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ERIK BRYNJOLFSSON
« LES MACHINES DIGITALES OUVRENT
UNE NOUVELLE ÈRE DE PROSPÉRITÉ »
POUR L’ÉCONOMISTE AMÉRI-
CAIN, QUI INSPIRE LA DIREC-
TRICE DU FMI, CHRISTINE
LAGARDE, L’ESSOR DES
TECHNOLOGIES DE L’IN-
FORMATION ANNONCE LA
PROCHAINE RÉVOLUTION
INDUSTRIELLE NON PLUS
MÉCANIQUE, MAIS COGNI-
TIVE. RETROUVEZ L’INTER-
VIEW DANS
ENJEUX LES
ECHOS
, MAI 2014.
SELON VOTRE LIVRE, NOUS
SERIONS ENTRÉS DANS UNE
DEUXIÈME PHASE DE MÉ-
CANISATION DU TRAVAIL,
PLUS IMPRESSIONNANTE ET
BOULEVERSANTE ENCORE
QUE LA PREMIÈRE, AU XIXe
SIÈCLE. A QUOI LE VOYEZ-
VOUS ?
Le titre,
Le Deuxième âge de
la machine
, est en effet un
clin d’œil à cette époque où
la machine, remplaçant les
muscles des chevaux et des
hommes, a permis la méca-
nisation du travail physique…
et un formidable décollage de
l’humanité, dont le niveau et
la qualité de vie étaient res-
tés jusque-là relativement
inchangés. Aujourd’hui, la
puissance de calcul des ordi-
nateurs couplée à la démul-
tiplication des réseaux est en
train de produire un phéno-
mène similaire, à une échelle
encore inédite : la mécanisa-
tion du travail cognitif. Ce qui
laisse augurer une nouvelle
ère de prospérité. On en voit
les balbutiements avec l’ap-
parition de technologies qui, il
y a cinq ans encore, relevaient
de la science-fiction : voiture
sans conducteur, commande
vocale de smartphones, té-
lédiagnostic médical, au-
toremplissage de documents,
automates qui répondent aux
questions au téléphone ou en
ligne, logiciels capables de ré-
diger des articles simples de
résultats sportifs ou boursiers,
ou de battre nos meilleurs
étudiants au jeu « Jeopardy »
[équivalent de « Questions
pour un champion », NDLR] n
LE PRIX NOBEL D’ÉCONOMIE
ROBERT SOLOW DISAIT EN
1987 :
« JE VOIS L’AVÈNEMENT
DES ORDINATEURS PARTOUT
SAUF DANS LES CHIFFRES
DE LA PRODUCTIVITÉ. »
POURQUOI A-T-IL FALLU AT-
TENDRE TRENTE ANS POUR
QUE S’OUVRE CETTE NOU-
VELLE ÈRE ?
C’est un des effets de ces lois
exponentielles, comme celle
de Moore qui veut que la puis-
sance de calcul des ordina-
teurs double tous les dix-huit
mois. L’esprit humain appré-
hende mal ce phénomène
vertigineux […]. Jusqu’ici, la
diffusion des technologies de
l’information a été une révo-
lution à bas bruit qui affectait
nos vies à la marge et qui, en
effet, dans le business, ne se
traduisait guère en gains de
productivité. Mais aux États-
Unis, ceux-ci ont recommencé
à croître depuis les années
90. Comme l’ont montré nos
travaux, il faut cinq à sept ans
en moyenne aux entreprises
pour digérer la technologie
et adapter leur organisation
et leur process pour en tirer
profit. […]
Les machines excellent ac-
tuellement aux tâches rou-
tinières, qu’elles soient
physiques ou mentales. Mais
je ne sais pas de quoi elles
seront capables demain – il y
a dix ans, je ne les imaginais
pas conduire une voiture ! En
attendant, il y a au moins trois
domaines dans lesquels les
humains ont encore l’avan-
tage. La créativité et l’esprit
d’entreprise, d’abord. Ces
deux qualités vont devenir
d’autant plus précieuses que
la digitalisation en amplifiera
les retombées. Les relations
interpersonnelles, ensuite :
vendre, éduquer, motiver, soi-
gner… tout cela requiert des
capacités empathiques qui
font encore largement défaut
aux machines. La dextérité,
enfin. Les robots sont très
maladroits : coiffeurs, jardi-
niers, plombiers ont encore de
beaux jours devant eux n
Propos recueillis par
Pascale-Marie-Deschamps
pour Enjeux Les Echos
Le 30/05/14
Erik Brynjolfsson,
économiste
Débat&Co / page 5