PROGRAMME CDE
L’ADAPTATION AUX CHANGEMENTS CLIMATIQUES : PERSPECTIVES
HISTORIQUES SUR SON CADRAGE TORIQUE EN AMÉNAGEMENT
Rapport final
Responsable scientifique : Olivier Soubeyran
Rapport rédigé par : Olivier Soubeyran et Vincent Berdoulay
Avec les collaborations de :
Laurant Gagnol, Chercheur associé, Pacte-territoires
Pierre olivier Garcia, Doctorant, Pacte-territoires
Caio Maciel, professeur , Université Fédérale du Pernembouc, Recife ,
Bresil
Emilio Pontes, Doctorant, Université Fédérale du Pernembouc, Recife ,
Bresil
Walter Ribeiro, Professeur, Université Fédérale de Rio de Janeiro
Jean-Yves Puyo, Professeur de géographie à l’UPPA
Grenoble, le 3 décembre 2013
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Au lendemain du Grenelle I de l’environnement surgit une injonction : l’injonction de
l’adaptation. Le mot d’ordre est toujours de lutter contre le changement climatique. Mais
comment l’aménagement se saisit-il de cette injonction ? Le constat est que la stratégie
d’atténuation s’attaquant aux causes du changement climatique n’est plus suffisante.
L’aménagement doit désormais lutter contre celui-ci en s’attaquant à ses conséquences
territoriales. Et en ce sens, l’adaptation ne devrait pas heurter le monde de l’aménagement.
Mais, probablement parce que le CC d’origine anthropique est présenté comme une situation
inédite dans l’histoire humaine, il est sous-entendu que les notions censées y répondre
présentent le même degré de nouveauté. Sinon, le risque serait trop grand de nous ramener
aux trajectoires de pensée et d’action qui ont précisément mené au CC. L’adaptation serait
donc frappée au sceau de la modernité la plus avancée, rompant avec le passé.
D’une certaine façon, la réalité des réactions renforce cette impression : le monde des
élus ne semble pas du tout comprendre de quoi il retourne, si ce n’est que la question
environnementale se voit augmentée d’une couche supplémentaire de contraintes, ce qui
risque d’être un frein supplémentaire à leur action mais à l’inverse peut-être donner du grain à
moudre à des publics appelés à participer aux conduites de projet d’aménagement. Comme si
l’injonction de l’adaptation fabriquait une opportunité supplémentaire de voir surgir des
publics spécialisés, informés, face à des élus en quelque sorte déclassés, et favorisait ainsi la
contestation des projets par le biais d’un démocratie participative et d’un mode argumentaire
qui leur échappe. Peut-être même y aurait-il une danger de délégitimer la démocratie
représentative ? En effet, l’adaptation, s’intéressant aux conséquences territoriales du
changement climatique, pose la question de qui est habilité à définir l’intérêt général local. Où
s’arrête le principe de subsidiarité lorsqu’il est décliné au niveau local ? L’adaptation
apparaissait comme un nouveau coin dans l’évidence de la légitimité de la démocratie
représentative.
De leur côté, les techniciens de l’aménagement sont déjà aux prises avec
l’opérationnalisation des différents plans d’action publique territoriale de lutte contre le
changement climatique, et ce, à de multiples échelles. Comment vont-ils réellement pouvoir
intégrer la question de l’adaptation, dont ils n’ont pour la plupart jamais entendu parler, alors
qu’il ont déjà toutes les peines du monde à intégrer la question de l’atténuation ? Ces outils
n’existent pour eux tout simplement pas.
Quant au monde académique, tout au moins en France et dans les disciplines qui nous
concernent la géographie et l’aménagement la surprise est également de taille.
L’atténuation commence à peine à entrer dans le vocabulaire (notamment au travers de la
question de la transition énergétique, et de toutes les améliorations technologiques visant dans
les différents domaines touchant à l’aménagement une possible réduction des émissions de
gaz à effet de serre : logement, transport, habitat). Mais l’adaptation, ne fait pas encore partie
du vocabulaire.
Cependant, suite au Grenelle, le monde académique perçoit qu’il va falloir être très
réactif sur cette question, non sans avoir l’impression de se faire imposer ce thème, auquel les
pouvoirs publics nous disent l’urgente nécessité de réagir. En somme, il s’agit de relever le
défi de sa nouveauté pour produire de la connaissance utile. Urgence et nécessité résonnent
avec le constat mitigé de l’efficacité des politiques d’atténuation, et s’impose donc l’urgence
de répondre désormais par l’adaptation face au scénario le plus probable du GIEC, celui de 2°
d’augmentation de la température moyenne.Mais ce qui désarçonne le monde académique
devant cette injonction à l’adaptation, c’est moins la nouveauté que l’injonction elle-même.
Une anecdote : les auteurs de la recherche ont été sollicités pour un certain nombres d’entrées
du . Nous sommes à la fin des
années 90. C’est seulement sur notre insistance que l’entrée « adaptation » fut retenue, et
encore uniquement dans une perspective historique, comme une notion nodale d’une
géographie vidalienne alors jugée dépassée. Même réticence pour l’entrée « milieu », comme
si cette question des rapports société / milieu avaient encore à la fin des années 90 en France
du mal à être reconnue pertinente, puisque irrésistiblement ramenée au danger d’un retour à
une veille conception de la géographie. Et voilà maintenant qu’elle devrait être à la pointe de
la lutte contre les effets du changement climatique…
On voit donc qu’aussi bien du point du vue académique que des élus ou des
techniciens, l’injonction à l’adaptation, le rapport à la nouveauté qu’elle prétendait incarner, la
nécessité et l’urgence de s’en emparer, voire de proposer des réponses socialement utiles,
n’était pas évident à accepter et à faire sans que l’on puisse prendre un certain recul à la fois
historique et théorique.
C’est ce que notre recherche se proposait de faire, en la développant selon trois
perspectives : historique, stratégique et théorique.
La perspective historique
Dans l’histoire de la pensée géographique et aménagiste, la question des relations
homme / milieux, ou sociétés / milieux fut tout à fait centrale. Il en est de même de la question
de l’adaptation. Bien entendu, suivant les courants (ne serait-ce que pour la géographie
française et son institutionnalisation au début du siècle dernier), il pouvait s’agir plus de
l’adaptation de l’homme au milieu, ou de celle du milieu à l’homme, ou encore de
l’adaptation comprise comme la dépendance mutuelle entre les sociétés et leurs milieux (ces
derniers étant en général saisis plutôt dans leurs dimensions biophysiques et
géomorphologiques).
Ce qui nous intéressait ici, c’était de saisir cette question de l’adaptation dans la
dynamique de la pensée moderne, c’est-à-dire confrontée à la question de l’émancipation
humaine, en particulier à l’arrachement des contraintes du milieu. Il y avait une difficulté
que rencontrait le projet géographique en tant que projet moderne, au prix de concevoir la
possibilité de fabriquer des milieux aptes à émanciper, ou de comprendre comment la
fabrication volontaire de milieux pouvait favoriser des comportements attendus. Or,
l’adaptation qui pouvait tout à la fois être un élément de contrainte, de soumission ou d’action
émancipatrice, a trouvé dans le creuset colonial, un formidable terrain d’expression. Dans ce
creuset colonial se sont croisées diverses théories géographiques mais aussi aménagistes, car
il fallait bien fonder en raison la façon dont la modification des milieux pouvait provoquer des
comportements attendus, c’est-à-dire être un instrument de la « mission civilisatrice ». Et l’on
pouvait s’attendre à ce qu’à la fois la démarche géographique et la démarche aménagiste à
propos de l’adaptation ne soient pas sans lien avec les paradigmes naturalistes de l’époque (en
particulier autour des connexions transformistes ou néo-lamarckiennes)
Mais dans tout cela, quel rapport pouvons-nous établir entre ces réflexions sur
l’adaptation au contact du monde colonial et la question du changement climatique que nous
subissions ? Le rapport existe, mais à front renversé. Il concerne des peuples colonisateurs
qui, en s’expatriant dans de nouvelles terres, allaient être confrontés à un changement
climatique profond. Donc dans quelle mesure ces populations, envoyées parfois aux limites de
l’écoumène, pouvaient s’adapter au climat, s’en distancier, ou au contraire être confrontées au
risque d’une « dé-civilisation » due à l’influence du milieu colonial ?
Cette question de l’adaptation au changement climatique, même restreinte
principalement à l’exemple du creuset colonial français au XIXe siècle, reste évidemment
immense. Et notre réponse forcément partielle. Mais l’objectif était de saisir s’il n’existait pas
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