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Le génie de la nouvelle évangélisation : au peuple, parle avec le style de Dieu
Message et perspectives théologico-spirituelles
(4ème édition revue et corrigée)
GUILLAUME DERVILLE
Introduction : le cadre de l’exercice du ministère pastoral aujourd’hui
I. Originalité
1) L‘originalité de Dieu qui parle dans le silence : la prière
2) Dieu choisit et appelle : l‘originalité du sens vocationnel de l‘existence
3) Au milieu du monde : l‘originalité de la sécularité
II. Exemplarité
1) Digne de foi
2) Accueillant, bienveillant, joyeux et miséricordieux
3) Authentique et courageux
III. Mystère
1) Le mystère de la Providence
2) Le don du célibat sacerdotal
3) L‘Eucharistie : la fête et le sacré, sensibilité liturgique et culte spirituel
Conclusion : le style de Dieu est toujours nouveau
* * *
« Le génie de la nouvelle évangélisation » : le clin d‘œil à Chateaubriand n‘est peut-
être pas complètement artificiel. Un évêque français a remarqué que, de manière
analogue à l‘époque fut écrit le Génie du christianisme1, « il y a dans notre société à la
fois un effacement du christianisme, et singulièrement du catholicisme, sur la place
publique, et des phénomènes étonnants de conversions2 ». Quoi qu‘il en soit,
Chateaubriand réfléchissait sur la fonction sociale et humaine de l‘Église et s‘adressait
surtout aux gens de lettres et au monde : il souhaitait être lu de « l‘homme de lettres le
1 François-René de Chateaubriand, Génie du christianisme ou beautés de la religion chrétienne, Gallimard, NRF,
Paris 1978 ; cf. Notice de Maurice Regard, 1598 : l‘ouvrage fut mis dans le commerce le 14 avril 1802.
2 Claude Dagens, in « Revue des deux mondes », Le nouveau catholicisme, décembre 2013, 47.
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plus incrédule, du jeune homme le plus léger3 ». Son œuvre a peu de poids doctrinal et ne
s‘adresse pas directement à des prêtres. Nous voici réunis, en tout cas, pour réfléchir
ensemble sur notre sacerdoce ministériel en cette époque de « nouvelle évangélisation »,
expression que nous devons à Jean-Paul II, et qu‘il prononça pour la première fois en
1979 dans la banlieue industrielle de Cracovie4.
Introduction : le cadre de l’exercice du ministère pastoral aujourd’hui
Avant d‘entrer en matière, je souhaite dresser à grands traits le cadre de ces
réflexions. Elles ne porteront pas directement sur la nature du sacerdoce, bien qu‘en toile
de fond notre identification sacramentelle avec le Christ sera essentiellement présente5,
mais plutôt sur quelques aspects de l‘exercice de notre ministère pastoral aujourd‘hui. Je
définirai d‘abord, de manière schématique, la nouvelle société, ce que l‘on entend par
évangélisation et quel est le sens du mot « génie ».
La nouvelle société
La « redécouverte » de l‘évangélisation fut l‘objet des exhortations apostoliques
Evangelii nuntiandi de Paul VI (1975) et Catechesi tradendæ de Jean Paul II (1979), et plus
tard de son encyclique Redemptoris missio (1990) annonçant un nouveau printemps
chrétien6. La rédaction du Catéchisme de l‘Église catholique (CEC) a donné l‘occasion
d‘actualiser le magistère conciliaire et de prendre en compte la nouveauté de l‘époque ; je
noterai à cet égard d‘importantes différences de perspective par rapport à la rédaction du
Catéchisme du Concile de Trente.
Le CEC en effet ne présuppose pas que ses lecteurs soient croyants, il propose
plutôt la foi ; car l‘homme contemporain met en doute de manière radicale la profondeur
de l‘acte de foi, ce qui rend nécessaire, comme l‘a signalé José Luis Illanes, « la mise en
évidence du point de rencontre entre foi et raison et, plus profondément, entre foi et
existence humaine7 ». En outre les destinataires du CEC ne sont plus seulement
européens contrairement à ceux du Catéchisme du Concile de Trente : l‘universalité du
3 Chateaubriand, Défense du Génie du christianisme, Gallimard, NRF, Paris 1978, 1100.
4 Le 9 juin 1979, à Nowa Huta. Cf. La nueva evangelización según el Papa Wojtyla, ―L‘Osservatore Romano‖,
éd. espagnole, 5 juillet 2011.
5 En lien avec la nature du sacerdoce, les aspects de don et mystère, de consécration et mission, et les
différences essentielles et de degré entre sacerdoce ministériel et sacerdoce commun. Cf. notamment
Concile Vatican II, Const. Sacrosanctum Concilium, 4 décembre 1963 ; Const. dogm. Lumen gentium, 21
novembre 1964, 28 ; Décret Presbyterorum Ordinis, 7 décembre 1965; Décret Optatam totius, 28 octobre
1965 ; Jean-Paul II, Exh. ap. post-synodale Pastores dabo vobis, 25 mars 1992 ; Congrégation pour le
Clergé, Directoire pour le ministère et la vie des prêtres, Nouvelle édition, 11 février 2013.
6 Jean-Paul II, Enc. Redemptoris missio,7 décembre 1990, 86.
7 José Luis Illanes, El CEC en el contexto cultural contemporáneo, in Antonio Aranda (ed.), « Creemos y
conocemos ». Lectura teológica del Catecismo de la Iglesia Católica, Eunsa, Pamplona 2012, 39.
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texte se fait effectivement géographique, ce qui avait d‘ailleurs engendré des doutes sur
sa faisabilité et son opportunité. Il y a en même temps une grande diversité
d‘appréciation sur ce que valent des cultures très différentes ; il existe à la fois la
« conscience de ce que l‘humanité, pour la première fois dans son histoire, est une
humanité réellement et profondément unifiée8 ».
Quels sont les traits qui caractérisent notre société ? Il n‘y pas d‘unanimité sur ce
point. Ce sera la tâche de Thibaud Collin de nous parler de la culture moderne et de sa
genèse. Je me limiterai à relever la perte du sens de la vie, sur fond de tendance au
relativisme et au nihilisme ; une certaine reconnaissance universelle toutefois de la dignité
de la personne humaine, ou encore de sa subjectivité ; l‘importance décisive des
nouvelles technologies, qui changent les modes de communication ; la multiplication des
relations entre les différentes religions, mais aussi leur choc dans certains cas.
J‘ai repris ici un certain nombre de points signalés par Illanes. Il conviendrait de
mentionner encore les défis lancés par la recherche d‘une domination orgueilleuse du
bien et du mal (cf. Ge 2,9.17.22), le refus de considérer la vie comme un bien, chose
pourtant quasiment spontanée autrefois, l‘idéologie du « gender » et le mirage du
« cyborg9 », c‘est-dire de la « création » d‘un homme artificiel.
Au terme de cette énumération, j‘ajoute qu‘après les certitudes de la modernité
nous sommes entrés dans l‘époque postmoderne l‘homme a pris conscience de sa
vulnérabilité et même de sa fragilité10. L‘affectivité souvent exacerbée devient un aspect
essentiel de cet homme postmoderne, qui a trop souvent souffert d‘être mal-aimé et qui,
à son tour, peine à « savoir aimer ».
L’évangélisation
Qu‘entendons-nous par évangélisation ? L‘Évangile, et plus généralement
l‘ensemble du Nouveau Testament, a été écrit d‘abord pour les croyants, afin de les
conforter dans leur foi (cf. Jn 20, 31), dans leur charité et dans leur glorieuse espérance
du retour du Seigneur. L‘Évangile est aussi « bonne nouvelle » annoncée à ceux qui ne
croient pas. Tous ont besoin d‘être évangélisés. Le mot « catéchèse » signifie, comme on
sait, « faire retentir », « éveiller un écho ». D‘où le nom de « catéchumènes », désignant
ceux qui souhaitaient adhérer à la foi chrétienne. Le kérigma était la proclamation des
vérités de salut. Dès les origines, comme le constate Louis Bouyer, la catéchèse a joint au
kérygme « un enseignement pratique sur la vie qui doit être celle du chrétien, ainsi qu‘une
explication du rituel auquel il devait participer11 ». Si l‘on en croit Bouyer, cet
8 José Luis Illanes, El CEC en el contexto cultural contemporáneo, in Antonio Aranda (ed.), « Creemos y
conocemos ». Lectura teológica del Catecismo de la Iglesia Católica, 38.
9 Cf. www.mercatornet.com/articles/view/focus_on_transhumanism_the_quest_for_proactive_evolution.
10 Cf. notamment Pascal Ide, L’homme vulnérable et capable, in Bernard Ars (ed.), Fragilité, dis-nous ta
grandeur, Cerf, Col. « Recherches morales », 31-88. Cf. aussi Alain Finkielkraut, L’identité malheureuse,
Stock 2013.
11 Bouyer, Dictionnaire Théologique, Desclée, Paris 1990 (Nouvelle édition), 70.
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enseignement concret proposait le christianisme « avant tout comme un fait, l‘événement
salutaire : le grand fait du Christ et de sa croix12 ».
Cette évangélisation est nouvelle. Certes, relève le cardinal Paul Poupard en se
référant à Newman, « l‘approche de la vérité change au cours des siècles, mais non son
contenu13 ». L‘adjectif « nouvelle » renvoie à différents aspects : il y a l‘idée d‘évangéliser
ceux qui l‘avaient déjà été mais dont le sel a perdu sa saveur ; ou encore celle de parler à
une société « postmoderne » : la pensée dominante y oscille entre un antichristianisme
idiot qui, avec Celse, voit dans le chrétien un anthropophage14, et l‘absence totale de la
moindre notion chrétienne. L‘amplitude et la complexité des facteurs appellent une
analyse qui dépasse le cadre de cet exposé.
Le génie
Comment caractériser le génie ? Ce n‘est pas un concept théologique, certes. Le
latin « genius » désignait le dieu qui préside à la naissance et à la destinée de chacun. Or
l‘évangélisation invite à renaître dans le Christ, vrai Dieu et vrai Homme, et à
s‘abandonner à la Providence du Père céleste (cf. Mt 6, 25-34). Plus généralement, le
génie de quelque chose c‘est l‘ensemble des caractères qui en forment la nature propre.
C‘est encore, depuis la fin du XVIIème, cet aspect talentueux et supérieur de l‘esprit qui
donne pour ainsi dire du succès à une entreprise. Il peut y avoir en ce sens une efficaci
du génie, une force d‘attraction, pour citer le mot de Benoît XVI que le pape François
reprend dans sa première exhortation apostolique15. Il y aura toujours une « éternelle
nouveauté16 » de l‘évangélisation.
Laissons de côté la polysémie du mot pour en considérer trois aspects qui, aux
yeux d‘un philosophe presque contemporain de Chateaubriand, définissent le génie :
originalité, exemplarité et mystère17. Ils recouvriront pour mon propos un contenu
théologique et spirituel nouveau.
12 Ibidem.
13 Paul Poupard, L‘avenir est à l‘espérance, entretien réalisé par Annick Steta, in « Revue des deux mondes »,
Le nouveau catholicisme, décembre 2013, 31.
14 Qu‘il suffise de citer une dépêche de l‘Agence France Presse, laquelle est d‘ailleurs amplement
financée par l‘État, sur une procession eucharistique à Lima : « La veneración del "Cuerpo de Cristo",
supuestamente empaquetado en una hostia, es uno de los pilares de la religiosidad popular en el mundo católico » (AFP,
10 juin 2012).
15 Cf. François, Exh. ap. Evangelii gaudium [EG], 24 novembre 2013, 14, citant Benoît XVI, Homélie lors
de l‘inauguration de la Vème Conférence générale de l‘Épiscopat latino-américain et des Caraïbes (13 mai
2007), Aparecida, Brésil : AAS 99 (2007).
16 François, EG, 11-13.
17 Cf. Emmanuel Kant, La Critique de la faculté de juger, § 46. Kant, sans doute plus intéressant dans ses
incohérences que dans ses conclusions, si l‘on en croit Michael Shanks, mourut en 1804, deux ans après
la publication du Génie. Il s‘intéressa au concept de « génie » quant à l‘art et la beauté.
5
I. Originalité
L‘originalité du christianisme, c‘est avant tout son caractère de révélation, suivant
un long processus de manifestations divines qui passe par des étapes progressives il y
a à la fois continuité et rupture, suivant une pédagogie divine, pour reprendre
l‘expression d‘Irénée de Lyon18. J‘aimerais signaler trois points: Dieu parle dans le
silence ; Dieu appelle ; cet appel ne retire pas du monde l‘immense majorité des élus.
1) L’originalité de Dieu qui parle dans le silence : la prière
« Donc le christianisme est une religion révélée19 ». Telles sont les dernières
paroles de Chateaubriand dans son Génie du christianisme. Cette révélation de Dieu se fait
dans le silence selon deux perspectives : le silence de Dieu et le nôtre. Nous lisons au
premier livre des Rois que Dieu parle non pas tant dans un « grand ouragan », mais dans
une « brise légère », dans la « voix d‘un fin murmure » (1 R 19,12). C‘est ici l‘intimité de
l‘entretien plutôt que sa douceur qui est exprimée. Elle est rendue possible parce que
Dieu s‘est fait petit, à notre portée : un enfant, « infans », littéralement celui qui ne sait pas
parler. Le mystère de l‘incarnation du Verbe éternel est expriainsi par l‘idée que la
Parole s‘est abrégée afin d‘être à notre portée20. Le Seigneur, dit Ignace d‘Antioche, se
connaît dans son silence21. Nous trouvons un écho de cette attitude dans le silence du
Christ lorsque la femme adultère est accusée devant lui, ou lorsqu‘il est face à Hérode ou
à d‘autres, et refuse de leur répondre, ce que saint Josémaria dénomme « un silence
divin22 ».
Mais c‘est aussi notre silence qui est nécessaire pour que nous puissions percevoir
le divin. Mon évêque, Mgr Xavier Echevarría, aime rappeler les temps de silence qui
invitent l‘assemblée eucharistique réunie dans la charité à « écouter les conseils
intimes23 » de l‘Esprit Saint. Une dimension essentielle de la nouvelle évangélisation c‘est
18 Cf. par exemple s. Irénée, Adversus haereses, 3, 20, 2 ; cf. CEC 53, 1964. Sur continuité et discontinuité
entre religions, cf. Jean Daniélou, Dieu et nous, Grasset, Paris 1956.
19 Chateaubriand, Génie du christianisme, 1093. La première édition s‘achevait en revanche par une prière,
supprimée dès la seconde édition Ballanche (1809) : cf. 1918.
20 Cf. Benoît XVI, VD 12, qui renvoie à Origène, Péri Archon, I, 2, 8: Sources Chrétiennes [SCh] 252, p.
127-129.
21 Cf. S. Ignace d‘Antioche, Aux Éphésiens, XIX,1: « Le prince de ce monde a ignoré la virginité de
Marie, et son enfantement, de même que la mort du Seigneur, trois mystères retentissants, qui furent
accomplis dans le silence de Dieu » (SCh 10bis [1998] 75). Cf. aussi Aux Éphésiens XV, 1 ; Aux
Magnésiens, VIII, 1, in SCh 10 bis, Cerf, Paris 19984, 71, 87. Cf. commentaire de Pierre Thomas Camelot
in ibidem, 75, note 4 : le thème du silence est familier à la pensée religieuse des premiers siècles mais
aussi congruent au mystère paulinien et à la génération du Verbe chez saint Jean : « Les œuvres de Dieu
s‘accomplissent dans le silence, et les faits humains de l‘histoire de Jésus sont l‘éclatante manifestation
de ces secrets desseins de Dieu ».
22 Saint Josémaria, Quand le Christ passe, Le Laurier, Paris 20093, 72; cf. Sillon, Le Laurier, Paris 19872,
485; cf. Chemin de Croix, Le Laurier, Paris 20044, 1, 4. Cf. Mt 26, 62.
23 Xavier Echevarría, Vivre la Sainte Messe, Le Laurier, Paris 20133, 70; cf. aussi 25, 106, 186. Cf.
Ordination générale du Missel Romain, 45, 55-56. Cf. Benoît XVI, Exh. ap. Verbum Domini, 66.
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