicatifs ne sont que des outils. Comme tout outil, ils ne sont ni moraux ni immoraux mais profondément et intrinsèquement amoraux. Et, s’ils doivent bien entendu respecter les lois des états où ils opèrent, Il est indispensable qu'ils le restent. Au nom de quelle légitimité pourraient- ils dicter des règles morales à leurs utilisateurs? Ils posent cependant le problème du rapport difficile entre l'éthique, la "morale", le respect de lois, les limites de la surveillance "policière" (on pense à la stupide loi Hadopi qui ne brime que les "maladroits") et les outils de communications que les technologies permettent. Mais ne nous y trompons pas : il y a plus de téléphones mobiles dans le monde que de brosses à dent selon Bruce Sterling et ces outils, qui envahissent de plus en plus notre univers, sont d’abord et beaucoup plus vite que nous pouvons l’imaginer ceux de nos enfants (de mes petits filles pour ce qui me concerne…). La révolution des technologies de la communication est d’abord une affaire de jeunes mais aussi une affaire de pauvres et d’opprimés. Nous n’avons pas encore vu toutes les conséquences de ce changement radical même si le printemps arabe nous a donné déjà un avant-goût de la force d’une diffusion sans limite géographique et pratiquement économique d’une information libre non pas parce qu’impartiale mais parce que protéiforme, pluriculturelle et fractale. Les pays totalitaires comme l’Iran, qui tentent d’enrayer ce souffle de liberté jamais connu par l’humanité, ne s’y sont d’ailleurs pas trompés. Patrice Leterrier 15 juillet 2012