n’hésite pas, pour y réfléchir sans provocation mais avec rigueur, à remettre à plat
tous les dogmes, que ce soient ceux des religions ou ceux de la pensée unique, ceux
des médias ou ceux de l’opinion publique.
Lux ex tenebris
Et pourtant on peut lire dans ce même texte du convent de Lausanne, à la ligne
précédente, littéralement juxtaposée : " La Franc-maçonnerie proclame, comme elle
l’a proclamé dès son origine, l’existence d’un Principe Créateur, sous le nom de
Grand Architecte de l’Univers." Est-ce bien cohérent ? Peut-on ne s’assigner aucune
limite à la recherche et en même temps proclamer l’existence d’un Principe
créateur ? Élargissons la question, car elle me paraît essentielle : la pensée libre,
avec la rigueur scientifique que lui a associée l’Histoire, conduit-elle inéluctablement
à la libre-pensée, au positivisme athée ? Est-il possible de concevoir librement l’idée
d’une Transcendance tout en conservant la cohérence, la rigueur et la logique de sa
pensée ? C’est pour moi une question importante, car l’être Sapiens, discernant, que
nous cherchons à être, ne peut accepter d’incohérence dans sa pensée, mais il lui est
en même temps nécessaire d’insérer sa vie et sa mort dans une réalité plus large qui
leur donne un sens.
Cette question du sens, ou de la Transcendance, qui interpelle notre époque, a
été abordée de manière très approfondie par André Comte-Sponville et Luc Ferry. Ce
que j’en ai personnellement retenu, c’est que le fond de leur divergence,
admirablement exprimé dans leur livre commun, La sagesse des modernes, me semble
résider dans leur acception du mot Transcendance : pour ce que j’en ai compris,
encore que sa pensée semble avoir évolué, chez Comte-Sponville la Transcendance
est par définition extérieure à l’univers, et comme, pour lui, seul ce qui appartient à
l’univers existe, la réponse est évidente : c’est non. Luc Ferry, lui, va nommer
Transcendance ce que chacun peut éprouver qui le transcende. La porte est alors
ouverte : cette réalité ineffable qui nous dépasse et nous transcende, dans laquelle
nous pouvons inscrire le sens de notre vie, est-ce que ça ne peut pas être l’univers
lui-même, inaccessible dans son infinie complexité, et son principe fondateur. Deus
sive Natura nous dit Spinoza : Dieu, ou la Nature.
L’histoire, en tout cas montre que les options religieuses des philosophes des
Lumières couvrent tout l’éventail possible : Moray le presbytérien tolérant, Locke
l’anglican platonicien, Bayle le huguenot cartésien, Meslier le curé d’Étrépagny,
Montesquieu le disciple catholique de Malebranche, d’Holbach le matérialiste de bon
sens, Diderot l’atomiste vaguement déiste, Rousseau le chantre de la foi naturelle et
du contrat social, jusqu’à Voltaire, le déiste qui les met tous d’accord : "Je vois des
ministres calvinistes, des arminiens, des sociniens, des anabaptistes, qui parlent tous
à merveille, et qui, en vérité, ont tous raison » mais aussi Voltaire, l’homme qui
parle à Dieu dans son Epitre à Uranie : "Je ne suis pas chrétien, mais c’est pour
t’aimer mieux".
Permettez-moi ici une analogie pour éclairer votre réflexion sur cette question
fondamentale de la liberté de penser, de la raison et de la Transcendance, une
analogie avec la pensée scientifique. Le mathématicien Bernhard Riemann mit en
évidence en 1853 la notion d’espace de validité de toute loi physique. C'est-à-dire
que toute vérité scientifique n’est valide que dans les conditions de son