La dernière leçon
Il faut l’aimer fort la vie, pour se donner la mort.
Le récit prend forme au moment où la mère de l’auteur, une vieille dame de 92 ans, ancienne sage-
femme, annonce à ses enfants qu’elle va mettre fin à ses jours tel jour, telle heure… Mourir
debout, mourir seule avant que la maladie ou la démence ne décide pour elle. La dernière leçon
raconte le cataclysme que cela provoque chez l’auteur sous la forme d’une longue lettre, à la
première personne, écrite à sa mère quelques mois après sa disparition.
La narratrice s’insurge, se révolte, essaye d’arrêter cette horloge, mécanique, implacable… Elle lui
dit aussi le bonheur de ces dernières semaines de leur vie complice où sa mère n’eût de cesse de
l’accompagner sur le chemin de sa mort, volontaire, apprivoisée, apaisée. Une dernière leçon.
L’écriture est acérée, pudique. Les mots prennent corps, semblant naître d’une longue macération.
A la lecture de La dernière leçon on se souvient de La Ballade de Narayama ce très beau film
japonais d’Imamura… Jusqu’à la fin du 19
ème
siècle la coutume voulait que les habitants d’un village
pauvre dans les hauteurs du Shinshù, arrivant à l’âge de 70 ans, s’en aillent mourir volontairement
au sommet de Narayama, « la montagne des chênes ». Là où se rassemblent les âmes des morts…
La dernière leçon n’est pas traité comme un récit-témoignage, un fait divers, une question de
société sur le droit de mourir dans la dignité mais comme un conte philosophique, un voyage
intérieur, initiatique. Voyage de la narratrice. Elle est au centre du récit, elle en est le cœur, sa
respiration. Nous l’appellerons Alice, en référence au personnage inventé par Lewis Carrol.
Alice est seule en scène, tour à tour enfant, jeune fille, femme, se transformant au gré de ses
rencontres, de ses découvertes, de ses émotions, de ses souvenirs entre-mêlés.
Deux autres personnages accompagnent ce voyage : la Mère et la Mort. Ils sont traités en théâtre
d’ombres et marionnettes.
La Mère dialogue parfois avec Alice au présent (une scène en particulier où la mère se demande
comment s’habiller avant de se donner la mort ce qui provoque un irrépressible fou rire des deux
femmes).
La Mort est silencieuse, par nature elle n’a pas grand-chose à dire, discrète, elle est invitée, elle
sait se tenir, elle ne montre aucune impatience, elle peut être familière, mais avec tact. Il arrive à
Alice d’avoir peur.
Tu n’avais pas téléphoné, mais c’était maintenant. C’était l’heure. Il y eut l’effroi, et la peur d’en
mourir. Le corps qui se défait. Les jambes qui se dérobent. Les bras qui se cherchent. La raison
suppliciée. Mon cri étouffé plus fort que tous les cris, dans la chambre. Et puis soudain, il y eut le
téléphone qui me fit sursauter…
- Pardonne-moi, mais j’ai été retardée… Une longue visite inattendue… Ma voisine... Avec une part de
gâteau… A présent je suis prête. Tout est prêt. Je vais prendre ma douche maintenant.
- Tu vas prendre ta douche maintenant ? C’est cela ?
- Oui c’est cela. Tu comprends ?
- Oui je comprends. Cette fois tu m’as laissée dire. Peut-être as-tu souri.
(Dernier dialogue entre Alice et la mère)
Gérald Chatelain