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Pour une meilleure utilisation des nouvelles technologies : le modèle alternatif des logiciels
libres
Bernard Lang, chercheur à l'INRIA (Institut National de Recherches en Informatique et Automatique)
Il y a une dizaine d’années, le secteur des logiciels
informatiques était menacé car on tendait vers le
monopole de Microsoft et de son système
d'exploitation « Windows ». Par réaction, la
communauté des chercheurs en informatique a
développé à l'attention de l'ensemble des utilisateurs
des logiciels concurrents dits « libres ».
L'évolution vers un monopole est due à la
spécificité économique de ce secteur qui constitue
un cas de « monopole naturel »:
- le coût marginal d’un logiciel est nul car les
copies sont gratuites
- peu de capitaux sont nécessaires au
développement d’un logiciel
- il existe un effet de réseau physique ou logique qui conduit à un monopole naturel.
Sur le troisième point, il s’agit bien sûr du problème de compatibilité entre les applications mais aussi
du fait que dans les entreprises, lorsque le personnel est déjà formé à l’utilisation d’un logiciel, il est
alors logique de continuer à acheter le même. Le producteur dominant a ainsi tendance à devenir
universel. Nous retrouvons alors les effets dommageables du monopole : prix arbitraire, contrôle de
l’économie et manque d’innovation.
Il est à noter que l’activité d’édition de logiciels crée peu d’emplois mais rapporte une fortune comme
la comparaison entre l'éditeur de logiciels Microsoft et la société de vente de service et de matériel
IBM le montre.
Microsoft : $ 14,5 milliards de CA $ 4,5 milliards de bénéfice 27 000 emplois
IBM : $ 81,7 milliards de CA $ 6,3 milliards de bénéfice 291 000 emplois
Par conséquent, quand on achète un logiciel « commercial », on n’a pas le droit de le modifier, ni de
l’installer sur un autre ordinateur. Le seul droit que l’on ait est celui de le « consommer ». Tout travail
de recherche et de développement dans ce domaine est implicitement propriété du monopole et, de
plus, est bridé par les freins techniques et légaux mis par l'opérateur à l'utilisation de son produit pour
des développements ultérieurs. Cet état de fait est venu heurter de manière quasi philosophiques
les fondements du fonctionnement du monde de la recherche, pourtant d’inspiration libérale.
Celui-ci a, en effet, un fonctionnement très particulier qui conjugue efficacité et liberté des acteurs. Les
chercheurs n’ont pas de souci d’ordre purement économique mais leur monde fonctionne quand
même comme une économie de marché. Ils fabriquent des modèles puis essaient de les mettre en
œuvre. Ils travaillent les uns avec les autres, ils communiquent ensemble pour avoir des informations.
Pour que la recherche avance, la coopération est indispensable. Mais il y a aussi de la concurrence
entre les différentes approches, qui sont évaluées par toute la communauté. L’évaluation est ainsi
réalisée par les pairs et évolue au cours du temps. La valeur marchande est la réputation qui se
traduit par des distinctions d'ordre aussi bien académiques que pécuniaires. Sur la base de ces trois
caractéristiques, la coopération, la concurrence et l’évaluation par les pairs, ce système a prouvé son
efficacité depuis plus de 200 ans.
Parallèlement, les chercheurs sont totalement libres sur le choix de leur sujet et sur le contenu de leur
communication. Et c’est cette liberté que Microsoft est venue entraver. Par réaction, dans les années
80, un mouvement s'est mis à développer bénévolement des logiciels plus transparents et moins
chers. Ces logiciels dits « libres » sont très différents du logiciel commercial car ils sont basés sur un
travail en collaboration pour créer un ensemble de ressources en logiciels. L'utilisateur dispose à la
fois des moyens matériels et de l’autorisation légale de les modifier.
Ainsi, le modèle de développement du logiciel libre est très semblable à celui de la recherche : il y a
de la coopération, de la concurrence et du contrôle par les pairs. Il est de plus le seul modèle qui