c’est le semeur, la semence, le champ. C’est une conversion du regard que les disciples n’ont pas
encore faite : ils restent fixés sur l’ivraie. Et Jésus les recentre sur celui qui sème et sur le bon
grain. Nous savons d’expérience que l’ivraie est en nous mais la sagesse de l’évangile nous invite à
ne pas nous livrer à la violence de l’arrachement mais au discernement, au tri, à la patience et
surtout à faire des choix de vie qui nous font ressembler au Christ « pauvre et humble ». Il ne
s’agit pas d’ignorer la chair car « qui veut faire l’ange fait la bête »…il s’agit d’apprendre à aimer en
elle, par elle. Le combat va donc toucher ma manière de vivre et non la chair qui est don de Dieu.
Ce sera essentiellement ma manière de vivre ma relation aux autres, aux biens, à la nature, au
pouvoir…Il y a une manière avide, possessive, cumulative, dominatrice de vivre ma relation à
l’argent, à mon conjoint, mes amis, mes collègues de travail, au pouvoir qui s’oppose au style de
Jésus qui trouve sa joie dans la partage, la pauvreté, le respect, le pardon, le don de soi, le service
dont il nous invite à revêtir le tablier comme il l’a fait lui-même le soir du jeudi saint dans cette
scène magnifique que nous raconte saint Jean (Jn 13,1 et ss). C’est cette tension que nous décrit
Paul de manière fort réaliste dans l’épitre aux Galates : « La chair s’oppose à l’esprit et l’esprit à la
chair ; entre eux c’est l’antagonisme ; aussi vous ne faites pas ce que vous voulez. Mais si vous êtes conduits par
l’Esprit, vous n’êtes plus soumis à la loi. Marchez sous l’impulsion de l’Esprit » (Ga 5,16)
Le combat est donc à situer d’abord contre le désir d’appropriation et de jouissance « Qu’as-tu que
tu n’aies reçu » nous interpelle l’Apôtre. Jésus lui-même nous montre ce qu’est ce combat dans la
triple tentation au désert : tentation de l’avoir, du pouvoir, de se faire soi-même. Nous sommes
bien loin du mépris ou de la mutilation de la chair dont certains nous font croire que là est le
combat à mener. Une ascèse mal comprise, nous le savons, peut mener à l’orgueil et à la
suffisance ! Notre combat n’est rien d’autre qu’une libération de notre liberté. Et à la suite du
récit des tentations au désert nous pouvons nous poser la question aujourd’hui : « Si tu es fils, fille
de Dieu, comment combles-tu tes faims ? Comment affirmes-tu ta puissance ? Comment fais-tu
grandir la vie ? Pourquoi as-tu peur du regard de l’autre ? Du jugement de l’autre ? ». Le travail de
l’Esprit est de nous rendre libres, libres pour aimer, pardonner, partager, pour chanter. Car la joie
et la paix sont les fruits de ce combat….et je rends grâce pour les beaux témoignages que nous
ont confiés chacun avec son charisme propre Sr Emmanuelle ou l’abbé Pierre par exemple.
Rien donc à la force du poignet mais dans la douceur de l’Esprit se laisser transformer – corps,
âme, intelligence – par l’action de grâce, la louange, la contemplation du Christ dans l’évangile.
Contempler c’est devenir, c’est laisser peu à peu le Christ prendre chair en nous, nous devenons
des Christs selon la belle expression de saint Cyrille de Jérusalem. Contempler le Christ c’est à
force de le regarder, de l’écouter me laisser transformer par la connaissance intime et amoureuse :
la prière dans ce rythme lent conduit à la ressemblance.
L’expérience spirituelle
Il s’agit bien là d’une expérience, une expérience de l’Esprit qui nous conduit à la Source. Pour
certains le sentiment de cette présence s’est fait d’une façon forte et inattendue, pour d’autres elle
s’inscrit dans le temps, dans une lente transformation de l’être mais il s’agit toujours d’une
« connaissance » intime bien différente de tous nos savoirs sur Dieu. Il s’agit d’une révélation ! Et
les chemins sont bien variés. Je pense en souriant à Chantal qui a reçu dans un éblouissement sa
vocation à la vie religieuse en faisant la vaisselle ou au chemin peineux de Jean pendant une