La perspective historique
Dans l’histoire de la pensée géographique et aménagiste, la question des relations
homme / milieux, ou sociétés / milieux fut tout à fait centrale. Il en est de même de la question
de l’adaptation. Bien entendu, suivant les courants (ne serait-ce que pour la géographie
française et son institutionnalisation au début du siècle dernier), il pouvait s’agir plus de
l’adaptation de l’homme au milieu, ou de celle du milieu à l’homme, ou encore de
l’adaptation comprise comme la dépendance mutuelle entre les sociétés et leurs milieux (ces
derniers étant en général saisis plutôt dans leurs dimensions biophysiques et
géomorphologiques).
Ce qui nous intéressait ici, c’était de saisir cette question de l’adaptation dans la
dynamique de la pensée moderne, c’est-à-dire confrontée à la question de l’émancipation
humaine, en particulier à l’arrachement des contraintes du milieu. Il y avait là une difficulté
que rencontrait le projet géographique en tant que projet moderne, au prix de concevoir la
possibilité de fabriquer des milieux aptes à émanciper, ou de comprendre comment la
fabrication volontaire de milieux pouvait favoriser des comportements attendus. Or,
l’adaptation qui pouvait tout à la fois être un élément de contrainte, de soumission ou d’action
émancipatrice, a trouvé dans le creuset colonial, un formidable terrain d’expression. Dans ce
creuset colonial se sont croisées diverses théories géographiques mais aussi aménagistes, car
il fallait bien fonder en raison la façon dont la modification des milieux pouvait provoquer des
comportements attendus, c’est-à-dire être un instrument de la « mission civilisatrice ». Et l’on
pouvait s’attendre à ce qu’à la fois la démarche géographique et la démarche aménagiste à
propos de l’adaptation ne soient pas sans lien avec les paradigmes naturalistes de l’époque (en
particulier autour des connexions transformistes ou néo-lamarckiennes)
Mais dans tout cela, quel rapport pouvons-nous établir entre ces réflexions sur
l’adaptation au contact du monde colonial et la question du changement climatique que nous
subissions ? Le rapport existe, mais à front renversé. Il concerne des peuples colonisateurs
qui, en s’expatriant dans de nouvelles terres, allaient être confrontés à un changement
climatique profond. Donc dans quelle mesure ces populations, envoyées parfois aux limites de
l’écoumène, pouvaient s’adapter au climat, s’en distancier, ou au contraire être confrontées au
risque d’une « dé-civilisation » due à l’influence du milieu colonial ?
Cette question de l’adaptation au changement climatique, même restreinte
principalement à l’exemple du creuset colonial français au XIXe siècle, reste évidemment
immense. Et notre réponse forcément partielle. Mais l’objectif était de saisir s’il n’existait pas