FUMEUR OU NON-FUMEUR L’interdiction est désormais explicite : dans le courant de l’année 2007, on n’aura plus le droit de fumer dans les lieux publics en France – enfin dans la plupart des lieux publics, puisqu’il subsiste encore des espaces de tolérance pour quelques temps. Les lieux publics seront donc considérés comme « non-fumeurs » ! Etonnante formule, bien employée et comprise par tout le monde. Elle n’est étonnante que si on feint de ne pas la comprendre et qu’on veut la prendre au pied de la lettre. En effet, on peut considérer le lieu non-fumeur comme le lieu qui ne fume pas ; or ce n’est pas le lieu qui fume ou pas, c’est simplement qu’il peut être plus ou moins enfumé à proportion de ce qu’on y fume. Il faut donc comprendre la formule avec une ellipse : il s’agit de lieux « pour » fumeurs ou « pour » non-fumeurs, même si dans la conversation courante, on peut demander innocemment : « Dîtes-moi, c’est fumeur ici ? » et qu’on entend couramment parler d’un compartiment fumeur ou d’un espace nonfumeur ! En effet fumeur est un nom qui désigne celui qui fume régulièrement du tabac. Et bien sûr on peut moduler : gros fumeur, ancien fumeur, fumeur repenti, etc. Mais le verbe « fumer » lui-même n’est pas sans intérêt. Employé absolument, c’est-à-dire sans complément, il désigne celui pour qui l’usage du tabac est une habitude, celui qui fume la pipe, le cigare ou la cigarette. Ainsi peut-on dire « je fume », « je me suis mis à fumer à tel âge », « j’ai arrêté de fumer », etc. Ce sens est ancien puisqu’on en trouve des attestations plus ou moins isolées depuis le XVIIème siècle, mais il s’établit dans l’usage à partir de la fin du XIXème. Là encore, l’examen du premier sens du mot nous laisse perplexe : tout le monde sait ce qu’est la fumée, cette substance gazeuse qui se dégage d’un produit qui brûle, et le verbe construit sur ce nom signifie simplement dégager de la fumer ; une cheminée fume, un moteur fume, c’est donc qu’ils produisent de la fumée, ou tout au moins qu’ils en laissent s’échapper. L’activité du fumeur, en revanche, est pratiquement inverse : au lieu d’exhaler de la fumée, il en inhale, il l’intègre, il l’avale. Vous me direz qu’il y en a toujours une partie qu’on exhale, c’est-à-dire qu’on va souffler à l’extérieur, et qu’on n’avale jamais l’intégralité de la fumée qu’on aspire ! C’est vrai, mais malgré tout, reconnaissons que c’est étrange. Le verbe « fumer » n’est d’ailleurs pas toujours lié au tabac. Un fumoir est un lieu réservé aux fumeurs en principe, dans un hôtel, un lieu de conférence par exemple. Le mot est désuet : on ne l’emploie plus guère, et il évoque une époque où l’on fumait plus volontiers la pipe ou le cigare, et où d’autre part, cette activité était considérée comme presque strictement masculine. Les femmes ne fumaient pas, et traditionnellement, on pouvait imaginer que la fumée du tabac les incommodait plus que les hommes – ce qui est bien sûr une considération purement sociale. Mais bref ! Le fumoir est un salon où l’usage du tabac est permis (et presque conseillé : on y va pour fumer !) Mais attention, « la fumerie » est bien différente, puisque ce mot, lui aussi ancien et relativement sorti d’usage, ne désignait pas un espace réservé au tabac, mais bien plutôt à l’opium, en Extrême-Orient.