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ème
Conférence de carême, à Fourvière – dimanche 29 mars 2009
Abaissement, humilité et obéissance
Quand Paul exhorte les Philippiens à davantage d’humilité, pour préserver l’unité de leur
communauté, il se fonde sur l’exemple du Messie. Il nous faut regarder de près les mots principaux choisis
(deux verbes et un adjectif) pour exprimer ces dispositions intérieures de Jésus, qui sont la clé de
l’accomplissement de sa mission et du salut du monde. Au verset 7, on lit que le Christ s’est « dépouillé » ou
anéanti, au verset 8, qu’il s’est « humilié » ou abaissé et qu’il s’est rendu « obéissant ». Le premier mot (en grec
ékénôsen, v.7) est le plus célèbre de l’hymne ; il vient de l’adjectif kenos, qui veut dire vide. Le Christ, qui
demeurait dans la condition divine, n’a rien gardé de la gloire qui y est liée. Au contraire, il s’est dépouillé, il
s’est littéralement « vidé » de tout cela, acceptant de tout perdre pour se lancer dans l’aventure de la
rédemption. Le contraste est fort, et indiqué par le « mais » du début du verset.
Ce mouvement est tellement important et exemplaire qu’un substantif a été forgé à partir de ce mot,
et qu’on parle de la « kénose » du Christ et de son attitude « kénotique ». Ils sont innombrables les
commentaires qui nous aident à contempler cette attitude intérieure du Seigneur. Ainsi, Grégoire de Nazianze
écrit : « Le Christ ne se dépouilla d’aucune partie constitutive de sa nature divine, et malgré cela me sauva
comme un guérisseur qui se penche sur les plaies infectées » .
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En demeurant dans la condition de Dieu, son
dépouillement est tel qu’il adopte « la condition de serviteur ». Il vaudrait mieux traduire, pour respecter le
texte, « la condition d’esclave ». Cela nous rappellerait le moment suprême du jeudi saint où, entrant dans la
Pâque, le Maître s’est mis à genoux comme un esclave pour laver les pieds de ses disciples. D’habitude, en
commençant ses épîtres, Paul se présente comme « Apôtre » ; au début de la 1
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épitre aux Corinthiens, il
utilise les deux mots : apôtre et esclave, mais dans l’épître aux Philippiens, il omet de se présenter comme
apôtre : « Nous, Paul et Timothée, esclaves du Christ Jésus, nous nous adressons à tous les fidèles… » (1, 1). On
voit bien que l’enjeu, pour lui, est majeur ; la seule façon de convaincre les Philippiens qu’ils doivent prendre le
chemin de l’humilité, c’est de leur montrer que le Seigneur n’a cessé de s’abaisser, et que lui-même, l’Apôtre
est d’abord un serviteur, un esclave. C’est pourquoi il ne craint pas d’écrire plus loin : « Frères, prenez-moi tous
pour modèle » (3, 17).
Le résultat du dépouillement de Jésus, c’est qu’il est « trouvé » homme comme les autres, semblable à
nous, « reconnu comme un homme à son comportement » (v.7). Mais il ne lui suffit pas d’être esclave. Comme
le Serviteur du livre d’Isaïe : « Maltraité, il s’humiliait, il n’ouvrait pas la bouche, comme l’agneau qui se laisse
mener à l’abattoir » (53, 7), il lui faut s’humilier plus encore. « Nul ne doit s’enorgueillir de sa position,
commente Jacques Cazeaux, tout comme Jésus y a renoncé, et chacun doit passer après les autres, derrière les
autres. Quand vous voyez à quelle extrémité il en est venu, alors, rougissez maintenant, ou, comme on va le lire
quelques lignes plus loin, tremblez ! (…) et portez ma joie (sans doute excessive au début) à sa vérité en étant
moins orgueilleux, et donc unis. Voilà que l’eau de rose vire à la sévère réprimande prophétique ! »
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Dans le chemin de l’abaissement, le Christ va jusqu’au bout, et c’est par la notion d’obéissance que
Paul nous décrit cet extrême de l’amour : « Il s’est fait obéissant jusqu’à la mort, et la mort sur la croix ». Peut-
être faut-il s’arrêter sur ce mot d’obéissance ; il a presque disparu de la prédication chrétienne, en dehors des
conseils donnés aux enfants et de la cérémonie où les religieux professent les trois vœux de pauvreté, chasteté
et obéissance. Pourtant, il est clair que l’obéissance est au cœur de toute vocation chrétienne, car c’est bien
par son obéissance que Jésus a sauvé le monde ; il s’agit d’un conseil évangélique, c’est-à-dire destiné à tous
ceux qui veulent suivre le Christ et vivre de l’Évangile. Obéissant est un mot grec très significatif (hupèkoos) ;
étymologiquement, il veut dire écouter par en dessous, et certains le traduisent par le mot « soumis ». Obéir,
c’est donc se faire petit, se mettre à l’écoute de Dieu d’abord et de tous ceux que nous croisons, pour les servir.
La parabole du Bon Samaritain explique qu’il ne s’agit pas de déterminer qui est notre prochain, qui
nous devons aimer. Ce sont les circonstances qui ont fait que ce samaritain s’est trouvé « être devenu le
prochain de l’homme tombé aux mains des brigands » (Luc 10, 36). C’est pourquoi l’on peut dire que
l’obéissance, pour les chrétiens, n’est pas une obligation issue d’une situation ou d’un rapport hiérarchique,
mais la reconnaissance de l’autorité suprême du grand commandement de l’amour. On obéit à ses supérieurs,
certes, comme Jésus a obéi à son Père, mais on obéit, si l’on peut dire, au « premier venu », à celui qui est à
nos côtés et qui a besoin de notre aide. Les parents se lèvent la nuit quand leur enfant fait un cauchemar, pour
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Saint Grégoire de Nazianze, Carmina arcana, 2, Testi Patristici, LVIII, Rome, 1986, p. 236
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Traduction et notes non publiées sur l’épître aux Philippiens, 2009.